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CHAPITRE I : CONTEXTE DE LA RECHERCHE

2. L’adulte en situation de formation

2.2. Le processus d’apprentissage

2.3.2. Des rapports différenciés au savoir et à la formation

Après ces quelques précisions théoriques, Charlot (1997) soulève la question des missions de l’éducation, dont l’une des principales est la suivante : l’éducation doit permettre à l’enfant de construire un certain type de rapport au monde et au savoir qui lui permettra de développer au mieux les potentialités de l’esprit humain, c’est-à-dire de développer au mieux l’usage de la raison. C’est dans cette problématique qu’il met en évidence les spécificités des familles populaires (Charlot, 1997, p. 76) :

Si la Raison est virtuellement présente en chaque homme son usage ne devient optimal que par l’éducation – par une éducation qui permet de découvrir une autre forme de rapport au monde que celle qui est construite au quotidien dans les familles populaires.

Refuser de prendre en compte les difficultés spécifiques que doivent affronter les enfants des familles populaires pour accéder à l’usage optimal de la Raison, c’est en fait leur refuser l’accès à cet usage […].

L’auteur fait ici remarquer que les familles construisent, selon leur classe sociale, des types de rapport au savoir différents : les familles aisées valorisent davantage l’usage de la raison et le développement de la « culture savante » que les familles populaires. Le modèle scolaire dominant correspondant à celui des familles socialement favorisées, l’éducation a donc pour rôle, selon Charlot (1997), de permettre aux élèves issus de milieux modestes de découvrir un autre type de rapport au savoir semblable à celui développé dans les milieux plus aisés, autrement dit de combler l’écart entre les enfants d’origine sociale différente. Malgré tout, il faut souligner que l’école ne parvient pas toujours à ses fins. En effet, elle a tendance à ne pas suffisamment prendre en compte la différence de départ qui existe, en termes de rapport au savoir, entre les élèves issus de milieux différents et en vient donc souvent à creuser davantage le fossé entre les enfants au lieu de permettre leur rapprochement. Finalement, la cause principale de l’échec scolaire de certains enfants issus de milieux modestes serait

l’incapacité de l’école à leur faire découvrir un type de rapport au savoir différent de celui construit à la maison et davantage axé sur l’usage de la raison.

Bien que les propos de Charlot (1997) traitent du rapport au savoir des enfants, ils représentent néanmoins une base de réflexion intéressante pour la problématique de ce mémoire. En partant de l’idée selon laquelle le rapport au savoir et à l’école d’un enfant dépend en partie du niveau socioculturel de sa famille, on peut aisément concevoir que le parcours scolaire et le niveau de qualification d’un individu, ainsi que sa position sociale et professionnelle, influencent son rapport au savoir et à la formation. C’est pourquoi il semble cohérent d’analyser la différence de participation à la formation continue en terme de rapport au savoir et à la formation : les personnes faiblement qualifiées (ayant généralement un emploi précaire, un revenu modeste et une situation sociale difficile) posséderaient un type de rapport au savoir éloigné de celui requis dans les programmes de formation. Ce décalage pourrait expliquer pourquoi les adultes de faible niveau de qualification suivent moins de cours que les personnes mieux formées.

Quant à Dubar et Gadéa (1998), ils reprennent la typologie des formes identitaires développée par Dubar (1991) et synthétisée dans le tableau 1. Ils montrent qu’à chacune des quatre formes identitaires correspond un type spécifique de rapport au savoir, qui détermine la manière dont l’individu se positionne face à l’engagement en formation continue.

Les individus possédant une « identité de hors-travail » sont caractérisés par un désir de stabilité dans leur activité professionnelle, qui évolue avec les années en crainte de perdre leur emploi. Ils ont généralement fondé leur rapport au savoir sur l’acquisition de connaissances pratiques leur permettant de maîtriser leur travail. Dès lors, la formation continue représente une notion largement étrangère à leur expérience vécue et à leur univers de croyance ; ils l’envisagent comme un retour aux études à la fois peu probable et peu désiré. Ces personnes se situent en même temps dans une logique d’exclusion et d’auto-exclusion de la formation continue ; d’un côté, elles en sont exclues du fait de leur faible niveau de qualification, d’un autre côté, elles la fuient car elle est porteuse de définitions négatives d’eux-mêmes.

L’identité d’« exécutant stable » recherchée par ces individus est menacée par le modèle de la compétence, car celui-ci instaure une nouvelle norme – autonomie, responsabilité, esprit d’équipe – à laquelle ils ne sont pas préparés.

Les personnes qui peuvent se définir et s’affirmer en premier lieu par leur activité professionnelle possèdent une « identité de métier ». Leur rapport au savoir est fondé sur la maîtrise d’un certain nombre de savoirs opératoires et de connaissances techniques. Ils croient

en un modèle promotionnel fondé à la fois sur l’expérience professionnelle et sur la formation, qui offre des chances de progression cohérentes en fonction du parcours de l’individu. Dès lors, la formation continue (et surtout le perfectionnement des connaissances techniques et professionnelles) est vue avant tout comme un outil de promotion.

Les individus possédant une « identité d’entreprise » sont généralement fortement impliqués dans leur travail et prêts à s’engager activement dans les actions de formation lancées à l’intérieur de l’entreprise ; ils misent sur la mobilité interne et aspirent à une évolution dans la hiérarchie. Ils valorisent plutôt les savoirs organisationnels, transversaux, pluridisciplinaires, qui leur permettent d’évoluer au mieux dans l’entreprise. Par leur engagement volontaire en formation, ils veulent démontrer leur bonne volonté et attendent une reconnaissance de la part de leurs supérieurs. La formation continue est considérée comme un moyen de réaliser leurs objectifs professionnels. L’« identité d’entreprise » peut être menacée par la situation de crise actuelle et le « freinage des carrières » constaté de manière assez générale.

Les personnes dont l’espace d’identification n’est pas celui de l’entreprise mais un réseau plus ou moins dense de relations extérieures possèdent une « identité de réseau ». Misant sur des mobilités externes, elles se situent dans une logique de projet personnel et valorisent les formations supérieures et diplômantes. Leur dynamique identitaire vise l’ascension sociale, la formation continue est vue comme un moyen de réaliser leurs objectifs personnels. Ces personnes considèrent l’engagement en formation comme relevant de l’initiative individuelle de chacun ; elles font état d’efforts volontaristes de formation et se déclarent prêtes à en assumer les coûts et les risques. L’« identité de réseau » s’adapte assez bien aux exigences des entreprises envers les salariés quant à leur investissement dans les programmes de formation continue.

Finalement, il apparaît que l’« identité de hors-travail » et l’« identité de métier » sont plus gravement touchées par l’émergence des nouvelles politiques de formation, alors que l’« identité d’entreprise » et l’« identité de réseau » s’adaptent mieux aux nouveaux modèles imposés aux employés. Dubar et Gadéa (1998) notent encore que c’est à l’« identité de réseau » que l’avenir semble le plus favorable et que les autres formes identitaires seront vraisemblablement contraintes, à plus ou moins long terme, d’évoluer dans cette même direction.