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Rappels de physiologie cardiaque chez la souris

Grâce aux possibilités offertes par la transgénèse, de nombreux modèles de souris modifiées génétiquement sont apparus ces dix dernières années. Le séquençage complet du génome murin en 2002 (Waterston et al., 2002) a montré que celui-ci avait 80% d’homologie avec le génome humain. Parmi les souris transgéniques générées, certaines ont permis de préciser le rôle physiologique de protéines dont des canaux ioniques essentiels à l’automatisme et à la conduction de l’influx électrique cardiaque. Par des mutations délétères connues chez l’homme ou l’invalidation de gènes clés dans l’automatisme des cellules pacemaker, certaines souris transgéniques miment par exemple le phénotype observé lors d’une dysfonction sinusale chez l’homme (Wu et al., 2008; Ludwig et al., 2008). Ces animaux permettent de préciser les mécanismes physiopathologiques à l’origine de ce dysfonctionnement et peuvent servir au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Les maladies cardiovasculaires constituent des pathologies multifactorielles complexes qui sont difficiles à étudier chez l’homme, car l’hétérogénéité génétique et les interactions géniques ou gènes-environnement réduisent considérablement la puissance statistique. Les modèles murins sont donc d’un grand intérêt, non seulement parce que l’on peut obtenir de grands échantillons rapidement, mais aussi parce que des études physiologiques complètes peuvent être réalisées sur des populations génétiquement uniformes dont les fonds génétiques sont bien caractérisés. Par ailleurs, ces modèles peuvent être intéressants pour approfondir notre connaissance de la pathogenèse des affections cardiovasculaires d’origine génétique car il est difficile d’avoir accès aux tissus cardiaques de patients.

Toutefois, de nombreuses souris transgéniques se sont avérées décevantes en tant que modèle animal car ne elles ne présentaient pas le phénotype attendu d’une pathologie humaine. Il faut donc considérer avec intérêt les différences physiologiques entre l’homme et la souris qui peuvent en partie expliquer ces écarts.

Le cœur d’une souris adulte pèse de 120 à 180 mg selon la lignée utilisée, pour un ratio « poids du cœur/poids du corps » de 5 à 6 mg/g. Le diamètre du ventricule gauche est d’environ 2 mm, l’épaisseur du septum interventriculaire de 1.3 mm et la paroi du ventricule gauche de 1.5mm. Son volume d’éjection est compris entre 25 et 40 μl, ce qui rapporté au poids de l’animal correspond aux valeurs connues chez l’homme et les plus gros animaux. Le volume sanguin total de la souris est de 2.3 ml (soit 80 ml/kg versus 60-70 ml/kg chez l’homme). Du fait de sa petite taille et de sa densité mitochondriale plus importante, le cœur de souris requiert un apport énergétique supérieur par unité de temps et de masse que les plus grands animaux (Doevendans et al., 1998).

La chaîne de la myosine prédominante dans le cœur de la souris est celle de type , qui présente une meilleure activité ATPase que la chaîne , majoritaire chez l’homme. Les cardiomyocytes représentent environ 90% du volume tissulaire du ventricule gauche chez la souris FVB. Même si en volume les cardiomyocytes sont majoritaires, les autres types cellulaires comme les fibroblastes et les cellules endothéliales sont plus importants en nombre dans le tissu ventriculaire (85% de toutes les cellules). Par contre dans les oreillettes, les cardiomyocytes représentent 69% du nombre total de cellules (Doevendans et al., 1998).

Le cœur de la souris diffère morphologiquement du cœur humain : (i) la veine cave supérieure gauche persiste et se jette dans l’oreillette droite, (ii) il n’y a pas de septum atrial secondaire, (iii) le nœud sinusal est localisé dans la veine cave supérieure au-dessus de sa jonction avec l’oreillette droite au lieu d’être dans l’oreillette elle-même (Doevendans et al., 1998). Structurellement, le système de conduction (nœud sinusal, nœud AV, faisceau de His et réseau de Purkinje) est semblable à celui de l’homme (Rentschler et al., 2001), bien qu’il semble exister des connections directes entre le faisceau de His et le septum ventriculaire (van Rijen et al., 2001).

La fréquence cardiaque moyenne chez une souris vigile est d’environ 600 battements par minute, soit 10 fois plus rapide que chez l’homme. Des différences entre lignées de souris consanguines ont été rapportées. Par exemple, la fréquence cardiaque moyenne des souris FVB est supérieure à celle des souris C57BL6/129Sv (680 contre 609 bpm). Cette différence a été attribuée à un tonus sympathique basal plus fort chez les FVB (Shusterman et al., 2002). Sous anesthésie, la fréquence cardiaque est plus lente,

autour de 450 battements par minute, mais peut descendre encore plus bas selon les anesthésiques utilisés. Les différences entre lignées consanguines sont à prendre en compte dans le choix du fond génétique sur lequel la souris transgénique sera réalisée. En effet, les spécificités physiologiques ou morphologiques de chacune des lignées peuvent favoriser ou au contraire masquer le phénotype attendu après invalidation du gène d’intérêt. Le laboratoire Jackson aux États-Unis a récemment créé, en collaboration avec des institutions académiques et des industriels, une banque de données accessible à tous sur son site internet, regroupant les caractéristiques phénotypiques propres à chaque lignée de souris de laboratoire (Mouse Phenome Database, http://www.jax.org/phenome). De manière similaire à ce qui est observé chez les sportifs, l’entraînement physique chez la souris induit une bradycardie au repos par rapport à des souris non entraînées. Ces modifications sont dues à une augmentation du tonus vagal et à une diminution du tonus sympathique (De Angelis et al., 2004).

Les différences mâle-femelle sont aussi à prendre en compte lors de l’étude d’un modèle de souris. Il a été montré chez la souris que les œstrogènes modifient le tonus du système nerveux autonome sur le nœud sinusal et le nœud AV. Chez la souris femelle ovariectomisée, la fréquence cardiaque est plus lente (485 versus 587 bpm).

Les propriétés électrophysiologiques des cellules cardiaques de souris diffèrent de celles de l'homme (figure 21). Ainsi, il est important de noter que les formes des PA dans les cardiomyocytes murins sont distincts de ceux des grands animaux, y compris les humains, suggérant des différences propres à chaque espèce dans l'expression et/ou les rôles fonctionnels des différents courants ioniques, en particulier potassiques (figure 21). Dans le cœur de souris adulte, l’expression de l’ARNm de KCNQ1 est élevée (Demolombe et al., 2001), alors que celle de KCNE1 est faible (Felipe et al., 1994), et les études électrophysiologiques ont échoué à détecter I dans les cardiomyocytes Ks

ventriculaires (Babij et al., 1998; Xu et al., 1999). De même, l'expression de m-erg (KCNH2) est élevée dans les ventricules de souris adultes, bien que la densité de courant I soit est faible (Pond et al., 2000). Ces observations suggèrent que les courants Kr

potassiques I et I ne sont pas des courants de repolarisation importants dans le cœur Kr Ks

des cellules ventriculaires de souris, ne semblent pas être présents dans les ventricules de l'Homme.

Figure 21 : Schéma des potentiels d'action et des courants ioniques impliqués dans ceux- ci dans des myocytes ventriculaires adultes humains (à gauche) et murins (à droite), (Nerbonne

et al., 2001).

Les électrocardiogrammes (ECG) de l’Homme et de la souris partagent un certain nombre de similitudes, mais montrent aussi des différences importantes (figure 22). Au cours du rythme sinusal, les ECG obtenus à partir des deux espèces montrent une onde P, ce qui représente la dépolarisation auriculaire, dont la durée est entre 12 à 20 ms chez la souris et peut atteindre 100 ms chez l’Homme. Elle est suivie par un retour à la ligne isoélectrique qui reflète la conduction auriculo-ventriculaire (espace PR) dans les deux espèces. Le complexe QRS, qui représente la dépolarisation ventriculaire, est cinétiquement similaire chez les deux espèces. L'ECG normal de souris montre ensuite une onde J prépondérante (Liu et al., 2004), qui est souvent subtile chez l'Homme, sauf dans des conditions pathologiques comme l'hypothermie (Osborn, 1953) ou une

l’hypercalcémie (Sridharan et Horan, 1984). Par rapport à la repolarisation ventriculaire chez l’Homme, il n’existe pas de segment ST isoélectrique chez la souris et de plus, l’onde T de la souris est biphasique avec une première vague de J positive rapide et continue par l’onde T négative plus lente. La fin de l'onde T a été définie comme le moment où la composante lente de cette onde retourne à la ligne isoélectrique.

Figure 22 : Comparaison des potentiels d’action auriculaires et ventriculaires humains (H, en haut) et murins (M, en bas) et électrocardiogrammes correspondant. Les potentiels

d'action transmembranaires, ont enregistré sur des myocytes endocardiques à l’aide de microélectrodes intracellulaires, sont tracées par rapport à l'ECG de surface normale. Les barres verticales: 50 mV; barres horizontales: 250 ms (Homme) et 25 ms (souris), (Nerbonne et