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Des rapports distanciés avec les familles de milieux défavorisés

B. Des relations École – familles ponctuées par des inégalités sociales et

2. Des rapports distanciés avec les familles de milieux défavorisés

Il n’apparaît pas comme un acte bénin pour toutes les familles le fait d’être en contact avec l’école. En effet, l’enseignante du lycée X, qui a auparavant travaillé dans un autre lycée de la ville dans lequel la population était plus « mélangée », affirme qu’elle a « découvert qu’il

y avait vraiment des familles qui avaient du mal à rentrer dans l’école, ils avaient peur, parce que euh… ils avaient subi, ou en tous cas eu le sentiment d’être mal considéré durant leur

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scolarité ». Ces propos se vérifient par ailleurs au collège Y et ne font que renforcer les thèses

émises par Pierre Périer. En effet, de nombreux parents n’osent pas aller à la rencontre de l’école ou s’immiscer dans la scolarité de l’enfant par peur. Ce sentiment de peur conduit à un renoncement plus ou moins prononcé. La CPE du collège Y affirme à ce sujet que lors de la rentrée scolaire, il est important de bien accueillir les familles de manière individuelle, en leur proposant également une visite de l’établissement si elles le souhaitent, « le truc étant de ne pas

leur faire peur ». De plus, lorsque les parents sont reçus, il est important de créer des espaces

conviviaux pour les recevoir, comme une salle d’accueil spécifique dédiée aux rencontres avec les parents au collège Y. Il s’agit de « se mettre à leur niveau » pour « éviter justement la notion

de bureau » qui peut les impressionner et donc les freiner dans l’échange. Le but est de mettre

les parents en confiance. Mais les parents se tiennent aussi à distance de l’école par méconnaissance de son fonctionnement et de ce qu’il s’y passe. C’est en tous cas ce qu’affirme l’enseignante du collège Y. Or ce sont ces mêmes parents, ceux qui ne franchissent pas les portes de l’école, qui paradoxalement aurait le plus intérêt à le faire. Alors que le collège Y réalise la remise des bulletins scolaires en mains propres, nombreux sont les parents qui ne se déplacent pas, alors que pourtant cela constitue une véritable occasion de rencontrer tous les professeurs et d’échanger dans l’intérêt de l’élève. Peut-être craignent-ils ce qu’ils pourraient entendre concernant la scolarité et le comportement de leur enfant. D’autre part, d’après la représentante des parents d’élèves du collège Y, certains parents auraient honte de se rendre à l’école, et cela à cause de leur non-maîtrise de la langue française qui les bloque dans la communication avec autrui. Ils se renferment ainsi sur eux-mêmes et n’essayent pas de s’ouvrir sur le monde scolaire. De plus, l’institution scolaire emploie un « verbiage », pour reprendre le terme de l’enseignante du collège Y, qui constitue un obstacle supplémentaire pour les familles, perdues entre toutes les abréviations, les sigles, et les changements constants d’appellation. Cela crée d’autant plus de distance, et l’enseignante du collège ajoute même ceci : « je trouve qu’on

fait rien pour créer un vrai partenariat ». Il est indéniable que plus de clarté de la part de

l’institution aussi bien au niveau du fond de ses attentes que de la forme employée pour les exprimer permettrait une meilleure lisibilité de la part des familles.

De plus, l’entretien que j’ai eu avec la représentante des parents d’élèves du collège Y révèle bien à quel point les familles les plus défavorisées ne se sentent pas proches de l’école. Elles ne participent pas à la vie de l’établissement, ne vont pas aux réunions. La première chose qu’elle m’a dit avant que l’entretien ne commence c’est qu’il n’y avait pas trop de relations entre le collège Y et « ce quartier ». Elle déplore d’ailleurs ce manque d’échange et de communication.

50 Cette faiblesse dans la communication a des répercussions puisque « y’a des familles en fait qui

sont pas du tout au courant de ce qui se passe au collège » déclare-t-elle. Cela s’explique par

différentes raisons. D’une part, d’après elle, lorsque les parents sont prévenus des réunions par mail, tous ne le savent pas. Ils n’ont pas nécessairement accès à Internet où ne savent pas s’en servir. D’autre part, lorsque les parents sont informés des réunions par l’intermédiaire du carnet de correspondance, cela pose aussi soucis car certains ne savent pas lire le français, « ils sont

un peu largués » affirment la représentante des parents du collège Y. Le barrage de la langue

est donc bien réel. Mais quant à elle, la CPE pensent que « certains parents trouveront toujours

une solution pour se faire lire le carnet par la voisine », ce qui n’est visiblement pas toujours

le cas à en entendre les propos de la représentante des parents. De plus, la question des codes se pose également. Les milieux les plus éloignés de la culture scolaire ne détiennent pas les codes qui l’a régissent. C’est d’ailleurs ce que souligne l’enseignante du collège Y : « ici on

sent bien que les familles euh de culture française et européenne ont les codes, et les familles étrangères ont pas le code ». Mais ne serait-ce pas à l’institution scolaire de faire les efforts

nécessaires pour fournir les mêmes codes à tous afin de rétablir l’équilibre ? C’est en tous cas ce qui est soulevé par l’enseignante du collège Y : « j’ai l’impression que déjà au départ chez

les parents y’a pas cette équité, alors à nous de rééquilibrer ». Et l’absence des codes de l’école

chez les familles les plus éloignées du système ne fait que renforcer la rupture déjà présente, quitte à ce qu’elles délèguent tout à l’école. Cette absence de codes se traduit aussi dans certains comportements. Par exemple, la représentante des parents d’élèves du collège Y évoque le fait que lorsque sa plus grande fille était en sixième, celle-ci s’était fâchée avec une de ses camarades de classe, et ce sont les parents de cette dernière qui sont venus devant le collège et qui l’ont menacé verbalement. Ceci dénote bien que les codes sociaux ne sont pas les mêmes dans ce quartier défavorisé qu’en centre-ville par exemple. La CPE dit quant à elle avoir été également victime de comportements peu en phase avec ce que l’institution attend des parents, notamment de la part de certains pères qui l’ont insulté et qui ont même failli devenir violents, ou de mères très en colère. Ceci est le reflet de codes sociaux en profond décalage. Mais cela s’est déroulé lors de sa première année dans l’établissement. Elle reconnaît ne pas se sentir en insécurité au collège. Il s’agissait d’ailleurs de la première année aussi du chef d’établissement. D’après elle, pour les parents comme pour les enfants, il faut arriver à créer ce lien de confiance, et la fonction de CPE ne fait pas tout. Mais cela demande un certain temps. Maintenant que les parents la connaissent, les choses se passent beaucoup mieux. Les parents ont confiance en elle et en ses compétences (c’est d’ailleurs ce que dit la représentante des parents d’élève du collège). Ils parlent d’elle entre eux, et cela les rassure de voir que les choses se déroulent bien

51 avec elle et qu’elle assure un bon encadrement de leurs enfants. De plus, la CPE a dans bien des cas déjà eu les aînés au collège, ce qui rassure les parents pour leurs enfants qui arrivent en sixième puisqu’ils connaissent déjà la CPE. Nous développerons d’ailleurs plus largement ce point dans la troisième et dernière partie de cette analyse.

Enfin, nombreux sont les parents de milieux défavorisés à avoir eux-mêmes un passif difficile avec l’institution scolaire. Ainsi, le fait de retourner à l’école peut faire remonter des souvenirs douloureux à la surface. « Peut-être qu’ils ont une mauvaise expérience de l’école » dixit la représentante des parents du collège Y, même si ces parents en question ne l’expriment pas et ne mettent pas de mots sur leurs maux. Mais pour la CPE du collège Y il est clair que beaucoup de parents issus de milieux défavorisés ont quand même un lourd passé avec l’école. De plus, les familles les plus éloignées de la sphère scolaire peuvent parfois éprouver un sentiment d’injustice à l’égard de l’école.

Dans une autre mesure, il m’a paru essentiel de relever le fait que les familles les plus éloignées de l’école n’ont l’impression d’être en contact avec elle qu’en cas de situations négatives. La représentante des parents du collège Y dit la chose suivante : « pour les familles

d’ici quand ils vont au collège c’est parce que y’a un problème avec les enfants, c’est tout ».

Cela démontre bien toute la complexité des relations qui unissent l’école avec les quartiers défavorisés qui ont le sentiment de n’être confronté à l’école que dans un cadre négatif. Cela leur renvoie une « mauvaise image » de l’école. Pour eux, l’école « a tendance à se dégrader ».

« Le collège punit beaucoup plus que ne dialogue, c’est ce qu’ils disent en fait dans le quartier »

d’après la représentante des parents du collège Y. Cette phrase est symptomatique du mal-être que ressentent les familles d’origine populaire face à l’institution. Les parents ne sont convoqués à l’école que lorsque les choses vont mal pour leurs enfants. D’ailleurs, le mot « convoqué » employé par la représentante des parents du collège Y est lui-même révélateur du ressenti que peuvent avoir les parents, à l’heure où l’institution souhaitent « inviter » les parents en son sein. L’école appelle ou convoque souvent les familles quand l’enfant dysfonctionne ou quant les choses vont mal, et rarement pour leur dire que tout va bien ou pour souligner les progrès de l’enfant. L’enseignante du collège Y en a pris conscience lors de notre entretien :

« c’est vrai qu’en fait je me rends compte en te parlant là que… tu vois, quand je te dis « dès que l’occasion se présente » je pense à une occasion où l’élève va se retrouver en difficulté ».

Ainsi, les parents du quartier constatent avec énervement et amertume la multiplication des conseils de disciplines, des exclusions temporaires mais aussi des exclusions définitives. Madame K, la représentante des parents du collège Y, souligne d’ailleurs cet aspect : « y’a

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beaucoup d’enfants qui ont été renvoyés en fait du collège, puis que les parents l’ont mal pris quoi ». En effet, il arrive très souvent que les parents se retrouvent désemparés et désarmés face

à la situation de leur enfant, des garçons dans la majeure partie des cas, et le fait que l’institution exclue leur enfant résonne chez eux comme une trahison, un abandon, qui ne fait que les mettre davantage en difficulté dans leur rôle de parents. « Le collège les a laissé tomber », dixit la représentante des parents. « Elles savent pas quoi faire [les mamans]. Elles ont dû se

débrouiller, chercher une autre école ». La représentante des parents du collège Y expose ainsi

le sentiment de certaines mères du quartier (car ce sont très souvent les mamans qui s’occupent de la scolarité de leurs enfants, les pères semblent beaucoup moins présents et actifs, ils sont même presque invisibles), même si en ce qui la concerne personnellement elle n’a pas de soucis particuliers avec le collège Y, ses filles suivant une scolarité « tranquille » et sans encombre. Elle dit d’ailleurs qu’elles aiment bien le collège et qu’elle en a une bonne image. De plus, elle cite l’exemple d’une maman que la vie scolaire du collège Y appelle constamment, son fils étant très régulièrement absent. Or, cette maman « n’aime pas » être dérangée à longueur de journée pour qu’on lui dise que son fils n’est pas au collège. Elle ne se préoccupe d’ailleurs pas de savoir comment il occupe son temps alors qu’il est tenu à l’obligation scolaire. Parallèlement, des problématiques inquiétantes, en provenance notamment du quartier, s’immiscent de manière assez prononcée dans l’institution. La représentante des parents du collège Y évoque ainsi à plusieurs reprises la montée de la violence32 dans le collège. Ce phénomène est

aujourd’hui devenu une des préoccupations principales des équipes éducatives. Il faut entendre le terme de violence aussi bien physiquement que verbalement. La représentante des parents du collège Y illustre notamment cela à travers un exemple. En effet, un élève qui était dans la même classe que sa fille avait emmené un couteau au collège l’année dernière, ce qui a engendré un sentiment de peur aussi bien du côté des élèves que des parents une fois les faits divulgués. Cette violence se décline également sous forme de harcèlement. Ces problématiques constituent donc de nouveaux enjeux d’échange entre école et familles chargés d’importance mais aussi d’inquiétude. D’autre part, il est important de souligner que dans les zones « sensibles », certains conflits naissent dans le quartier et se propagent jusqu’à l’intérieur des locaux scolaires, et vice-versa. La représentante des parents du collège Y dit « on essaye de désamorcer un peu

mais euh… parfois ça grandit, ça grandit… ça prend des proportions… ». Par exemple, les

jeunes du quartier se regroupent par « communautés » de pays, et ainsi des conflits éclatent parfois entre les différents groupes, malgré la volonté des mères du quartier de casser ces clans.

53 La CPE du collège juge quant à elle que pendant un certain temps, le collège Y avait réussi à laisser à la porte certaines problématiques du quartier, mais qu’elles tendent tout de même aujourd’hui à s’immiscer davantage dans l’établissement, d’où l’importance du rôle de l’ensemble des acteurs éducatifs et de leur fusion pour bien faire comprendre aux élèves que

« le collège c’est à part » et que « les codes du quartier ne rentrent pas dans l’établissement »

d’après la CPE du collège Y.

On peut ainsi saisir et cerner à travers ces diverses illustrations toute la complexité qui unit école et familles d’origine populaire. Mais un constat semble commun aux familles quel que soit leur milieu social d’origine : le manque de communication de l’institution scolaire. C’est ce que déplore les représentants des parents des établissements X et Y.