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Des parents admis dans l’École à condition de ne pas trop empiéter sur son territoire

C. Un triptyque École-famille-élève pas toujours évident à instaurer et à

2. Des parents admis dans l’École à condition de ne pas trop empiéter sur son territoire

La place des parents au sein de l’école n’est plus à remettre en cause. Elle est désormais notifiée juridiquement dans les textes et reconnus par la plupart des acteurs du monde scolaire. Ces derniers s’accordent tous sur le fait qu’il est important d’établir des contacts avec les familles. Toutefois, « la limite peut parfois être dure à trouver » d’après la CPE du collège Y, qui a cependant l’impression que dans son établissement les choses fonctionnent globalement bien. Mais si l’on s’intéresse plus précisément à la nature de ces contacts, ils peuvent parfois paraître comme « superficiels » et pas suffisamment approfondit. Ce phénomène est désiré ou regretté selon les acteurs. Du côté de l’enseignante en lycée de centre-ville, il s’agit plutôt d’une volonté assumée. Selon elle, les rapports entre les familles et l’école sont très importants mais

« c’est pas pour autant qu’il faille que les familles soient trop dans l’école, et donc réfléchir à la nature des rapports, à la place de chacun c’est essentiel pour garder cet équilibre justement et garder… conserver du sens à chacun des partenaires en fait ». Pour elle, il est avant tout

essentiel de définir des objectifs précis préalablement à la rencontre avec les familles. Alors que pour l’enseignante du collège Y que j’ai pu interroger, cela revêt un goût de frustration voire de déception : « tu vois paradoxalement moi j’aimerais travailler plus avec les familles » ;

« moi j’aimerais que les parents soient plus souvent là, je souhaiterais qu’ils soient… plus investis dans l’école quoi… » ; « je veux qu’ils aient compris que y’a une coéducation entre eux et moi » ; « notre école n’est pas assez ouverte à mon sens ». Pour elle, il est tout à fait légitime

que les parents aient une place à part entière dans l’école et il serait bien de multiplier les occasions de les y intégrer, en les invitant par exemple à assister à des heures de cours dans la classe de leur enfant. « Je pense qu’on y gagnerait » dit-elle. Ces deux visions différentes sont aussi à mettre en corrélation avec le type de familles face auxquelles elles sont confrontées. L’enseignante du collège Y ne voit aucun inconvénient à justifier sa pratique auprès des parents, au contraire. Elle dit aussi être prête à tout entendre de la part des familles, leur mécontentement par exemple. Cela fait partie intégrante de la communication avec eux. Mais la représentante des parents de ce collège n’a pas l’impression que cet opinion soit partagé par tous les enseignants du collège Y : « les professeurs ils sont assez réticents en fait de voir les parents

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intervenir, […] ils sont assez fermés sur ce côté-là en fait ». Selon elle, lorsque les parents font

des tentatives auprès des enseignants pour évoquer le travail fait en classe, il y a un blocage. De même, les parents s’étaient proposés d’aider les élèves de troisième à trouver leur stage obligatoire, le principal était d’accord, mais les enseignants ont émis de fortes réticences, invoquant l’argument que l’enfant devait le chercher par lui-même. Or tous n’en ont pas les capacités. Cela n’a pas plus aux parents du quartier, puisque selon eux « ce n’est pas aider » les élèves mais à l’inverse les plonger dans une difficulté plus grande. Certaines mamans du quartier ont donc pris la décision de trouver les stages pour leurs enfants, choses qui selon elles auraient pu et dû être faite au sein du collège. La représentante des parents du collège Y dit également que, chose paradoxale, les enseignants ont donné « les meilleurs stages aux meilleurs

élèves », ce qui a entraîné un sentiment d’injustice chez les élèves les plus en difficulté (« ils disaient en fait qu’ils aidaient que les bons élèves quoi »). Ils se sont ainsi sentis délaissés par

l’institution et ressentent un favoritisme. Mais tout cela est à prendre avec précaution, puisque la représentante des parents du collège Y qui m’a dit cela n’est peut-être pas totalement objective sur la situation et peut-être influencée aussi par le discours des élèves, sans pour autant connaître celui de l’école. La situation a peut-être été déformée. Mais quoi qu’il en soit, ce sentiment d’injustice de la part des milieux défavorisés face à l’école est bien réel et cela à travers divers facettes. D’autre part, la CPE du collège Y précise que la participation des parents à la vie de l’établissement est un élément essentiel mais qu’il ne faut pas que cela se transforme en « ingérence » pour autant. Le CPE du lycée X résume la situation comme suit : « les parents

ont droit de cité dans le lycée maintenant, les professeurs peuvent être questionnés sur… sur leurs pratiques, sur un aspect du programme, sur la manière dont ils ont traité un aspect, sans qu’ils sortent la baïonnette tout de suite quoi. Et euh, alors ils sont encore très très sensibles de ce côté-là, mais ça c’est un autre problème ». Mais « il est clair que maintenant c’est légitime pour les parents de poser une question » d’après le CPE du lycée X, en « faisant tout de même attention à la manière dont ils le font », ce qui laisse penser que certaines questions

peuvent parfois être perçues comme dérangeantes de la part de l’institution.

De plus, à la question « quelle est selon vous la place des parents dans l’école ? », l’enseignante du lycée X a spontanément et volontairement inversé la question pour se focaliser dans un premier temps sur la place qu’occupe l’école au sein des familles et l’impact de la conception qu’ont les parents de l’école sur le positionnement de l’élève dans la structure scolaire. Elle oppose ainsi une vision de l’école en tant que lieu de formation et d’épanouissement à une école perçue comme « un accessoire dérisoire […] qu’on regarde exclusivement sous l’angle de

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l’esprit critique ». Cela n’est pas anodin. À travers son discours, on peut saisir que certes elle

pense que les parents ont un rôle à jouer au sein de l’école, mais que ce rôle doit rester mesuré et raisonné : « les parents ils ont leur place dans l’école au sens où voilà… Je pense qu’il faut

que la porte soit ouverte, qu’il y ait des contacts respectueux euh… et une disponibilité du corps enseignant et des… des équipes éducatives. Euh maintenant je suis très sceptique euh… sur le fait que les parents doivent… s’impliquer plus que ça dans l’école ». Cela illustre de manière

significative ce qui a été développé dans la partie théorique. Finalement, les parents sont invités à l’école… mais pas trop non plus. Elle va même jusqu’à dire qu’elle n’est « pas toujours sûre

que les fédérations de parents d’élèves soient des vrais partenaires » puisqu’elle les considère

comme étant trop intrusives, empêchant parfois les enseignants de travailler et portant un regard (trop) aiguisé et critique sur ce qui est fait à l’école, à tort ou à raison. D’après elle, ils viennent à l’école avec des idées guidées par les politiques et pas réellement des idées pertinentes pour les élèves et pour l’école, des idées « déconnectées du lieu où elles sont exprimées » et trouve même qu’ils agissent tel un « lobby », ce qui exprime bien à quel point elle n’approuve pas cela. Elle a donc un avis bien tranché sur la place et le rôle des fédérations de parents d’élèves. Elle pose bien la distinction entre le parent d’élève « classique » et les fédérations de parents d’élèves avec lesquelles elle est en opposition : « que les parents s’institutionnalisent, ça me

pose plus de problème » ; « je pense qu’on est quand même globalement une institution dans laquelle on fait pas tellement confiance aux gens, et si les parents s’en mêlent alors là c’est la fin des haricots » ; « oui il faut qu’il y ait des représentants, mais euh c’est pas non plus obligé de dispenser un catéchisme euh… que je trouve stérile ». Ici, au travers ces citations, ce sont

les fédérations de parents d’élèves qui sont ciblées et non les parents d’élèves individuellement. Même si elle admet toutefois qu’il est crucial qu’il y ait des regards extérieurs dans l’école, en l’occurrence ceux des parents. D’ailleurs, en tant que mère, elle confie rester à l’écart et ne pas être intéressée en ce qui concerne les fédérations de parents De plus, selon elle, les parents seraient beaucoup trop critiques vis-à-vis de l’école alors qu’eux-mêmes n’ont pas les compétences nécessaires pour émettre ce genre de jugement. Le CPE du lycée X rejoint ce point de vue, ainsi que la CPE du collège Y. Ils peuvent « donner des coups de mains pour des projets,

mais ils sont pas les initiateurs parce que c’est nous qui sommes responsables de la pédagogie »

d’après l’enseignante du lycée X. À travers ses propos, on peut ainsi s’apercevoir que malgré tout, une certaine perception de la place des parents demeure chez cette enseignante qui juge que la pédagogie est seulement l’affaire de l’équipe enseignante. « Je pense qu’il faut pas qu’il

y ait de confusion » ajoute-t-elle. Cette confusion, cette ligne floue entre les rôles, pourraient

61 partage distinct entre école et familles, tout en ajoutant que « c’est important de montrer que

ces espaces sont différents mais qu’ils constituent un cadre pour les jeunes ». Sa position se

situe donc dans l’entre-deux. Le représentant des parents du lycée X est d’ailleurs conscient que certains enseignants ont ce type de perception par rapport au rôle de parent, et il le déplore profondément. Selon lui, les relations avec les professeurs ne sont jamais simples et sont traversées par des conflits de légitimité. Il dit d’ailleurs que certains enseignants pensent que la place des parents n’est pas dans l’école : « quand on parle des résultats, des décisions par

rapport à la scolarité d’un gamin, les parents n’ont rien à faire là quoi » d’après ses propos.

Le CPE du lycée X est également d’accord sur le fait que les parents et plus particulièrement leurs représentants, n’ont pas forcément les ressorts nécessaires en ce qui concerne la pédagogie, mais aussi la psychologie des adolescents ou le fonctionnement des institutions.

« Les parents ne sont pas tous des professionnels de l’éducation et donc c’est pas toujours simple quoi ». Ils n’ont d’autres compétences que celle d’être délégués des parents d’après lui.

Leurs interventions ne sont donc pas toujours jugées recevables puisque parfois elles ont tendance à remettre en cause ou à nier les compétences et aptitudes professionnelles des acteurs de l’institution d’après le CPE du lycée X. « Les associations de parents d’élèves ne sont pas

toujours représentées par des gens qui ont les compétences qu’on pourrait espérer en matière de connaissance du système éducatif qui leur permettent d’être des interlocuteurs pertinents toujours quoi hein » dixit le CPE du lycée X. De l’autre côté de la scène, l’avis des parents est

tout autre. Le représentant des parents du lycée X confie « qu’il arrive que l’on soit beaucoup

plus au fait des règlements » et des textes que certains enseignants ou même parfois que le chef

d’établissement d’après lui. Il trouve que parfois l’institution s’assoit sur les textes et ne tient pas en compte des remarques ou réprobations soulevées par les représentants. Il cite les exemples de la dotation horaire globale ou bien des procédures disciplinaires. Le représentant des parents du lycée X, même s’il dit qu’il ne s’agit pas de revenir sur les décisions de l’institution ou de ne pas s’en accommoder, trouve que l’institution a parfois des idées préconçues, trop tranchées ou trop simplistes qu’elle ne souhaite pas nécessairement voir être remises en question par les parents. Il met en exergue le fait que certains membres de l’institution ne donnent une juste valeur à la place que les parents devraient occuper : « y’a des

fois des gens qui sont… voilà qui nous donnent pas notre place ou qui nous prennent pour des… voilà, des rien du tout. Après euh c’est à nous de démontrer qu’on sait ce qu’on dit, et des fois il y a pu avoir des frictions hein des fois sur certaines situations c’est vrai ». Cependant, il

précise qu’en tant que représentant des parents, il ne s’agit pas non plus d’adopter une attitude insolente pour tenir son rôle ou d’émettre des « revendications qui ne tiennent pas debout ».

62 Cependant, au lycée X, il précise bien qu’on ne lui a jamais mis « des bâtons dans les roues » pour exercer son rôle de représentant et que globalement le lycée lui a facilité son rôle, malgré des points de vue parfois divergents. En parlant de l’institution et de ses acteurs, il dit : « ils

voient ça avec leur petites lorgnettes, et paf ils décident ». Or il insiste sur le fait que ces

diverses décisions ont une portée éminemment importante qui peuvent parfois faire basculer le destin de certains enfants, notamment au sein des conseils de classe et pour les choix d’orientation, sans que les acteurs ne se préoccupent nécessairement en amont de l’environnement de l’enfant. D’où la nécessite de la complémentarité des informations entre école et familles. « Un parent ça aide à connaître leur enfant » affirme l’enseignante du collège Y. Ce discours se vérifie auprès de tous les enquêtés. Le représentant des parents du lycée X ajoute que les acteurs de l’institution sont certes au plus près du terrain, mais ce ne sont pas les seuls qui détiennent des informations au sujet des enfants et élèves. « On a notre rôle à jouer

parce qu’on est là aussi à relayer une parole ; parce que pour décider des choses, il faut avoir tous les éléments ». La complémentarité des informations apportées par les familles à l’école,

qui sont souvent nouvelles ou différentes, permet de dénouer des situations parfois complexes, qui, sans l’intervention des parents, demeureraient probablement bloquées voire sans issue. De plus, « leur rôle consiste à mettre les jeunes, qui sont nos élèves, dans une situation d’équilibre

affectif » d’après l’enseignante du lycée X, et cela quel que soit le profil de la famille. L’école,

quant à elle, apporte une autre forme d’équilibre puisqu’elle permet la construction intellectuelle et l’ouverture sur le monde d’après l’enseignante du lycée X. D’autre part, associer les parents à l’école permet d’éviter « le sentiment d’altérité » d’après l’enseignante du lycée X. L’école est parfois un milieu étranger pour certaines familles, il faut donc parvenir à casser cette image pour les inclure un peu plus dans l’institution.

Et on remarque que ce sont souvent les CPE qui permettent cette inclusion. C’est en tous cas ce qu’il ressort de l’enquête de terrain réalisée.