• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE PREMIER. — L'ÉGLISE ET LES AFFRANCHISSEMENTS

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 161-176)

I

Le christianisme avait élevé l'esclave au niveau du maître, par l'égalité religieuse.

Cela seul permettait de dire, avec saint Paul, dans un sens spirituel : Il n'y a plus de différence entre l'esclave et l'homme libre : tous sont un dans le Christ Jésus.

Mais, sous l'impulsion douce et prudente de l'Église, les principes évangéliques devaient recevoir graduellement un développement plus direct : l'enseignement chrétien représenta aux maîtres que, de tous les dons que la charité peut faire à l'homme, le plus précieux est la liberté : l'affranchissement des esclaves fut considéré par les fidèles comme la première et la plus méritoire des bonnes œuvres.

La principale, souvent la seule consolation de l'esclavage, était l'espérance de l'affranchissement. L'esclave antique économisait sur son pécule, afin de pouvoir acheter de son maître la liberté. Aux dépens de sa nourriture, ventre fraudato, il amassait, sesterce à sesterce, la somme que le maître avait fixée. Pendant de longues années chacun de ses efforts, chacune de ses privations tendait vers ce but. Le pécule de l'esclave appartenait, en réalité, au maître, et il y avait une apparence de libéralité à lui permettre de se racheter par ce moyen. Mais nul calcul n'était mieux entendu. L'espoir de devenir libre encourageait l'esclave à faire fructifier la petite somme qu'on lui avait permis de prélever sur le produit de son travail. Accrue par une vie de labeur et de peine, elle revenait ensuite, soit tout entière, soit en partie, au maître comme prix de la liberté. Ce prix variait selon la valeur de l'esclave, selon le caprice du maître, et il est difficile de l'indiquer par une moyenne, même approximative. Il est probable que le prix moyen de l'affranchissement était à peu près celui de l'achat, de 5 à 600 francs1. Pour des esclaves ayant des qualités exceptionnelles, le taux de l'affranchissement était beaucoup plus élevé. Un affranchi, dans Pétrone, dit avoir acheté sa liberté 1000 deniers (900 francs). On lit sur la tombe d'un ancien esclave medicus, clinicus, chirurgus, ocularius, qu'il a payé pour devenir libre 7000 sesterces (1400 franc2). Un testateur donne la liberté à un esclave, à condition que, pendant trois ans, il payera chaque année mille nummi à son héritier3. Quelquefois on imposait à un esclave, pour prix de sa liberté, une œuvre difficile et coûteuse, comme de bâtir une maison, de construire un navire, si insulam ædificaverint, si fabricassent navem4. Très-souvent on stipulait d'un esclave, en l'affranchissant, des services, operae, soit perpétuels, soit pendant un certain nombre d'années. Un commerçant qui avait apprécié l'intelligence et l'habileté de son esclave, l'affranchissait en lui imposant l'obligation de devenir

1 Voir Wallon, Hist. de l'escl. dans l'ant., t. II, p. 417 ; Boissier, La Religion romaine, t.

II, p. 396.

2 Orelli, 2983.

3 Pomponius, au Dig., XL, IV, 41 § 1.

4 Ulpien, au Dig., XL, IV, 13.

son associé1. Il y avait ainsi mille manières de vendre la liberté. Quelquefois, après l'avoir achetée, l'esclave se trouvait sans aucune ressource. Ses économies avaient été diminuées par des dépenses presque inévitables faites pendant le temps de la servitude, comme des présents au maître, des souscriptions aux statues que lui dédiait quelquefois à frais communs la familia, la cotisation annuelle payée à un collegium, les frais d'un tombeau élevé à sa contubernalis, à ses enfants, à quelque compagnon d'esclavage, des offrandes faites aux dieux ob libertatem. La somme payée pour prix de l'affranchissement achevait souvent d'épuiser son pécule : et il entrait dans sa nouvelle condition, à la fois libre et misérable.

Il y avait des maîtres plus généreux. Ceux-ci donnaient gratuitement la liberté à leurs esclaves. Cela n'était pas rare au moment de la mort. Auguste dut faire une loi pour réprimer l'abus des affranchissements testamentaires2, inspirés, souvent, par la vanité, quelquefois aussi par un sentiment plus noble, mais qui versaient dans la société libre, par le caprice d'un mourant, une multitude peu préparée à remplir les devoirs résultant pour elle de ce brusque changement d'état. Les affranchissements gratuits étaient beaucoup plus rares pendant la vie du maitre. C'était un fait exceptionnel, considéré comme honorable, non-seulement pour le maître, mais encore pour l'esclave qui y avait donné lieu : l'inscription funéraire de ce dernier a soin de le rappeler3. Ce qui semble avoir été sans exemple dans l'antiquité païenne, c'est l'affranchissement en masse, du vivant d'un maître, de tous les esclaves qu'il possède. Cela suppose, en effet, un renoncement extraordinaire, un sacrifice héroïque, le dépouillement volontaire de la plus grande partie de sa fortune le paganisme n'eût pu fournir aux âmes même les plus généreuses des motifs suffisants pour un tel acte. Milon affranchit tous les esclaves qui ont combattu pour lui contre Clodius : la reconnaissance lui en faisait un devoir, et d'ailleurs il ne donnait ainsi la liberté qu'à une partie de ses serviteurs4. Probus, devenant empereur, affranchit tous ses esclaves de Rome : mais il en possédait d'autres en province5. Un sentiment inconnu au monde païen amènera seul, nous le verrons tout à l'heure, l'affranchissement en masse de tous les esclaves d'un maître vivant.

Ce qui est moins rare, même chez les païens, c'est de voir un maître, donnant la liberté. soit gratuitement, soit à prix d'argent, à un esclave, lui assurer en même temps les moyens de vivre, en lui laissant tout ou partie de son pécule, ou bien en lui procurant d'autres ressources. On pourrait citer d'innombrables textes relatifs à des libéralités de cette nature : la plupart s'appliquent à des legs plutôt qu'à des libéralités entre vifs6. Un testateur charge son héritier de faire apprendre un métier à un affranchi. Un autre lègue à son affranchi une boutique garnie de marchandises. Celui -ci lui assure le logement gratuit. Celui-là lègue un domaine à tous ses affranchis indistinctement. Un testateur donne la liberté à des esclaves vieux et infirmes : qu'on les laisse mourir où ils sont, dit-il à son héritier. Très-souvent on lègue à ses affranchis une certaine somme, soit annuelle, soit mensuelle, à titre d'aliments. Souvent aussi, en donnant par

1 Ulpien, au Dig., XLIV, V, 5.

2 Justinien, Instit., I, 7 ; Code, VII, III, 1.

3 Orelli, 2983 ; Henzen, 6404.

4 Cicéron, Pro Milone, 22.

5 Vopiscus, Probus, 10.

6 Scævola, Valens, Modestie, Ulpien, Marcien, Javolenus, Paul, Papinien, au Dig., XXXI, II, 88, § 3, 6, 11 ; XXXII, III, 12 ; XXXIII, I, 18. II, 18, 32, § 2 ; VII, 7 ; XXXIV, I, 1-23.

testament la liberté à un esclave on lui lègue son pécule : car, à défaut d'une disposition expresse, le pécule demeurait la propriété du maître ou de l'héritier, et l'affranchi ne l'emportait pas avec lui.

Si l'on voulait rassembler en une formule (qui a toujours l'inconvénient de laisser en dehors d'elle bien des détails) ce qui vient d'être dit sur l'affranchissement chez les Romains, on le résumerait ainsi : rareté de l'affranchissement gratuit par acte entre vifs, générosité bien plus grande quand l'affranchissement a lieu par testament. Il en devait être de la sorte tant qu'un principe nouveau et supérieur de désintéressement n'aurait pas corrigé l'égoïsme naturel du cœur humain et substitué la charité au calcul.

II

Ce fut l'œuvre du christianisme. Aux motifs divers qui, dans le monde antique, portaient les maîtres à donner la liberté à leurs esclaves, il en ajouta un autre, la dévotion. Pour les premiers chrétiens, affranchir un serviteur n'était pas seulement un acte de bienveillance ou d'humanité, c'était encore une bonne œuvre, méritoire devant Dieu, utile au salut de l'âme1, et cette bonne œuvre était facilement préférée à toutes les autres, parce que nulle autre ne se rapprochait davantage de l'esprit du christianisme, ennemi naturel de l'esclavage.

Dans cet essai de vie parfaite qui signala les commencements de l'église de Jérusalem, quand Pierre et Jean la dirigeaient, l'affranchissement des esclaves suivit probablement de bien près la formation de la première communauté chrétienne. Ce précepte : Vends tes biens et donnes-en le produit aux pauvres, impliquait sans doute, dit M. Wallon, l'affranchissement des esclaves, ces pauvres qui ne possèdent rien, qui ne se possèdent pas eux-mêmes2. On ne peut croire, en effet, que les premiers chrétiens qui, selon le récit des Actes des apôtres, vendaient tous leurs biens pour en mettre le prix en commun3, aient compris dans cette vente non-seulement leurs terres et leurs maisons, mais encore leurs esclaves : il est vraisemblable pie ces hommes détachés de tout, qui, loin d'avoir besoin d'être servis, avaient élu plusieurs d'entre eux pour servir leurs frères4, eurent pour premier soin d'instruire leurs esclaves et de les appeler à partager avec eux la liberté et la grâce : saint Jean Chrysostome, dont j'ai souvent eu occasion de faire ressortir le remarquable sens historique, le pense ainsi : décrivant la vie de la première communauté chrétienne, il montre chacun livrant ses champs, ses possessions, ses maisons — je ne parle pas, ajoute-t-il, des esclaves, car il n'y en avait pas alors, mais probablement on les affranchissait5.

A une époque plus avancée, où l'accroissement du nombre des chrétiens et la multiplication des églises ne permettait plus aux fidèles, répandus sur toute la surface de l'empire, un genre de vie qu'une congrégation peu nombreuse, et encore dans toute la ferveur de ses débuts, pouvait seule mener, les

1 S. Grégoire le Grand, Ép., V, 12.

2 Wallon, Hist. de l'escl. dans l'ant., t. III, p. 8.

3 Acta apostolorum, IV, 32-37.

4 Acta apostolorum, I, 1-6.

5 S. Jean Chrysostome, In acta apost. Homilia XI, 3.

communautés chrétiennes, tout en n'interdisant pas à leurs membres de posséder des esclaves, employaient une partie des ressources communes à briser les liens de la servitude. Avec l'assistance des pauvres, des veuves et des orphelins, c'était là, en quelque sorte, une des œuvres officielles de l'Église. Un chapitre des Constitutions apostoliques fait un devoir d'employer à délivrer des esclaves et des captifs l'argent amassé par le travail des fidèles1. Saint Ignace recommande aux esclaves la patience : Qu'ils ne désirent pas, dit-il, être rachetés de la servitude aux frais de la communauté, de peur que ce désir ne les rende esclaves de la cupidité2. Cette impatience qu'il fallait réfréner indique bien que le rachat des esclaves à l'aide des ressources communes était fréquent dans les églises primitives. Le même saint Ignace, parlant des vertus qui manquent aux hérétiques, leur reproche de n'avoir point le souci de celui qui est enchaîné ou délivré3. Un tel souci était un des signes qui distinguaient le chrétien orthodoxe de celui qui avait perdu l'intégrité de la foi.

La charité collective, si pure et si bien dirigée qu'elle soit, est toujours peu efficace, si elle n'est secondée, devancée, complétée par la charité individuelle.

Le rachat des esclaves, cette œuvre si belle que l'idée en avait séduit Sénèque4, fut pratiqué avec empressement, avec une véritable passion, par un grand nombre de chrétiens. On vit, dans les premiers siècles, ce miracle de charité que devaient reproduire saint Paulin de Noles au Ve5, saint Dominique au XIIIe6, saint Vincent de Paul au XVIIe, et dont les Pères de la Merci devaient faire un quatrième vœu solennel ajouté aux trois vœux de religion : des hommes se vendre, se donner en otage ou en servitude, pour délivrer leurs frères esclaves ou prisonniers. Nous avons connu beaucoup des nôtres, écrivait au Ier siècle le pape saint Clément, qui se sont jetés d'eux-mêmes dans les chaînes pour en racheter d'autres. Beaucoup se sont donnés eux-mêmes en esclavage et ont nourri les pauvres du prix de leur vente7. La mère de saint Grégoire de Nazianze eût été capable d'un dévouement semblable : sa charité, dit son fils, trouvait trop petites les richesses qu'elle avait amassées ou qu'elle avait reçues de ses parents : je lui ai souvent entendu dire que, si cela était possible, elle se vendrait volontiers de suite, et non-seulement elle-même, mais encore ses enfants, pour venir au secours des pauvres8. C'est ce que fit un contemporain de Justinien, saint Pierre le Collecteur ; il ordonna à son trésorier de le vendre au profit des indigents9. Saint Sérapion se donna lui-même à une pauvre femme, qui le vendit à des mimes grecs : il était difficile, dit M. Wallon, de faire du saint un mime : il fit de ces mimes des chrétiens10. Se vendre au profit des esclaves, se vendre au profit des pauvres, c'étaient deux actes de même nature, ou plutôt également au-dessus de la nature : le christianisme seul a donné au monde l'exemple d'un tel héroïsme.

1 Cont. apost., IV, 9.

2 S. Ignace, Ad Polycarpum, 4.

3 S. Ignace, Ad Smyrnaeos, 6.

4 Sénèque, De clementia, II, 2.

5 S. Grégoire le Grand, Dialog., III, 1.

6 Acta SS., Augusti, t. I, p. 390, §§ 168-170.

7 S. Clément, Ép. I, ad Corinthios, 55.

8 S. Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, In patrem, 21.

9 Vita S. Joannis Eleemosynarii, ap. Acta SS., Januarii, t. II, p. 506.

10 Vita S. Joannis Eleemosynarii, ap. Acta SS., Januarii, t. II, p. 507. Cf. Wallon, Hist. de l'escl., t. III, p. 397.

Au IVe et au Ve siècle, quand l'empire romain commença à être ravagé par les barbares, l'œuvre de la rédemption des captifs vint se joindre à celle du rachat des esclaves : l'une et l'autre étaient filles de la même pensée. Cicéron cite le payement de la rançon de citoyens faits prisonniers par les ennemis ou les pirates comme un acte de bienfaisance déjà connu et pratiqué de son temps1. Le christianisme lui donna une grande impulsion2, et les occasions de l'exercer se multiplièrent, à mesure que fléchit la fortune de l'empire. Il a racheté les captifs se lit fréquemment sur les épitaphes chrétiennes du IVe et du Ve siècle3. Quelquefois on instituait les captifs pour héritiers, c'est-à-dire que l'on consacrait en mourant sa fortune à leur rachat4. Les églises et les monastères employaient à cet usage une partie de leurs revenus et ne craignaient pas de vendre dans ce but leurs vases sacrés5. Bien que connue des païens, cette œuvre de charité devint le monopole presque exclusif des chrétiens. S'adressant à Symmaque : Que les païens, s'écrie saint Ambroise, énumèrent les captifs qu'ils ont délivrés, les dons qu'ils ont faits aux pauvres, les secours qu'ils ont offerts aux exilés !6 On comprend que, animés de tels sentiments, les chrétiens, si ardents à racheter les esclaves d'autrui, aient volontiers et libéralement affranchi leurs propres esclaves.

Beaucoup d'entre eux, comme les païens, attendaient jusqu'à la fin de la vie pour les affranchir : c'était par acte de dernière volonté qu'ils les rendaient libres.

Saint Jean Chrysostome nous montre un chrétien mourant, entouré de sa femme et de ses enfants en pleurs, et de ses esclaves qui le supplient de leur laisser après lui quelque sécurité7. Mais, même lorsqu'un sentiment intéressé, ou simplement une pensée de prudence humaine, avait conduit un fidèle à différer ainsi cet acte charitable, il était rare qu'il ne s'y sentît pas, à l'article de la mort, poussé par une force irrésistible. Là où le païen ne se proposait qu'un acte de bienfaisance ou la satisfaction d'un caprice vaniteux, le chrétien mourant voyait, lui, une œuvre qui pouvait racheter son âme prête à paraître devant le souverain Juge : pro remedio animœ, dit une inscription funéraire qui relate un affranchissement8. Partout où se rencontrent l'institution de l'esclavage et une foi vive en la vie future, ce sentiment se fait jour : des officiers russes, à Sébastopol, priaient leurs parents d'affranchir tel de leurs serfs s'ils venaient à être tués9 : le musulman lui-même libère souvent ses esclaves en mourant, pour être agréable à Dieu10. On comprend quel empire une telle pensée dut exercer sur l'âme généreuse et la foi profonde des premiers chrétiens. Le bas-relief principal d'un sarcophage trouvé à Salone, et peut-être antérieur à la paix de

1 Cicéron, De Officiis, II, 16, 18.

2 Clément d'Alexandrie, Stromata, II, 18 ; S. Cyprien, Ép. 60.

3 Voir, pour un grand nombre d'exemples de cette formule, la dissertation de M. Edmond Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, n° 543, t. Il, p. 281-299.

4 Code Just., I, III, 49.

5 S. Ambroise, De officiis, II, 15, t.18. Un concile du VIe siècle veut même que la dîme offerte par le peuple y soit employée. Concile de Mâcon, anno 585, ap. Labbe, Conc., t.

V, p. 981.

6 S. Ambroise, Ép. 18.

7 S. Jean Chrysostome, In I Tim. Homilia XIV, 5.

8 E. Le Blant, Inscr. chrét. de la Gaule, n° 374, t. II, p. 6.

9 A. Rambaud, Les Russes à Sébastopol, dans la Revue des Deux-Mondes, 1er avril 1874, p. 523.

10 Thouvenin, L'esclavage à Zanzibar, dans la Revue des Deux-Mondes, 15 septembre 1874, p. 316.

l'Église, représente deux époux debout aux côtés du bon Pasteur : ils sont entourés, l'un et l'autre, d'un grand nombre d'hommes et de femmes, de plus petites dimensions, qui ont les yeux attachés sur eux : M. Edmond Le Blant y reconnaît les esclaves que chacun de ces époux avait affranchis en mourant, et qui semblent assister leurs âmes comparaissant devant Dieu1. L'usage d'affranchir les esclaves par testament était si répandu au Ive siècle, que saint Jean Chrysostome conseille aux chrétiens de ne pas se borner à cette bonne œuvre : Je vais dire une chose dure, pénible, horrible à entendre, nécessaire cependant : mettez le Seigneur au rang de vos esclaves. Donnez-vous la liberté à vos esclaves ? délivrez également le Christ de la faim, de la misère, de la prison, de la nudité2. Mais, de toutes les œuvres de charité accomplies en mourant, la libération des esclaves demeura la principale. La prière reconnaissante des affranchis paraissait au chrétien appelé à quitter ce monde la plus puissante des intercessions auprès de Dieu. Au commencement du moyen âge on affranchissait encore ses esclaves pour le remède de l'âme et la récompense éternelle ; on leur donnait la liberté au nom du Seigneur, afin que, quand je sortirai de cette vie et que mon âme paraîtra au tribunal du Christ, je mérite d'obtenir miséricorde3. Cette pieuse et touchante croyance en la vertu de l'affranchissement rendit à des milliers d'hommes la liberté. Non-seulement on accomplissait cette bonne œuvre en mourant, mais encore on l'accomplissait à la mort de ses parents ou de ses amis : on lit sur le sépulcre d'une enfant que, par charité, lors de ses funérailles, son père et sa mère ont affranchi sept esclaves4. Fidèles à la coutume des premiers siècles, les chrétiens du moyen âge aimèrent, eux aussi, à sanctifier les funérailles par des affranchissements. Un concile tenu en Angleterre au IXe siècle ordonne qu'à la mort de chaque évêque tous ses esclaves anglais soient affranchis, et que, de plus, chaque évêque et abbé libère lui-même trois esclaves et leur remette une certaine somme d'argent5. C'est ainsi que la vieille Angleterre catholique croyait à l'efficacité des bonnes œuvres offertes à Dieu pour les morts.

On voit quelles étaient les différences entre les affranchissements émanés, au moment de la mort, de païens et de chrétiens. Ceux opérés par ces derniers durent l'emporter par le nombre aussi bien que par l'élévation du sentiment qui les inspirait : ils furent le profond et sincère hommage rendu par l'âme croyante à la vertu divine de la charité, l'appel suprême du cœur à la miséricorde de Dieu.

Ils se rapprochent, cependant, des affranchissements païens par un trait commun : le maître n'a pas eu le courage de se dépouiller de son vivant. La charité chrétienne paraît dans tout son éclat lorsqu'un fidèle, le plus souvent au

Ils se rapprochent, cependant, des affranchissements païens par un trait commun : le maître n'a pas eu le courage de se dépouiller de son vivant. La charité chrétienne paraît dans tout son éclat lorsqu'un fidèle, le plus souvent au

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 161-176)