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T RAJECTOIRE DE P ATRICK C HAMOISEAU

G RANDES ARTICULATIONS DU TRAVAIL

3. T RAJECTOIRE DE P ATRICK C HAMOISEAU

3.1.DISPOSITIONS

Bourdieu définit les dispositions comme « l’ensemble des propriétés incorporées » que possède un agent, « y compris l’élégance, l’aisance ou même la beauté, et le capital sous ses diverses formes, économique, culturel, social153 ». Ces dispositions, qui dépendent

des catégories de perception résultant de l’expérience de vie, ainsi que des positions

146 Auguste Joyau, Panorama de la littérature à la Martinique : XVIIe et XVIIIe siècles, Morne Rouge,

Éditions des Horizons Caraïbes, 1974 ; Jacques Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Fort- de-France, Désormeaux, 1978.

147 Pierre Bourdieu, « Le champ littéraire », art. cit., p. 36. 148 Id.

149 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la Créolité, Paris, Gallimard, 1989. 150 Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, op cit.

151 Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Lettres créoles : tracées antillaises et continentales de la littérature : Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane, 1635-1975, Paris, Gallimard, 1999.

152 Geneviève Guérin, « De Solibo Magnifique à Biblique des derniers gestes », mémoire cité, f. 34. 153 Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, op. cit., p. 28.

occupées successivement dans le champ, déterminent les manières de voir et de construire le monde. Elles « vont commander et la manière de jouer et la réussite au jeu154 ».

Patrick Chamoiseau, cadet d’une famille de cinq enfants, est né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France, dans une Martinique départementalisée. Sa famille possède un faible capital économique et vivra des « temps de misère » (E1, 28). Ses deux parents et les cinq enfants sont locataires d’un vieil appartement « en bois, à l’époque où l’on ne vivait que dans des maisons en béton » (E1, 32). L’effort des parents pour préserver leur progéniture d’un sentiment d’infériorité a sans doute aidé Chamoiseau à avoir une enfance heureuse et à percevoir sa demeure comme « un vaste palais » (E1, 164). En ce sens, il raconte que

dans cette rue du centre-ville notre famille était sans doute la moins bien lotie. C’étaient pour l’essentiel des Syriens à magasins, et mulâtres fonctionnaires, patrons de manufactures et d’entrepôts d’import-export. Man Ninotte, consciente de notre désavantage, avait toujours tracé la ligne, interdisant à ses enfants de se rendre chez qui que ce soit, pour ne pas être confrontés au détour d’une remarque, à la brûlure d’une malveillance et aux réalités de notre pauvre condition. Il fallait donc éviter les visites et consacrer son temps à étudier plus que les autres… (E3, 58)

Les précautions maternelles n’empêcheront pas pour autant Chamoiseau d’acquérir, très vite, une conscience aigüe de son déclassement social. La présence obsédante des thématiques de la précarité et de la misère dans ses trois récits d’enfance et dans plusieurs de ses romans en est symptomatique.

Le père, homme respecté, est un « mulâtre155 » élégant, soucieux de sa présentation et

de ses manières, cultivé et intéressé par l’actualité, l’Histoire et les problématiques mondiales. Musicien dans sa jeunesse, puis cordonnier et facteur, il est décrit comme un « manieur de vocabulaire français » (E1, 28), amateur du langage et des classiques de la littérature française, mais aussi grand orateur, « érigeant autour de lui, lors des compagnies du punch, les cathédrales d’un haut français » (E1, 98). Pour lui, comme le signale Bourdieu, l’hexis corporelle – dont le langage est une dimension – explique tout le rapport au monde social156. Par son passé d’artiste, « le Papa » conserve son amour pour la musique

– il écoute des opéras et de la musique classique – qu’il défendra comme une « pratique

154 Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, op. cit., p. 28.

155 Dans la culture antillaise, le fait d’être métis et d’avoir la peau plus claire est un signe de distinction

sociale.

honorable » (E3, 67). Chamoiseau ne le connaîtra qu’« en mulâtre à crinière blanche » (E1, 98), malade. Il ne retiendra de lui que « le souvenir de cette présence altière, qui passait en silence, ne lui parlait jamais, ou qui parfois au moment de la sieste, lui lisait une page d’almanach ou une fable de La Fontaine… » (E3, 70). Cependant, il avoue sa fascination pour cette figure capable de modifier l’ordre des choses par sa seule présence. Ce dernier sera hospitalisé jusqu’à sa mort, alors que le négrillon est encore enfant.

« Man Ninotte », la mère, est une « négresse guerrière » et pilier du foyer. Elle rêvait d’être chanteuse, mais elle fut dans sa jeunesse placée chez une métisse pour des tâches domestiques et devint, par la suite, femme au foyer et cuisinière. Ce qui ressort le plus de la description de Man Ninotte est sa force, son endurance et sa bravoure. Figure centrale et imposante, Man Ninotte semble être le modèle de vie le plus admiré de Chamoiseau : elle inspire chacun de ses personnages dont il fait l’éloge dans ses romans157. La mère est

dépeinte comme une femme et une mère dévouée, vaillante, consacrée au bien-être et à la réussite de ses enfants. Chamoiseau se souvient qu’elle « semblait conférer à l’école une autorité suprême […] cela semblait être l’ultime sens de sa vie » (E2, 98). Et, si elle ne lit presque pas, elle connaît la valeur symbolique des livres qu’elle conserve et qu’elle « mignonne » (EPD, 33). Man Ninotte, créolophone, est sensible à la beauté de la poésie en langue française qu’elle admire d’abord chez le Papa, capable de maîtriser « une ire de Man Ninotte avec un bout de Corneille » (E1, 97), puis chez son petit dernier, le « poète » de la famille. En effet, selon Chamoiseau, la fascination pour le français plutôt que ses aptitudes pour l’écriture lui « conféra une identité familiale » (EPD, 74). Il dira : « [s]i j’avais écrit en créole, je serais demeuré plus invisible que les crabes-mantous lors des grands secs de février. » (Id.)

L’enfance de Chamoiseau est ainsi marquée, principalement, par la figure du père – celui qui possède le plus de capital symbolique et qui manie le discours d’autorité – et par celle de la mère, modèle de résistance héroïque des « dominés ». Cette double influence

157 L’écrivain affirme dans un entretien : « Ma mère est au principe de tous mes livres. C’est elle qui habite

tous mes personnages féminins et même tous les autres personnages qui luttent contre l’existence, contre la déveine. Et tout l’univers sensible de mes textes vient de ma mère. » (Entretien radiophonique de Patrick Chamoiseau avec Antoine Spire lors de l’émission « L’échappée belle », diffusée sur France Culture le 8 mars 1996. Cf. Samia Kassab-Charfi, Patrick Chamoiseau, Paris, Gallimard/Institut français, 2012, où est inclus un cd audio de l’INA)

explique probablement la disposition de Chamoiseau à s’identifier profondément aux « dominés158 », à ne jamais cesser de fréquenter ces milieux sociaux et de s’y impliquer

(entre autres par son travail d’éducateur de jeunes délinquants). Chamoiseau fréquente également les milieux socio-culturels « dominants » dont il constitue aujourd’hui l’un des principaux représentants. Il a compris très tôt que l’accumulation de capital culturel, faute de capital économique, peut contribuer à un reclassement social, comme va en témoigner sa scolarisation.

L’expérience de l’école française apparaît traumatisante et aliénante pour Chamoiseau. On n’y vit pas, on y survit. La description du Maître traduit bien la représentation de l’Antillais assimilé et dominé. Raciste et violent, le Maître favorise et institue la distinction sociale des enfants en affichant sa préférence pour ceux qui appartiennent aux classes dominantes. Ils parlent français, sont plus « clairs » et de meilleure situation socio-économique. Chamoiseau raconte que

[l]es préférés des Maîtres se ressemblaient. Ils partageaient presque la même distance que ceux-ci entretenaient vis-à-vis de nous. Ils étaient mieux habillés, leurs chaussures étaient plus fines, leurs chaussettes brodées avalaient leurs genoux. À la récréation, ils ne participaient jamais à nos batailles assoiffées autour des robinets, et tétaient des gourdes ostentatoires pleines de merveilles sucrées. Elles demeuraient accrochées à leur ceinture de cuir et suscitaient à l’entour une soif déchirante. (E2, 106)

Ainsi, l’école offre l’occasion à Chamoiseau de prendre conscience et de vivre l’expérience du déclassement. Sa physionomie ne correspond pas au modèle dominant : c’est un « négrillon », petit, malingre et avec la corpulence d’un ouistiti (E1, 14). Son caractère n’est pas celui d’un leader : il est plutôt timide, sensible, mélancolique, songeur et solitaire. Pendant les récréations, il reste à l’écart et fréquente les enfants avec un tempérament similaire au sien. De plus, il comprend qu’il est dépourvu de capital économique et de capital social hérité, comme celui que confère un « grand nom » :

son nom était un machin compliqué rempli de noms d’animaux, de chat, de chameau, de volatiles et d’os. Comme si cela ne suffisait pas, il se découvrit affublé d’une prononciation réfugiée en bout de langue qui l’amenait à téter les syllabes les plus dures et à empâter les autres. Cela transforma son nom en un mâchouillis d’un haut comique qui acheva son anéantissement. (E2, 51)

Ce sentiment se voit renforcé par le dénigrement de l’institution scolaire envers tout ce qui constitue l’identité créole. Le Maître associe celle-ci à la sauvagerie et à la déchéance. La langue créole y est interdite et considérée comme « l’irrémédiable boulet qui maintiendrait les enfants dans les bagnes de l’ignorance » (E2, 85). Ainsi, souligne Chamoiseau, pour des enfants comme lui dont la langue maternelle était le créole, « [p]rendre la parole fut désormais dramatique. » (E2, 83) Face aux humiliations auxquelles ils étaient soumis, « [c]hacun se sentait invalidé » (E2, 84) et « [p]arler devint héroïque » (E2, 83). L’enseignement est donc source d’étrangeté et d’écrasement : non seulement il est dispensé dans une langue française étrangère – puisque le Maître ne tolère que la variante parisienne – et dominante, mais toutes les références, les lectures et les valeurs renvoient à un ailleurs et relèguent au plan de sous-culture ce qui est proprement martiniquais. Dans ce contexte, l’apprentissage de l’écriture devient pour Chamoiseau une stratégie de survie et de compensation. L’écriture conduit au plaisir et permet de suppléer à une parole que Chamoiseau peine à dire, sans doute moins par un manque de compétence que par le sentiment d’illégitimité que l’école fait naître en lui.

En contrepoids du milieu scolaire hostile et décourageant, Chamoiseau trouve dans sa famille une ambiance stimulante, « studieuse mais attrayante » (E2, 183) et, dans ses frères et sœurs, un exemple de succès. Bon nombre de livres qu’ils lisent sont rangés précieusement dans une « caisse de pommes de terre » et proviennent des prix d’encouragement et d’excellence reçus par les Grands. La sœur aînée, Anastasie, était comme une seconde mère pour les frères et sœurs ; elle « assumait le commandement en l’absence de Man Ninotte » (E1, 28) et deviendra institutrice. La seconde sœur, Marielle, était passionnée pour la lecture. Jojo, le premier des deux grands frères, était amateur d’algèbre et un « mathématicien génial ». Il fait connaître à Chamoiseau le Cahier d’un

retour au pays natal par sa « cérémonie » matinale de récitation du poème (E3, 199). Paul,

le second grand frère, est un « musicien prometteur » (EPD, 74). Chamoiseau grandit ainsi dans un milieu où arts et sciences sont appréciés, mais surtout en observant ses aînés étudier, supervisés par Anastasie ou Man Ninotte et contrôlés également par le père. En effet, la réussite sociale est associée par la mère et par la « mère seconde » à la réussite scolaire. Le père, quant à lui, se montre plus critique à ce sujet et considère que le savoir qu’on y acquiert n’est ni déterminant ni pertinent, puisque « dans un endroit comme ça on

entr[e] mouton pour en sortir cabri. » (E2, 43) Quoi qu’il en soit, la famille dispose le jeune Chamoiseau à comprendre – même s’il sera toujours un élève moyen159 – qu’un

reclassement social est possible par la formation. En effet, c’est Anastasie qui le prépare aux examens et qui « lui explique que tout échec ne provient que d’un manque de travail, et qui l’entoure d’une exigence patiente, et qui le condamne à réussir en tout… » (E3, 68).

Le contexte familial, peut-être par l’inexistence d’une tradition de professionnels ou de commerçants qui aurait pu influencer les choix de carrière des successeurs, est également propice au libre développement des talents des enfants. Man Ninotte veillait à « activer [leurs] centres d’intérêt » : « qui aimait lire recevait ce qui se lit, qui aimait la musique se voyait attribuer de quoi gratter du son, qui aimait jouer avait de quoi faire- zouelle. » (EPD, 43). Aussi la curiosité pour les livres et pour les images manifestée par Chamoiseau bien avant l’école sera-t-elle motivée et assouvie par la mère. Ne disposant ni de moyens économiques ni de connaissances suffisantes pour effectuer un choix éclairé, Man Ninotte va lui ramener chaque semaine du marché aux poissons, sans faire de distinction, tout « ce qui était approchant du livre » (E2, 186). La culture littéraire acquise par Chamoiseau dans son enfance sera donc hétéroclite et, sauf dans le cas des enseignements reçus à l’école, non dirigée.

Le goût pour l’écriture sera précédé de la fascination pour le dessin, la lecture, et de la fétichisation du livre. Dès l’enfance, Chamoiseau participe à des cérémonies de lecture de bandes dessinées dans une sorte de petit « cénacle » avec les « cinq ou six opprimés » (E3, 35) qu’il aime fréquenter et qui composent ce qu’il appelle « la tribu ».

Il commence à écrire à l’adolescence, vers l’âge de douze ans, et cela constitue pour lui « un point de bascule » (EPD, 74). Depuis, raconte-t-il, « les grandes-personnes me considérèrent comme un être humain » (Id.) et l’écriture excusa ses silences, ses solitudes et son peu d’élan vers les autres (Id.). Il compose principalement des poèmes en « langue dominante », mais aussi des bandes dessinées en « langue dominée » (EPD, 67). Sa famille l’encourage à poursuivre.

159 À l’école, il va se démarquer seulement en littérature (Entretien radiophonique de Patrick Chamoiseau

avec Alain Veinstein lors de l’émission « Du jour au lendemain », diffusée sur France Culture le 6 décembre 1986. Cf. Samia Kassab-Charfi, Patrick Chamoiseau, op. cit.)

Les premières publications de Chamoiseau, sous le pseudonyme d’Abel, sont des bandes dessinées dans le mensuel M.G.G., créé en 1972 par Tony Delsham160. À la même

période, inspiré par une représentation de L’exception et la règle de Bertolt Brecht, jouée au parc floral de Fort-de-France, Chamoiseau débute dans l’écriture théâtrale et compose « une dizaine161 » de pièces engagées, portant sur des problématiques antillaises

contemporaines. Certaines ont été jouées aux Antilles et en Europe, principalement en France, mais elles restent pour la plupart inédites.

Les informations relatives à la production théâtrale chamoisienne sont peu nombreuses, souvent imprécises et même contradictoires. Mais nous pensons qu’elle précède la production romanesque et qu’elle se fait connaître principalement aux Antilles et en France par des metteurs en scène et des acteurs reliés au champ antillais. L’écrivain fait allusion à sept de ses pièces : « Supermarché », pièce inédite et mise en scène162, aborde la

problématique de la consommation. « Solitude la mulâtresse » est une adaptation inédite du roman La mulâtresse Solitude163. La pièce a été mise en scène par Yvan Labéjof et jouée en

Martinique, puis en France en 1976. « Misère et misère double », pièce également inédite, est inspirée des lettres des frères Jackson : des noirs Américains qui réfléchissent à la question raciale. Chamoiseau réunit dans une cellule un noir et un blanc, et confronte la misère du blanc, provenant de sa seule situation sociale, à celle du noir, causée également par sa condition raciale. « Une manière d’Antigone » est une adaptation inédite de la pièce de Sophocle à propos des émeutes de Fort-de-France au début des années 1970. Elle a été mise en scène par Marie-Line Ampigny et la compagnie du théâtre de l’AIR (Artistes Immigrés Réunis) sous le titre « Le bourreau d’Antigone164 ». « Casting » ou « Audition sur

l’esclavage » est une autre pièce inédite portant sur l’histoire de l’esclavage et sur la

160 À la suite de Geneviève Guérin, Olga Hél-Bongo affirme qu’il a publié aussi des bandes dessinées dans Le Naïf (Hél-Bongo, 2011 : 124). Chamoiseau ne parle que de M.G.G. (voir l’entretien à Chamoiseau publié sur

le site web de la maison d’édition Delcourt, où il a publié, en 2009, Encyclomerveille d’un tueur :

http://www.editions-delcourt.fr). Les autres articles auxquels nous avons eu accès sur la BD aux Antilles ne le mentionnent pas non plus.

161 Stéphanie Bérard, « Le Théâtre de Patrick Chamoiseau. Entretien avec le dramaturge martiniquais », dans Nouvelles Études Francophones, vol. 22, no 2, automne 2007, p. 166.

162 Chamoiseau mentionne cette pièce dans Écrire en pays dominé et affirme dans un entretien qu’elle fut

représentée, mais sans donner d’autres précisions (Bérard, 2007 : 166).

163 André Schwarz-Bart, La Mulâtresse Solitude, Paris, Seuil, 1972.

164 Les représentations auront lieu à Paris en 1984, à Sarcelles et à Lille en 1985, puis dans une tournée à

complexité de la société créole actuelle, stratifiée encore de nos jours selon des critères ethniques. Manman Dlo contre la fée Carabosse165 est une allégorie de l’histoire coloniale

aux Antilles qui confronte Manman Dlo, représentante de la culture populaire créole, à la Fée Carabosse, incarnation de la culture occidentale. C’est sa première œuvre publiée avec son vrai nom et sa seule pièce publiée jusqu’à présent. Mais le projet d’en publier d’autres a existé : à l’intérieur du livre, l’éditeur annonce les pièces à paraître du même auteur : Une

manière d’Antigone et Misère et Misère double. Enfin, « Un dimanche avec un dorlis » est,

selon Stéphanie Bérard, la dernière pièce de Chamoiseau166. Elle aborde la problématique

de l’incertain, introduite par le personnage mythologique créole du dorlis, face à la pensée cartésienne. La mise en scène a été réalisée par Greg Germain167.

De 1973 à 1975, Chamoiseau enseigne au Collège Lamennais168. En septembre 1975,

il part en France pour étudier et travailler, puisque la situation en Martinique est « très difficile » 169. Il poursuit des études en droit et économie sociale à l’Université de Sceaux,

ainsi qu’une formation pour devenir éducateur. Quant à son choix d’études, il raconte qu’il y avait aux Antilles une fascination pour le juridique et pour les lettres170 qu’il explique en

ces termes :

Je ne parlais pas beaucoup, mais j’ai toujours eu du goût pour ceux qui parlent bien et ceux qui détiennent l’art de la parole, parce qu’aux Antilles tout est basé sur la parole et il y a une fascination pour celui qui maîtrise, non seulement qui maîtrise le français mais qui maîtrise aussi une force d’émotion et de transmission par le simple biais du verbe. Donc, j’ai fait des études de droit171.

Les études de droit ne suscitent pas une passion chez Chamoiseau, mais sont l’expression d’un manque. Par contre, « [son] goût du peuple et [sa] passion pour ceux qui sont en difficulté [l’]a rapidement poussé vers une carrière sociale172. » Il devient éducateur dans le

milieu pénitentiaire en France, travaille plusieurs années à Fleury-Mérogis et, depuis, ne

165 Patrick Chamoiseau, Manman Dlo contre la fée Carabosse, Paris, Éditions Caribéennes, 1981. 166 Stéphanie Bérard, « Le Théâtre de Patrick Chamoiseau », art. cit., p. 173.

167 Les représentations auront lieu en France (2004 et 2006) et en Martinique (2005).

168 Wendy Knepper, Patrick Chamoiseau: A Critical Introduction, Jackson, University Press of Mississippi,

2012, p. xi.

169 Chamoiseau affirme cela dans son entretien radiophonique avec Alain Veinstein (1986). Samia Kassab-

Charfi et d’autres critiques s’accordent également pour fixer l’année 1975 comme la date d’émigration de l’écrivain.

170 Id. 171 Id. 172 Id.

quittera pas ce métier. De retour en Martinique, il va reprendre son travail d’éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Durant son séjour à Paris, Chamoiseau s’affirme dans sa carrière d’écrivain. Il continue à faire du théâtre pendant ses études et fait jouer certaines de ses pièces. Par ailleurs, l’exil le met dans « une sorte d’introspection personnelle173 » qui l’amène à écrire

pour essayer de « comprendre ce qui nous était arrivé, mieux appréhender ce que nous étions, mieux explorer notre existence. » (EPD, 85) En 1976174, les éditions du Seuil

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