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C/ L’équipement sonore : un enjeu de taille dès

Dans le document Gaumont, un empire face au parlant (1928-1930) (Page 103-108)

Après la présentation du Chanteur de jazz en janvier 1929, les industriels français veulent équiper les salles pour diffuser ces nouveaux films sonores qui rapportent plus. En 1929, les étrangers (en particulier les États-Unis) installent déjà les salles en France, il faut donc entrer dans la course à l’équipement et produire un appareil français.

Ces rapports étroits entre T.S.F, radio, télévision et cinéma n’est pas propre à Léon Gaumont. Aux États-Unis, l’industrie cinématographique est également liée à l’industrie de l’électricité et de T.S.F. En Europe, l’Allemagne fait de même, avant la France et l’Angleterre, qui restent encore au second plan. La presse est inquiète de cette concurrence américaine, Georges Clarrière dira que « le but de l’Amérique est de régner en maître sur les industries du film sonore dans le monde entier163 ».

Au vu des installations effectuées en quelques mois, le journaliste Marcel Colin-Reval de La Cinématographie Française est optimiste à la fin de l’année 1929. Il considère que l’exploitation pratique des films sonores peut enfin commencer, d’autant qu’au mois de janvier 1930, les industriels prévoient l’équipement de 10 000 salles dans le monde164. À ce

moment-là, en Europe, 1 200 salles sont équipées sur un total de 27 566 cinémas165. Ces

chiffres confirment qu’un long chemin reste à faire avant que l’industrie française du cinéma se convertisse entièrement aux films parlants et sonores.

C.1/ LESPROCÉDÉSAMÉRICAINSETALLEMANDS (WESTERN, RCA ET TOBIS) DÉJÀINSTALLÉSEN

FRANCE : LA SEG PEUT-ELLERATTRAPERSESCONCURRENTS ?

L’équipement des salles pour diffuser une production parlante et sonore débute doucement dès le début de l’année 1929. Au mois d’août 1929, seize salles sont équipées en sonore à Paris et deux en province, le parlant change toutes les habitudes des cinémas qui doivent être aménagés entièrement ou au moins s’équiper d’un appareil de synchronisation afin de pouvoir diffuser la nouvelle production.

163 Georges Clarrière, « Le progrès commercial des films sonores et parlants. Quel est le meilleur procédé ? »,

La Cinématographie française, n°552, 31 mai 1929, p. 9.

164 Marcel Colin-Reval, « La situation du film sonore. En janvier prochain il y aura 10 000 salles équipées dans le monde », La Cinématographie française, n°576, 16 novembre 1929, p. 27.

Deux firmes américaines dominent le marché au début de l’année 1929 : la Western Electric, filiale de l’American Telephone et Telegraph Compagny dont les appareils se nomment Vitaphone et Movietone et la Radio Corporation of America (R.C.A), une filiale de la General Electric, son procédé est le Photophone. Le procédé vedette est le Vitaphone, il utilise la reproduction du son par disques, similaire au phonographe. Les sons enregistrés par le microphone sont transformés en courant électrique conduit à un amplificateur qui transforme ces enregistrements en vibrations mécaniques, transférées à des disques en cire. Le système Movietone, quant à lui, transforme les sons enregistrés par les microphones en vibrations électriques qui sont amplifiés et font varier l’intensité de la lumière de façon à ce que ses rayons arrivent directement sur le film négatif et imprime des traits de longueurs différentes. Le Photophone effectue la reproduction du son par la méthode photo-électrique, comme le Movietone, et serait « supérieur aux triples points de vue technique, artistique et pratique166 » aux procédés de la Western Electric.

Dans un article de Cinémagazine, Valentin Mandelstamm révèle le problème de la diversité des systèmes et de l’interchangeabilité, « il y a actuellement trop de systèmes de reproduction divers, par disques ou par procédé électro-photo-acoustiques : ils ne sont pas forcément interchangeables167 ». Les deux firmes américaines déclarent dès lors que leurs appareils sont

interchangeable, le problème est déjà réglé aux États-Unis.

Néanmoins, l’industrie du cinéma allemand dispose aussi de brevets sonores dès 1928 avec le procédé Tobis-Klangfilm, maison de production et de distribution issue de l’association en 1929 de Siemens et A.E.G, une concurrence non négligeable au même niveau que les américains. Le système allemand est issue du Triergon, « système d’enregistrements photographique à densité variable », datant de 1919, qui ne connaîtra pas de succès dans les années 1920168. Il est compatible avec les procédés Movietone et Photophone. Dès le mois

d’avril 1929, la société Tobis acquiert les studios d’Épinay et installe son procédé pendant les mois suivants169. D’après la visite transcrite dans la revue Cinéa le 1er décembre 1929, « la

société Tobis est la première installée en France qui ait à sa disposition le matériel et le personnel nécessaire à la création de toutes pièces de films sonores 170». En 1929, la guerre

166 Lars Moën, Le triomphe du film sonore en Amérique », Cinémagazine, n°18, 3 mai 1929, p. 214.

167 Valentin Mandelstamm, « L’avènement des films parlants et synchronisés. Diversité des systèmes »,

Cinémagazine, 8 février 1929, p. 234.

168 Pierre Billard, op. cit., p. 20..

169 Anonyme, « Visite aux studios Tobis », Cinéa, n°145, 1er décembre 1929, p. 21.

des brevets concernant le cinéma sonore est déclarée entre les États-Unis et l’Allemagne qui se dispute le marché européen.

En France, au mois de septembre 1929, une vague d’installations dans les salles ajoute 23 cinémas équipés en sonore, dont la plupart sont effectuées par le procédé américain Western Electric (18 équipements) à Paris, une à Marseille et une à Lyon ; la Tobis équipe le Marivaux à Paris ; Jacques Haïk installe l’Olympia et la R.C.A. s’occupe du cinéma Les Capucines171. Gaumont n’a pas encore équipé de salle puisque son procédé de reproduction

n’est commercialisé qu’en décembre 1929. Le Paramount s’équipe dès le mois d’octobre 1929172.

En décembre 1929, Marcel-Colin Reval annonce dans La Cinématographie française qu’une entente entre Western Electric et Gaumont est effectuée, la première adoptant certaines parties de l’appareillage Gaumont pour ses installations173. L’ouverture d’une nouvelle salle, le

Moulin-Rouge-Cinéma, inaugurerait l’installation d’un appareil sonore Western-Gaumont. Finalement, la Western Electric dément formellement l’accord avec la SEG annoncée dans La Cinématographie française, et ne fait l’usage d’aucune partie de l’appareillage Gaumont ni d’aucun accord d’ailleurs174. C’est donc la Paramount qui équipe le Moulin-Rouge le 4 juillet

1930. Les Américains dominent toujours le marché.

C.2/ UNPROCÉDÉFRANÇAISCONCURRENT : RADIO-CINÉMA, BIENTÔTALLIÉ ?

Nous avons vu précédemment l’importance de la télégraphie sans fil pour le passage au cinéma parlant à l’étranger comme en France. Au mois de juillet 1929, la compagnie Radio-Cinéma est créée par la société Franco-film en collaboration avec la Compagnie de Télégraphie sans fil (T.S.F), dont le siège social se situe au 79 boulevard Haussmann, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Elle a pour but la fabrication d’appareils pour les films sonores

et parlants. Son capital initial est de 10 millions de francs et est porté à 25 millions175. Le

directeur général de la compagnie Radio-Cinéma est Maurice Besnard, ingénieur qui donne 171 Lucie Derain, « Courrier des studios », La Cinématographie française, n°568, 21 septembre 1929, p. 20. 172 Anonyme, « L’exploitation du sonore entre dans l’ère des réalisations. 16 salles sont actuellement équipées à

Paris, 2 en Province, 4 à Bruxelles », La Cinématographie française, n°563-564, 24 août 1929, p. 23. 173 Marcel Colin-Reval, « L’ouverture du Moulin-Rouge Cinéma. Une salle splendide. Folies Fox 1929.

Appareil sonore Western-Gaumont », La Cinématographie française, n°579, 7 décembre 1929, p. 9.

174 Anonyme, « Un démenti formel de la Western Electric », Le Courrier cinématographique, n°51, 21 décembre 1929, p. 26.

175 Marcel Colin-Reval, « L’avenir du film parlant français se précise. De quels appareils la Société Radio- Cinéma entreprendra-t-elle la fabrication ? », la Cinématographie française, n°560, 27 juillet 1929, p. 7.

une grande impulsion à sa société. Antoine Fontanel est ingénieur et chef des services d’études chargé de mettre au point l’appareil Radio-Cinéma en peu de temps (4 mois, entre décembre 1929 et avril 1930) et Pierre Lelong est le directeur commercial. Quant aux administrateurs de cette compagnie, ils sont déjà implantés dans l’industrie du cinéma : Paul Brenot (ingénieur), Pierre-Eugène de Caplane (président de la Franco-Film), Jacques Haïk (producteur et distributeur), Robert Hurel (créateur de la Franco-Film), Robert Tabouis (Compagnie Radio France) et Guy Thurneyssen (ingénieur). Émile Girardeau est un personnage important dans l’histoire de la compagnie et il est ingénieur, président du conseil d’administration de la Radio-technique Radiola en 1922, fondateur et administrateur délégué de la compagnie française de T.S.F. et administrateur de la GFFA en 1930, suite à la fusion.

Ainsi, la Compagnie Générale de T.S.F française, dont l’expérience est reconnue partout dans le monde et possède des moyens financiers conséquents, apporte sa collaboration à la création de Radio-Cinéma. Elle devient alors une filiale de la Compagnie Générale de T.S.F française qui s’intéresse au parlant, tout comme les compagnies étrangères telles que la General Electric, l’American Telegraph and Telephone, l’A.E.G ou encore de Siemen und Halske176.

Cette nouvelle société Radio-Cinéma n’assume qu’une tâche purement technique : elle fabrique les appareils de projection et de reproduction du son alors que la branche cinématographique est représentée par la Société Franco-film, dirigé par Robert Hurel, et Jacques Haïk. Ce dernier est l’un des plus grands producteurs et distributeurs français de l’entre-deux-guerres. Il fonde la société des Établissements Jacques Haïk en 1924. La compagnie Radio-cinéma fabrique aussi l’appareil Cinévox de Jacques Haïk177, qui est le

représentant en France de l’appareil de Lee De Forest, le Phonofilm.

D’après un article de la revue Cinémas d’avril 1930178, l’ensemble cinématographe et

défileur sonore de l’appareil Radio-cinéma est conçu « sans souci de la tradition », l’esthétique est dite « satisfaisante » et les transmissions mécaniques « d’une grande simplicité ». Celles-ci permettent d’actionner le projecteur et le défileur sonore séparément par un arbre vertical. De plus, la hauteur de l’objectif varie et peut être corrigée par le réglage du pied de la table puisque la transmission du défileur sonore n’est « pas modifiée par l’angle

176 Fernand Vincent, La Cinématographie française, n°597, 12 avril 1930, p. 19. 177 Lynx, « Écho et informations», Cinémagazine, n°29, 19 juillet 1929, p. 103.

de pointage179 ». Cet appareil s’adapte à divers types de projecteurs, il possède une plateforme

large qui peut accueillir des projecteurs quelconques avec une commande. Quant au dispositif pour la lecture des films sur disques, il fait bloc avec la plate-forme inférieure, l’encombrement en largeur est donc moindre. La question de l’adaptabilité de l’appareil et de l’espace qu’il utilise devient un enjeu de taille. Le mécanisme de commande du phonographe admet un entraînement continuel du phonographe sans débrayage pendant le déroulement du film. Enfin, le moteur est universel et automatique, permettant une vitesse constante par un dispositif électro-mécanique pour les films parlants ainsi qu’également une vitesse variable pour les films muets. l’appareil Radio-Cinéma est interchangeable, il peut diffuser des films enregistrés avec des procédés concurrents et s’adapte également aux films muets.

Au mois de septembre 1929, avant la sortie de l’appareil Gaumont, la compagnie Radio- cinéma reçoit de nombreuses visites chaque jour de la part d’exploitants de salles qui s’intéressent au cinéma parlant et cherchent un équipement de qualité. Cette société, d’après la presse, est appelée à prendre une place prépondérante sur le marché180. Elle fait ainsi

concurrence au procédé de synchronisation Gaumont, l’Idéal Sonore, et devancera les installations dans les salles.

La position de la SEG reste confuse. Elle souhaite évidemment mettre en avant son propre procédé, mais seule, elle n’en a pas entièrement les moyens. De nouvelles stratégies vont donc se mettre en place au sein de la société Gaumont pour devenir la première firme cinématographique française. Après des installations et des essais sonores réussis, la SEG doit se lancer sans hésitation dans la production parlante et la fabrication en série d’un appareil de reproduction sonore.

179 Lynx, « Écho et informations», op.cit, p. 103.

Dans le document Gaumont, un empire face au parlant (1928-1930) (Page 103-108)

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