Nous renvoyons par exemple à [Bou1, AB] pour des compléments sur cette partie. Soit K un corps (commutatif). Tous les espaces vectoriels et applications linéaires et mul- tilinéaires de cette partie seront définis sur K. On note E∗ ou ˇE l’espace vectoriel dual d’un
espace vectoriel E. On identifie dans la suite un espace vectoriel E de dimension finie avec son bidual E∗∗= (E∗)∗par l’application canonique E → E∗∗définie par
x7→ {f 7→ f(x)} .
• Produit tensoriel. Soient E1, . . . , Erdes espaces vectoriels de dimension finie, où r ≥
2. Si F est un espace vectoriel, on noteL(E1, . . . , Er; F ) l’espace vectoriel des applications
multilinéaires de E1× · · · × Erdans F . On appelle produit tensoriel de E1, . . . , Er, et on note
E1⊗ · · · ⊗ Er, l’espace vectoriel L(E1∗, . . . , E∗r; K) des formes multilinéaires sur E1∗× · · · × Er∗.
Si (e1, . . . , er)∈ E1× · · · × Er, on note e1⊗ · · · ⊗ erl’élément de E1⊗ · · · ⊗ Erdéfini par
(f1, . . . , fr)7→ r
Y
i=1
fi(ei) .
Le produit tensoriel vérifie les propriétés suivantes, pour Eides espaces vectoriels de dimension
finie.
1. (Propriété universelle) Pour toute application multilinéaire f de E1× · · · × Er dans
un espace vectoriel F , il existe une unique application linéaire g : E1⊗ · · · ⊗ Er→ F telle
que g(e1⊗ · · · ⊗ er) = f (e1, . . . , er) pour tous les eidans Ei. En particulier, l’application
f7→ g est un isomorphisme linéaire de L(E1, . . . , Er; F ) dansL(E1⊗ · · · ⊗ Er, F ).
2. (Associativité) Il existe un unique isomorphisme (E1⊗ E2)⊗ E3 dans E1⊗ E2⊗ E3,
qui envoie (e1⊗ e2)⊗ e3sur e1⊗ e2⊗ e3pour tous les eidans Ei. On identifie par la suite
ces deux espaces vectoriels par cet isomorphisme.
3. (Distributivité) Il existe un unique isomorphisme (E1⊕ E2)⊗ E3 dans (E1⊗ E3)⊕
(E2⊗ E3), qui envoie (e1⊕ e2)⊗ e3 sur (e1⊗ e3)⊕ (e2⊗ e3) pour tous les eidans Ei.
4. (Bases) Si (ei,j)1≤j≤niest une base de Ei, alors (e1,j1⊗ · · · ⊗ er,jr)1≤ji≤ni, 1≤i≤r est une
base de E1⊗ · · · ⊗ Er. En particulier, dim(E1⊗ · · · ⊗ Er) =Qri=1dim(Ei).
5. (Isomorphismes) Les applications linéaires E1→ K ⊗ E1et E1→ E1⊗ K définies par
x7→ 1 ⊗ x et x 7→ x ⊗ 1 sont des isomorphismes. En particulier, l’application linéaire K→ K ⊗ K induite par 1 7→ 1 ⊗ 1 est un isomorphisme.
On a un isomorphisme canonique de L(E1, E3)⊗L(E2, E4) dansL(E1⊗E2, E3⊗E4) qui
à un couple (u, v) associe l’unique application linéaire de E1⊗ E2dans E3⊗ E4associée
par la propriété universelle à l’application bilinéaire (x, y) 7→ u(x) ⊗ v(y) de E1× E2dans
E3⊗ E4. En particulier, on a un isomorphisme canonique
E∗ 1⊗ E∗2→ (E1⊗ E2)∗, et un isomorphisme canonique E∗ 1⊗ E2→ L(E1, E2) , qui à f ⊗ y, pour f ∈ E∗
1 et y ∈ E2associe l’application linéaire x 7→ f(x)y.
Soit E un espace vectoriel de dimension finie. On convient d’appeler puissance tensorielle n-ème, et de noter E⊗n, le produit tensoriel de n ≥ 2 copies de E, ainsi que E⊗1= E, E⊗0= K.
Un élément de E⊗p⊗ (E∗)⊗q, pour p, q dans N, est appelé un tenseur p fois contravariant et q
fois covariant de E.
Rappelons que, pour tout n dans N, le groupe symétrique Snest le groupe (d’ordre n !) des
bijections de {1, . . . , n}. Il est engendré par les transpositions (i, j) pour i 6= j dans {1, . . . , n}, et même par les (i, i+1) pour i dans {1, . . . , n−1}. La signature est l’unique morphisme σ 7→ εσ
de Sndans {±1} valant −1 sur les transpositions, donc vérifiant
εσ=
Y
1≤i<j≤n
σ(i)− σ(j) i− j .
Le groupe symétrique Snagit sur l’espace vectoriel E⊗n de la façon suivante. Pour tout σ
dans Sn, l’action de σ sur E⊗nest l’unique automorphisme linéaire tel que
∀x1, . . . , xn∈ E, σ· (x1⊗ · · · ⊗ xn) = xσ−1(1)⊗ · · · ⊗ xσ−1(N ).
Un tenseur t de E⊗nest dit symétrique s’il est invariant par S
n, i.e. si σ · t = t pour tout σ
dans Sn. Un tenseur t de E⊗n est dit antisymétrique si σ · t = εσt pour toute permutation
σ dans Sn de signature εσ. Dans les deux cas, il suffit évidemment de vérifier ces propriétés
pour les transpositions. On note Symn(E) le sous-espace des tenseurs symétriques de E⊗n, et
Asymn(E) celui des tenseurs antisymétriques.
• Algèbre extérieure.
Soit E un espace vectoriel de dimension finie, et p un élément de N. Une forme p-linéaire ω : Ep→ K est dite alternée si, pour tout (x
1, . . . , xp) dans Ep, s’il existe i, j dans {1, . . . , p}
tels que i 6= j et xi= xj, alors ω(x1, . . . , xp) = 0. On note ΛpE∗ou ΛpE l’espace vectoriel desˇ
formes p-linéaires alternées sur E, et on a Λ0E = K (par convention) et Λˇ 1E = ˇˇ E. On note
Λ∗E =ˇ ⊕p∈NΛpE .ˇ
Soit F un espace vectoriel de dimension finie, et f : E → F une application linéaire. Si ω∈ ΛpF , alors l’application fˇ ∗ω : Ep→ K définie par
f∗ω(x1, . . . , xp) = ω(f (x1), . . . , f (xp))
est p-linéaire alternée. L’application f∗: ω7→ f∗ω de ΛpF dans Λˇ pE (aussi notée Λˇ pf lorsqueˇ
l’on veut préciser p) est linéaire. Elle s’étend par linéarité en une application linéaire f∗(aussi
notée Λ∗f ) de Λˇ ∗F dans Λˇ ∗E. Si G est un espace vectoriel de dimension finie, et si g : Fˇ → G est une application linéaire, alors
(g◦ f)∗= f∗◦ g∗.
Lemme A.14 Une forme p-linéaire alternée ω sur E est antisymétrique i.e. pour tous (x1, . . . , xp)
dans Ep, et tout σ dans S n, on a
Preuve. Comme les transpositions engendrent Sn, et que la signature est un morphisme de
groupes, il suffit de vérifier le résultat pour σ une transposition. On se ramène donc au cas p = 2. Dans ce cas, pour tous x, y dans E et ω dans Λ2E, commeˇ
ω(x + y, x + y) = ω(x, x) + ω(y, y) + ω(x, y) + ω(y, x) ,
on a ω(y, x) = −ω(x, y), ce qu’il fallait démontrer.
Remarque. On a donc une inclusion ΛpEˇ ⊂ Asym
p( ˇE). Lorsque la caractéristique de K
est différente de 2, une forme p-linéaire antisymétrique est alternée, et cette inclusion est une égalité.
Exemples. (1) Si la dimension de E est n et si B est une base de E, alors l’application detB: En→ K, déterminant d’un n-uplet de vecteurs de E dans la base B, est un élément non
nul de ΛnE∗. Si B = (e
1, . . . , en), pour tout ω dans ΛnE∗, par multilinéarité et antisymétrie,
on a
ω(x1, . . . , xn) = detB(x1, . . . , xn) ω(e1, . . . , en) ,
donc ΛnE∗est de dimension 1, engendré par l’élément non nul det B:
ΛnE∗= K det B.
(2) Si la dimension de E est strictement inférieure à p, alors ΛpE∗= 0 .
En effet, si (e1, . . . , en) est une base de E, alors pour tout ω dans ΛpE∗et pour tout (x1, . . . , xp)
dans Ep, le nombre ω(x
1, . . . , xp) est une combinaison linéaire des nombres ω(ei1, . . . , eip) avec
i1, . . . , ip dans {1, . . . , n}, qui sont nuls, car, comme p > n, au moins deux des vecteurs
ei1, . . . , eipdoivent être égaux.
En particulier, si la dimension de E est n, alors Λ∗E =ˇ L
0≤p≤nΛ
pE. En particulier, laˇ
dimension de Λ∗E est finie.ˇ
Munissons maintenant l’espace vectoriel Λ∗E d’une structure d’algèbre (unitaire, associa-ˇ tive) naturelle.
Pour p, q deux entiers supérieurs ou égaux à 1, notons S(p, q) l’ensemble des σ dans Sp+q
tels que
σ(1) <· · · < σ(p) et σ(p + 1) < · · · < σ(p + q) .
Une telle bijection σ est obtenue en prenant un paquet de p + q cartes, en coupant ce paquet en un premier paquet de p cartes, et un second paquet de q cartes, puis en battant une fois ces paquets de cartes, intercalant ainsi les cartes du premier paquet dans le second. L’application σ 7→ σ({1, . . . , p}) est une bijection de S(p, q) dans l’ensemble des parties à p éléments de {1, . . . , p + q}, donc le cardinal de S(p, q) vaut(p)!(q)!(p+q)!.
Soient ω dans ΛpE et η dans Λˇ qE. On appelle produit extérieur de ω et de η la formeˇ
(p + q)-linéaire ω∧ η : Ep+q→ K définie par
ω∧ η (x1, . . . , xp+q) =
X
σ∈S(p,q)
εσω(xσ(1), . . . , xσ(p)) η(xσ(p+1), . . . , xσ(p+q)) ,
si p, q ≥ 1, et si p = 0 ou q = 0, alors ω ∧ η = ωη ou ω ∧ η = ηω. On étend cette définition par bilinéarité à Λ∗E : si ωˇ i, ηi∈ ΛiE pour i = 1, . . . , n, on poseˇ
X i ωi ! ∧ X i ηi ! =X i,j ωi∧ ηi. 317
Remarque. Lorsque la caractéristique de K est nulle, on a
ω∧ η (x1, . . . , xp+q) = 1 p! q! X σ∈Sp+q εσω(xσ(1), . . . , xσ(p)) η(xσ(p+1), . . . , xσ(p+q)) ;
il est alors immédiat de voir que ω ∧ η est antisymétrique, donc alternée. Proposition A.15 Si ω ∈ ΛpE et ηˇ ∈ ΛqE, alors ωˇ ∧ η ∈ Λp+qE.ˇ
Preuve. Soient (x1, . . . , xp+q) dans Ep+q et i, j dans {1, . . . , p + q}, tels que xi = xj. On
partionne S(p, q) en quatre parties :
1. S(p, q)−−, l’ensemble des σ dans S(p, q) tels que i et j appartiennent à σ({1, . . . , p}),
2. S(p, q)++, l’ensemble des σ dans S(p, q) tels que i et j appartiennent à l’ensemble σ({p+
1, . . . , p + q}),
3. S(p, q)−+, l’ensemble des σ dans S(p, q) tels que i appartienne à σ({1, . . . , p}), et j appartienne à σ({p + 1, . . . , p + q}),
4. S(p, q)+−, l’ensemble des σ dans S(p, q) tels que i appartienne à σ({p + 1, . . . , p + q}) et
j appartienne à σ({1, . . . , p}).
Comme ω et η sont alternées, le terme de la somme définissant ω ∧ η (x1, . . . , xp+q) qui porte
sur un σ dans S(p, q)−−∪ S(p, q)++ est nul. Soit τ la transposition échangeant i et j. Alors
la multiplication à gauche par τ induit une bijection de S(p, q)−+sur S(p, q)+−. Donc ω ∧
η (x1, . . . , xp+q) est la somme sur tous les σ dans S(p, q)−+de
εσω(xσ(1), . . . , xσ(p)) η(xσ(p+1), . . . , xσ(p+q))− εσω(xτ σ(1), . . . , xτ σ(p)) η(xτ σ(p+1), . . . , xτ σ(p+q))
Ce terme est nul, car comme xi= xj, on a (xσ(1), . . . , xσ(p+q)) = (xτ σ(1), . . . , xτ σ(p+q)).
Théorème A.16 Muni du produit extérieur ∧, l’espace vectoriel Λ∗E =ˇ ⊕p
∈N ΛpE est uneˇ
algèbre (associative, unitaire) graduée anticommutative, i.e.
1. (Associativité) (ω1∧ ω2)∧ ω3= ω1∧ (ω2∧ ω3) pour tous ω1, ω2, ω3 dans Λ∗E ;ˇ
2. Si 1∈ K = Λ0E, alors pour tout ω dans Λˇ ∗E, on a 1ˇ ∧ ω = ω ∧ 1 = ω ; 3. (Graduation) (ΛpE)ˇ
∧ (ΛqE)ˇ
⊂ Λp+qE ;ˇ
4. (Anticommutativité) si ω∈ ΛpE et ηˇ ∈ ΛqE, alors ωˇ ∧ η = (−1)pqη∧ ω.
De plus, si F est un espace vectoriel de dimension finie, et f : E→ F une application linéaire, alors l’application linéaire ω7→ f∗ω de Λ∗F dans Λˇ ∗E est un morphisme d’algèbres graduéesˇ de degré 0, i.e. f∗1 = 1, f∗(ω∧ η) = (f∗ω)∧ (f∗η) et f∗(ΛpF )ˇ ⊂ ΛpE.ˇ
Preuve. (1) Notons S(p, q, r) l’ensemble des σ dans Sp+q+rtels que
σ(1) <· · · < σ(p) et σ(p + 1) < · · · < σ(p + q) et σ(p + q + 1) < · · · < σ(p + q + r) . Notons S(bp, q, r) l’ensemble des σ dans S(p, q, r) tels que σ vaille l’identité sur {1, . . . , p}, et de même pour S(p, q, br). Il est facile de vérifier que la composition (σ, σ0)7→ σ ◦ σ0induit des
bijections S(p, q + r) × S(bp, q, r) → S(p, q, r) et S(p + q, r) × S(p, q, br) → S(p, q, r). Soient ω1∈ ΛpE, ωˇ 2∈ ΛqE, ωˇ 3∈ ΛrE. Alorsˇ
(ω1∧ (ω2∧ ω3))(x1, . . . , xp+q+r) =
X σ∈S(p,q+r) εσω1(xσ(1), . . . , xσ(p)) (ω2∧ ω3)(xσ(p+1), . . . , xσ(p+q+r)) = X σ∈ S(p, q + r) τ∈ S(bp, q, r) εσω1(xσ◦τ (1), . . . , xσ◦τ (p)) ετω2(xσ◦τ (p+1), . . . , xσ◦τ (p+q)) ω3(xσ◦τ (p+q+1), . . . , xσ◦τ (p+q+r)) = X σ∈S(p,q,r) εσω1(xσ(1), . . . , xσ(p)) ω2(xσ(p+1), . . . , xσ(p+q)) ω3(xσ(p+q+1), . . . , xσ(p+q+r)) = ((ω1∧ ω2)∧ ω3)(x1, . . . , xp+q+r) .
(4) Soit τ l’élément de S(p+q) tel que τ(i) = i+p mod (p+q) pour tout i dans {1, . . . , p+q}. Alors ετ= (−1)pq, et la composition σ 7→ σ ◦ τ est une bijection de S(p, q) sur S(q, p). Donc
pour ω ∈ ΛpE, ηˇ ∈ ΛqE, on aˇ (η∧ ω) (x1, . . . , xp+q) = X σ∈S(q,p) εση(xσ(1), . . . , xσ(q)) ω(xσ(q+1), . . . , xσ(p+q)) = X σ∈S(p,q) εσ◦τ η(xσ◦τ (1), . . . , xσ◦τ (q)) ω(xσ◦τ (q+1), . . . , xσ◦τ (p+q)) = ετ(ω∧ η) (x1, . . . , xp+q) .
Les autres affirmations sont immédiates.
Proposition A.17 Pour tous les ω1, . . . , ωpdans ˇE et tous les x1, . . . , xpdans E, on a
(ω1∧ · · · ∧ ωp)(x1, . . . , xp) = det
ωi(xj)1≤i,j≤p
.
Preuve. On raisonne par récurrence sur p. La formule est immédiate pour p = 1. On a
(ω1∧ (ω2∧ · · · ∧ ωp))(x1, . . . , xp) = p
X
j=1
(−1)j+1ω1(xj)(ω2∧ · · · ∧ ωp)(x1, . . . ,xbj, . . . , xp) .
En utilisant l’hypothèse de récurrence au rang p−1, on trouve le développement du déterminant de la matrice ωi(xj)
1≤i,j≤ppar rapport à sa première ligne, ce qui montre le résultat.
Porisme A.18 Des formes linéaires f1, . . . , fkdans E∗ sont linéairement indépendantes si et
seulement si leur produit extérieur f1∧ · · · ∧ fkest non nul.
Preuve. Si f1, . . . , fk sont linéairement indépendantes, alors il existe x1, . . . , xk dans E tels
que fi(xj) = 1 si i = j et fi(xj) = 0 sinon. Donc, par la proposition précédente, (f1∧ · · · ∧
fk)(x1, . . . , xk) = 1 et f1∧ · · · ∧ fk6= 0. La réciproque est évidente.
Remarque. Il découle de la propriété d’anticommutativité que si ω est une forme p-linéaire alternée avec p impair, alors ω ∧ ω = 0. Mais pour E = R4, si (
1, 2, 3, 4) est la base duale de
la base canonique, et si ω = 1∧ 2+ 3∧ 4, alors ω ∧ ω = 2 1∧ 2∧ 3∧ 46= 0.
Proposition A.19 Si (f1, . . . , fn) est une base de ˇE, alors (fi1∧ · · · ∧ fip)1≤i1<···<ip≤nest une
base de ΛpE.ˇ
Preuve. Soit (e1, . . . , en) la base de E, dont la base duale est (f1, . . . , fn). Pour ω dans ΛpEˇ
et x1, . . . , xpdans E, par p-linéarité de ω, on a
ω(x1, . . . , xp) =
X
1≤i1,...,ip≤n
fi1(x1) . . . fip(xp) ω(ei1, . . . , eip) .
Comme ω est alternée, les termes ω(ei1, . . . , eip) sont nuls sauf peut-être si les indices i1, . . . , ip
sont deux à deux distincts. En utilisant une permutation pour mettre ces indices dans l’ordre croissant, en utilisant la formule d’un déterminant et en utilisant que (fi1∧· · ·∧fip)(x1, . . . , xp) =
det fi(xj)
1≤i,j≤kpar la proposition A.17, on obtient que
ω = X
1≤i1<···<ip≤n
ω(ei1, . . . , eip)fi1∧ · · · ∧ fip.
Cette écriture est unique, car pour tous i1<· · · < ipet j1<· · · < jp, l’expression
(fi1∧ · · · ∧ fip)(ej1, . . . , ejp) = det fiα(ejβ)
1≤α,β≤p
est non nulle si et seulement si i1= j1, . . . , ip= jp. Ceci montre le résultat.
Remarque. Soit (f1, . . . , fn) une base de ˇE. Pour toute partie I de cardinal p de{1, . . . , n},
notons
fI= fi1∧ · · · ∧ fip
où I = {i1, . . . , ip} avec i1<· · · < ip. Le résultat ci-dessus dit que (fI)I, pour I de cardinal p,
est une base de ΛpE. La table de multiplication de cette base est la suivante :ˇ
fI∧ fJ=
±fI∪J si I∩ J = ∅
0 sinon
où ± = (−1)kpour k le nombre de couples (i, j) dans I × J tels que i > j.
On en déduit que la dimension de ΛpE est Cˇ p n=
n p
, pour n la dimension de ˇE. Donc la dimension de l’espace vectoriel Λ∗E estˇ Pn
p=0Cnp= 2n. En particulier, pour n la dimension de
ˇ
E, l’espace vectoriel ΛnE est de dimension 1, engendré par fˇ
1∧ · · · ∧ fn, qui est l’application
déterminant de n vecteurs dans la base (e1, . . . , en).
Tout élément w de Λ∗E s’écrit de manière uniqueˇ
w =X
I
wIfI,
avec wI dans K. De plus, w appartient à ΛpE si et seulement si wˇ I = 0 pour tout I de
cardinal différent de p. Plus précisément, si (e1, . . . , en) est la base de E, dont la base duale est
(f1, . . . , fn), notons de même eI le p-uplet (ei1, . . . , eip). Alors la preuve ci-dessus montre que
pour tout ω dans ΛpE, on aˇ
ω =X
I
ω(eI)f I.
Exercice E.186 Soient f : E → F une application linéaire entre deux espaces vectoriels E et F de dimension finie n et m respectivement, (e1, . . . , en) une base de E, de base duale
(ˇe1, . . . , ˇen), et (f1, . . . , fm) une base de F , de base duale ( ˇf1, . . . , ˇfm). Si A est la matrice de f
dans ces bases, calculer la matrice de l’application linéaire ω7→ f∗ω de Λ∗F dans Λˇ ∗E, dansˇ les bases ( ˇfI)I et (ˇeI)I.
Soient X un élément de E et ω ∈ ΛpE. On appelle produit intérieur de ω par X, et on noteˇ
iXω, la forme (p− 1)-linéaire alternée (par convention, Λ−1E =ˇ {0}), définie par iXω = 0 si
p = 0, et sinon, pour tous ξ1, . . . , ξp−1dans E,
(iXω)(ξ1, . . . , ξp−1) = ω(X, ξ1, . . . , ξp−1) .
On étend additivement l’application iX à Λ∗E.ˇ
Proposition A.20 L’application iX : Λ∗Eˇ → Λ∗E est une antidérivation de degréˇ −1 de
l’algèbre graduée Λ∗E, i.e.ˇ
(1) iX: Λ∗Eˇ→ Λ∗E est linéaire et iˇ X(ΛpE)ˇ ⊂ Λp−1E pour tout p dans N.ˇ
(2) pour tout α dans ΛpE et tout β dans Λˇ ∗E, on aˇ
iX(α∧ β) = (iXα)∧ β + (−1)pα∧ (iXβ) .
Preuve. L’assertion (1) est immédiate par définition. Pour montrer la seconde assertion, on raisonne par récurrence sur p. Le cas p = 0 est immédiat par linéarité. Si p = 1, alors, en posant X0= X, pour tous X1, . . . , Xqdans E, on a
iX(α∧ β)(X1, . . . , Xq) = (α∧ β)(X0, X1, . . . , Xq) = q X i=0 (−1)i+1α(X i)β(X0, . . . , cXi, . . . , Xq) = α(X0)β(X1, . . . , Xq)− q X i=1 (−1)iα(X i)(iXβ)x(X1, . . . , cXi, . . . , Xq) = (iXα∧ β)(X1, . . . , Xq)− (α ∧ iXβ)(X1, . . . , Xq) ,
ce qui montre le cas p = 1. Supposons maintenant p ≥ 2, et supposons le résultat vrai au rang p− 1. Par linéarité, on se ramène au cas où α = α0∧ α00, avec α0de degré 1. Par l’associativité
et la distributivité du produit extérieur, on conclut alors par les cas p = 1 et p − 1 : iX(α∧ β) = iX(α0∧ (α00∧ β)) = (iXα0)∧ (α00∧ β) − α0∧ iX(α00∧ β)
= (iXα0)∧ (α00∧ β) − α0∧ ((iXα00)∧ β + (−1)p−1α00∧ (iXβ))
= ((iXα0)∧ α00− α0∧ (iXα00))∧ β + (−1)pα0∧ (α00∧ (iXβ))
= (iXα)∧ β + (−1)pα∧ (iXβ) .
Remarque. Le groupe GL(E) des automorphismes linéaires de E agit (à gauche) naturellement sur l’ensemble Λ∗E. En effet, posonsˇ
g· ω : (x1, . . . , xp)7→ (g−1)∗ω
(x1, . . . , xp) = ω(g−1(x1), . . . , g−1(xp))
si g ∈ GL(E) et ω ∈ ΛpE. Cette action de GL(E) sur Λˇ pE est linéaire, et s’étend par linéaritéˇ
en une action de GL(E) sur Λ∗E, qui préserve la structure d’algèbre graduée de Λˇ ∗E, i.e. pourˇ tout g dans GL(E), l’application ω 7→ g·ω est linéaire, envoie ΛpE dans lui-même, et gˇ
·(ω∧η) = (g· ω) ∧ (g · η) pour tous les ω, η dans Λ∗E.ˇ
321
Remarque. On note Λ∗E = Λ∗E, que l’on appelle l’algèbre des multi-vecteurs de E. Parˇˇ l’identification de ˇE et de E, tout élément de Λˇ pE (appelé p-vecteur) est combinaison linéaire
de v1∧· · ·∧vppour des v1, . . . , vpdans E. Si (e1, . . . , en) est une base de E, alors (eI)I∈2{1,...,n}est
une base de Λ∗E, avec comme ci-dessus e
I= ei1∧ · · · ∧ eipoù I = {i1, . . . , ip} avec i1<· · · < ip.
Si (f1, . . . , fn) est la base duale de (e1, . . . , en), alors pour tout p-vecteur v, on a comme ci-dessus
v =X
I
v(fI)e I,
où la sommation porte sur toutes les parties de cardinal p de {1, . . . , n}. L’espace ΛpE vérifie
la propriété universelle suivante : pour toute application p-linéaire alternée u de Epdans un
espace vectoriel F , il existe une et une seule application linéaire f de ΛpE dans F telle que
pour tous x1, . . . , xpdans E,
u(x1, . . . , xp) = f (x1∧ · · · ∧ xp) .
En effet, comme (eI)Iest une base de ΛpE, il suffit de définir f en demandant que f (eI) = u(eI).
En particulier, le corollaire A.18 implique que des vecteurs v1, . . . , vkdans E sont linéaire-
ment indépendants si et seulement si leur produit extérieur v1∧ · · · ∧ vkest un p-vecteur non
nul.
On vérifie aisément qu’il existe une et une seule application bilinéaire h·, ·i de ΛpEˇ× ΛpE→
K, telle que, pour x1, . . . , xpdans E et f1, . . . , fpdans ˇE, on ait
hf1∧ · · · ∧ fp, x1∧ · · · ∧ xpi = det fi(xj)1≤i,j≤p.
Cet accouplement induit un isomorphisme canonique de Λ∗E sur le dual de Λˇ ∗E. De plus, si
(e1, . . . , en) est une base de E, et si (ˇe1, . . . , ˇen) est sa base duale, alors les bases (eI)I de Λ∗E
et (ˇeI)Ide Λ∗E sont duales.ˇ
Si A est un espace vectoriel sur K muni d’une application bilinéaire Φ : A × A → A, par exemple si A est une algèbre sur K avec sa multiplication, et en particulier si A est l’algèbre des matrices Mn(K), alors on définit de la même manière l’espace, noté Λp( ˇE, A) (respectivement
Λ∗( ˇE, A)) des applications p-linéaires (respectivement multilinéaires) alternées à valeurs dans
A. On définit de même le produit extérieur de deux éléments de Λ∗( ˇE, A) (en remplaçant le
produit de deux éléments de K par l’évaluation de Φ sur deux éléments de A). Si A est une algèbre associative unitaire, alors Λ∗( ˇE, A) est encore une algèbre graduée associative unitaire.
Mais elle n’est plus forcément anticommutative (par exemple si A est l’algèbre Mn(K) avec
n ≥ 2). Si A est de plus commutative (par exemple si K = R et A = C), l’algèbre graduée associative unitaire Λ∗( ˇE, A) est par contre anticommutative.
• Exercice de révision.
Exercice E.187 Soit E un espace vectoriel de dimension finie n sur un corps K, et f ∈ L(E) une application linéaire de E dans E. Pour préciser, on note Λpf : Λˇ pEˇ→ ΛpE l’applicationˇ
définie par ω 7→ f∗ω.
– Montrer que l’application Λnf : Λˇ nEˇ
→ ΛnE est la multiplication par det f .ˇ
– Montrer que det(f− λ idV) = n X i=1 (−1)itr(Λn−if ) λˇ i. – En déduire que det(idV + f ) = tr(Λ∗f : Λˇ ∗Eˇ→ Λ∗E) .ˇ 322