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LES ESCLAVES

Dans le document LES ESCLAVES CHRÉTIENS (Page 81-99)

I

Tuer, dans l'esclave, la conscience, anéantir autant que possible son âme, faire de lui, selon une expression que l'antiquité lui appliquait souvent, un corps1, tel fut, volontaire ou inconscient, l'effort de la classe dominante sur la classe servile tain que dura l'esclavage. Les nègres n'ont pas d'âme, ont dit certains esclavagistes modernes : l'antiquité païenne traita les esclaves comme s'ils n'avaient pas eu d'âme ; elle usa d'eux, dit Sénèque, comme on use des animaux2 ; elle s'efforça d'abolir en eux tous les signes distinctifs de la personne humaine. Une tête servile n'a pas de droits, disent les jurisconsultes3.

Le premier signe de la personne humaine, la marque de son individualité, c'est le nom. Cette propriété que l'homme ne perd pas, même en mourant, et qu'il transmet à ceux qui continuent sa personne, l'esclave ne la possédait pas. Il n'avait pas de nom de famille, mais un simple surnom. Le prœnomen, le nomen, le cognomen, sont propres aux hommes libres, dit Quintilien ; quiconque n'est pas libre n'y saurait prétendre4. L'esclave était désigné par une sorte d'agnomen qui ne passait pas à ses enfants, mais mourait avec lui.

A l'origine de Rome, quand on n'avait dans sa maison qu'un seul esclave, celui-ci ne recevait même pas de surnom qui lui fût propre : on l'appelait l'esclave de Marcus, l'esclave de Lucius, Marcipor, Lucipor5. Plus tard, quand les esclaves furent devenus si nombreux qu'il y avait, dans certaines maisons, un nomenclator spécial chargé de retenir leurs noms6, il fallut varier ceux-ci à l'infini. On les emprunta soit à la mythologie et à la Fable : Eros, Anteros, Phœbus, Hermes, Calliope, Memnon, Diomedes, Perseus7 ; — soit à l'histoire positive ou légendaire : Pharnaces, Phraates, Mithridates, Priamus, Achilles, Patroclus, Romulus, Ptolemæus, Antiochus, Midas, Cresus, Artemisia, Arsinœ, Semiramis, Dido8 ; — soit à l'astronomie : Lucifer, Hesperius9 ; — soit au lieu d'origine de l'esclave : Lydus, Syrus, Libanus, Geta, Davus, Pamphylus, Macedo, Messenio, Ion, Ephesius, Syra, Cilix10 ; — soit à quelque animal : Ursus, Lupus,

1 Il y avait à Athènes, dit Hesychius, une enceinte où se vendaient les ustensiles et les corps, σκεύη καί σώµατα. Cf. de nombreux exemples dans les Inscriptions de Delphes de M. Foucart, et le texte grec du livre de Tobie, X, 10, du IIe livre des Macchabées, VIII, 11. Pour la même expression chez les latins, voir Valère Maxime, VII, VI, 1, cellis servilibus extracta corpora ; et Ovide, Amor., III, IV, 33-34, metus externæ corpora gentis agat.

2 Sénèque, Ép. 47.

3 Servila capur nullum jus habet. Paul, au Dig., IV, V, 3.

4 Quintilien, Inst. orat., VII, 3, § 26 ; cf. Declam., CCCXI.

5 Pline, Hist. nat., XXXIII, 6.

6 Pline, Hist. nat., XXXIII, 6.

7 Orelli, 2784, 2828, 2934, 2983, 3090, 4165, 4263, 4271, 4377, 4417, 4463, 4675, 4823, 4927 ; Henzen, 6201, 6203, 6284, 6387, 6588, 7279, 7286, 7395.

8 Orelli, 2783.

9 Orelli, 2785.

10 Varron, De Lingua latina, VIII, 21.

Leopardus1 ; — soit tout simplement au marchand par qui l'esclave avait été vendu2. La mode était pour beaucoup dans le choix de ces noms : Quels sont, dit Varron, les maîtres qui donnent aujourd'hui à leurs esclaves des noms tombés en désuétude ?3

Au point de vue légal, l'esclave n'était pas une personne4. Dans les lois, dans les actes administratifs, dans les contrats privés, dans les dispositions testamentaires, il est toujours assimilé à l'animal ou à la chose. Un esclave ou un autre animal, dit quelque part Ulpien, servus vel animal aliud5. Gaius définit l'usufruit un droit qui s'étend non-seulement sur les fonds et les maisons, mais encore sur les esclaves, les bêtes et les autres choses, in servis et jumentis cœterisque rebus6. La loi Aquilia de damno infecto condamne à une même réparation celui qui a tué un esclave et celui qui a tué une bête de somme, égalant ainsi, remarque Gaius, nos esclaves et les animaux qui composent proprement le bétail domestique, comme les brebis, les chèvres, les bœufs, les chevaux, les mules, les ânes7. Un testateur lègue un domaine avec tout son mobilier, les esclaves et les autres choses qui s'y trouvent8. Les actions édilitiennes, dit Pomponius, peuvent être intentées au sujet non seulement des esclaves, mais de tous les animaux9. En matière de vices rédhibitoires, l'assimilation de l'esclave à l'animal est complète. Un esclave porté à s'enfuir est-il entaché d'un vice qui doive être déclaré par le vendeur ? demande Ulpien. Non : l'édit des édites curules ne parle que des vices du corps, et celui-ci est un vice de l'âme ; il en est de même, dans l'opinion de quelques-uns, pour les chevaux peureux et récalcitrants : c'est un vice de l'âme et non du corps ; il n'est pas nécessaire de le déclarer10. Et plus loin : Un esclave dont la langue est coupée doit-il être considéré comme malade ? Ofilius a résolu la question en ce qui concerne les chevaux, qui, dit-il, en pareil cas, doivent être jugés malades11. On peut rapprocher de ces textes le célèbre conseil de Caton au père de famille économe : Qu'il vende les vieux bœufs, les veaux et les agneaux sevrés, la laine, les peaux, les vieilles voitures, les vieilles ferrailles, le vieil esclave, l'esclave malade12.

Légalement l'esclave était donc un meuble, res mobilis ; au point de vue commercial et douanier, c'était une marchandise, merx. Quelques jurisconsultes reculaient devant cette appellation : Le mot marchandise ne comprend pas les hommes, selon Méla, dit Africanus ; c'est pourquoi il donne aux maquignons (mangones) le nom de venaliciarii et non de marchands : et il a raison13. En fait, l'esclave était traité comme une marchandise. M. Léon Rénier a publié le tarif douanier de Zraia, en Afrique, l'ancienne colonie romaine Julia Zarai. Les esclaves, les chevaux, les juments, mulets et mules payent, par tête, le même

1 Orelli, 2980, 4049.

2 Varron, De Lingua latina, VIII, 21.

3 Varron, De Lingua latina, IX, 22.

4 Ulpien, au Dig., II, VII, 3.

5 Ulpien, au Dig., VI, I, 15, § 3.

6 Gaius, au Dig., VII, I, 3, § 1.

7 Gaius, au Dig., IX, II, 2, § 2.

8 Scævola, au Dig., XV, II, 59. Cf. Marcien, ibid., XXXII, III, 95.

9 Pomponius, au Dig., XXI, I, 48.

10 Ulpien, au Dig., XXI, I, 4, § 3.

11 Ulpien, au Dig., XXI, I, 8.

12 Caton, De Re rust., 2.

13 Africanus, au Dig., L, XVI, 207.

droit, 1 denier et demi ; un tapis de table et une tunique sont également tarifés à 1 denier et demi1. Quintilien met en scène, dans une de ses Declamationes, un marchand faisant passer sous le costume d'un homme libre un esclave d'un grand prix, afin d'éviter de payer un droit de douane élevé2 ; il y avait des ports où le droit était fixe, comme celui de Julia Zarai, d'autres où il était proportionnel à la valeur de l'esclave. Marcien cite les eunuques (spadones) parmi les marchandises payant l'impôt3. Qu'on lise dans l'Apocalypse l'énumération des marchandises qu'achetait la grande Babylone, c'est-à-dire Rome : Objets d'or et d'argent, pierres précieuses, perles, fin lin, pourpre, soie, écarlate, bois de thuya, ivoire, airain, fer, marbre, cinname, amome, parfums, huiles aromatiques, encens, vin, huile, fleur de farine, froment, bétail, brebis, chevaux, chars, corps et âmes d'hommes4.

L'assimilation de l'esclave à l'animal se continuait jusque dans les intimes relations de l'homme, de la femme, des enfants, qui constituent la vie de famille.

En droit, la famille n'existait pas pour l'esclave. Il n'était époux, père ou mère, qu'autant que l'humanité ou l'intérêt du maître le permettait.

L'union des esclaves ne portait pas le nom de mariage. Par Hercule ! a-t-on jamais vu cela ? s'écriaient certains spectateurs d'une comédie de Plaute : des mariages d'esclaves ! un esclave prendre une épouse ! C'est contraire à la coutume de tous les peuples5. L'esprit de calcul que les Romains portaient en 'toute chose présidait quelquefois aux plus intimes détails de la vie domestique de leurs esclaves. Tel d'entre ceux-ci, le villicus, par exemple, ou le berger, devait toujours avoir une femme6 : c'était l'intérêt du maître, qui attachait ainsi plus étroitement l'esclave à l'exploitation. Bien que, selon le mot d'un jurisconsulte, on n'achète pas des femmes esclaves pour leur faire produire des enfants comme un champ produit des fruits7, il y avait des maîtres qui spéculaient sur les accroissements de cette nature. Ils trouvaient un avantage à posséder, selon la brutale expression de Marcien, un ventre et des enfants, ventrem cum liberis8. Quelques-uns promettaient la liberté à leur esclave quand elle aurait eu trois enfants9 ; d'autres l'affranchissaient quand elle en avait eu davantage10 ou quand elle avait mis au monde un enfant mâle11. Ceux-ci tenaient à acquérir des femmes esclaves d'une fécondité déjà éprouvée, et les jurisconsultes décidaient que si une esclave, vendue comme féconde, se trouvait stérile, la condition du contrat n'ayant pas été réalisée, la résolution de la vente devait être prononcée12. D'autres maîtres défendaient à leurs esclaves d'avoir des enfants. Columelle semble dire que l'on permettait rarement le mariage aux esclaves occupés de la confection et du soin des provisions de bouche, pistores,

1 Léon Rénier, Inscriptions de l'Algérie, LIII ; cf. Rapport adressé au prince ministre de l'Algérie, Moniteur du 6 décembre 1858.

2 Quintilien, Declam., CCCXL.

3 Marcien, au Dig., XXXIX, IV, 16, § 7.

4 Apocalypse, XVIII, 12-13.

5 Plaute, Casina, Prologus, 68-70.

6 Varron, De Re rust., I, 17 ; II, 1.

7 Ulpien, au Dig., V, III, 27.

8 Marcien, au Dig., XXX, I, 21.

9 Tryphoninus, au Dig., I, V, 15.

10 Columelle, I, 8.

11 Ulpien, au Dig., XXXIV, V, 10, § 1.

12 Paul, au Dig., XXIX, I. Cf. Ulpien, ibid., XXI, I, 14.

coci, cellarii1. Le vieux Caton, ayant observé, dit naïvement Plutarque, que ce qui rend le plus ordinairement les esclaves paresseux et disposés à mal faire, c'est l'amour, établit que ses esclaves ne pourraient avoir commerce avec leurs compagnes qu'en certains temps, pour une certaine pièce d'argent qu'il fixa, avec défense d'approcher jamais d'une femme étrangère à la maison2. Les maîtres sévères, dit Tertullien, ne permettaient à leurs esclaves de s'unir qu'entre eux, et leur interdisaient de prendre un mari ou une femme dans une maison étrangère3. L'intérêt du maître le poussait quelquefois au crime : un testateur, raconte Ulpien d'après le jurisconsulte Julien, ayant donné la liberté à son esclave Aréthusa si elle mettait au monde trois enfants, l'héritier, pour empêcher l'accomplissement de la condition, donna à cette malheureuse des breuvages abortifs. L'esclave, conclut humainement le jurisconsulte, devra recevoir la liberté, puisque c'est par la fraude de l'héritier que la condition ne s'accomplit pas4 ; mais cet exemple montre quelle était la situation des femmes esclaves, qui ne pouvaient être mères sans la permission de leurs maîtres.

Là où celui-ci permettait à deux esclaves de vivre ensemble, de partager la même tente, selon l'expression consacrée (contubernium), leur union demeurait fragile et sans dignité. Aucune loi n'y présidait. Pour écarter toute idée d'un mariage possible entre les esclaves, le droit romain déclarait formellement que d'esclave à esclave il ne pouvait y avoir d'adultère ; chacun était libre de violer le contubernium de son compagnon d'esclavage5. L'union des esclaves n'était protégée ou réglementée qu'autant que le maître le voulait. Le plus souvent il ne s'en occupait pas. Parmi nous, dit l'esclave du Querolus, il n'y a pas de jalousie : tout est à tous6. Une comédie de Plaute7 et plusieurs inscriptions romaines8 montrent la même esclave épouse à la fois de deux de ses compagnons d'esclavage. Une autre inscription mentionne un esclave mari de sa sœur9. Le droit romain ne reconnaît pas de parenté entre les esclaves10. Ce n'est que par grâce que l'on consent à leur donner les noms de pères, de fils, de frères11. Quand les esclaves ont été rendus libres par l'affranchissement, la loi interdit formellement au père d'épouser sa fille, au frère de devenir le mari de sa sœur, au fils de se marier avec sa mère12 ; tant que dure l'esclavage, il n'existe, pour les cas les plus monstrueux, aucune prohibition, aucun empêchement légal.

Rien ne garantissait la durée des unions d'esclaves. Le maître pouvait séparer l'un de l'autre l'homme et la femme qui avaient contracté le contubernium. Il pouvait envoyer l'un dans un domaine éloigné, conserver l'autre près de lui ; vendre l'un des deux ; les obligerà contracter d'autres liens. Même sans intention cruelle du maitre, de telles séparations devaient être fréquentes. Elles pouvaient

1 Columelle, XII, 4.

2 Plutarque, Cato major, 21.

3 Tertullien, Ad uxorem, II, 8.

4 Ulpien, au Dig., XL, VII, 3, § 16.

5 Dioclétien, anno 290, au Code Just., IX, IX, 23. Cf. Papinien, au Dig., XLVIII, V, 6.

6 Querolus, II, IV. 7 Le Stichus.

8 Orelli, 2836 ; Henzen, 6294.

9 Mommsen, Inscr. regni Neap., 7072.

10 Ad leges serviles cognationes non pertinent. Paul, au Dig., XXXVIII, X, 10, § 5 ; cf.

Ulpien, ibid., VIII, 1, § 2.

11 Paul, au Dig., XXXVIII, X, 10, § 5.

12 Paul, Pomponius, au Dig., XXIII, II, 8, 14, § 2 ; mais cette prohibition n'a lieu que si ex servitute manumissi sunt.

résulter du partage d'une succession, d'une saisie, d'une vente forcée. Un maître humain, qui avait respecté l'amour de deux esclaves, les vendra peut-être à un maître sans entrailles, qui les séparera. Disons-le à la louange des maîtres antiques, il s'en est trouvé d'assez généreux pour vendre moins cher, minorato pretio, un couple d'esclaves mariés, à condition que l'acheteur les conserverait toujours avec lui et les laisserait libres en mourant1. Quelquefois, cependant, le bienfait du maître anéantissait, malgré lui, l'union de deux esclaves. Un maître affranchit par testament un esclave : il omet de donner à la contubernalis de celui-ci la liberté. Si l'affranchi n'est pas assez riche pour racheter sa compagne, ou si l'héritier refuse de la vendre, ces deux malheureux sont à jamais séparés.

Un esclave espagnol avait été ainsi affranchi par testament ; son maitre lui avait en outre légué quelques biens. Il les abandonna à l'héritier en échange de la liberté de sa compagne, nihil prœter optimum pretium libertatis uxoris suœ abstulit2. Quelquefois un testateur, en affranchissant son esclave, lui léguait sa contubernalis3 ; l'ancien esclave affranchissait à son tour celle-ci et contractait avec elle un mariage légal, devenant ainsi, comme disent tant d'inscriptions, son patron en même temps que son époux, patronus idem conjux. C'étaient là les heureux ; mais qui dira les souffrances des autres ? Les jurisconsultes du IIIe siècle n'y furent point insensibles, et tentèrent de diminuer par une interprétation humaine des actes juridiques les causes de séparation des esclaves mariés. Sur deux points Ulpien présente des solutions favorables au maintien de leur union.

Quand une exploitation agricole a été léguée, les esclaves qui y exercent divers métiers sont compris dans le legs : il faut supposer, dit le jurisconsulte, que, dans l'intention du testateur, leurs femmes et leurs enfants habitant avec eux y sont compris également ; car on ne peut présumer chez le testateur la volonté de leur imposer une séparation cruelle4. Cette solution est bien timide ; elle ne va point contre l'intention qu'aurait formellement exprimée un testateur ; elle tente seulement de faire triompher à la faveur de son silence une présomption d'humanité. Une consultation inspirée par les mêmes principes, mais plus hardie, est donnée par Ulpien en matière d'action rédhibitoire. Plusieurs esclaves ont été vendus ensemble ; ce sont des parents et des enfants, ou des frères, ou des personnes unies par le lien du contubernium, personis contubernio sibi conjunctis

; si l'un des deux esclaves objets de la vente était, lors du contrat, atteint d'une maladie, et que l'action rédhibitoire soit exercée par l'acheteur, la vente ne sera pas rescindée pour le seul esclave malade, mais aussi pour ceux unis avec lui par des liens de parenté ou de contubernium ; les séparer, en retenant l'un et en rendant l'autre, serait, dit le jurisconsulte, un acte impie, ad pietatis rationem offensam5. Belle parole, presque chrétienne, digne du ministre d'Alexandre Sévère. Il n'en faut point cependant exagérer la portée ; les causes de séparation des contubernales étaient innombrables, et sur deux points seulement, en matière de legs d'une villa exploitée par des esclaves et en matière d'action rédhibitoire, Ulpien fait entendre de généreuses réserves. On va voir dans les rapports des pères et des mères esclaves avec leurs enfants cette piété dont parle le jurisconsulte souvent offensée, et quelquefois par des solutions d'Ulpien lui-même.

1 Scævola, au Dig., XVIII, VII, 10.

2 Corpus inscr. lat., t. II, 2265.

3 Scævola, au Dig., XXXII, III, 41, § 2. Cf. Pétrone, Satyricon, 71.

4 Ulpien, au Dig., XXXIII, VII, 12, § 7.

5 Ulpien, au Dig., XXI, I, 35. Cf. Paul, ibid., 39.

En droit pur, les enfants des esclaves étaient un produit, au même titre que les fruits des arbres et les petits des animaux domestiques. Gaius énumère parmi les choses futures susceptibles d'hypothèque les fruits pendants aux branches, l'enfant d'une esclave enceinte, les petits que donneront les brebis1. Paul déclare que les fruits, l'enfant de l'esclave, le petit de l'animal, peuvent être usucapés2. Mais les choses volées ni leurs produits ne le peuvent être ; c'est pourquoi, dit Ulpien, l'héritier du voleur ne peut devenir propriétaire par usucapion du petit de la vache ou de l'enfant de l'esclave volées par son auteur3. La comparaison est partout poursuivie : ainsi, ne sera pas considéré comme ayant eu l'intention de voler, dit Gaius, l'usufruitier qui, sachant que les produits des troupeaux dont il a l'usufruit lui appartiennent, a cru qu'il en était de même pour l'enfant de l'esclave usufructuaire, et l'a vendu4. Au contraire de l'usufruitier, le fidéicommissaire chargé de restituer une hérédité ne pourra conserver ni l'enfant de l'esclave ni les petits des animaux faisant partie du fidéicommis5. Il serait facile de citer un grand nombre d'autres textes rapprochant et assimilant les partus ancillarum et les fœtus pecorum6.

En fait, l'enfant né esclave n'appartenait guère plus à son père et à sa mère que le petit animal domestique. Davus ne donnait pas naissance à de petits Davi, mais à de petits Mithridates ou de petits Alexandres qui, à peine nés, se confondaient dans la foule des esclaves sans même que la communauté de nom les rattachât à leur père. Le maître dirigeait leur éducation ;. il jouait dans la maison le rôle que les socialistes modernes voudraient donner à l'État.

Quelquefois, pour que les femmes esclaves ne fussent pas détournées de leur travail par le soin de leurs enfants, on confiait ceux-ci, plusieurs ensemble, à une nourrice commune ou même à un père nourricier7, et, plus tard, à un pédagogue chargé de les dresser8. Naissait-il trop de petits esclaves ? le maître renonçait à les élever ; il les exposait. Quelquefois un curieux procès avait lieu à ce sujet entre le mari et la femme : les esclaves contenues dans la dot de celle-ci étaient trop fécondes, le mari refusait de nourrir leurs enfants ; la femme, qui voyait dans la naissance de nouveaux esclaves un accroissement de capital dotal, voulait, au contraire, qu'ils fussent élevés ; les jurisconsultes décident qu'elle peut, dans ce cas, diriger une action contre son mari9. De tels procès devaient être peu fréquents du temps de Clément d'Alexandrie : ses contemporaines préféraient, dit-il, acheter des esclaves tout élevés et tout dressés ; il montre des dames romaines nourrissant des poulets avec une sollicitude maternelle et exposant les enfants qui naissaient dans leurs maisons10. Qu'on exposât l'enfant esclave, qu'on le mit à mort, qu'on le vendît, qu'on le mutilât, qu'on le déshonorât, qu'on le prostituât, le père et la mère n'avaient pas le droit de se plaindre. Est-on père quand on est esclave ? dit Plaute11.

1 Gaius, au Dig., XX, I, 15.

2 Paul, au Dig., XLI, III, 4, § 5.

3 Ulpien, au Dig., XLI, III, 10, § 2.

4 Gaius, au Dig., 36, § 1.

5 Papinien, au Dig., XXXVI, I, 58, § 4.

5 Papinien, au Dig., XXXVI, I, 58, § 4.

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