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RÉHABILITATION DU TRAVAIL MANUEL

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 188-200)

I

J'ai montré, dans les premiers chapitres de cette étude, comment le travail, à Rome, était presque tout entier entre les mains des esclaves. Il est de la nature de l'homme de mettre ses idées d'accord avec ses intérêts ou son égoïsme, et d'inventer après coup des théories pour justifier à ses propres yeux les pratiques auxquelles il est attaché. Il en fut ainsi dans l'antiquité. Partout où l'esclavage exista, dans le monde grec comme dans le monde romain, la classe dominante laissa tomber sur la classe servile tout le fardeau du travail manuel : et en même temps elle déclara le travail une chose indigne de l'homme libre, dégradante, essentiellement servile. Ainsi la théorie suivit les faits pour les couvrir et les justifier : la philosophie étendit sur eux un manteau d'emprunt.

Hérodote, Platon, Xénophon, Aristote, Cicéron, Sénèque lui-même, s'accordent dans un commun mépris pour le travail manuel et pour les industries qui s'y rattachent. Dans la république imaginaire de Platon, l'exercice du travail manuel est considéré comme exclusif des droits politiques, et le commerce de détail devient un délit, s'il est exercé par un citoyen. Aristote considère toute profession mécanique, toute spéculation mercantile comme des travaux dégradés et contraires à la vertu : la constitution parfaite, dit-il, n'admettra jamais l'artisan parmi les citoyens1. Xénophon voit dans les arts manuels une chose hostile à la beauté, à la grâce, à la libre vie d'un Grec artiste : ils déforment le corps, obligent à s'asseoir à l'ombre ou près du feu, ne laissent de temps ni pour la république ni pour les amis2. Cicéron en parle avec le dédain étroit et rude de l'homme d'État romain : Sont indignes d'un homme libre les gains des mercenaires et de tous ceux qui louent leur travail. Le salaire n'est autre chose que le prix de la servitude. Le commerce de détail est honteux. Le travail des artisans est ignoble. Rien de libre ne peut tenir boutique3. A Rome, l'ouvrier libre est presque aussi méprisé que l'esclave. Les ouvriers, les boutiquiers, la lie de la cité, dit Cicéron4. Il définit la populace de Rome une multitude composée d'esclaves, de journaliers, de scélérats et de pauvres5. Les ouvriers sont repoussés de la placé publique en même temps que les esclaves quand le grand pontife offre un sacrifice expiatoire6. L'honnête et naïf Valère-Maxime a écrit une page curieuse qui permet de juger du sentiment des Romains pour le travail et ceux qui l'exerçaient. La corporation des entrepreneurs de pompes funèbres, libitinarii, pollinctores, vespillones, avait, après une guerre, offert d'inhumer gratuitement les citoyens morts pour la patrie. Valère-Maxime raconte, dans un chapitre de son livre, ce trait de désintéressement, très-beau, dit-il, de la part d'hommes qui n'avaient que leur travail pour vivre. Puis il s'excuse d'avoir donné place aux actes de ce troupeau méprisé dans des pages consacrées aux belles actions des héros de Rome et des rois étrangers : J'ai placé ce fait, dit-il, après

1 Aristote, Polit., IV, 8.

2 Xénophon, Æconom., IV, 2.

3 Cicéron, De Officiis, I, 42. Cf. Sénèque, De Benef., VI, 18.

4 Cicéron, Pro Flacco, 18.

5 Cicéron, Pro domo, 33.

6 Suétone, Claudius, 22.

les autres exemples domestiques, le dernier de tous, afin que les actes honorables commis même par les plus infimes ne soient pas oubliés, bien qu'on leur assigne une place à part, licet separatum locum obtineant1.

Telle était la force du préjugé antique. Il formait un obstacle insurmontable à la destruction de l'esclavage, en faisant de la liberté et du travail deux choses incompatibles et en contraignant l'opinion à rejeter, en quelque sorte, dans la foule méprisée des esclaves les hommes libres déclassés qui tentaient de travailler. Le travail est nécessaire à toute société : tant qu'esclavage et travail demeurèrent synonymes, il fut impossible de prévoir qu'un jour le premier pourrait prendre fin. La réhabilitation du travail constituait une révolution morale presque aussi difficile à réaliser que l'abolition de l'esclavage, et pouvait seule y conduire. Mais qui, dans le monde antique, eût tenté cette révolution ? qui en eût même conçu la pensée ? Le seul instrument de progrès moral que l'antiquité ait connu, la philosophie, était précisément l'auteur de l'idée déshonorante attachée au travail. II est permis d'affirmer que, sans le christianisme, cette idée n'eût jamais disparu. Ce ne fut pas trop, pour la détruire, de toutes les ressources surnaturelles dont il disposait. Seul il pouvait réhabiliter le travail, parce que seul il pouvait lui imprimer un caractère divin. Le premier des livres inspirés transmis par les juifs aux chrétiens représente le travail manuel comme la loi imposée par Dieu à l'humanité avant même la chute originelle : Tulit ergo Deus hominem, et posuit eum in paradiso voluptatis, ut operaretur et custodiret ilium2. L'Évangile montre Jésus-Christ acceptant cette loi, consentant à naître dans la maison d'un charpentier, à se faire, charpentier lui-même : Nonne hic est fabri filius ? nonne hic est faber ?3 Les derniers livres du Nouveau Testament mettent en scène saint Paul présentant aux chrétiens ces mains qui ont subvenu à ses besoins et à ceux de ses compagnons, et se rendant le témoignage qu'il n'a pas mangé le pain d'autrui, mais celui gagné par ses labeurs et ses fatigues de jour et de nuit, afin de n'être à charge à personne4. Développant ainsi la loi du travail posée par Dieu, acceptée par l'Homme-Dieu et ses apôtres, la théologie chrétienne effaçait, pour ainsi dire, les hontes que, pendant les siècles écoulés entre Adam et Jésus-Christ, les hommes avaient attachées à l'idée du travail manuel : elle rendait à celui-ci sa noblesse primitive, rajeunie par les souvenirs de Nazareth, d'Ephèse, de Corinthe, de Thessalonique.

Les railleries des païens, qui reportaient sur la :religion nouvelle le mépris qu'ils avaient pour le travail, conduisirent les apologistes chrétiens à insister fréquemment et avec force sur ce point de vue. Une des objections les plus répandues était tirée de la profession laborieuse du fondateur et des apôtres du christianisme. On l'opposait aux chrétiens comme une honte : ils s'en firent hardiment une gloire. Origène accepte fièrement le reproche de Celse accusant les disciples du Christ d'adorer le fils d'une mère qui gagnait sa vie en filant, d'une mère pauvre ouvrière, pauperculœ operariœque matris5. Nous sommes, s'écrie de même saint Jean Chrysostome, les disciples de celui qui a été nourri dans la maison d'un charpentier, et qui a daigné avoir pour mère la femme de cet artisan6. Nulle femme, dit saint Jérôme, ne fut plus illustre que la

1 Valère-Maxime, V, II, 10.

2 Genèse, II, 15.

3 S. Matthieu, XIII, 55 ; S. Marc, VI, 3.

4 Acta Apost., XX, 34 ; I Cor., IV, 12 ; I Thess., II, 9 ; II Thess., III, 8.

5 Origène, Contra Celsum, I, 28, 29.

6 S. Jean Chrysostome, I Cor. Homilia XX, 5.

bienheureuse Marie, l'épouse d'un charpentier. Cette femme de charpentier a mérité d'être la mère de celui qui a remis à Pierre les clefs du royaume des cieux1. Avec non moins de fierté Origène oppose à la sagesse de Platon celle de Paul, le faiseur de tentes ; de Pierre, le pêcheur ; de Jean, qui abandonna les filets de son père2. A aucune époque les chrétiens ne tentèrent de dissimuler la basse origine de leurs premiers maîtres. Quand le christianisme eut triomphé, quand il fut devenu la religion dominante dans l'empire, ils se reportèrent toujours avec un sentiment de filial orgueil vers la petitesse historique de leurs commencements. Saint Jean Chrysostome y revient sans cesse. Si vous étudiez leurs professions, dit-il en parlant des apôtres, aucune n'était grande et honorable ; car si le faiseur de tentes est dessus du pêcheur, il est au-dessous de tous les autres artisans3. Il montre saint Paul vil ouvrier, se tenant à la disposition du public dans son atelier, et, l'outil à la main, professant la vraie philosophie, l'enseignant aux nations, aux villes, aux provinces, bien qu'ignorant et sans éloquence4. Saint Paul, dit-il ailleurs, en tenant l'aiguille et en cousant des peaux, parle avec des hommes constitués en dignité ; et non-seulement il n'a pas honte de cette occupation, mais, dans ses épitres, il dit publiquement quel était son métier, comme s'il en eût gravé l'annonce sur lin cippe d'airain5. De qui, ajoute-t-il, saint Paul fait-il souvent mention dans ses lettres ? de consuls, de maîtres de la milice, de préfets, de riches, de nobles, de puissants ? Non, mais de pauvres et d'indigents, vivant du travail de leurs mains. Dans cette grande ville de Rome, au milieu de ce peuple rempli d'orgueil, c'était des ouvriers que saint Paul faisait saluer de sa part6. De tels exemples saint Jean Chrysostome tire cette leçon : Quand vous verrez un homme qui fend le bois, ou un autre qui, enveloppé de fumée, travaille le fer avec un marteau, ne le méprisez pas. Pierre, les reins ceints, a tiré le filet, a pêché, même après la résurrection du Seigneur. Paul, après avoir parcouru tant de terres, fait tant de miracles, se tenait assis dans son atelier, cousant ensemble des peaux, pendant que les anges le révéraient, que les démons tremblaient devant lui ; et il ne rougissait pas de dire : Ces mains ont subvenu à mes besoins et à ceux de mes compagnons7.

Voilà l'idéal opposé par le christianisme au mépris que le monde antique professait pour le travail des mains, Le travail manuel exercé par des hommes libres, telle est l'image que les chrétiens se plaisent à mettre en lumière quand ils parlent de Jésus-Christ et des apôtres. Le salaire n'est pas pour eux, comme pour Cicéron, le prix de la servitude, auctoramentum servitutis, c'est au contraire la marque de la liberté. Saint Jacques reproche au travail esclave cette injustice fondamentale, l'absence de salaire. Il est temps, s'écrie-t-il, riches, que vous pleuriez, que vous poussiez des hurlements..., car le salaire dû à ceux qui ont moissonné pour vous vos immenses domaines et qui, par votre injustice, n'ont rien reçu en échange, ce salaire crie contre vous, et ce cri est arrivé jusqu'aux oreilles du Dieu des armées8. Ce que veulent les premiers chrétiens, c'est ce travail purifiant et moralisateur qui procure à l'homme le nécessaire en échange

1 S. Jérôme, Ép. 148, Ad Celantiam.

2 Origène, Contra Celsum, VI, 7.

3 S. Jean Chrysostome, De S. Babyla, 3.

4 S. Jean Chrysostome, De laud S. Pauli. Homilia IV.

5 S. Jean Chrysostome, In illud : Salutate Priscillam et Aquilam Homilia I, 2.

6 S. Jean Chrysostome, In illud : Salutate Priscillam et Aquilam Homilia I, 2.

7 S. Jean Chrysostome, In I Cor. Homilia V, 6.

8 S Jacques, V, 1, 4.

de ses efforts : vivre de son travail, dit saint Jean Chrysostome, c'est une sorte de philosophie : ceux qui vivent ainsi ont l'âme plus pure, l'esprit plus fort1. Les circonstances spéciales où se développa la vie des premières communautés chrétiennes les conduisirent à mettre en pratique cet idéal, et à l'affirmer de bonne heure en face des principes contraires de la société païenne. Bien que les fidèles de condition distinguée fussent nombreux dès les premiers jours de la prédication évangélique, la multitude des convertis, le fond, si l'on peut dire, de la population chrétienne, appartenait au bas peuple. Parmi les hommes de cette classe, un petit nombre, méprisé, exerçait des métiers, la plupart vivaient oisifs, nourris par les largesses publiques, s'éloignant volontairement des charges de la famille et cherchant des ressources en se mettant, à des titres divers, au service du luxe, des plaisirs, des passions des riches. Se faire chrétiens était, pour eux, un abandon complet de leur ancienne vie. Ils devaient, en recevant le baptême, renoncer à l'oisiveté, accepter les obligations de la vie de famille, s'abstenir des expédients immoraux à l'aide desquels, jusque-là, beaucoup d'entre eux avaient vécu. Il ne leur restait qu'une ressource, dont le christianisme leur faisait un devoir : le travail des mains2.

Les Constitutions apostoliques énumèrent les professions immorales qui alimentaient un grand nombre de prolétaires et dont l'Église imposait l'abandon à ceux qui se présentaient au baptême : Le leno doit être rejeté s'il ne cesse son infâme trafic, la courtisane si elle ne change de vie, le fabricant d'idoles s'il ne renonce à son métier ; que le comédien, la comédienne, le cocher du cirque, le gladiateur, le coureur de stade le laniste, l'athlète, le joueur de flûte, le joueur de cithare, le joueur de lyre, le maître à danser, le cabaretier, le prostitué, le mage, le sorcier, l'astrologue, le devin, le chanteur de vers magiques, le mendiant, le diseur de bonne aventure, le charlatan, le fabricant d'amulettes, celui qui fait des purifications magiques, l'augure, le montreur de présages et de signes, l'interprète des palpitations, celui qui devine l'avenir en observant les vices des yeux ou des pieds, l'interprète du vol des oiseaux ou des mouches, l'interprète des voix et des bruits symboliques, soient rejetés s'ils ne quittent leur occupation3. Telle était la règle chrétienne. Son application condamnait beaucoup de convertis à une détresse momentanée. L'Église avait autour d'elle, dit M. de Champagny, non-seulement les échappés de l'esclavage, mais les échappés du temple et de la sacristie idolâtrique, les échappés du cirque et du théâtre, les échappés du forum, des basiliques, de tous les ateliers de la tyrannie et de la fiscalité romaine, les échappés même du brigandage, du Vol, de la prostitution, elle les avait autour d'elle émancipés, affranchis, relevés, baptisés, honorés, régénérés, mais affamés. Mère de tant de fils auxquels elle avait donné le pain de la parole, il fallait qu'elle leur assurât de plus le pain du corps4.

Elle n'y manqua jamais. En 249, Eucrate, évêque de Ténis, écrit à saint Cyprien pour lui demander s'il doit permettre à un individu se prétendant chrétien de demeurer histrion. Cyprien répond que ce n'est pas possible, soit que cet homme exerce encore sa profession, soit qu'il se borne à l'enseigner à autrui. Et pour ôter à ce chrétien l'excuse de la misère, il conseille à Eucrate de le secourir sur les fonds de son église : Et s'ils ne suffisent pas, ajoute-t-il, à nourrir tous ceux

1 S. Jean Chrysostome, In I Cor. Homilia V, 6.

2 Qui furabatur, jam non furetur, magis autem laboret, operande minibus suis. S. Paul, Ad Ephes., IV, 20.

3 Const. apost., VIII, 32.

4 De Champagny, Les Antonins, t. II, p. 137.

qui sont dans le besoin, qu'il vienne à nous, nous lui fournirons le vivre et le vêtement, et au lieu que, séparé de l'Église, il enseigne à d'autres des arts mortels pour leurs âmes, il apprendra, dans le sein de l'Église, ce qui est salutaire pour la sienne1.

C'est ainsi que l'Église accueillait ces convertis. Elle subvenait à leurs premiers besoins, au dénuement auquel les avait souvent réduits l'abandon d'une profession condamnée, à l'aide des ressources accumulées par le travail des fidèles. Faites le bien au moyen de votre travail, dit le livre du Pasteur2. Du fruit du travail des chrétiens, habillez ceux qui ont froid et faim, disent les Constitutions apostoliques3. Après avoir mis momentanément les convertis à l'abri du besoin, elle leur apprenait à travailler, et, aux professions qu'elle leur ordonnait d'oublier, substituait des arts utiles, un honorable emploi de leurs forces. Les Constitutions apostoliques font un devoir à l'évêque de donner du travail à l'artisan et de fournir à l'enfant orphelin de quoi apprendre un métier, et, quand il le connaîtra, s'acheter les outils nécessaires à sa profession4 : il était impossible que l'Église ne prît pas le même soin de convertis qui venaient à elle après avoir renoncé à tout, que mille tentations entouraient encore et dont beaucoup, à la suite d'une vie molle et criminelle, n'avaient pas moins besoin que l'enfant d'être initiés charitablement à l'exercice d'une profession honnête.

L'Église était bien récompensée de ses soins quand elle pouvait dire ensuite : Ils ne volent plus, ne pillent plus, ne dérobent plus ; ils ne sont plus cochers, chasseurs, histrions, voués aux gains honteux : ils produisent innocemment et honnêtement ce qui est nécessaire aux besoins des hommes ; ils sont forgerons, constructeurs, cordonniers, laboureurs ou artisans de même nature5.

Ainsi, par l'effet naturel de la prédication chrétienne, s'augmentait le nombre des travailleurs. Des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, étaient par elle arrachés à l'oisiveté ou à des situations pires que l'oisiveté : devenus membres de l'Église, ils n'avaient de ressource que dans le travail, dont l'accès leur était libéralement ouvert par la charité fraternelle des chrétiens. De l'homme du peuple oisif, du parasite, du cocher du cirque, du gladiateur, du mime, du devin, du serviteur des idoles, du misérable jouet des voluptés antiques, le baptême faisait un ouvrier ; de la courtisane, de la comédienne, de la danseuse, de la joueuse de flûte, il faisait une ouvrière ; par lui entrait dans le monde romain une somme de travail, et de travail libre, inconnue auparavant et qui allait, croissant chaque jour, faire peu à peu au travail esclave une concurrence redoutable. A mesure qu'un plus grand nombre de prolétaires embrassais le christianisme, la balance des forces économiques se modifiait dans la société romaine : dans le plateau du travail libre, à peine chargé jusque-là, s'ajoutait sans cesse un poids nouveau : l'équilibre tendait insensiblement à s'établir, et un jour allait venir où, par l'action de bien des causes, dont la principale fut l'extension du christianisme, il devait être rompu au profit du travail libre devenu plus abondant que le travail esclave.

Ce fut l'œuvre de plusieurs siècles ; mais, dès le début de la prédication chrétienne, un observateur attentif eût pu le prévoir. Les églises formaient de

1 S. Cyprien, Ép. 61.

2 Hermas, Pastor, II, mandatum 2.

3 Const. apost., IV, 9.

4 Const. apost., IV, 2.

5 S. Augustin, De opere monachorum, 14. — Ce texte est ici légèrement détourné de son sens.

petites sociétés de travailleurs où chacun s'aidait mutuellement, où le travail de l'artisan chrétien trouvait ses débouchés naturels et son écoulement normal, et où, par la force de cohésion, par l'union intime et fraternelle, il se créait un centre de résistance capable de repousser le monopole envahissant des grands possesseurs d'esclaves, ces maîtres presque absolus de tous les marchés romains. Toutes les professions honnêtes étaient exercées par les chrétiens.

Dans les églises primitives, l'évêque et le prêtre donnaient souvent l'exemple du travail, suivant en ceci la tradition apostolique, comme les apôtres avaient suivi la coutume juive. Cet usage persista longtemps, et plusieurs lois du IVe siècle exemptent de certaines charges fiscales les clercs qui exercent un commerce ou un métier : il est certain, dit une d'elles, que les gains qu'ils retireront de leurs boutiques ou de leurs ateliers seront employés à fournir des aliments aux pauvres1. Quand on parcourt la liste des professions des premiers chrétiens (et il est facile de la dresser d'après les Actes des martyrs et les inscriptions des catacombes2), on n'y rencontre, à première vue, rien qui fasse présager une révolution économique et morale, rien qui annonce la formation d'une société nouvelle. Les païens et les chrétiens se servaient des mêmes procédés, des mêmes outils : il n'y a pas deux manières de travailler. Mais les proportions étaient changées. Les églises primitives ne comptaient pas d'oisifs dans leur sein.

Dans les églises primitives, l'évêque et le prêtre donnaient souvent l'exemple du travail, suivant en ceci la tradition apostolique, comme les apôtres avaient suivi la coutume juive. Cet usage persista longtemps, et plusieurs lois du IVe siècle exemptent de certaines charges fiscales les clercs qui exercent un commerce ou un métier : il est certain, dit une d'elles, que les gains qu'ils retireront de leurs boutiques ou de leurs ateliers seront employés à fournir des aliments aux pauvres1. Quand on parcourt la liste des professions des premiers chrétiens (et il est facile de la dresser d'après les Actes des martyrs et les inscriptions des catacombes2), on n'y rencontre, à première vue, rien qui fasse présager une révolution économique et morale, rien qui annonce la formation d'une société nouvelle. Les païens et les chrétiens se servaient des mêmes procédés, des mêmes outils : il n'y a pas deux manières de travailler. Mais les proportions étaient changées. Les églises primitives ne comptaient pas d'oisifs dans leur sein.

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 188-200)