• Aucun résultat trouvé

1. INTRODUCTION

1.1 La politique et la ville

« National dysfunction is hardly restricted to Congressional gridlock in the United States and the dark carnival of the Presidential primaries. It is also rife in Brazil where an elected President was impeached by a national congress, over 50 percent of whose members face criminal investigations.

From Hungary to Poland, angry, right-wing populist administrations are taking charge. In the Philippines, a hard-boiled gunslinger has assumed the presidency. The countries of the Arab Spring have become engulfed in vicious wars, terrorist insurrections and junta governments » (Muggah &

Barber, 2016).

Ce rapide panorama dresse un terrible constat : partout dans le monde, le modèle démocratique représentatif traverse une crise qui, parfois, donne le sentiment d’une course au pire. Le constat serait décourageant s’il ne s’accompagnait pas d’alternatives susceptibles de renouveler les mécanismes d’action politique et d’activation de l’espace public. Le mouvement des places, la recrudescence de l’urbanisme social, les appels à participation, ou encore les actions individuelles ou collectives d’interventions sur l’espace public donnent de nouveaux rôles aux habitants et cherchent à revaloriser l’activité citoyenne. Ce double contexte, de crise politique d’un côté, et d’émergence de nouvelles pratiques citoyennes de l’autre, constitue le cadre d’un nécessaire renouvellement de l’analyse de la question politique.

Revenons tout d’abord sur le premier constat, lié à la crise du politique, en lien avec l’évolution des modes de vie.

Premièrement, il faut historiquement le situer vis à vis des thèses postmodernes qui ont apporté, durant les dernières décennies, une analyse critique sur un monde en mouvement qui se caractérise par des changements dans les modes de vie, dans l'expérience subjective et collective du temps, ou encore dans les relations interpersonnelles. La littérature le met en lien avec l'individualisme qui se définit par un renfermement de l’individu vers ses propres intérêts - à la manière d’un agent rationnel du marché, entraînant des conséquences telles que la baisse du capital social et de l’engagement civique, ou encore la désaffection politique (Dalton, 1998;

Quintana, 2004; Gil Rodriguez, 2004). Bauman forge ainsi la notion de modernité liquide pour décrire une réalité dans laquelle la politique s’est ainsi progressivement diluée dans un monde liquide qui surexploite les caractéristiques de consommateur des habitants, et qui utilise le politique au service du marché en le déplaçant en dehors des pratiques quotidiennes (Bauman, 2007). Ce changement de valeur a entraîné une privatisation croissante des modes de vie qui est venue questionner ce qu’était la politique dans les villes postmodernes (Norris, 1999; Castillo, 2009;

Paquot, 2010). On a alors parlé d’abstinence, de passivité et de désaffection, qui ont progressivement éliminé tout contenu à la politique (Pharr & Putnam, 2000;

Fieldhouse, Tranmer & Russel, 2007; Blanco & Mas, 2008). Blondiaux en fait d’ailleurs le constat :

« Les formes classiques de la représentation politique survivent, mais leur légitimité s’amenuise et leur efficacité décline. Le pouvoir des institutions représentatives est partout rogné, leur autorité chahutée et leur capacité à imposer des solutions par le haut fortement érodée » (Blondiaux, 2008 : 5).

Deuxièmement, c’est une réflexion qu’il faut aussi préciser dans l’urbain, car c’est aujourd’hui le cadre de vie de plus de 50% de la population (75% dans les sociétés post-industrielles). Les villes modernes se sont construites sur les bases du zonage promu par la Charte d’Athènes et sont progressivement devenues des espaces fonctionnalistes qui ne laissent que peu de place à l’activité sociale et politique :

« on voit s'édifier des grands ensembles-dortoirs, des villes de banlieue où l'espace public s'efface lentement. La vie de quartier, où autrefois les individus se connaissaient, se rencontraient et se surveillaient s'est peu à peu éteinte » (Lipovetsky, 1991 : 107).

Jacobs (1961) avait déjà mis en avant les limites de cet urbanisme :

« un urbanisme qui simplifie les rues et les transforme en voies sans obstacle ni vie, par lesquelles seulement circulent des véhicules privés. La rue monofonctionnelle perd tout son sens, et c’est un élément qui sans aucun doute ne permet pas à la ville de se définir comme espace de rencontre, de connaissance et de reconnaissance. L’espace public disparaît » (citée par Muxi & Gutierrez, 2011 : 11).

Il faut aussi relever comment cette tendance fonctionnaliste du début du XXème siècle a été utilisée par le néo-libéralisme. En effet, à partir des années 70, l’émergence de nouvelles dynamiques urbaines a renforcé les investissements privés en ville. Ils ont alors commencé à coloniser les espaces urbains par le biais d’un progressif transfert de compétences de l’administration vers le privé, via le marché immobilier. La ville s’est mise en vente au moment où le capital, fort de ses excédents liés au marché financier, recherchait de nouveaux terrains d’investissement. Cela a eu pour conséquence de créer des bulles ou des augmentations de prix, et surtout de pousser l’utilisation de cette base fonctionnaliste à son paroxysme. Les logiques commerciales et financières ont alors influencé les espaces publics qui sont devenus des espaces de transit pour renforcer

le confort domestique (en limitant les nuisances) et permettre une meilleure fluidité économique comme le démontre parfaitement les exemples des Gated Communities et des Business Improvement District (BID) qui émergent dans toutes les villes post-industrielles. Comme l’a décrit Harvey (1975), le principal objectif des villes néolibérales est d’être compétitives au niveau international. C’est l’insertion de la logique commerciale dans la manière de penser nos villes. C’est ce qui mène à la standardisation des contextes urbains - même morphologiquement et socialement très différents, et ce qui mène aussi à ce que les villes elles-mêmes s’indexent sur les critères du marché international. Ce design organise les villes autour de l’efficacité économique et laisse de côté les spécificités du territoire et ceux qui y vivent. De cette manière, la ville se détache de son rôle privilégié dans les relations sociales, la vie collective et la vie politique, et soutient ce processus d’individualisme souligné par les thèses postmodernes.

Néanmoins, et c’est la base du deuxième constat qui me guide - celui-ci plus positif, cette analyse a aussi été précédée d’une réflexion issue d’un contexte historique particulièrement riche dans les années 60 et 70. Car ces décennies ont vu l’émergence de nouveaux regards sur l’urbain et qui ont mis en avant le rôle politique de l’habitant dans l’espace. Des concepts tels que le droit à la Ville, l’empowerment ou la société urbaine furent les prémices d’un dépassement du statut d’objet de l’habitant en liant l’urbain à des dynamiques de participation (Jacobs, 1961 ; Alinski, 1971; Lefebvre, 1973). Et s’ils ont été moins présents pendant quelques années, ils sont de nouveau mobilisés pour définir les enjeux contemporains de la société urbaine.

Ainsi, on reconnaît aujourd’hui des qualités de producteur à l’habitant dans la manière dont il interagit avec sa ville. La participation urbaine - hybride aujourd’hui - dépasse son cadre d’application des années 70 et définit de nouveau les

co-construction par le biais du design, de la participation et de la délibération. Les apports académiques sur le sujet sont nombreux, appréhendant la question de la participation sous différentes formes, interrogeant son efficacité ou les interactions avec les comportements sociaux au prisme de la crise du champs politique mentionnée auparavant (Abbot, 1996; Bacqué & Gauthier, 2011; Camara, 2012;

Chalas, 1998; Marti Costa, 2009; Matthey, 2011; Pares, 2006; Pusso, 2006; Silver et al, 2010).

1.2 P ARTICIPER À LA