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Degré d’une application entre variétés de même dimension

Dans le document Géométrie différentielle (Page 127-130)

6.6 Théorie du degré

6.6.1 Degré d’une application entre variétés de même dimension

Soient M et N deux variétés orientées C∞compactes de dimension n ≥ 1, avec N connexe,

et f : M → N une application continue.

Nous appellerons degré de f, et noterons deg f, le nombre réel r tel que, pour mr: R→ R

l’application de multiplication par r, le diagramme suivant soit commutatif : Hn(N ) −→ Hf∗ n(M ) R N↓ ↓ R M R mr −→ R 254

Ce nombre existe par linéarité, et le fait que la flèche verticale de gauche soit un isomorphisme par connexité de N, voir le corollaire 6.54. Donc, par définition de f∗, si g est une application

C∞homotope à f, alors

deg f = R

MR g∗ω Nω

pour tout ω ∈ Ωn(N ) tel queR Nω6= 0.

Remarques. Le degré des applications vérifie les propriétés suivantes.

(1) Le degré d’une application constante est nulle. Si f est constante, alors deg f = 0, car f∗: Hn(N )→ Hn(M ) est l’application nulle, puisque n≥ 1.

Plus généralement, le degré d’une application continue non surjective f de M dans N est nul. En effet, soit ω une forme différentielle à support compact contenu dans le complémentaire de l’image de f, telle queRNω = 1 (qui existe, car ce complémentaire est un ouvert non vide de N , car M est compacte). Soit g : M→ N − Supp ω une application C∞homotope à f. Alors

deg f =RMg∗ω = 0.

(2) Le degré dépend en général de l’orientation des variétés M et N. Plus précisément, pour  dans{±1} et P une variété orientée C∞, notons P la variété orientée P si  = +1, et la

variété P où chaque composante connexe de P est munie de l’orientation opposée si  = −1. Soient , 0 dans {±1} et notons g l’application f de la variété orientée M dans la variété

orientée 0N . Alors par construction

deg g =  0deg f .

Par exemple, si f est un C∞-difféomorphisme, alors deg f vaut 1 si f préserve l’orientation,

par la formule de changement de variable globale, et donc −1 sinon (car alors f préserve l’orientation de M dans la variété orientée opposée de N).

En particulier, comme l’antipodie −id de Sn→ Snrenverse l’orientation si et seulement si

n est pair, on en déduit que

deg (−id : Sn→ Sn) = (−1)n−1.

Remarquons aussi que si N = M, alors le degré de f ne dépend pas de l’orientation de M (à condition de prendre la même à la source et au but !).

(3) Le degré est additif pour les sommes disjointes à la source. Plus précisément, si M1, . . . , Mk

sont des variétés orientées C∞compactes de dimension n, en notant M0=

1≤i≤kMila variété

orientée somme disjointe, alors pour toute application continue f : M0→ N, on a

deg f =

k

X

i=1

deg f|Mi.

En effet, si g : M → N est une application C∞homotope à f, alors g

|Miest C∞et homotope à f|Mi, et pour tout ω ∈ Ω n(N ) tel queR Nω = 1, deg f = Z M0 g∗ω = k X i=1 Z Mi (g|Mi) ∗ω = k X i=1 deg f|Mi.

(4) Le degré est invariant par homotopie. Plus précisément, si g : M → N est une application continue, qui est homotope à f, alors

deg g = deg f .

Ceci découle de l’invariance par homotopie de la cohomologie de de Rham.

Par exemple, si M = N, alors l’application id : M → M, de degré 1, n’est pas homotope à une application continue non surjective (par exemple constante), qui est de degré 0.

Porisme 6.57 (Théorème de non-peignage des sphères) Pour tout entier n ≥ 1, tout champ de vecteurs continu sur la sphère S2npossède au moins un zéro.

Preuve. Sinon, S2n possède un champ de vecteurs X continu de norme 1. L’application h :

S2n× [0, 1] → S2ndéfinie par

(x, t)7→ (cos πt) x + (sin πt)X(x)

est une homotopie entre les applications id et −id, qui sont de degré 1 et (−1)2n−1respective-

ment, contradiction. 

(5) Le degré est invariant par cobordisme, au sens suivant : si M est la variété orientée frontière d’un domaine à bord lisse D d’une variété C∞orientée P , si M est compacte, alors

deg f = 0 .

(Remarquons que M n’est pas forcément connexe, et qu’elle est orientée par la normale sor- tante). En effet, grâce à une partition de l’unité, on prolonge une application g : M → N de classe C∞ et homotope à f en une application g0 : P → N de classe C. En notant

i : M = ∂D → P l’inclusion, on a donc g0◦ i = g. D’où, pour tout ω ∈ Ωn(N ), qui est en

particulier fermée, on a par le théorème de Stokes, Z M g∗ω = Z M i∗(g0)ω = Z D d((g0)ω) = Z D (g0)(dω) = 0 .

Par conséquent, si M1, M2sont les deux composantes connexes de la frontière d’un domaine D

à bord lisse compact (orientées par la normale sortante) dans une variété C∞, si f1: M1→ N

et f2: M2→ N sont deux applications continues, alors

deg f1=−deg f2.

D

M2

M1

La remarque (4) est un cas particulier de cette remarque, en prenant le domaine à bord lisse D = M× [0, 1] dans M × R, et en faisant attention que les orientations par la normale sortante des deux composantes de bord de D donnent des orientations opposées sur M identifié d’une part à M × {0}, de l’autre à M × {1}.

(6) Le degré est multiplicatif pour la composition. Si P est une variété orientée C∞compacte

connexe de dimension n ≥ 1, et g : N → P une application continue, alors deg (g◦ f) = (deg f)(deg g) .

En particulier, si M = N et si g : M → P est un homéomorphisme, alors deg (g◦ f ◦ g−1) = deg f .

Donnons maintenant un moyen pratique de calculer le degré d’une application, ce qui mon- trera aussi que le degré est un nombre entier.

Rappelons que l’orientation d’une variété définit une orientation de l’espace tangent en tout point (voir la partie 6.3). Pour tout point x de M tel que l’application linéaire Txf : TxM →

Tf (x)N soit bijective (et il suffit, par égalité des dimensions, que f soit une immersion ou une

submersion en x), appelons indice de f en x, et notons Ind(f, x), le nombre +1 si Txf préserve

l’orientation, et −1 sinon.

Théorème 6.58 Soient M et N deux variétés orientées C∞compactes de dimension n≥ 1,

avec N connexe, et f : M→ N une application de classe C∞. Si y∈ N est une valeur régulière

de f , alors

deg f = X

x∈f−1(y)

Ind(f, x) .

Preuve. Si y est une valeur régulière, alors F = f−1(y) est une sous-variété de dimension

n− n = 0 de M, donc est discrète, et comme M est compacte, la fibre F est finie. Pour tout x dans F , l’application f est une submersion en x, donc Txf est bijective. Donc le membre de

droite est bien défini (et appartient à Z). Par le théorème d’inversion locale et par finitude de F , il existe un voisi- nage ouvert connexe V de y, que nous supposerons contenu dans un domaine de carte de N, et, pour tout x dans F , un voisinage ouvert Vx de x, avec les

Vxdeux à deux disjoints, tels que f|Vx:

Vx → V soit un C∞-difféomorphisme

pour tout x dans F . Soit ω ∈ Ωn(N )

à support contenu dans V telle que R

Nω = 1, ce qui existe. Alors le sup-

port de f∗ω est contenu dans f−1(V ),

qui est réunion disjointe des Vxpour x

dans F . f y V x Vx

Par le théorème de changement de variable local 6.36, on a

deg f = Z M f∗ω =Z f−1(V ) f∗ω =X x∈F Z Vx (f|Vx)∗ω = X x∈F Ind(f, x) Z V ω =X x∈F Ind(f, x) . 

Ce théorème est utilisable à cause du théorème de Sard, qui dit que l’ensemble des valeurs régulières de f est dense dans N (voir le théorème 2.21). Comme nous n’en avions pas donné de preuve, en voici une adaptée à notre cas (voir le théorème 2.21 pour un énoncé plus général).

257

Proposition 6.59 (Théorème de Sard) Soient M, N deux variétés C1 de même dimension

n≥ 1, et f : M → N une application C1. L’ensemble des valeurs régulières de f est dense.

Preuve. En utilisant des cartes locales, il suffit de montrer le résultat lorsque M = U est un ouvert de Rn et N = Rn. Nous allons montrer que, pour C l’ensemble des points critiques,

l’ensemble f(C) est de mesure nulle pour la mesure de Lebesgue λ, ce qui implique le résultat. Rappelons que la mesure de Lebesgue d’une boule de rayon r dans Rn est ω

nrnoù ωn> 0 est

une constante.

Lemme 6.60 Pour tout compact K dans U, il existe δ > 0 et  : [0, δ] → [0, +∞[ telle que limt→0(t) = 0, et, pour tous x, y dans K tels que||x − y|| ≤ δ,

||f(y) − f(x) − Dfx(y− x)|| ≤ (||x − y||)||x − y|| .

Preuve. On a f(y) − f(x) =R1 0Dfx+t(y−x)(y− x), donc ||f(y) − f(x) − Dfx(y− x)|| ≤ || Z 1 0 (Dfx+t(y−x)(y− x) − Dfx(y− x))dt|| ≤ Z 1 0 |||Dfx+t(y−x)− Df x|||dt||x − y|| .

D’où le résultat par uniforme continuité de Df sur K. 

Il suffit de montrer que f(C ∩ B) est de mesure nulle, pour tout cube B de Rn. Si x ∈ C,

alors Dfxn’est pas surjective, donc son image est contenue dans (au moins) un hyperplan Hx

de Rn. Soit r > 0 et y ∈ U tel que ||y − x|| < r.

Par le lemme, d(f(y), f(x)+Hx) < r(r). Si K = maxx∈B|||Dfx|||, alors ||f(y)−f(x)|| ≤ Kr,

donc f(B(x, r)) est contenue dans le cylindre de base (f(x) + Hx)∩ B(f(x), Kr) et de hauteur

2r(r). Ce cylindre est de mesure 2r(r)×ωn−1(Kr)n−1. Si a est la longueur d’une arête du cube

B, alors B est réunion de kncubes de longueurs d’arête a/k. Chacun de ces cubes rencontrant

C est contenu dans une boule B(x, 2a√n/k) où x∈ C. Donc λ(f (C∩ B)) ≤ 2knKn−1ω

n−1(2a√n/k)n(2a√n/k) .

D’où le résultat en faisant tendre k vers +∞. 

Porisme 6.61 (1) Le degré de f est un élément de Z. (2) Le cardinal d’une fibre régulière est constant modulo 2. (3) Si le degré de f est non nul, alors f est surjective.

En particulier, si f est homotope à une application non surjective, alors deg f = 0. (4) Si f : Rn→ Rnest une application Cqui vaut l’identité au voisinage de l’infini (i.e. en

dehors d’un compact), alors f est surjective.

(5) Si f est un revêtement à n feuillets préservant l’orientation, alors deg f = n .

Preuve. Par le théorème de Sard, l’application f admet au moins une valeur régulière. L’as- sertion (1) est alors immédiate à partir du théorème 6.58. Celui-ci montre aussi que si deg f est non nul, alors l’image réciproque f−1(y) de toute valeur régulière de f est non vide. Or tout

élément de N qui n’est pas dans l’image de f est une valeur régulière de f, donc l’assertion (3) en découle.

L’assertion (2) est immédiate, car deg f = Card f−1(y) mod 2 pour toute valeur régulière

y, puisque 1 =−1 mod 2.

En identifiant Rn avec le complémentaire d’un point dans S

n (par projection stéréogra-

phique), on prolonge f en une application g : Sn → Sn de classe C∞, valant l’identité au

voisinage d’un point. Donc le théorème 6.58 appliqué en ce point (qui est régulier) montre que le degré de g vaut 1, donc est non nul. Par conséquent g est surjective par (3), donc f est surjective, ce qui montre (4).

La dernière assertion découle du fait que pour tout y dans N, le point y est une valeur régu- lière de f, d’image réciproque de cardinal n, en tout point de laquelle l’application tangente de f préserve l’orientation, par définition d’un C∞-difféomorphisme local préservant l’orientation.



En particulier, pour tout n dans Z, l’application f : S1→ S1définie par z = eiθ7→ zn= einθ

est de degré n.

Exercice E.144 Soit f ∈ C(X) une fraction rationnelle à coefficients complexes, et Z l’en- semble (fini) des ses pôles. Nous identifions C au domaine d’une carte affine de P1(C) (voir

partie 2.4.3), et nous notons∞ le point complémentaire.

(1) Montrer que f : C− Z → C s’étend en une application holomorphe, donc C∞, de P 1(C)

dans P1(C), encore notée f .

(2) Montrer que si f est un polynôme non nul de degré d, alors deg f = d .

(Il n’y a donc pas de conflit notationnel. La condition de non nullité de f est nécessaire, car le degré d’une application constante est nul, alors que le degré du polynôme nul est−∞.)

(3) Montrer que si f = P/Q avec P, Q deux polynômes non nuls premiers entre eux, alors deg f = [C(X) : C(f )] = max{deg P, deg Q} ,

où [C(X) : C(f )] est le degré de l’extension C(X) du sous-corps C(f ) engendré par f .

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