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RANG DES ESCLAVES DANS LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 111-126)

I

Par les raisons et dans les limites que j'ai indiquées, l'Église primitive laissa subsister l'esclavage dans la société civile et s'abstint de rien entreprendre contre les droits des maîtres. Mais elle l'abolit absolument et immédiatement dans ce qui était son domaine propre, dans la société spirituelle et surnaturelle des chrétiens.

Dès les premiers jours de la prédication évangélique, les esclaves eurent les mêmes droits que les maîtres à la réception des sacrements ; ils prirent part à un titre égal aux assemblées religieuses ; les rangs du clergé leur furent ouverts aussi facilement qu'aux hommes libres ; ils partagèrent avec ceux-ci la sépulture offerte par l'Église dans ses cimetières à tous ceux qui avaient reçu le baptême.

Cela nous paraît tout naturel : au Ier siècle de notre ère, c'était une révolution.

Bien que l'accès des temples ne fût pas interdit aux esclaves, les mœurs les tenaient à l'écart de la religion officielle de Rome. Ce n'était pas par crainte qu'un enseignement religieux trop élevé n'excitât leurs âmes : le culte romain n'avait ni dogmes ni morale, il se composait de rites purement extérieurs, ritum ad solos digitos pertinentem, selon l'expression de Lactance1. Mais il semblait aux hommes libres que la différence des conditions ne permît pas d'admettre les esclaves à un partage égal des émotions religieuses, si superficielles qu'elles fussent. Caton veut que le père de famille offre seul des sacrifices au nom de sa maison2. Minutius Félix dit que l'assistance à certaines cérémonies religieuses était interdite aux esclaves3. Cicéron fait un crime à Clodius d'avoir, en donnant comme édile les ludi megalenses en l'honneur de la Mère des dieux, permis aux esclaves d'y assister ; et il attribue à leur présence sacrilège de mauvais présages arrivés dans ce temps-là4. Les esclaves n'ont pas de religion, ou n'ont que des religions étrangères, disait Cassius au sénat sous le règne de Néron5. Sénèque le rhéteur met en scène un esclave qui a sauvé la fille de son maître et à qui, pour prix de son dévouement, celui-ci la donne en mariage ; toute la ville est ameutée contre ce père : on l'accuse de démence. L'un des arguments invoqués pour rompre le mariage est le suivant : Un mari doit faire partager à sa femme son culte et son foyer, cui sacra aliqua et penetralia ubi deducatur uxor6

; or un esclave n'a ni foyer ni culte. En dehors des juifs, très-nombreux à Rome, et de ceux qui avaient conservé de leur pays d'origine quelqu'une de ces superstitions étrangères si répandues sous l'empire, la plupart des esclaves s'adonnaient à des cultes secondaires, à de naïves superstitions qui n'avaient souvent de religieux que le nom. Ils offraient des sacrifices aux lares, aux divinités des carrefours, aux dieux champêtres, surtout au bon Sylvain, à qui

1 Lactance, Div. Instit., V, 20.

2 Caton, De Re rust., 143.

3 Minutius Félix, Octavius, 24.

4 Cicéron, De harus. resp., 11, 12.

5 Tacite, Ann., XIV, 44.

6 Sénèque, Controv., III, 21.

Caton leur permet de demander la santé des bœufs1, mais à qui ils préféraient, aux dépens même de leur pécule, faire des vœux pour obtenir la liberté2. Souvent ils formaient entre eux des confréries destinées à honorer le génie de leur maitre, les images de ses ancêtres et ses trophées domestiques3. Ils entraient en grand nombre dans les petits collèges, collegia tenuiorum, composés d'esclaves et de gens du menu peuple, où le culte de quelque divinité servait de lien entre les associés4. Il semble que la partie humble, chétive, populaire de la religion romaine leur ait été abandonnée ; entre la religion de l'esclave et celle du maître il y a la même différence qu'entre la condition de l'un et de l'autre. L'homme libre est seul en possession des sacerdoces, des sacrifices, de l'autorité religieuse ; l'esclave voit de loin, quand on le lui permet, la pompe du culte national, il a son culte à lui, ses dévotions, ses humbles confréries. L'égalité religieuse entre le patricien et l'esclave, ou seulement entre l'homme libre et l'esclave, n'existe pas en réalité.

L'Église chrétienne l'établit par l'admission de tous au baptême. Nous avons tous été baptisés en un seul esprit, dit saint Paul, et formés en un seul corps, juifs et gentils, esclaves et libres5.

En ouvrant avec la plus grande libéralité cette source de vie surnaturelle, l'Église primitive conserva la prudence qui est un des caractères les plus remarquables de son action dans tout ce qui a trait à l'esclavage. Les chefs de la société chrétienne cherchaient moins le grand nombre des conversions que leur sincérité. Tandis que le prosélytisme juif, à cette époque, est célèbre par ses allures importunes, celui des chrétiens offre une réserve délicate. Le clergé primitif n'admettait au baptême que des hommes dont les motifs avaient été reconnus purs. Dans son traité sur le catéchisme tel qu'il doit être fait aux ignorants, saint Augustin pose à cet égard des règles qui étaient certainement en usage longtemps avant lui. Il faut, dit-il, examiner si ceux qui demandent le baptême cherchent par là à obtenir de quelque personne des avantages temporels ou à échapper à des maux qu'ils redoutent6. Cela s'applique aux esclaves de maîtres chrétiens, qui pouvaient être poussés vers le baptême par le désir de gagner la faveur de ceux-ci. Saint Cyrille de Jérusalem dit plus explicitement : Il arrive quelquefois qu'un homme qui désire plaire à une chrétienne, ou une femme qui veut gagner le cœur d'un chrétien, demande le baptême. De même un esclave voulant plaire à son maître7. Cette crainte se manifeste dans une disposition que nous ont conservée les Constitutions apostoliques : Si l'esclave d'un chrétien se présente pour le baptême, que le prêtre ou l'évêque recueille d'abord le témoignage de son maître, l'admette si ce témoignage est favorable, sinon l'ajourne jusqu'à ce que le maître rende de lui un témoignage meilleur8. Les Constitutions ne reproduisent pas cette règle pour le cas où l'esclave appartient à un païen ; elles disent seulement : Si celui qui se

1 Caton, De Re rust., 83.

2 Orelli, 1590, 1592 ; Henzen, 5740, 5750, 5752, 5754.

3 Orelli, 2411, 2412, 2414 ; Henzen, 7196.

4 Marcien, au Digeste, XLVII, XXII, 1 ; Henzen, 6086. Sur les collegia tenuiorum, voir Rome souterraine, 2e éd., p. 71.

5 I Cor., XII, 13.

6 Saint Augustin, De catechisandis rudibus, 17.

7 Saint Cyrille, Procatechesis, 5.

8 Const. apost., VIII, 32.

présente à un maitre païen, qu'on lui enseigne à plaire à ce dernier, afin qu'il ne fasse pas mépriser en sa personne le Verbe et la religion chrétienne1.

Saint Grégoire de Nazianze, dans un sermon sur le baptême, fait ressortir avec éloquence le caractère de ce sacrement, qui effaçait les différences extérieures des conditions : Toi qui es libre, dit-il, reçois ce frein ; toi qui es de condition servile, reçois ce même degré d'honneur. Affligé, reçois cette consolation ; heureux, reçois cette discipline ; pauvre, reçois cette richesse sûre, qui ne pourra t'être enlevée. Et, s'adressant directement à ceux qu'aurait pu froisser cette idée d'absolue égalité : Ne croyez point qu'il soit au-dessous de votre dignité d'être baptisé, riche, avec les pauvres, maître, avec vos esclaves. Vous ne vous abaissez pas autant que le fait le Christ, en qui vous êtes aujourd'hui baptisés, et qui, pour votre salut, a pris la forme d'un esclave. En ce jour, où le baptême vous transforme, toutes les anciennes marques ont disparu ; le Christ a été imposé à tous comme leur forme unique2.

Rendus égaux par le baptême, les uns libres, les autres d'esclaves devenus frères bien-aimés3, les chrétiens assistaient, sans distinction de rang, aux assemblées religieuses. Il est impossible, il serait d'ailleurs superflu de citer tous les textes primitifs qui montrent les esclaves admis à côté de leurs maîtres à l'audition de la parole divine et à la réception des saints mystères. Que l'assemblée se réunît dans l'enceinte même de la ville, ou qu'elle eût lieu, à certains jours périodiques, au delà des murs, dans quelque martyrium, une foule de chrétiens de toute condition s'y transportait. Saint Jean Chrysostome, dans une de ses Homélies, montre les fidèles d'Antioche se rendant à la campagne où le service divin devait être célébré sur le tombeau d'un martyr : Ni la crainte de mécontenter le maître n'a retenu l'esclave, ni la nécessité de gagner sa vie n'a arrêté le pauvre, ni la faiblesse de l'âge n'a entravé le vieillard, ni le faste de l'opulence n'a empêché le riche4. Les catacombes de Rome offrirent souvent ce spectacle.

Dans l'assemblée des fidèles, le prédicateur tenait grand compte de la présence des esclaves. Souvent il leur adressait directement la parole ; toujours il mêlait à ses instructions quelque mot de nature à être compris par eux. Une des histoires bibliques le plus fréquemment commentées par les orateurs des premiers siècles est celle de Joseph ; ils ne manquent jamais d'en tirer cette conclusion que l'esclavage n'est pas un obstacle à la vertu, qu'il y a des ordres injustes auxquels les esclaves doivent résister, que la vertu de Joseph a plus brillé dans les fers que sur un trône5. Nous enseignons aux esclaves, dit Origène, comment ils peuvent prendre une âme d'hommes libres, et, par la religion, devenir véritablement ingénus6. On s'efforçait d'avoir un langage à leur portée : Je n'emploie (c'est saint Jean Chrysostome qui parle) ni mots recherchés ni termes savants, mais j'accommode mon discours à l'intelligence de l'esclave et de la servante7. Quelquefois, cependant, la hauteur de la doctrine chrétienne dépassait ces humbles auditeurs ; mais, si leur esprit demeurait rebelle, leur

1 Const. apost., VIII, 32.

2 Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XL, In sanctum baptisma, 18, 27.

3 Ad Philemonem, 16.

4 Saint Jean Chrysostome, homilia In Martyres.

5 Saint Jean Chrysostome, Expositio in Psalmis, CXXVII, 1 ; In I Cor., homil. XIX, 4. 5 ; In I Thess., homil. IV, 5 ; Saint Ambroise, De Joseph, IV, 20.

6 Origène, Contra Celsum, III, 24.

7 Saint Jean Chrysostome, Contra Judæos, 1.

cœur était touché. Parmi ceux mêmes, dit Origène, qui, à cause de leur ignorance des lettres, ou de leur lenteur d'esprit, ou du petit nombre d'hommes capables de les instruire, ne comprennent pas parfaitement la philosophie sublime cachée dans les enseignements des prophètes et des apôtres, mais se bornent à croire d'une foi simple en Dieu et en son Fils unique, on trouve une gravité, une innocence, une ingénuité et une simplicité de mœurs souvent admirables1.

Un court extrait d'une des catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem donnera l'idée et, en quelque sorte, le ton des allocutions familières adressées aux esclaves par les docteurs chrétiens. Il parle du jugement dernier :

Quelqu'un de ceux qui sont présents ici dira peut-être : Je suis pauvre, et à ce moment-là je serai couché dans mon lit ; je suis une femme, et je serai surprise au pétrin ; ne serai-je point méprisé ? Aie confiance, ô homme, le juge souverain ne fait point 'acception de personnes ; il ne préfère pas les doctes aux ignorants, les riches aux pauvres ; même si tu es employé au travail des champs, les anges te prendront. Ne pense pas que le juge céleste recevra le propriétaire du sol, et toi, agriculteur, te laissera. Si tu es esclave ou pauvre, n'en aie pas de souci : celui qui a pris la forme de l'esclave ne méprisera pas les esclaves... Si, homme ou femme, tu as été, sous l'empire de la nécessité, attaché au pétrin ou employé à tourner la meule, celui qui a rendu forts ceux qui étaient enchaînés ne passera pas sans te voir. Celui qui de la servitude et du cachot a conduit Joseph au rang suprême te rachètera, toi aussi, de tes afflictions pour te conduire au royaume.

Aie seulement confiance, travaille, combats avec courage ; rien ne sera perdu pour toi2.

On devine le ravissement de l'esclave entendant un tel langage. Lui pour qui la civilisation païenne n'eut jamais un enseignement désintéressé, une prédication morale, une parole tendre, jouissait avec délices du respect et de l'amour dont il se sentait l'objet. Quel devait être le tressaillement de son âme, quand un orateur chrétien s'exprimait devant lui en ces termes : Dans la grande multitude de mes auditeurs, je jette la semence, et il ne se peut qu'elle ne produise une moisson. Si tous ne la reçoivent pas, la moitié la recevra ; sinon la moitié, au moins le tiers ; sinon le tiers, au moins le dixième ; et si un seul reçoit la parole, qu'il écoute ; car ce n'est pas peu de chose de sauver une seule brebis : le bon pasteur en laissa derrière lui quatre-vingt-dix-neuf pour courir après une qui s'était égarée. Un seul homme, c'est un être cher à Dieu ; fût-il esclave, je ne le méprise pas, car je ne recherche pas la dignité, mais la vertu : je ne m'inquiète pas de la domination ou de la servitude, mais de l'âme3.

Sous l'empire des émotions causées par ces sentiments nouveaux, les esclaves devaient prendre part avec un joyeux enthousiasme à la récitation en commun des prières liturgiques. Le chant des psaumes, dit saint Jean Chrysostome, unit la voix des vieillards et des jeunes gens, des riches et des pauvres, des femmes et des hommes, des esclaves et des libres... Le prophète parle, nous répondons tous, tous nous chantons ensemble... Il n'y a pas ici des maîtres qui chantent hardiment et des esclaves à qui l'on impose silence, des riches qui parlent, des pauvres contraints à se taire, des hommes qui élèvent la voix, des femmes à qui l'on défend de se faire entendre ; mais, jouissant tous d'un même honneur, nous

1 Origène, Contra Celsum, VII, 48, 49.

2 S. Cyrille, Catech. XV, 23.

3 S. Jean Chrysostome, De Lazaro, homilia VI, 2.

offrons le commun sacrifice, la commune oblation ; celui-ci n'est pas plus que celui-là, celui-là plus que celui-ci ; nous sommes tous égaux en dignité, et c'est une [même voix que des bouches diverses élèvent vers le Créateur1.

Les Constitutions apostoliques nous introduisent dans l'intérieur d'une assemblée chrétienne au IIIe ou IVe siècle. Les fidèles sont réunis : la célébration des saints mystères commence : Si un homme occupant une situation élevée selon le siècle entre alors, disent les Constitutions, le service n'est point interrompu pour lui faire place... mais si, tous les sièges étant occupés, on voit entrer un pauvre, un homme de condition vile, ou un voyageur, qu'il soit jeune ou vieux, le diacre s'emploie de tout son cœur à lui procurer une place, voulant faire de son ministère une œuvre agréable non aux hommes, mais à Dieu. Une diaconesse doit assister de même les femmes qui entrent, ses distinction entre les riches et les pauvres2. C'est l'égalité parfaite. Toute différence est supprimée ici, dit saint Jean Chrysostome ; la table du Seigneur est la même pour le riche et le pauvre, l'esclave et le libre... La munificence de notre Dieu a fait le même honneur au riche et au pauvre, aux esclaves et aux libres ; un don commun est offert à tous3.

Non-seulement l'égalité règne dans cette société spirituelle, mais encore il y existe une hiérarchie qui est bien souvent contraire à l'ordre des conditions temporelles. Il se peut que le maître soit encore simple catéchumène, tandis que l'esclave est admis dans les rangs des fidèles, c'est-à-dire baptisé. Dans ce cas, le maître sortait de l'assemblée après l'audition de la parole sainte, mais avant la célébration du sacrifice ; l'esclave demeurait. Souvent le riche et le pauvre sont debout dans la même église ; arrive l'heure des divins mystères ; le riche est mis à la porte comme n'étant pas encore initié, le pauvre est admis... Voyez le maître sortant de l'église et le serviteur fidèle approchant des saints mystères, la maîtresse se retirant pendant que son esclave demeure. Dieu ne fait pas acception de personnes ; il n'y a dans son Église ni esclaves ni libres4.

C'est encore saint Jean Chrysostome qui va nous faire connaître un usage tombé en désuétude de son temps, mais en vigueur dans la primitive Église. Une coutume admirable existait alors : les fidèles, après avoir entendu la prédication, prié ensemble, participé 'aux mystères, ne se séparaient pas dès que l'assemblée religieuse était terminée ; mais les riches, qui avaient apporté des aliments de leur propre maison, invitaient les pauvres, tous, dans l'église même, jouissaient de la même table, du même repas ; et ainsi, par la communauté de la table et le respect du lieu, la charité se resserrait avec une grande joie et une grande utilité. Les pauvres étaient abondamment consolés, les riches jouissaient d'être aimés et par ceux à qui ils faisaient dû bien et par Dieu pour qui ils le faisaient ; et ainsi, comblés de grâces, tous rentraient dans leurs maisons5.

A Rome, où l'agape avait lieu toutes les fois que le dies natalis d'un martyr réunissait les fidèles autour de son tombeau, elle n'était pas célébrée dans la catacombe même, mais dans un triclinium adjacent, où l'on se rendait après le service divin : on peut voir à l'entrée de la crypte de sainte Domitille les restes

1 S. Jean Chrysostome, De studio prœsentium, 2.

2 Const. apost., II, 58.

3 Saint Jean Chrysostome, Homilia In sanctum Pascha, 3, 4.

4 Saint Jean Chrysostome, Homilia De Resurrectione, 3.

5 Saint Jean Chrysostome, Homilia Indictum : Oportet hœreses esse, 3, 4.

d'un édifice consacré à ces repas fraternels1. Tertullien en a laissé de vives peintures, où n'apparaissent pas encore les abus qui devaient plus tard les faire interdire. Les convives, dit-il, y mangeaient selon leur faim, et y buvaient comme boivent des hommes chastes. Ils prenaient leur nourriture en se souvenant qu'ils devaient, la nuit suivante, se relever pour honorer Dieu. La fête était terminée par des hymnes, et les assistants sortaient de table, modestes et pudiques, comme des hommes qui n'ont pas seulement pris leur repas, mais qui dans ce repas ont appris une sainte discipline2.

Parmi ces convives que Tertullien nous peint si graves, si mortifiés, quelques-uns devaient avoir à lutter contre de dangereuses pensées. Les pauvres, les esclaves, admis à la même table que des riches, des nobles, des grands, partageant la même nourriture, buvant avec eux cette eau libre dont parle un auteur païen3, ne pouvaient point ne pas sentir qu'une immense révolution s'était faite dans le monde à leur profit. N'était-il pas à craindre que, dans cette égalité du repas fraternel, ils apportassent des sentiments de révolte ou de liberté mal réglée, quelque chose d'analogue à la joie grossière des saturnales païennes ? Saint Paul, gardien de l'austère discipline que l'agape devait inculquer à ceux qui y prenaient part, les avertit sévèrement ; ses paroles laissent voir combien était grande, combien eût pu devenir périlleuse la familiarité établie par le christianisme entre les esclaves convertis et les maîtres vraiment fidèles. Que les esclaves qui ont des maîtres fidèles se gardent bien, dit-il, de les mépriser parce que ces maîtres sont leurs frères ; au contraire, qu'ils servent d'autant mieux leurs maîtres que ceux-ci sont fidèles, bienveillants, et participant aux bienfaits de Dieu4. Saint Ignace, quelques années plus tard, insiste sur la même pensée : Que l'esclave et la servante, dit-il, ne deviennent pas orgueilleux5. Un concile du

Parmi ces convives que Tertullien nous peint si graves, si mortifiés, quelques-uns devaient avoir à lutter contre de dangereuses pensées. Les pauvres, les esclaves, admis à la même table que des riches, des nobles, des grands, partageant la même nourriture, buvant avec eux cette eau libre dont parle un auteur païen3, ne pouvaient point ne pas sentir qu'une immense révolution s'était faite dans le monde à leur profit. N'était-il pas à craindre que, dans cette égalité du repas fraternel, ils apportassent des sentiments de révolte ou de liberté mal réglée, quelque chose d'analogue à la joie grossière des saturnales païennes ? Saint Paul, gardien de l'austère discipline que l'agape devait inculquer à ceux qui y prenaient part, les avertit sévèrement ; ses paroles laissent voir combien était grande, combien eût pu devenir périlleuse la familiarité établie par le christianisme entre les esclaves convertis et les maîtres vraiment fidèles. Que les esclaves qui ont des maîtres fidèles se gardent bien, dit-il, de les mépriser parce que ces maîtres sont leurs frères ; au contraire, qu'ils servent d'autant mieux leurs maîtres que ceux-ci sont fidèles, bienveillants, et participant aux bienfaits de Dieu4. Saint Ignace, quelques années plus tard, insiste sur la même pensée : Que l'esclave et la servante, dit-il, ne deviennent pas orgueilleux5. Un concile du

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