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308. On doit au Professeur HOURQUEBIE un panorama précis de cette évolution

historique dans les débats doctrinaux et au sein des deux ordres de juridictions537. Il ne convient pas d’en faire ici la retranscription mais uniquement de noter les raisonnements les plus aboutis en la matière. Trois tendances peuvent être distinguées.

309. Il s’agit tout d’abord de la négation de l’existence d’un domaine public mobilier par la doctrine, alors même que la notion était connue des juridictions. Puis la jurisprudence judiciaire a eu besoin d’identifier des biens mobiliers, utilisant pour cela le critère de l’immeuble par destination. Enfin, les débats contemporains et la jurisprudence la plus récente ont tenté de retranscrire la notion d’affectation utilisée pour le patrimoine immobilier538.

310. L’originalité de ces débats tient largement à la spécificité des biens en cause. La théorie de la domanialité publique n’a été construite que par rapport à des biens immobiliers539, ce qui explique la première tendance qui est apparue dans la doctrine, à

537 HOURQUEBIE (F.), « Le domaine public mobilier », RDP, 2005, p.635 ; YOLKA (Ph.), J.-Cl. Propriétés publiques, fasc. 45, n°23 et suivants.

538 SORBARA (J-G.), op. cit., spéc. p. 622-623.

539 BACHELIER (G.), « Existe-t-il un domaine public mobilier ? », concl. sur CE, 28 mai 2004, Aéroports de Paris, BJCL, n°9, 2004, p. 629.

savoir celle de la négation de l’existence d’un patrimoine mobilier particulier. La domanialité publique a été pensée par la doctrine, notamment par PROUDHON, à la lumière de l’ancien article 538 du code civil540 et notamment en référence au concept de « bien insusceptible de propriété privée ». La notion de domaine public recouvrait alors uniquement les biens hors du commerce, ceux qui étaient affectés à l’usage de tous et qui ne pouvaient faire l’objet d’une appropriation privée. Cela a permis, soit d’ignorer complètement le statut juridique des biens meubles541, soit de justifier l’inexistence d’un domaine public mobilier du fait de la possible appropriation privée de ces biens542. Le patrimoine mobilier le plus précieux était alors classé dans le domaine privé de l’Etat ou se voyait appliquer un régime juridique particulier par l’édiction de lois spéciales.

311. Mais si la doctrine éprouvait de grandes difficultés à trouver un fondement théorique au domaine public mobilier, le juge a rapidement été confronté à de tels biens. Et ce sont assez largement les tribunaux judiciaires qui, à l’occasion d’actions en revendication de propriété, ont dû se prononcer sur l’existence d’un patrimoine mobilier particulier. Beaucoup moins réticent que la doctrine, le juge judiciaire a rapidement consacré l’application du régime de la domanialité publique à des biens mobiliers, régime juridique très utile grâce à la notion d’imprescriptibilité qui permet de faire échec à l’article 2276 du Code civil selon lequel « en fait de meubles, la possession vaut titre »543. De nombreux biens mobiliers, comme des tableaux, des statues ou des tapisseries, ont ainsi été reconnus comme faisant partie du domaine public en raison de leur caractère précieux544. Il est d’ailleurs étonnant de voir combien la notion de domaine public mobilier s’est développée grâce au juge judiciaire545.

540 Article 538 du Code civil « Les chemins, routes et rues à la charge de l'Etat, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public », abrogé par l’ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006.

541 HOURQUEBIE (F.), op.cit., p. 639.

542 C’est notamment le cas de DUCROCQ ou de BERTHELEMY.

543 YOLKA (Ph.), « Domaine public mobilier », J.-Cl. Propriétés publiques, LexisNexis, fasc. 45, n°23 et suivants.

544 Pour un exemple récent, voir Cass. Crim., 4 février 2004, n°01-85964 concernant la restitution des tableaux saisis à la ville de Roubaix.

545 Sur la question, voir LAVIALLE (Ch.), « La compétence des juridictions judiciaires dans la détermination de la domanialité publique », in Mélanges CLUSEAU, 1985, p. 341.

312. L’avancée de la jurisprudence judiciaire en la matière a fait perdre du crédit aux débats classiques prônant l’inexistence du domaine public mobilier. Bien que la notion ne soit pas encore précisée ni même consacrée, l’existence d’un domaine public mobilier ne fait plus de doute. La deuxième tendance a alors été de trouver une justification théorique au fait qu’un bien meuble puisse faire partie du domaine public. Le juge judiciaire a eu plusieurs réponses quant au rattachement d’un bien meuble au domaine public546 mais il est possible de retenir une grande tendance, celle de la notion d’immeuble par destination. En effet, à plusieurs reprises, le juge judiciaire a justifié la domanialité publique d’un bien meuble en le rattachant à un bien immobilier lui-même soumis au régime de la domanialité publique. Le patrimoine mobilier ne serait alors soumis à ce régime protecteur que lorsque qu’il est un accessoire à un bien immobilier protégé. C’est par exemple grâce à cette justification que le juge judiciaire précise le sort des archives, biens mobiliers particuliers car « les livres et manuscrits qui sont la partie constitutive et essentielle d’une bibliothèque dépendant du domaine public appartiennent à ce même domaine »547.

313. La dernière tendance a été menée conjointement par la jurisprudence et la doctrine. Comme le critère de l’immeuble par destination était trop restrictif, l’intérêt s’est porté sur la notion d’affectation, notion servant déjà de critère de définition pour le domaine public immobilier. Les juridictions ont alors justifié la domanialité publique de certains biens mobiliers par le fait qu’ils étaient « l’objet même du service public » 548. Le juge judiciaire a adopté ce raisonnement dans l’arrêt Montagne549, « les biens des personnes publiques font partie du domaine public dès lors que, comme en l’espèce, leur conservation et présentation au public sont l’objet même du service public », et fut suivi rapidement par le juge administratif, notamment dans l’arrêt relatif à un don d’œuvres d’art au Centre Pompidou550 où il précise que ces œuvres d’art font partie du domaine public de l’Etat « dès lors que leur conservation et présentation au public sont l’objet même du service public dont l’établissement à la

546 Le Professeur HOURQUEBIE regroupe ces justifications en quatre tendances (HOURQUEBIE (F.), « Le domaine public mobilier », RDP, 2005, p. 643).

547 Cass. Civ., 17 juin 1896, D. 1897, 1, 257 ; S. 1896, 2, p. 85.

548 Sur les différences de conception de la notion « d’objet même du service public », voir RAPP (L.), TERNEYRE (Ph.), SYMCHOWICZ (N.), Lamy Droit public des affaires, 2014, n°4867.

549 Cass. Civ., 2 avril 1963, Montagne, n°60-13239.

550 TA Paris, 4 mars 1987, Berckelaers, Rec. p. 598 ; CE, 19 janvier 1990, Epoux Berckelaers, Rec. p. 7 ; note GOHIN (O.), RDP, 1992, p. 176.

charge »551.Il l’a ensuite réitéré concernant des instruments anciens552 ou en excluant les véhicules administratifs et matériels informatiques553. Il s’est parfois éloigné de ce raisonnement, comme lorsqu’il justifie l’appartenance des fragments de la colonne Vendôme au domaine public en raison de leur origine554 et non sur la base de leur affectation.

314. La doctrine a largement suivi les juridictions sur le critère de l’affectation et de nombreux auteurs ont cherché a précisé le type d’affectation que pouvait recevoir un bien mobilier. On retiendra notamment les propositions de Duguit et Waline555, qui ont tenté de classer les biens mobiliers en fonction de leur affectation. Les deux classifications sont légèrement distinctes entre les deux auteurs556 mais ont pour point commun de distinguer les biens mobiliers qui sont l’objet même d’un service public et ceux qui servent au fonctionnement d’un service public. Alors que pour les biens immobiliers, l’affectation au service public s’apprécie au regard de l’aménagement particulier du bien avec le service public, le lien entre un bien mobilier et le service public semble plus étroit. Le bien mobilier n’est pas aménagé pour le fonctionnement du service public, il est au cœur de ce service public soit parce que ce dernier a été créé spécialement pour sa conservation ou sa présentation au public, soit parce qu’il permet le fonctionnement du service public. Cette transposition du critère de l’affectation aux biens mobiliers est sans aucun doute justifiée par une volonté d’unité du régime de la domanialité publique quelque soit la nature du bien557 mais elle s’est révélée peu efficace pour englober toutes les particularités du patrimoine mobilier.

315. En réalité, à chercher un parallélisme avec les biens immobiliers, la doctrine perdait de vue la spécificité de ce patrimoine mobilier. Il suffit pour cela d’analyser la

551 CE, 19 janvier 1990, Epoux Berckelaers, Rec. p. 7 ; note GOHIN (O.), RDP, 1992, p. 1176. 552 CE, 29 novembre 1996, Syndicat général des affaires culturelles CFDT et autres, Rec. p. 732.

553 CE, 28 mai 2004, Aéroport de Paris, Rec. p.238, concl. BACHELIER (G.), BJCL, n°9, 2004, p.629.

554 TA Paris 9 avril 2004, Mme Mercier ; note LE BOT (O.), « Les fragments de la colonne Vendôme font partie du domaine public mobilier », AJDA, 2004, p. 711.

555 DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., 1928, tome 3, p. 36 ; WALINE (M.), comm. sous CA Nîmes, 4 décembre 1944, Etat français c/ Brin, Rec. p. 28.

556 BACHELIER (G.), « Existe-t-il un domaine public mobilier ? », concl. sur CE 28 mai 2004, Aéroports de Paris, BJCL, n°9, 2004, p. 630.

nature de ce patrimoine mobilier pour constater que la transposition des critères utilisés pour le patrimoine immobilier ne permet pas de définir entièrement ce qu’il recoupe.

2. Des propositions inadaptées aux spécificités du patrimoine

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