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§1 – Une connaissance imparfaite du patrimoine local

1. Les freins propres aux collectivités territoriales

100. Plusieurs raisons expliquent les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales dans l’objectif d’une meilleure connaissance de leur patrimoine. Elles tiennent autant à leur structure spécifique qu’aux dispositions juridiques leurs permettant d’effectuer une identification précise de l’ensemble de leurs biens.

206 COUR DES COMPTES, Rapport public sur la certification des comptes de l’Etat, 2008.

207 Référé de la Cour des comptes n°71427 du 19 mars 2015, en ligne [https://www.ccomptes.fr/Publications/ Publications/Bilan-de-la-politique-immobiliere-de-l-Etat]. PAULIAT (H.), « Cour des comptes et politique immobilière de l’Etat : en progrès, mais peut mieux faire ! », JCP éd. A, 2015, n°16, act. 349.

208 Rapport AN n°2474 sur la gestion des réserves et des dépôts des musées, 2014.

209 Sur la question voir LEVOYER (L.), « L’imparfaite connaissance du patrimoine immobilier de l’Etat »,

RDI, 2009, p. 531 ; TANCHOUX (Ph.), « Le monument historique, « modèle étalon » de la politique patrimoniale française du XIXème siècle ? », AJDA, 2013, p. 2076.

101. Difficultés liées à la décentralisation. Les situations complexes créées par la décentralisation ne permettent pas d’avoir un aperçu simple des biens qui sont entrés dans leur patrimoine. Le patrimoine local n’a cessé de s’élargir au fil des transferts de compétences mais les statuts juridiques des biens, supports des compétences, ont grandement contribué à complexifier l’identification de ce patrimoine local. Entre mise à disposition, transfert de propriété automatique ou sur demande de la collectivité, création d’entités spécifiques à la gestion de nouveaux biens, les collectivités territoriales peinent à suivre le rythme dans le recensement de leur patrimoine en perpétuel mouvement.

102. Le transfert en pleine propriété pour les biens qui sont le support des nouvelles compétences décentralisées a pris énormément de retard depuis 2008, notamment en matière scolaire où de nombreuses collectivités sont encore en cours d’acquisition des collèges et lycées211. Il en va de même de la mise à disposition et du transfert de propriété de biens aux établissements publics de coopération intercommunale qui n’ont pas toujours pris acte de ces mouvements dans l’évaluation de leur patrimoine. A cela s’ajoutent les difficultés historiques à retracer l’acquisition de certains biens et à l’imprécision des documents les plus anciens. Même le cadastre ne permet pas une information fiable et actuelle sur l’état des propriétés et les mouvements effectués sur le patrimoine. La complexité de la situation n’est pas avantagée par la situation patrimoniale de l’Etat. A ce propos, la Cour des comptes relève que « l’incertitude sur la propriété peut aussi provenir du fait que l’appartenance au patrimoine public de l’Etat n’a pas pu être confirmée par le service »212. On notera tout de même que l’Etat a engagé en 2007 une véritable politique immobilière à destination de ses opérateurs et exige notamment un inventaire physique fiable de leur patrimoine respectif213.

211 COUR DES COMPTES, Rapport public annuel 2013, op.cit., p. 288. 212Ibid, p. 289.

213 TESSIER (A.), « La politique immobilière des opérateurs de l’Etat », in Mélanges FATOME, Dalloz, 2011, p. 435.

103. Difficultés liées à l’organisation interne de la collectivité. Une autre problématique doit aussi être mise en lumière, celle du service dédié au recensement du patrimoine au sein d’une collectivité. La plupart du temps, la gestion immobilière est réalisée par divers services – juridiques ou techniques – et participe alors à la difficulté d’une connaissance exhaustive des mouvements patrimoniaux. Si le cas des petites collectivités est le plus souvent marqué par un manque d’expertise, les plus grandes souffrent davantage d’un enchevêtrement des services. La Cour des comptes a observé le schéma classique d’organisation : « la direction de l’urbanisme gère les dossiers de ventes et d’acquisitions immobilières ; la direction du patrimoine assure le suivi physique des biens ; la direction des finances assure le suivi comptable ; les directions opérationnelles assurent la gestion ‘‘quotidienne’’ des biens ; la direction de l’enseignement des régions et des départements est compétente en matière de patrimoine scolaire »214. A cela s’ajoute le recours souvent nécessaire à un notaire afin de clarifier les situations patrimoniales les plus complexes.

104. Il est alors évident que la multiplication des services compétents en matière patrimoniale complique le recensement du patrimoine, la mise à jour en fonction des mouvements d’acquisition, de travaux ou même de connaissance du patrimoine immobilier non exploité. Elle empêche aussi une vision d’ensemble du patrimoine appartenant à une collectivité, chaque direction ayant « le sentiment d’être propriétaire de son bâti »215.

105. Une possibilité de mutualisation des services est pourtant prévue par l’article L. 5211-4-2 du CGCT lors de la création d’un établissement public de coopération intercommunale. La Cour des comptes a alors tout naturellement recommandé de favoriser la mutualisation des services au sein d’un établissement public pour « la mise en œuvre et la coordination de leurs politiques immobilières respectives »216.

214 COUR DES COMPTES, Rapport public annuel 2013, op.cit., p. 295.

215 GERBEAUD (D.), CABELLIC (M.), PAQUIER (J.), « Agir. Gérer n’est pas uniquement céder », Gaz. Cnes., 8 mai 2006, n°1837, p. 28.

106. Difficultés liées au manque de valorisation de cette opération. Il y aurait aussi un effort à effectuer sur la valorisation de cette obligation de connaissance du patrimoine auprès des élus. Non seulement les collectivités ont tendance à accumuler les biens mais elles ne cessent de faire perdurer l’image de l’élu-bâtisseur217. Ainsi, « les collectivités ont été conçues pour bâtir et les élus persistent à penser qu’ils doivent laisserleur trace »218. Il est essentiel d’inverser aujourd’hui la tendance en apprenant à maîtriser le patrimoine existant, à le rentabiliser mais aussi à valoriser les opérations de réaménagement ou d’entretien des immeubles existants. Certaines opérations de recensement sont particulièrement complexes. La voirie par exemple accumule les difficultés liées aux problèmes de délimitation, aux nombreux transferts successifs et à l’importance quantitative des dépendances. De plus, la stratégie patrimoniale sur ce type de dépendance n’est guère valorisante pour un élu puisque l’investissement reste peu rentable et le public peu soucieux de ce type de bien219.

107. Difficultés liées à la diversité des règles juridiques. Enfin, les outils juridiques à disposition des collectivités territoriales pour identifier leur patrimoine ont largement contribué à retarder ce recensement. Avant l’adoption du CG3P, les règles relatives à la composition du patrimoine local étaient entièrement éparpillées. Le service en charge du recensement des biens au sein d’une collectivité devait appréhender les définitions codifiées dans le code général des collectivités territoriales, les définitions spécifiques codifiées à part (code de la voirie routière, code du patrimoine, code des ports maritimes, etc.), les règles ponctuelles prévues par le législateur et enfin, et non des moindres, les définitions générales élaborées par le juge administratif (définition du domaine public, théorie de l’accessoire, théorie du domaine public virtuel, etc.).

108. La principale difficulté réside dans le fait que les collectivités territoriales disposent d’un patrimoine « disparate dans leur nature et dans leur destination, [et] comme les biens de toute

217 PAQUIER (J.), « La gestion du patrimoine à l’âge de pierre », Gaz. Cnes., 3 juin 2003, p. 48. 218Ibid.

219 Rapport Gestion dynamique du patrimoine – De nouvelles marges de manœuvre pour les villes moyennes, Fédération des Maires des villes moyennes, 2008, p. 42. Disponible sur [http://www.villesmoyennes.asso.fr].

personne publique, […] également disparate dans leur régime »220. Le recensement exhaustif de l’ensemble de son patrimoine suppose, pour une collectivité, d’avoir la capacité de manier facilement les critères d’identification afin de pouvoir préciser le régime juridique applicable et d’en tirer les conséquences sur les modalités de gestion appropriées. Le régime de la domanialité publique implique effectivement des solutions de gestion différentes et largement développées par le CG3P, mais leur mise en place dépend entièrement du recensement effectué au sein d’une collectivité. Or, la multiplication des sources juridiques a joué un frein important dans l’intérêt et la réalisation d’un inventaire complet du patrimoine local.

109. A côté de ces raisons pratiques expliquant la méconnaissance du patrimoine local,

il faut souligner que rien dans le droit positif ne contraint réellement les collectivités territoriales à inventorier leurs biens.

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