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Performativité pour une quotidienneté de la citoyenneté

5. LA PRODUCTION DE L’ESPACE COMME FONDEMENT DE LA CITOYENNETÉ

5.2 Performativité pour une quotidienneté de la citoyenneté

DE LA CITOYENNETÉ

La citoyenneté abordée par sa relation au quotidien entraîne une conceptualisation liée à une vision performative :

« Es decir, que la entiende desde la acción, desde su ejercicio, desde el desarrollo pleno de la autonomía de cada persona en el marco de su comunidad de referencia, desde el espacio de lo común, más que desde la estática adquisición de unos derechos relativamente vaciados de contenido, relacionados con las dinámicas de inclusión y exclusión más elementales de los estados nación modernos » (Subirats, 2011 : 89-90).

Cette question de la pratique de la citoyenneté s’inspire d’une vision classique qui a aussi besoin, comme le décrit très bien Arendt, d’un cadre pour s’exprimer. Elle

l’apparence) qui, finalement, se définit fondamentalement comme politique et directement lié à l’espace de l’action :

« [cet espace] suppose la diversité de points de vue et des perspectives, au sens optique du terme, que des individus interagissant adoptent » (Debarbieux, 2014 : 16).

Arendt introduit alors la dimension performative de la citoyenneté, c’est à dire porteuse de sens et d’actions ; ce qui en expliquerait aussi sa crise contemporaine par la limitation des caractéristiques politiques de l’espace public qui ne permet plus de réunir les conditions de réalisation de la performativité de la citoyenneté. Je l’ai déjà décrit : la conception fonctionnaliste de la ville, dominante depuis des décennies, instrumentalise l’espace public au détriment de ses caractéristiques politiques.

Dans ce cadre, l’énonciation d'être citoyen entraîne donc un agir, voire participe de l’agir lui-même. C’est-à-dire que l’on dépasse le paradigme de la citoyenneté comme statut (droits politiques) pour l’entraîner dans le champ de l’action et de la parole (pratique politique). On devient donc citoyen par un processus d’acquisition lié à la performance de la citoyenneté. En d’autres mots, c’est par nos actions que l’on se définit comme citoyen.

Reprenant le travail de Searle (1995), la constitution linguistique de la performativité n’est en effet que la façade de la construction de réalités sociales car celles-ci se fondent par le biais de la réalisation d’activités performatives, notamment langagières (le discours revendique des droits comme du speech act : par exemple, l’énonciation de "je suis usager" exprime la revendication de droits au service). Et Judith Butler aiguille encore davantage dans cette perspective de la performativité au-delà du langage, en expliquant comment les comportements, les gestes, les attitudes font aussi partie de la performativité (1990). La citoyenneté devient alors un rôle que l’on performe (et c’est sa répétition qui va faire que l’on intègre sa

qualité, devenant inconsciente et spontanée). Nous ne sommes donc pas citoyen par statut (la carte d’identité, le droit de vote, le passeport) mais par le biais de nos actions et de leur répétition dans le temps. On acquiert donc une condition de citoyen au fil de nos actes, et être citoyen est donc un devenir perpétuel et une praxis.

Une pratique qui s’insère dans un contexte collectif et vers l’idée de commun. Car si on parle bien d’un processus d’acquisition individuel, c’est dans son caractère collectif qu’il prendra son sens. En effet, la citoyenneté ne peut être qu’exprimée en relation avec un groupe. Comme le présente Jérome Denis en évoquant le travail d’Austin (1970),

« les énoncés performatifs ne peuvent pas être tenus par un être solitaire.

(...) Ils nécessitent un auditoire qui non seulement est performé par les énoncés, mais participe pleinement à cette performativité en tant qu’ingrédient productif de certaines conditions de félicité ».

C’est-à-dire que, et là il fait appel au travail de Latour (2006),

« pour qu’ils deviennent de véritables performatifs, les faits, les théories ou les formules doivent circuler dans des chaînes de traduction qui consolident l’assemblage des entités qui le composent et leur permet d’acquérir le statut de matters of fact (et que) cette circulation nécessite un travail collectif sans lequel ce qui est performé se délite et finit par disparaître » (Denis, 2006 : 6).

La citoyenneté s’inscrit donc dans un cadre collectif où l’individu agit vers les autres en même temps que ce cadre collectif légitimise son action. Il y a donc une porosité entre les deux, une dialectique, qui fait que l’acte définit le tout, le tout définissant l’acte. C’est ce que Joan Subirats appelle la « co-production politique de la

citoyenneté36 », où quand l’individu est autonome en même temps qu’il construit des liens avec les autres en éprouvant de la co-responsabilité et de la solidarité. Il décrit cette idée dans un ouvrage Otra sociedad ¿otra política?: De «no nos representan» a la democracia de lo común, dans lequel il définit une nouvelle conception de la citoyenneté en lien avec son propre exercice :

« Una concepción de la ciudadanía articulada desde los valores de la igualdad de oportunidades y de condiciones de partida, de la solidaridad, la democracia, y la autonomía personal. Una ciudadanía que solamente puede crecer y consolidarse mediante su propio ejercicio. Una ciudadanía que debe dejar de ser un simple receptáculo o contenedor de derechos reconocidos, para convertirse en un ejercicio permanente de corresponsabilidad y solidaridad social sobre los problemas comunes » (Subirats, 2011 : 86).

Le prisme de la crise de la citoyenneté éclaire davantage sur la compréhension de cette conception performative, et sur le lien avec les hypothèses présentées. La crise du politique - notamment par son phénomène de désaffection - détermine alors le manque de sens que l’on peut donner à nos actes citoyens. Et la crise de la ville moderne - son fonctionnalisme et sa production néolibérale - limite la possibilité d’avoir un cadre de performance, un espace d’expression de la citoyenneté.

Et si l’on ne peut résumer la citoyenneté dans un schéma manichéen qui pourrait être réducteur (on pense là à la richesse du tissu associatif, des réseaux de solidarité, des espaces de revendication, etc.), ce constat critique de la citoyenneté associé à son contexte urbain, permet de comprendre l’importance de l’espace public dans la production de la citoyenneté. Et en allant encore plus loin, de comprendre l’importance de la considération collective d’un processus de construction de

36 http://www.eldiario.es/norte/euskadi/gran-problema-Espana-educacion-cero_0_446905621.html consulté le 5 novembre 2015

l’espace public qui détermine la performativité de la citoyenneté. Il entraîne l’agir d’un côté - des actes citoyens de construction et de réflexion (participation à des réunions, installation de mobilier, jardinage, etc.) - et une référence collective de l’autre qui va valider et enrichir ce processus - interaction avec les habitants, prise en compte des contraintes, etc. Dans ce contexte de crise du politique, l’habitant questionne donc le sens d’agir en tant que citoyen surtout qu’il ne trouve pas de place pour le faire. Car si la citoyenneté s’exerce par le biais de la sphère participative, et que celle-ci s’appuie notamment sur l’espace public, alors sa destruction au profit de ses seules caractéristiques fonctionnalistes observée dans les villes néo-libérales peut être un facteur explicatif de la crise du politique. C’est tout du moins une des hypothèses que l’on défend en démontrant comment les habitants utilisent les interstices de la ville pour s’instituer en tant que citoyen. Ainsi, la naissance du Campo de Cebada à Madrid ne se perçoit pas de la même manière en sachant qu’elle a été favorisée par la crise immobilière de 2008 issue de la crise du modèle néo-libéral.

Ce travail se propose donc d’explorer la production de la ville par ce regard sur la performativité de la citoyenneté. Premièrement, en s’intéressant aux processus qui visent à créer de nouveaux espaces d’expression de l’agir citoyen (construire sa citoyenneté). Et deuxièmement, en cherchant à valoriser les actes du quotidien et leur relation avec l’espace (dans une relation spatiale et temporelle liée au quotidien).

Car pour intégrer cette dimension performative à la citoyenneté, il est nécessaire d’aller plus loin dans le renouvellement de sa définition. Les débats actuels autour de la citoyenneté qui se basent sur le postulat que la citoyenneté n’a pas d’essence sont particulièrement intéressants ici :

« Il n’y a pas d’ensemble de caractéristiques pré-définies qu’on

qu’elle est un construit social et politique, une fabrique en constante évolution, un ensemble de processus pouvant varier dans les formes de son effectuation, selon les différentes ressources mobilisées et les enjeux en débat » (Carrel & Neveu, 2014 : 2).

Ce caractère performatif passe alors d’abord par des pratiques quotidiennes. C’est l’insertion de la notion de citoyenneté dans le quotidien, caractérisé par ses opportunités d’expression, qui permet de redéfinir ce qu’est l’habitant en le distinguant de sa qualité de consommateur. L’habitant n’est plus celui qui consomme (du logement, des transports, des services) mais celui qui agit dans un quotidien qui s’exprime en pratiques quotidiennes (un peu comme des procédures, pour reprendre l’expression de De Certeau), et qui se précise dans les notions de discours, d’acquis et de l’occasion (De Certeau, 1990 : 71). La citoyenneté urbaine s’exprimerait en outre par des pratiques de détournement, c’est-à-dire visant à détourner les processus de soumission au pouvoir tels que les décrit Foucault (1975, 1984, 2014), et qui proposent, par le biais de la micro-politique, un agir du quotidien qui se définit comme acte fondateur de la citoyenneté.