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L E FILM RATIONNEL OU UNE TENTATIVE DE RATTRAPER LES INNOVATIONS EN TERME DE SON OPTIQUE : ENREGISTREMENT PHOTOGRAPHIQUE DU SON

Léon Gaumont, lors de sa conférence sur l’industrie du film parlant au conservatoire des Arts et Métiers le 17 février 1929, fait part des résultats successivement convaincants qui ont lieu grâce à ses collaborateurs. Il cite en particulier Léopold René Decaux et Pierre Froehly (dit Frély)83.

René Decaux (son nom est souvent trouvé ainsi dans la presse) est ingénieur pour les travaux en photographie d’abord, puis rejoint Léon Gaumont dès les débuts du cinématographe et devient le directeur des ateliers de fabrication des appareils. Son nom ne figure pas dans les fiches du personnel mais il participe au premier conseil d’administration de la Société Française des Films parlants en 192584. Georges Laudet85, collaborateur de Decaux, intervient

sur l’énergie acoustique et confirme que le cinématographe parlant (1906) est sorti des laboratoires Gaumont grâce à René Decaux86.

Pierre Frély se trouve effectivement dans la base de données des fiches du personnel, bien que sa fiche soit peu précise. Elle indique qu’il est chef de service, ingénieur principal de la firme à la marguerite dans les années 1900 à 1920. Il est présent dans la firme depuis maintes années puisqu’il y entre le 15 janvier 1903. Sa fiche indique au crayon qu’il est au service des studios. Pierre Frély est à la fois chef de laboratoire et du service des films parlants des Établissements Gaumont entre 1903 et 1914, puis revient de 1918 à 1933. Il est l’inventeur du pick-up (lecteurs électromagnétiques) en 1920. Il est aussi le premier créateur, en s’appuyant sur les travaux d’Henri Armagnat, de l’enregistreur électrique à distance87.

Henri Armagnat est chevalier de la légion d’honneur et ingénieur électricien, il obtint le prix Gaston Planté de physique en 1917 pour ses recherches expérimentales en électricité88. Il

83 Conférence de Léon Gaumont au Conservatoire des Arts-et-Métiers, Le Courrier cinématographique n°8, 23 février 1929, pp. 43-48.

84 Anonyme, « Informations », Les Spectacles : paraît tous les vendredis, 12 juin 1925, p. 17.

85 Georges Laudet et son frère Gustave travaillent ensemble sur « l’amplification des sons par quantités dosées de matières explosibles » et poursuivent leur étude par « des tracés photographiques des sons » dès 1900. Allocution de Georges Laudet sur l’énergie acoustique lors des réunions de la société de l’industrie minérale dans le compte-rendu de la Revue de l’industrie minérale, n° 213, 1er novembre 1929, p. 328. [ Disponible

sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5476145p/f8.item.r=laudet , dernière consultation 27/05/2019]

86 Ibid., p. 327.

87 Présentation tapuscrite de Pierre Frély, collaborateur d’Henri Armagnat, 1919-1920, Cinémathèque française, Fonds Louis Gaumont, LG 562 B64.

88 Anonyme, « Académie des Sciences », Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 23 novembre 1917, p. 9 458. Armagnat est l’auteur d’un ouvrage concernant la recherche sur les mesures électriques : Instruments et méthodes de mesures électriques industrielles en 1902 et d’un article sur la « Phototélégraphie » dans la Revue Scientifique, 1er janvier 1908.

devient évident qu’une collaboration entre chercheurs en électricité et en produits chimiques est nécessaire. Il en est de même pour la transmission de l’image à distance par l’électricité, étroitement liée aux recherches du cinéma parlant. Pierre Frély enregistrait déjà un film sonore sur bande (Bataille de dames) avec Léon Gaumont en 1922. Il fait partie des précurseurs du sonore dans l’entourage de Léon Gaumont89. La SEG semble posséder, une

fois de plus, de nombreux atouts dans la course au sonore. Les revues scientifiques comme les revues de cinéma laissent entendre que Gaumont est réellement l’inventeur du cinéma parlant grâce à ses ingénieurs qualifiés, qui ont permis de nombreuses avancées dans ce domaine de recherche.

Le « film parlant rationnel » est la solution proposée par Gaumont et ses laboratoires de recherche à l’inscription du son sur pellicule. L’idée est d’effectuer une inscription invisible grâce à un assemblage parfait des deux films avec les mêmes perforations (un film d’images cinématographiques enregistrées sur toute la largeur de la pellicule entre les perforations ; l’autre film contenant l’inscription acoustique ou oscillographique qui utilise, si besoin, toute la largeur entre les perforations)90. Les innovations continuent avec le brevet

d’invention de « Produits absorbant les variations ultra-violettes », délivré le 14 mars 1929. Ces travaux sont dus à la collaboration d’Henry Aschel et M. Lucas, tous deux ingénieurs à la SEG.

L’invention permet l’absorption de la partie ultraviolette du spectre et de modifier l’absorption présentée par les composés précédents dans la partie visible du spectre91. Les inscriptions

sonores sont transparentes et incolores, imprégnées d’un produit invisible pour le spectre visible mais pas pour l’infra-rouge ou l’ultra-violet. Pour lire ces inscriptions, il suffit d’une lampe à vapeur de mercure (un produit à rayon ultra-violet) et d’un filtre sélecteur laissant passer les rayons de la longueur d’onde qui convient. Entre ce filtre et la cellule photoélectrique, est disposé un couloir dans lequel défile le film rationnel. Seules les inscriptions acoustiques peuvent les capter, ne causant alors aucun trouble pour les images cinématographiques par les rayons utilisés car les inscriptions sont transparentes.

Cette invention permet une sélection de la lumière ultra-violette qui doit impressionner la cellule photoélectrique utilisée à la projection des films rationnels. Ce brevet permet de 89 Jean-Pierre Liausu, « Simple souvenir », Comoedia, n° 3769, 30 novembre 1936, p. 4.

90 Anonyme, « Le film parlant rationnel. L’inscription invisible », Cinéopse, n°115, 1er mars 1929, p. 14. 91 Brevet de « Produits absorbant les variations ultra-violettes », demandé par la SEG, délivré le 14 mars 1929,

remplacer le filtre en quartz des précédentes inventions par un filtre constitué par de la gélatine bichromatée servant de substrat aux matières colorantes spéciales faites d’aniline. Il laisse passer le violet extrême du spectre et ne contient pas d’argent mais uniquement les matières colorantes pour faire le filtre. Ce phénomène permet à la lumière reçue par la cellule d’être plus efficiente et le procédé fonctionne dans des conditions d’utilisation normales, sans problème de luminosité. Le film-image présente un minium de contraste et n’influence pas la cellule comme le fait habituellement le film sonore par opacité absolue pour cette lumière. Les images cinématographiques étant traitées, aucun trouble n’est causé au passage de ces rayons et seules les inscriptions acoustiques interceptent les rayons invisibles.

Le 18 mars 1929, une nouvelle demande de brevet est faite par Henry Aschel pour un « Procédé de tirage par report de films rationnels92 » afin d’apporter des modifications

sensibles au procédé déjà existant. Cette invention consiste à fixer la matière opaque aux rayons ultra-violets directement sur le film entièrement gélatiné portant les images cinématographiques. Le mode de réalisation s’effectue en quatre étapes : d’abord, il faut tirer une copie sur film de gélatine bichromatée du négatif en noir et blanc ; enlever à l’eau chaude le film bichromaté pour conserver sur le support de celluloïd uniquement la gélatine insolubilisée par la lumière ; teinter le film dépouillé par la substance opaque aux rayons ultra-violets mais transparente à la lumière visible ; enfin, mettre en contact la copie teintée avec un film de celluloïd recouvert d’une couche de gélatine ordinaire. Un autre mode de réalisation consiste à enduire le film servant de matrice de dissolvant du nitrate ou de l’acétate de cellulose, ce qui permet d’imprimer directement l’enregistrement sonore sur le dos du film portant l’image cinématographique. Cette solution trouvée par les laboratoires de la SEG permet d’éviter l’utilisation de deux pellicules. La firme doit donc faire évoluer son appareil d’enregistrement du son afin de conserver une seule pellicule contenant l’image et le son. Durant le mois de juillet 1929, le procédé Gaumont, dérivant des brevets Petersen et Poulsen, est « standardisé » : le son est sur le même film que l’image, à la même place que dans les autres films parlants, permettant une diffusion standardisée. Pourtant, Léon Gaumont annonce à A.P. Richard, qui écrit dans La Cinématographie française93 et responsable du supplément

mensuel technique de cette revue, que les essais de films rationnels continuent dans les

92 Brevet « Procédé de tirage par report de films rationnels », demandé par la SEG le 18 mars 1929 et délivré le 19 mai 1930, Cinémathèque française, Fonds Louis Gaumont, LG 537 B62.

laboratoires de ses établissements, afin que les opérateurs maîtrisent cette nouvelle technique. Richard présente lui-même deux films de la SEG tournés dans le studio rue du Plateau et dont les résultats semblent dignes d’éloges.

Comme nous l’avons vu, les travaux sonores chez Gaumont sont issus d’une longue tradition et perdurent tout au long des années 1920. L’expérience acquise permet à la société de se positionner rapidement sur l’équipement de ses studios. Nous sentons une certaine peur de l’échec de la part de Gaumont, qui tarde à se lancer dans une production sonore malgré ses atouts, devant la concurrence étrangère et française. La SEG met en place des stratégies commerciales dès 1928 et équipe ses studios en 1929 avec son Cinéphone.

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4. 1928-1929,

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