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3. MÉTHODOLOGIE

3.1 Contexte

Ce travail de recherche vise à comprendre de quelle manière l’habitant peut avoir une influence sur la production de l’espace urbain, quels sont ses rôles dans la définition de la ville, et de fait, quelles sont les conséquences de son implication dans les projets urbains mais aussi en termes de citoyenneté. C’est comprendre de quelle(s) manière(s) l’innovation urbaine en matière de production de ville définit un nouveau type de projet urbain qui est lié à l’émergence de citoyenneté.

L’hypothèse est que ces activités productrices de ville soient révélatrices d’une citoyenneté urbaine qui émerge grâce à un projet urbain orienté vers l’habitant. Une citoyenneté qui se forme sur l’espace public en mobilisant différentes formes de spatialités grâce à la création d’espaces d’action.

Après l’observation de différents cas d’études à Madrid et Genève, ce travail a l’ambition de vérifier cette hypothèse en mettant en situation des habitants en tant que producteurs de ville. On analysera si ces différents rôles ont une influence sur la manière de concevoir la planification urbaine, et si ce contexte de production de ville est, pour reprendre l’expression de Neveu (2013), un espace de fabrication de la citoyenneté qui soit lié au quotidien et à l’espace public contemporain.

Pour ce faire, j’ai dû me placer comme un observateur privilégié, comme un observateur qui se mêle à des situations mises en pratique, et peut ainsi construire une relation dialectique entre la théorie et l'empirisme. C'est un point clé qui se justifie par le fait que l’objet d'étude soit des initiatives vivantes qui utilisent une méthodologie tout en la faisant vivre ; parce que la capacité d’adaptation à différents contextes sera un élément de réussite. Cela nécessite de suivre cette

tendance et d’élargir la vision critique de ces expériences avec le cadre théorique, de la même manière que devoir laisser ces expériences enrichir le cadre théorique.

Je suis donc allé à la rencontre de nombreuses initiatives en lien avec l’espace public sur différents territoires à l’échelle européenne, afin d’approfondir mes connaissances. Dans certains cas par une période d’immersion, puis en appliquant, pour les tester, certaines caractéristiques sur un territoire en développant un travail expérimental. C’est ce qui a permis d’avoir une certaine maîtrise des variables - très nombreuses sur l’espace public - afin de pouvoir apporter de nouveaux éléments de connaissance concernant les modes de production et leurs conséquences sur la citoyenneté urbaine.

Aussi, pour répondre à ces questions et vouloir apprivoiser la question de la fabrique de la ville en s’intéressant à des notions liées à la citoyenneté, j’ai mis en place une démarche de recherche transversale et transdisciplinaire. J’ai adopté une perspective ethnographique, qui définit l’espace public comme constituant et constitué en se focalisant sur la définition d’une citoyenneté urbaine ; et je me suis concentré sur l’espace du politique en m’intéressant au lieu, au territoire, à la rue.

De cette manière, je prétends répondre aux enjeux liés à l’étude de l’urbain comme phénomène complexe et dispersé. Aussi, par le filtre des espaces publics, j’ai alors cherché à analyser de quelles façons l’individu est acteur de la production de la ville en soulignant le caractère évolutif et non exclusif de ce que serait la citoyenneté urbaine. Cela situe mon travail dans des débats liés à l’espace du politique, la participation et l’architecture des espaces publics, en créant une interdépendance entre eux. C’est une manière de lutter contre l’isolement des modes de pensée et surtout de pouvoir enrichir cette thèse en lui accordant des limites non liées à une discipline mais à une thématique d’étude.

Ainsi, c’est une démarche, très liée au terrain, qui va rechercher des problématiques

dans un cas d’expérimentation qui a été développé à Ambilly (France) entre février 2013 et octobre 2014. Il s’agit de mettre en place une posture volontariste du chercheur qui se veut acteur et analyste. La méthodologie de la recherche-action est alors privilégiée pour élaborer un travail de recherche qui se veut tout autant militant. C’est donc bien en suscitant les objets que l’on va étudier que cette dialectique sera créée entre le terrain et la théorie, étant au sein du champ de recherche en le stimulant. Ainsi, tous les cas d’études, tous les exemples mentionnés dans ce travail, ont été abordés sous un angle d’observation mais aussi d’intervention - plus ou moins intense en fonction des contextes - allant même jusqu’à la création de ce cas expérimental que l’on détaillera plus tard.

La recherche-action n’est pas tant définie comme une méthodologie (un processus à suivre) mais comme un cadre épistémologique qui instaure une relation cyclique entre le chercheur et son contexte d’étude. L’action est alors source de connaissance par son caractère exploratoire mais aussi par sa posture interrogative.

Concrètement, j’ai donc commencé par une consultation approfondie des initiatives en cours à Madrid et à Genève - mais aussi sur d’autres sites en Europe (Barcelone, Saint Etienne, Paris, Valence). En 2012 et 2013, je me suis donc rendu dans ces villes à la rencontre de ceux qui menaient déjà des projets impliquant les habitants dans la production de la ville (Paisajes Transvesales et Todo por la Praxis à Madrid ont été les premiers en juillet 2012). Pendant les deux années qui ont suivi, je me suis impliqué dans des projets comme El Casc (Alicante, Espagne, 2013 et 2014) pour mettre à l’épreuve les premiers apprentissages et continuer à observer de nouvelles mises en situation. A la manière de Pérec, j’ai aussi répété des périodes d’observation de l’espace public (Place de la Navigation à Genève, Plaza 2 de mayo à Madrid). Cela a été l’occasion de confronter des premiers apports théoriques avec la réalité du terrain, et d’en construire de nouveaux grâce à une implication concrète sur l’espace public. En parallèle, et dès février 2013, j’ai commencé à mettre en place ma démarche expérimentale à Ambilly (France) qui me permettait de confronter les

différentes notions mises en avant dans la phase exploratoire. Ce processus de rénovation d’un espace public en collaboration avec les habitants fut l’occasion de tester l’espace et ses dynamiques sociales dans ce qui définit une notion d’espace public appliqué sur un territoire ; mais aussi de comprendre un processus dans son entièreté tant dans sa chronologie que dans sa multiplicité d’acteurs. Pendant toute cette période, je suis passé d’un statut d’observateur non-participant, à celui d’observateur participant, puis à celui d’acteur ; créant des liens d’interdépendance entre eux en fonction de l’évolution chronologique de la recherche. C’est une référence aux études urbaines de l’école de Chicago au début du XXème siècle, et plus précisément aux travaux de Robert Ezra Park, Ernest Burgess, ou à l’immersion de William Foote Whyte dans les rues de Boston et son interrogation sur sa manière d’appréhender son travail et ses modes de recherche :

« Le lendemain, Doc m’expliqua la leçon du soir précédent. “Vas-y doucement, Bill, avec tous tes qui, quoi, pourquoi, quand, où. Si tu poses des questions de ce genre, il suffit que tu traînes avec eux et tu finiras par avoir les réponses sans même avoir besoin de poser les questions.” J’ai constaté que c’était vrai. Rien qu’en restant assis et en écoutant, j’ai eu les réponses à des questions que je n’aurais même pas imaginé poser si j’avais cherché à m’informer uniquement sur la base d’entretiens15 » (Foote Whyte, 1995 : 328).

La question de l’observation est ainsi essentielle. J’ai mobilisé des techniques exploratrices comme le travail qu’a élaboré Pérec (1982) dans sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, ou comme Jean Rouch et Edgard Morin ont sollicité des habitants dans leur film Chronique d’un été (1960). Ces deux exemples, assurément liés à la méthodologie ethnographique, sont une ouverture vers l’appréhension des usages et des pratiques que l’on a inséré dans une démarche de

recherche action qui a été capable de prendre en compte ces différentes techniques tout en les associant à une démarche participative qui devait intégrer les habitants.

C’est aussi une manière de pouvoir aborder une notion complexe et dynamique comme la citoyenneté qui sollicite des observations temporelles et spatiales :

« Saisir les processus de citoyenneté, pour en revenir aux arguments avancés au début de cet article, nécessite alors de s’attacher à saisir, parmi d’autres éléments, comment des attachements familiers, personnels ou intimes contribuent à fabriquer du commun, « comment les définitions explicites de la citoyenneté s’incarnent […] et se déclinent […] dans des contextes d’expérience et d’activité » et « en quoi toutes sortes d’expérience et d’activité pratiques génèrent […] un sens de la citoyenneté qui échappe à ces définitions explicites » (Neveu, 2013 : 24).