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369. La nouvelle conception du domaine public mobilier posée par le CG3P posera sans aucun doute des difficultés pour des biens mobiliers particuliers qui concourent à l’exercice d’un service public mais qui ne présentent pas en soi d’intérêt public particulier. Il est en effet difficile d’admettre « qu’il n’existe pas de meubles entrant dans cette catégorie et méritant d’être soumis au régime protecteur de la domanialité publique »632.

631 CLAMOUR (G.), « Liberté contractuelle et propriété publique mobilière », in Contrat et propriété publics, Actes du colloque de Montpellier des 28 et 29 avril 2011, (Dir.) CLAMOUR (G.), LexisNexis, 2011, p. 237. 632 MELLERAY (F.), « Le code général de la propriété des personnes publiques. Définitions et critères du domaine public », RFDA, 2006, p. 906.

370. Tel est le cas des navires de l’armée633 ou encore des chevaux des Haras nationaux634. Ce type de bien a, en réalité, été complètement exclu de la définition de l’article L. 2112-1. Celui-ci n’entend protéger que les biens qui peuvent être considérés comme objet même du service public car il présente un intérêt public « culturel » mais laisse complètement de côté les biens mobiliers indispensables au fonctionnement du service public. Alors qu’avant l’entrée en vigueur du code, on pouvait penser que, par exemple, les chevaux des Haras étaient considérés comme consubstantiels au service public, « en ce sens que le bien meuble est non seulement un moyen indispensable à la personne publique pour remplir sa mission de service public mais en outre il ne peut être remplacé aisément et immédiatement »635. Désormais, le CG3P a entendu exclure cet aspect du domaine public mobilier. Concernant les matériels de l’armée, la confusion règne encore. La plupart des auteurs font une distinction entre le matériel courant et celui qui est plus rare ou très spécifique636. La législation récente semble aller dans ce sens en instituant des procédures d’aliénation particulières pour certains types de matériels637.

371. Le fondement sur lequel ce type de bien pourra alors être soumis à la domanialité

publique est assez complexe à trouver. Plusieurs choix pourraient s’offrir au juge face à de tels biens qui n’entreraient pas directement dans le champ de l’article L. 2112-1.

372. Il est d’abord possible d’interpréter de façon extensive un des qualificatifs de l’intérêt public de l’article L. 2112-1, notamment les intérêts scientifiques et techniques qui sont susceptibles d’accueillir des biens de nature très variée638. En ce qui concerne les chevaux des Haras, « le maintien d’une race menacée d’extinction présente un intérêt scientifique

633 BACHELIER (G.), « Existe-t-il un domaine public mobilier ? », concl. sur CE, 28 mai 2004, Aéroports de Paris, BJCL, n°9, 2004, p. 632.

634 CARIUS (M.), « Les étalons de la République – Contribution à l’étude du domaine public mobilier »,

Droit rural, n°357, Novembre 2007, 7. Sur la question des animaux au sein du service public, voir CANEDO (M.), « Les animaux du service public, état des lieux », in Mélanges LACHAUME, Dalloz, 2007, p. 165.

635 BACHELIER (G.), op.cit.

636 WALINE faisait déjà la distinction entre les chevaux de l’Armée, facilement remplaçables et le matériel spécifique tel que les chars ou canons sous l’arrêt CA Nîmes, 4 déc. 1944, État français c/ Brun ; D., 1946, p. 28.

637 Sur la question voir YOLKA (Ph.), « Domaine public mobilier – Matériels de guerre », J.-Cl. Propriétés publiques, LexisNexis,fasc. n°45, spéc. n°115.

important »639 mais cela sera sans doute difficile à admettre pour l’ensemble des équidés, sans étendre artificiellement cette catégorie. Pour le matériel de guerre, il est relativement facile de penser que le matériel le plus spécifique, le plus rare ou le plus onéreux pourra revêtir un intérêt technique ou scientifique permettant de l’incorporer dans le domaine public.

373. Ensuite, certains auteurs estiment que l’adverbe « notamment » pourrait signifier que d’autres biens, qui ne présentent pas un des qualificatifs énoncés, pourraient se voir soumis au régime de la domanialité publique640. En effet, on peut se demander si la nouvelle définition « ne garde pas un rôle subsidiaire ou si l’article L. 2112-1 épuise entièrement la catégorie du domaine public mobilier »641. En réalité la rédaction de l’article L. 2112-1 laisse penser que l’adverbe « notamment » sert uniquement à assurer que la liste des onze items

n’est pas exhaustive mais qu’elle pourra être complétée si le bien en question présente bien la première des caractéristiques, à savoir un des qualificatifs de l’intérêt public. Comme le souligne les rédacteurs du code, il ne s’agit que d’une liste d’illustrations qui pourra être complétée comme par exemple pour « la collection de papillons du Muséum d’Histoire Naturelle »642. Il nous semble difficile de justifier que l’article L. 2112-1 puisse admettre d’autres types d’intérêts pour soumettre un bien mobilier au régime de la domanialité publique sans modifier totalement l’intention du codificateur. L’adverbe « notamment » ne touche pas l’intérêt public mais bien l’énumération qui suit.

374. Une jurisprudence intéressante a été prise par le tribunal administratif de Paris en 2011643. S’interrogeant sur la qualification juridique à donner à des participations financières ultra-minoritaires détenues par un département dans une société autoroutière, le Tribunal précise qu’elles ne présentent aucun intérêt public culturel au sens de l’article L. 2112-1 du CG3P. Cependant, il ajoute que ces participations financières ne peuvent pas non plus être soumises au régime de la domanialité publique sur un autre fondement

639 CARIUS (M.), op.cit.

640 ROHAN (P.-A.), LEONETTI (R.), « Vers une définition prétorienne d’un domaine public mobilier praeter legem : à propos de l’affaire APRR », AJDA, 2012, p. 208 ; CLAMOUR (G.), op.cit. ; FOULQUIER (N.), op.cit.

641 FOULQUIER (N.), ibid.

642 MAUGÜE (Ch.), BACHELIER (G.), « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques », AJDA, 2006, p. 1073.

puisqu’il suppose « qu’indépendamment des biens visés par ces dispositions, d’autres biens publics puissent également, à titre exceptionnel, être intégrés au domaine public mobilier en raison de leur intérêt public éminent ». Le tribunal considère donc que d’autres biens meubles pourront faire partie du domaine public non sur une extension des qualificatifs mais sur cette notion d’intérêt public éminent. De l’aveu même des rédacteurs du code, « il ne s'agit pas d'une définition fermée […] il n'est donc pas exclu que la jurisprudence juge, comme elle l'a déjà fait, que dans certaines circonstances particulières, d'autres biens meubles puissent être regardés comme relevant du domaine public mobilier »644. Cela signifierait que l’article L. 2112-1 du CG3P ne balise pas le périmètre du domaine public mobilier et que son identification pourrait se faire, à l’avenir, sur d’autres critères.

375. En l’espèce, le Conseil d’Etat semble suivre une troisième voie, celle de la banalisation du domaine public mobilier645. Lors d’une affaire sur des photographies d’œuvres d’art, il estime que « cette activité [la photographie d’œuvres du domaine public mobilier] demeure compatible avec l’affectation des œuvres au service public culturel et avec leur conservation ». L’article L. 2112-1 avait souhaité mettre fin à l’unité d’identification du patrimoine immobilier et mobilier, notamment en excluant complètement la référence à la notion d’affectation pour ce dernier. Le Conseil d’Etat revient ici sur l’intention des rédacteurs du code et limite fortement l’originalité de l’identification du domaine public mobilier.

376. La réintroduction d’une dose d’affectation dans l’identification des biens mobiliers particuliers nous semble être une erreur. La jurisprudence et la doctrine ont montré à plusieurs reprises l’incapacité des critères classiques d’identification des biens immobiliers à pouvoir englober la totalité du domaine public mobilier et surtout à satisfaire la finalité de leur protection. Encore une fois, les biens mobiliers présentant un intérêt public particulier ne sont pas dans une logique d’affectation mais dans une logique de préservation.

644 MAUGÜE (Ch.), BACHELIER (G.), op.cit.

645 CE, 29 octobre 2012, Commune de Tours, n°341173, Rec. p. 368 ; FOULQUIER (N.), « Les photographies du domaine public mobilier », AJDA, 2013, p. 111.

Même si les œuvres d’art servent le service public culturel646, elles ne nécessitent pas une protection renforcée afin de garantir son fonctionnement mais uniquement pour leur propre conservation. Même sans affectation concrète, elles doivent être soumises aux principes protecteurs de la domanialité publique, afin d’assurer leur conservation et leur transmission aux générations futures.

377. L’excuse de l’unité du domaine public ne convainc guère. La plupart des auteurs

semblent d’accord pour critiquer la théorie du domaine public en plaidant l’hétérogénéité des biens appartenant à une personne publique, allant jusqu’à proposer une échelle de la domanialité publique. Pourquoi faudrait-il alors créer une unité tout aussi artificielle entre les biens immobiliers et les biens mobiliers ? Le chemin vers un régime juridique plus cohérent ne nous semble pas être celui de l’unité mais bien davantage celui de la prise en compte de la diversité des situations domaniales. Le domaine public mobilier ne répond pas aux mêmes exigences que le domaine public immobilier, il ne devrait pas répondre aux mêmes critères d’identification.

378. Il a été souligné que cette position n’est en réalité que la reprise de l’article L. 2121-1 du CG3P sur l’utilisation du domaine public, qui précise que « les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l’utilité publique […] »647. Dans ce cas, la solution ne vise que l’unité du régime d’utilisation du domaine public et non son identification. Cette unité-là est justifiée car « ce qui est en la matière déterminant est la domanialité publique du bien et non sa nature mobilière ou immobilière »648. Mais à notre avis, ce n’est pas parce que le régime d’utilisation n’a pas pris en compte la particularité des biens mobiliers que cela justifie de réintroduire la notion d’affectation dans sa définition.

379. En matière d’identification, il nous semble alors plus cohérent d’envisager un développement des différents qualificatifs de l’intérêt public pour permettre au juge d’incorporer au domaine public certains biens mobiliers particuliers, notamment sur le

646 PONTIER (J.-M.), « Le service public culturel existe-t-il ? », AJDA, numéro spécial « Culture et service public : quelles évolutions pour les interventions culturelles des collectivités publiques », 2000, p. 8. 647 FOULQUIER (N.), op.cit.

648 LAVIALLE (Ch.), « La condition et la fonction des meubles en droit administratif des biens », RFDA, 2013, p. 251.

fondement de l’intérêt scientifique ou technique. Les biens mobiliers particuliers doivent pouvoir prétendre à la protection du régime de la domanialité publique sans condition supplémentaire à leur qualité intrinsèque, au regard de l’importance qu’ils ont dans notre société et pour les générations futures.

380. Cela correspondrait d’autant plus à la codification opérée par le CG3P que le caractère restrictif de l’intérêt public culturel permet d’exclure un type de bien particulier : le patrimoine immatériel. Le droit a encore des difficultés à saisir la consistance de ce patrimoine et à poser des critères d’identification claires pour les propriétaires publics mais son exclusion du champ de la domanialité publique nous semble justifiée.

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