• Aucun résultat trouvé

D’autre part, le postulat selon lequel le droit de propriété est tellement emprunt de droit privé qu’il en exclurait les personnes publiques, à moins d’adaptations parfois

§2 – Un droit de propriété entériné par le CG3P

68. D’autre part, le postulat selon lequel le droit de propriété est tellement emprunt de droit privé qu’il en exclurait les personnes publiques, à moins d’adaptations parfois

maladroites, peut être discuté. Effectivement, on peut aussi considérer que l’emploi du texte révolutionnaire par le Conseil constitutionnel n’a pas eu pour objectif de définir la nature du droit de propriété mais uniquement d’utiliser le seul texte de rang constitutionnel lui permettant de protéger les propriétés publiques comme les propriétés privées.

138 Pour une analyse différente de cette lecture individualiste, voir : YOLKA (Ph.), La propriété publique, Eléments pour une théorie, op.cit., p. 574.

139 Voir par exemple BERNARD (L.), Du droit de propriété de l’Etat sur les biens du domaine public, Th., Sirey, 1910, p. 129 : à propos de la propriété de l’Etat « cette propriété sera analogue à la propriété des simples particuliers ; elle ne changera pas de forme parce qu’elle existe dans la sphère d’un autre droit ».

69. En tout état de cause, rien ne nous permet d’affirmer qu’il n’y aurait qu’une propriété de nature privatiste, étendue et aménagée pour les personnes publiques141. Il nous semble plus juste de considérer qu’il existe un droit fondamental de la propriété qui connaît deux régimes distincts, celui de la propriété privée et celui de la propriété publique ; les deux étant protégés par le même texte de rang constitutionnel. Les décisions du Conseil constitutionnel n’ont pas vocation à renseigner sur une nature « privatiste » d’un droit mais à préciser son statut de droit fondamental. On peut considérer aujourd’hui que malgré toutes les spécificités que peut comporter le droit de propriété des personnes publiques, « il ne s'agit que de l'exercice du droit de propriété, unique en son essence et de consécration constitutionnelle ; et il est naturel que l'identité du propriétaire, ce qu'il veut ou doit faire de son droit de propriétaire, retentisse sur les modalités d'exercice de celui-ci ».142

70. L’apport de la doctrine. A partir du XXème siècle, de nombreux auteurs ont « montré qu’il n’existait pas une incompatibilité de principe entre l’appartenance d’un bien d’une personne publique au domaine public et l’exercice par cette dernière d’un véritable droit de propriété sur ce bien, étant entendu, que ce droit sera, dans son exercice, adapté – donc limité – pour tenir compte des exigences de l’affectation du bien au public ou aux services publics »143. On doit à HAURIOU la construction la plus aboutie pour admettre l’existence d’un droit de propriété des personnes publiques sur l’ensemble de leurs biens144. Il développa l’idée que si l’on admettait que la personne publique maîtrisait l’affectation des biens, il était « absurde de soutenir qu’un bien qui est objet de propriété avant et après l’affectation cesse de l’être pendant la durée de celle-ci »145. Il réfuta aussi l’argument selon lequel les biens du domaine public appartenaient en réalité au public, destinataire de l’affectation de ces biens. En effet, « le public n’est pas propriétaire, puisqu’il n’a aucune existence juridique »146. En outre, il ne jouit de ces biens que parce que l’Etat y consent. Pour HAURIOU, le droit de propriété des personnes

141 PAULIAT (H.), op.cit., p. 196, « la propriété de l’Etat est donc une propriété avec des dérogations en plus et des dérogations en moins par rapport à la propriété privée ».

142 GAUDEMET, (Y.), « Pour une Acte II du droit des propriétés publiques », RJEP, 2014, n°715, repère 1. 143 LACHAUME (J.-F.), « L’évolution de la propriété publique », inL’évolution contemporaine du droit des biens, Troisièmes Journées Renée SAVATIER, PUF, 1990, p. 105.

144 Voir sur ce point notamment SFEZ (L.), Essai sur la contribution du doyen Hauriou au droit administratif français, Th., LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, vol. 77, 1966, p. 156 et s.

145 LAVROFF (D.G.), « Le domaine des collectivités locales – Introduction », Encyclopédie des collectivités locales, n°33.

publiques est de même nature qu’il porte sur le domaine privé ou public. Mais il diffère dans son exercice, puisque l’affectation à l’utilité publique qui caractérise les biens du domaine public limite certains aspects du droit de propriété. Il considère donc que « cette affectation se superpose à la propriété privée, dont elle modifie le régime »147. Notons qu’il ne s’agit pas encore d’une réelle théorie autonome de la propriété publique, puisque HAURIOU évoquait essentiellement l’adaptation de l’exercice de la propriété privée aux spécificités du domaine public, qu’il appelait propriété administrative. Il n’est pas encore question de créer un véritable droit de propriété publique, s’appliquant aussi bien sur le domaine public que privé148.

71. La construction d’une théorie de la propriété publique a pris forme sous la plume

du Professeur Philippe YOLKA149 et sur les autres thèses postérieures150. Bien que le statut de propriétaire des collectivités territoriales ne fasse désormais plus de doute, une réflexion d’ensemble sur la nature et sur la définition exacte de cette propriété publique était nécessaire pour achever cette reconnaissance.

72. Deux difficultés se présentaient pour la construction d’une théorie de la propriété

publique. La première était, et demeure toujours, que les auteurs ont construit la notion de propriété publique et ses caractéristiques autour de la notion privatiste de propriété. C’est pourquoi la nature de la propriété publique fait aujourd’hui autant débat, puisqu’elle invite à s’interroger sur ses similitudes et ses différences avec la propriété privée. Comme le remarque Benoît GARIDOU, la propriété publique « repose en fait sur une forte strate civiliste qui prive l’analyse de l’idée même d’une propriété originale »151. Et même l’approche désormais classique de la propriété publique se fondant sur l’affectation ne fait qu’adapter la propriété privée aux nécessités du droit public, mais ne réalise pas de construction

147 YOLKA (Ph.), ibid., p. 204.

148 GARIDOU (B.), Recherche sur la théorie de la propriété publique en droit administratif français, op.cit., p. 31-32. 149 YOLKA (Ph.), ibid.

150 CHAMARD (C.), La distinction des biens publics et des biens privés, Th., Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque des Thèses, vol. 33, 2004. ; GARIDOU (B.), Recherche sur la théorie de la propriété publique en droit administratif français, Th., Toulouse I, 2003 ; LENOIR (Y.), Les domaines de l’Etat et des autres collectivités publiques, Th., Sirey, 1966 ; MOYSAN (H.), Le droit de propriété des personnes publiques, Th., LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 219, 2001 ; SCHMALTZ (B.), Les personnes publiques propriétaires, Th., Lyon III, 2014 ; ROUX (Ch.),

Propriété publique et droit de l’Union Européenne, LDGJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 290, 2015. 151 GARIDOU (B.), ibid.

distincte. Que ce soit pour HAURIOU ou ses successeurs, « la notion même de droit de propriété est commune au droit privé et au droit public »152. Comme le résume le Professeur AUBY, cette difficulté à penser la propriété publique autrement qu’en la confrontant à la propriété privée vient de l’habitude historique de la posture différentialiste153 du droit administratif154. Or il est essentiel aujourd’hui d’accepter que la propriété publique « soit le droit commun propre des biens publics, non une déformation du droit privé des biens, lequel aurait un caractère naturel »155.

73. La deuxième difficulté concerne la notion de domanialité qui vient se superposer à

celle de propriété. La domanialité publique fait intervenir une notion qui a des difficultés à cohabiter avec la propriété publique : l’affectation. Si le domaine public se voit appliquer des règles particulières, c’est en raison de son affectation à une utilité publique. L’affectation explique la possession de nombreux biens par les personnes publiques156 et rendra inutile, au départ, toute réflexion sur la propriété. Sa cohabitation avec la propriété ne se passe donc pas sans heurts et a longtemps contribué à la difficulté d’envisager la propriété publique comme englobant l’ensemble des biens des personnes publiques. Pourtant, le domaine public ne peut être envisagé sans son rapport avec la propriété. Si les débats s’organisent autour de l’originalité de ce régime, son adaptation ou encore ses limites, les biens du domaine public ne peuvent être autre chose que « des objets de propriété comme les autres »157.

74. Le parti pris de l’analyse actuelle de la propriété publique est de se placer dans une logique organique, et donc de rattacher la notion à son titulaire, la personne publique. En effet, « à la question qu’est-ce que la propriété publique ? La réponse publiciste actuelle consiste alors à

152 HUBRECHT (H.-G.), « L’exorbitance du droit des propriétés publiques », in L’exorbitance du droit administratif en question(s), Etudes réunies par MELLERAY (F.), LGDJ, 2004, p. 221.

153 AUBY (J.-B.), « Propriété et gestion domaniale », Dr. Adm., 2011, n°7, repère 7.

154 Voir HUBRECHT (H.-G.), « L’exorbitance du droit des propriétés publiques », op.cit., p. 219 ; SAILLANT (E.), L’exorbitance en droit public, Th., Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèques des thèses, vol. 109, 2011. 155 AUBY (J.-B.), « Propriété et gestion domaniale », op.cit.

156 Voir aussi le lien entre affectation, domanialité et service public, qui a tout autant contribué à ralentir la construction d’une théorie de la propriété publique (GARIDOU (B.), op.cit., p. 132).

157 CHAMARD-HEIM (C.), « Les frontières de la propriété. Le domaine public », Droit et Ville, 2006, n°61, p. 123.

définir […] qu’elle est : la propriété des personnes publiques »158. Pour dépasser la notion de domanialité, il était essentiel d’admettre l’existence d’un « droit unitaire commun à tous les biens qui appartiennent à une personne publique et qui suffit, a priori, à assurer leur distinction avec les propriétés des personnes privées »159. Mais on constate encore aujourd’hui que dans de nombreux écrits la théorie de la propriété publique ne se départit ni de l’influence privatiste ni du lien avec la domanialité160. La propriété publique continue d’être envisagée à travers le prisme privatiste, tant dans ses effets que dans le vocable utilisé.

75. Toutefois, la spécificité reconnue au droit de propriété des personnes publiques a

connu une grande avancée ces dernières années. Comme le remarque M. GARIDOU, « la

personnalité morale des personnes publiques s’impose désormais comme l’alpha et l’oméga des fondements de la propriété publique »161. Attribuée au Professeur YOLKA, l’analyse contemporaine fonde désormais la propriété des personnes publiques sur la personnalité morale de ces dernières, décrite de façon limpide par la formule « une propriété est dite privée lorsqu’elle appartient à une personne privée ; elle doit être regardée comme publique lorsqu’elle appartient à une personne publique »162. Cette mise en avant du critère organique a permis de consolider l’importance de la reconnaissance formelle de la qualité de propriétaire des collectivités territoriales.

76. De toute évidence, la doctrine ne permet pas de trancher le débat entre un droit

de propriété de nature privatiste ou à une véritable propriété publique et même « le droit positif peut […] être mobilisé tant pro que contra »163. On peut tout de même remarquer la tendance à reconnaître un droit de propriété propre aux personnes publiques, certes « d’une spécificité relative »164 mais prenant en compte les exigences particulières liées à la

158 GARIDOU (B.), op.cit., p. 26.

159 HUBRECHT (H.-G.), op.cit., p. 221-222.

160 Voir néanmoins les propositions de certains auteurs pour transposer la notion de « trust », DAVID (C.), « Pour une approche renouvelée du droit français de la domanialité publique », LPA, 17 août 2007, n°165, p. 3 ; LAVIALLE (Ch.), « Des rapports entre la domanialité publique et le régime des fondations »,

RDP, 1990, p. 469.

161 GARIDOU (B.), op.cit., p.217. 162 YOLKA (Ph.), op.cit., p.562.

163 YOLKA (Ph.), « La propriété des dépendances du domaine public », in Les grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, n°1, p. 13.

personnalité publique. En réalité, on voit aujourd’hui s’affronter une lecture privatiste de la propriété publique et une construction autonome de cette propriété marquée par la personnalité juridique de son titulaire165. Cette contradiction « n’est pas purement intellectuelle, ses conséquences pratiques étant tout sauf négligeables dès lors que la première vision justifie une valorisation renforcée des propriétés publiques et la réduction continue des spécificités de leur régime juridique, tandis que la seconde affirme l’irréductibilité de la matière aux logiques économiques et marchandes »166.

77. Le CG3P a réussi à s’insérer dans cette tendance en alliant valorisation et

Documents relatifs