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Le rapport entre les deux faces et les deux puissances

1. SPINOZISME EN TANT QUE MODÈLE DE LA PHILOSOPHIE

1.3. D’UNE INFINITÉ DE FORMES AUX DEUX PUISSANCES OU DEUX CÔTÉS

1.3.2. Le rapport entre les deux faces et les deux puissances

sances

« Dire que l’essence de Dieu est puissance, c’est dire que Dieu produit une infinité de choses, en vertu de cette même puissance par laquelle il existe »2. L’essence de Dieu est constituée par tous les attributs. La puissance

identique à cette essence se manifeste en produisant dans tous les attributs. Quelles sont les puissances de Dieu ? Il y en a deux : la puissance d’être, ou la puissance d’exister et d’agir, et la puissance de penser, ou la puissance de con- naître. L’on peut dire que cette division des puissances se base sur celle de l’essence formelle et l’essence objective. Comment entendre alors l’essence for-

melle et l’essence objective ? Il nous semble que la réponse à cette question prend

pour point de départ la compréhension de l’essence même de Dieu. Dieu complique dans son être propre une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. Pris ensemble, les attributs expriment l’essence

absolue de Dieu. L’essence formelle est alors l’essence absolue exprimée par un

certain attribut qui est lui-même une forme d’être. En d’autres termes, elle est « l’essence de Dieu telle qu’elle existe dans chaque attribut »3. L’on sait que la

puissance de Dieu est dans quelque mesure identique à son essence. La puis- sance de Dieu peut être dite pour cette raison identique à l’essence absolue de Dieu. Compte tenu du fait que l’essence absolue de Dieu est exprimée par tous les attributs dans lesquels Dieu est en agissant ou produisant, la puissance de Dieu est de ce point de vue la puissance absolument infinie d’exister et d’agir. Donc, « si nous affirmons cette première puissance comme identique à l’essence de Dieu, nous dit Deleuze, c’est sous la condition d’une infinité d’attributs formellement ou réellement distincts », et, « [l]a puissance d’exister et d’agir est […] l’essence formelle-absolue »4. En revanche, l’essence absolue

de Dieu est « objective dans l’idée qui représente nécessairement cette na- ture »5. Nous voyons déjà que Dieu, en existant, c’est-à-dire en agissant ou

1 SPE, p. 92 : « Dieu ne produit pas parce qu’il veut, mais parce qu’il est ». 2 SPE, p. 83.

3 SPE, p. 105.

4 Ibid. Souligné par l’auteur. 5 Ibid.

produisant, se comprend lui-même et comprend toutes les choses qui décou- lent nécessairement de sa nature. En d’autres termes, il forme de lui-même une idée et de toutes les choses découlant de sa nature les idées correspon- dantes. L’idée de Dieu est une Multiplicité infinie consistant dans une infinité de parties

intensives dont chacune représente un attribut réellement distinct. Ces parties intensives,

ou éléments différentiels, sont les idées des attributs. Comme les attributs, elles ne sont jamais numériquement distinguées l’une de l’autre ; elle s sont dis-

tinctes objectivement dans l’unité de l’Idée de Dieu. L’essence absolue est formelle

dans les attributs, elle est objective dans les idées représentant les attributs. Corrélativement, une puissance absolue de penser et de connaître est iden- tique à cette essence objective. Comme Dieu agit et produit dans tous les at- tributs, les attributs dans leur ensemble deviennent la condition sous laquelle l’on lui attribue une puissance infinie d’exister et d’agir. Mais Dieu ne pense que dans l’attribut de la pensée, celui-ci seul devient alors la condition sous laquelle l’on attribut à Dieu une puissance infinie de penser et de connaître.

Ici, la différence entre les deux sortes de principes d’égalité devient la plus remarquable : au niveau des attributs, tous les attributs, étant infinis dans leurs genres respectifs, sont strictement égaux, nul n’est supérieur ou inférieur à un autre ; au niveau des puissances, les deux puissances absolument infinies sont strictement égales, elles sont les deux moitiés de l’absolument infini. La puissance absolument d’exister et d’agir a pour condition tous les attributs, tandis que la puissance absolument de penser et de connaître a pour condition l’attribut seul de la pensée qui semble jouir pour cette raison d’une supériorité. En fait, l’égalité au niveau des attributs se base sur le fait que chaque attribut exprime également une essence éternelle et infinie de la substance. L’inégalité impliquée au niveau des puissances, ne signifiant pas du tout il y a quelque sorte d’inégalité entre la puissance d’être et la puissance de penser, se base pour son compte sur le fait que tous les attributs, y compris l’attribut de la pensée, sont la condition de la puissance d’être, tandis que l’attribut de la pen- sée seul est la condition de la puissance de penser.

Néanmoins, nous n’avons pas répondu à la question importante sui- vante : pourquoi la pensée peut-elle être une puissance absolue égale à la puis- sance d’être ? Premièrement, l’on sait que Dieu produit dans une infinité de choses dans une infinité d’attributs. Un aspect de cette proposition veut dire que quand une production, à savoir une modification, est effectuée par Dieu, il y en a une infinité d’expressions dans tous les attributs. Chaque expression de cette modification est un mode, c’est-à-dire une chose. Ainsi, la puissance ab- solument infinie d’être, sous la condition d’une infinité d’attributs, consiste en cette production infinie. À proprement parler, chaque attribut n’est qu’un

élément de la condition de la puissance - étant réellement distinct, il ne con- cerne que soi-même.

Deuxièmement, selon le principe de non opposita sed diversa, chaque attri- but est une différence pure, une hétérogénéité affirmative. Quelle est alors la singularité de l’attribut de la pensée ? La réponse est que l’attribut de la pensée rend possible le fait qu’à chaque chose correspond une idée particulière. Pour cette raison, dès qu’une modification substantielle est effectuée, à savoir qu’une infinité de modes sont produites simultanément, il y a, dans l’attribut de la pensée, une infinité d’idées dont chacune correspond ou représente un mode d’un certain attribut. Une idée est un mode de l’attribut de la pensée. Rappelons que l’absolument infini de la puissance d’être se manifeste dans la production d’une infinité de modes sous tous les attributs en tant que formes d’être. Corrélativement, l’absolument infini de la puissance de penser se mani- feste dans la production d’une infinité d’idées qui sont des modes spécifiques de l’attribut seul de la pensée. Dans quelque mesure, l’on peut dire que l’infinité de la puissance, comme celle de la substance, est conçue du point de vue de la quantité. L’absolument infini au niveau de la substance consiste en le fait que celle-ci est constituée par une infinité d’attributs, tandis que l’absolument infini au niveau des puissances consiste en le fait que chacune des deux puissances est susceptible d’effectuer la production d’une infinité de choses. Du point de vue de la puissance d’être, un attribut offre un seul mode ; du point de vue de la puissance de penser, l’attribut de la pensée offre une infinité de modes. L’on peut donc dire que l’égalité entre les deux puis- sances se base sur le fait que chaque puissance peut produire une infinité de choses.