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L’originalité d’une énumération illustrant la définition générale

340. L’article L. 2112-1 ne se contente pas d’énoncer une nouvelle définition échappant

aux anciens critères jugés inopérants, il y ajoute une liste de onze items.

341. L’emploi d’une méthode simultanément conceptuelle et énumérative n’est pas une

nouveauté en droit des biens publics, le nouveau code l’employant même pour le patrimoine immobilier599. Les limites d’une définition conceptuelle du domaine public, qu’il soit immobilier ou mobilier, se trouvent dans les conséquences importantes de la soumission des biens au régime de la domanialité publique. Les notions utilisées de tout temps – service public, affectation, intérêt général – comporte le risque d’étendre considérablement le champ du domaine public et donc une catégorie de biens plus difficiles à gérer pour les propriétaires publics. Pour le patrimoine mobilier, le problème de la définition conceptuelle est facilement perceptible puisque la différence entre un bien meuble usuel et un bien meuble particulier résulte de ses qualités intrinsèques, qualités qui restent néanmoins variables en fonction de l’époque, de l’usage du bien… En réalité, « la soumission au nom d’une définition conceptuelle de l’ensemble des biens mobiliers au régime particulièrement protecteur du domaine public a toujours fait problème, la seule conceptualisation réductrice reposant sur la notion passablement floue de bien remplaçable ou bien, au contraire, irremplaçable »600.

342. La coexistence d’une définition conceptuelle et énumérative peut avoir plusieurs justifications mais la principale reste celle de pallier les insuffisances d’une définition uniquement conceptuelle, peu opérante face à la diversité des situations juridiques en matière de biens. WALINE faisait déjà le constat que « les besoins publics ne sont pas les mêmes partout et toujours et [que] les moyens employés pour les satisfaire varient également selon les contingences historiques et géographiques »601. La définition du patrimoine public, mobilier et immobilier,

599 HUBRECHT (H.), « Faut-il définir le domaine public et comment ? Méthode énumérative et méthode conceptuelle », AJDA, 2005, p.598.

600Ibid.

s’est alors rapidement accompagnée d’une énumération, souvent législative, de biens répondant ou non aux critères choisis.

343. Mais l’originalité de l’article L. 2112-1 est que cette double méthode de définition est contenue dans le même article et « qu’il s’agit là d’une combinaison inédite […] jusqu’à l’adoption du nouveau code, ni le législateur, ni le juge n’avaient explicitement mêlé ces deux approches pour définir le domaine public »602. Se trouvent alors mis en exemple plusieurs types de biens mobiliers comme les archives publiques, les biens culturels maritimes de nature mobilière, les collections de musées ou encore les collections de documents anciens, rares ou précieux des bibliothèques. Dans le cas de l’article L. 2112-1, la liste énoncée ressemble plus à « un bazar juridique, un inventaire à la Prévert […] elle ne saurait accoucher d’une authentique définition, sauf à tenir pour telle (ce qui n’est pas tenable) un catalogue purement indicatif »603.

344. Il est possible d’estimer que les onze items ne sont que des exemples d’application de la nouvelle définition. L’énumération n’a donc pas ici vocation à ajouter des exceptions à la définition conceptuelle. Il n’y a en réalité que peu de doutes sur l’application du régime de la domanialité publique à chacun des onze items qui présentent tous un des aspects de cet intérêt public évoqué par le nouvel article L. 2112-1 du CG3P.

Le Professeur DE DAVID BEAUREGARD-BERTHIER classe en six catégories les biens

listés par le nouvel article et pour chacune d’elle précise que l’appartenance au domaine public de ces biens était soit déjà acquise par le droit positif, soit répond sans problème au critère de l’intérêt public604. La liste voulue par les rédacteurs du code apporte certes des précisions, mais celles-ci étaient déjà contenues dans la définition conceptuelle. De l’aveu même des rédacteurs du code, « ces items ne constituent pas un élément de définition du domaine public mobilier qui viendrait s’ajouter à la définition générale mais […] il s’agit de parties comprises dans cette définition et identifiées par le législateur »605.

602 DAVID BEAUREGARD-BERTHIER (O.)DE, op.cit., p. 120-121.

603 YOLKA (Ph.), « Les meubles de l’Administration », AJDA, 2007, p. 964. 604 DAVID BEAUREGARD-BERTHIER (O.)DE, op.cit., p. 123-127.

345. Faut-il pour autant estimer que ces onze items sont superflus ? Il est permis d’en douter. L’avantage pratique de cette liste ne doit pas être négligé. En s’appuyant sur un nouveau critère de définition, le CG3P s’éloigne des développements antérieurs de la doctrine et de la jurisprudence. Si les précisions apportées par le code auraient pu être faites ultérieurement par la jurisprudence, il n’est pas inutile de les apporter dès l’entrée en vigueur de cette nouvelle définition.

346. La conjugaison d’un critère d’identification restrictif et d’une illustration de celui-ci par l’ajout d’une énumération de biens mobiliers appartenant au domaine public permet d’avoir un domaine public mobilier très délimité et de basculer la grande majorité des biens mobiliers dans le domaine privé.

§2 – L’application restrictive du critère de l’intérêt public culturel

347. Le rapport accompagnant l’ordonnance de codification du droit des propriétés publiques est clair, « pour la première fois, la consistance des biens culturels relevant du domaine public mobilier est précisée »606. Il nous semble pourtant difficile d’être aussi catégorique. L’apparition d’un nouveau critère, celui de l’intérêt public, exige forcément de s’interroger sur sa signification et cela d’autant plus que les collectivités propriétaires doivent désormais manier deux concepts différents entre leur patrimoine immobilier et mobilier. La lecture de l’article L. 2112-1 oriente fortement le nouveau critère choisi vers un intérêt public culturel, à la fois distinct de la notion classique utilisée par le code du patrimoine et proche de sa finalité de protection de certains biens (A).

348. La conséquence principale de cette nouvelle définition du domaine public mobilier

est qu’elle exclut de son champ d’application des biens mobiliers qui auraient pu se voir appliquer le régime de la domanialité publique. Il est possible d’envisager une future extension de la définition choisie par le code mais elle reste relativement mineure. Le resserrement du champ de la domanialité publique est ainsi parfaitement réalisé pour les

606 RAPPORT AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE relatif à l’ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.

biens mobiliers et évite d’y intégrer la grande majorité des biens mobiliers ne nécessitant pas de protection particulière, dont, en priorité, le patrimoine immatériel (B).

A – L’identification complexe de la notion d’intérêt public culturel

349. Pour le CG3P, l’intérêt public qui permet à un bien mobilier d’être protégé par le

régime de la domanialité publique s’apprécie « du point du vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Les dispositions du code du patrimoine607 ont largement inspiré les rédacteurs du nouveau code sans que l’assimilation soit complètement satisfaisante. En effet, « la notion de patrimoine, même au sens restrictif du code du patrimoine, est à la fois plus large et plus étroite que celle de domaine public mobilier »608. Plus large car la notion de patrimoine regroupe aussi des propriétés immobilières ainsi que des propriétés privées ; plus étroite car, on le verra, l’intérêt public choisi ne permet sans doute pas de regrouper tout le patrimoine mobilier qui nécessiterait la protection du régime de la domanialité publique. Il est aussi certain que la parentalité entre les deux articles a provoqué le même type de critiques609. Les dispositions du code du patrimoine ne permettent pas de saisir complètement ce que recouvre la notion d’intérêt public choisi par le CG3P (1).

350. Il est alors nécessaire de recourir à d’autres notions pouvant aider à le définir. Si l’intérêt public se définit classiquement comme « ce qui est pour le bien public, à l’avantage de tous »610, l’intérêt public de l’article L. 2112-1 est bien plus complexe à identifier (2).

607 Article L.1 du Code du patrimoine : « le patrimoine s'entend, au sens du présent code, de l'ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ».

608 DAVID BEAUREGARD-BERTHIER (O.)DE, op.cit., p. 121.

609 Voir PONTIER (J.-M.), « Le code du patrimoine », AJDA, 2004, p. 330. 610 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, PUF, 2009.

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