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La virtualité idéelle s’opposant à la possibilité

2. L’IDÉEL ET L’INTENSIF

2.3. L’ÉTUDE DU RAPPORT ENTRE LA DIALECTIQUE VIRTUELLE ET

2.3.1. La virtualité idéelle s’opposant à la possibilité

Voyons d’abord la matrice de toute production différentielle : les Idées. Selon Deleuze, les Idées, consistant dans les rapports différentiels caractéris- tiques entre les éléments infinitésimaux génétiques et les singularités pré- individuelles qui correspondent à ces rapports, sont en elles-mêmes virtuelles. Mais nous n’avons pas encore expliquer cette affirmation. Comment entendre précisément la virtualité des Idées ? Deleuze emprunte la notion de virtuel à Bergson. Pourquoi une telle notion est-elle nécessaire ? Parce que seule cette notion de virtuel est susceptible d’expliquer le fait qu’il y aura toujours quelque chose de nouveau, à savoir la différence, naissant dans le monde. Le virtuel s’oppose au concept de possible. Dans l’histoire de la philosophie, ce- lui-ci a deux figures différentes : la possibilité logique ou métaphysique comme non-contradiction et la possibilité transcendantale comme condition de l’expérience possible. Néanmoins, toutes ces deux figures du possible par- tagent les caractères communs : 1°) elles s’opposent au réel ; 2°) elles sont réa- lisées à travers le processus de la réalisation qui procède en suivant la règle de la ressemblance et de la limitation. Pourquoi la règle de la ressemblance ? Parce que le possible est toujours conçu comme le réel sans existence (« réel moins existence font possible ») : il n’y a pas de différence à l’égard de la forme essentielle entre un chien possible et un chien réel. Pourquoi la règle de

la limitation ? Parce que seuls certains des possibles peuvent être réalisés : Cé- sar ayant franchit le Rubicon passe à la réalité, tandis que César ne franchis- sant pas le Rubicon est un possible non-réalisé dans ce monde-ci. Alors, pourquoi cette conception du possible est-elle fausse pour Bergson comme pour Deleuze ? Parce que le possible n’est pas du tout susceptible d’expliquer la nouveauté ou la différence. Selon le cadre établi par le concept de possible, ce qui est réel est simplement la réalisation de quelque chose déjà-là, d’un en- richissement de quelque chose seulement formelle mais aussi essentielle. Néanmoins, si nous restons à ce niveau, la différence entre le virtuel et le pos- sible semble être une différence entre deux préférences subjectives, il faut da- vantage dénoncer la fausseté interne de la notion du possible. Le possible, supposé se réaliser dans la réalité comme réel, se fonde effectivement sur le réel et est abstrait du réel :

[S]i l’on dit que réel ressemble au possible, n’est-ce pas en fait parce qu’on a attendu que le réel se fasse avec ses propres moyens, pour en « rétrojeter » une image fictive, et prétendre qu’il était possible de tout temps, avant de se faire ? En vérité ce n’est pas le réel qui ressemble au possible, c’est le possible qui ressemble au réel, et cela, parce qu’on l’a abstrait du réel une fois fait, ar- bitrairement extrait du réel, comme un double stérile1.

En fait, nous avons rencontré ce « double stérile » dans la doxa métaphysique d’Aristote (l’être est conçu comme l’ousia) et le rencontrerons dans la doxa transcendantale de Kant examinée au début du chapitre suivant (la condition transcendantale de l’objet empirique est elle-même un objet, malgré qu’elle est un objet quelconque général purement formel). Et nous avons vu aussi la cri- tique spinoziste du possible avec une théorie de la puissance. Ici, le concept capital qui s’oppose au possible est celui de virtuel. Le virtuel a aussi deux ca- ractères qui manifestent sa différence fondamentale avec le possible : 1°) le virtuel, ayant une pleine réalité, s’oppose à l’actuel ; 2°) le virtuel s’incarne dans l’actualité, c’est-à-dire son propre mouvement est celui de l’actualisation. Chez Deleuze, l’actualisation est aussi la différenciation.

Les Idées virtuelles elles-mêmes sont déterminées progressivement. Ce processus de la détermination progressive est nommée par Deleuze comme la différentiation. La différentiation n’a lieu qu’au niveau du virtuel, tandis que la différenciation est ce qui va du virtuel à l’actuel : il y a un changement de l’ordre d’être dans la différenciation. Se différenciant de la réalisation du pos- sible qui procède suivant la règle de la ressemblance et de limitation, la diffé- renciation procède suivant la règle de l’absolue non-ressemblance : ce qui est

produit dans la différenciation n’est pas une copie empirique d’un possible transcendant déjà-là, mais résulte d’une véritable création1. Le virtuel et l’actuel ne sont jamais semblables : la différenciation des virtualités différen-

tiées est une genèse authentique2.

1 DR, p. 273 : « [L]’actualisation du virtuel se fait toujours par différence, divergence

ou différenciation. L’actualisation ne rompt pas moins avec la ressemblance comme processus qu’avec l’identité comme principe ».

2

Note sur le problème concernant la « genèse » de l’Idée - Selon les arguments plus hauts, l’Idée, étant définie par Deleuze comme condition de la genèse interne de l’expérience réelle, a sa propre constitution ou formation. Mais pouvons-nous dire qu’il y a une genèse de l’Idée ? Selon J. Hughes, « le deuleuzisme ne pourrait jamais être un renversement du platonisme si elle suppose que les Idées sont en dehors d’une genèse » (Deleuze and the

Genesis of Representation, Londres, Continumm, 2008, p. 110). N’étant pas données, les Idées

deleuziennes sont les produits d’un processus de détermination progressive qui contient trois moments successifs : la déterminabilité, la détermination réciproque, et la détermination complète. « Chacun de ces moments exprime un degré de détermination caractérisant l’Idée. Les éléments idéels sont déterminables ; les rapports différentiels déterminent réciproquement ces éléments ; et ce conduit à un état de la détermination complète dans lequel la forme stable d’une Idée s’exprime dans les singularités. Le but fondamental de cette théorie de la « détermination progressive » est de décrire la genèse des structures virtuelles » (Ibid., p. 107), c’est-à-dire, des Idées différentielles. Hughes a assurément raison d’accentuer le caractère progressif de la formation des Idées, mais a-t-il raison de considérer la formation progressive des Idées comme une genèse ? Notre réponse à cette question est négative et nous avons deux raisons.

Premièrement, en vertu de la tâche fondamentale de l’empirisme transcendantal, il ne s’agit que de préciser la condition de l’expérience réelle qui « forme une genèse intrinsèque, non pas un conditionnement extrinsèque » (DR, p. 200), et Deleuze, dans

Différence et répétition par exemple, ne dit jamais que la condition génétique elle-même a

besoin d’un principe générateur. Deuxièmement, et plus profond encore, la genèse n’est pas une progression qui a lieu dans un même ordre d’être. De la conception de genèse, Deleuze dit bien

clairement que : « Il suffit de comprendre que la genèse ne vas pas d’un terme actuel, si petit soit-il, à un autre terme actuel dans le temps, mais du virtuel à son actualisation, c’est- à-dire de la structure à son incarnation, des conditions de problèmes aux cas de solution, des éléments différentiels et de leurs liaisons idéales aux termes actuels et aux relations réelles diverses qui constituent à chaque moment l’actualité du temps » (DR, p. 237-238). Oui, la genèse ne vas pas d’un terme actuel à un autre terme actuel dans le temps, mais cela ne signifie pas non plus qu’elle peut aller d’un terme virtuel, si petit soit-il, élément génétique par exemple, à un autre terme virtuel, Idée différentielle par exemple. À l’égard de la genèse, Deleuze veut accentuer qu’elle est un changement de l’ordre d’être, non pas simplement une progression de l’indéterminé à la détermination ou au déterminé.

Pour éclairer mieux ce point important, nous examinons l’indétermination des éléments génétiques. Quelle est la signification de l’indétermination des éléments génétiques, éléments de la multiplicité ? Elle signifie qu’ils n’ont « ni forme sensible ni signification conceptuelle » (DR, p. 237), à savoir ils ne peuvent être saisies ni par l’intuition sensible ni par le concept de l’entendement, ils sont complètement insensibles et