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Raison et animalité Montaigne, Bayle, Hume 137

Dans le document Raison et empirisme chez David Hume (Page 138-160)

Chapitre 2.   La raison-instinct 89

V. Raison et animalité Montaigne, Bayle, Hume 137

On peut alors ressaisir la spécificité de la position humienne en la resituant dans le cadre plus large d’autres thématisations sceptiques de la raison animale, à savoir celles de Montaigne et de Bayle231. Dans Le travail du scepticisme : Montaigne, Bayle, Hume, Frédéric

230 « Par une remarquable mise en abyme, Hume prévient alors que seule la répétition, par le lecteur, des

diverses étapes argumentatives qui l’ont pour sa part conduit à une telle affirmation, pourra le réconcilier, lui aussi, avec elle. Répéter est le seul moyen de se convaincre que seule la répétition produit l’idée de nécessité », Éléonore Le Jallé, L’autorégulation chez Hume, Paris, PUF, 2005, p. 317.

231Concernant le lien de Hume au scepticisme antique sur ce sujet, on pourra se reporter aux analyses de

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Brahami a dégagé l’unité de la tradition sceptique moderne, et l’a référée à un processus d’animalisation de la raison : à la différence du scepticisme antique, qui récuse la capacité de l’esprit à produire un savoir tout en laissant sa rationalité inentamée (au sens où le sage, ayant démasqué les opinions comme douteuses, pourrait encore suspendre son jugement), le scepticisme moderne se signale par une « conception de l’esprit tout entier comme une fonction animale »232, impliquant l’impossibilité pour l’homme de cesser de croire aux

opinions dont il éprouve par ailleurs le caractère hors raison. Nous aimerions ici envisager cette question dans le cadre restreint des textes consacrés aux animaux233, et montrer que la

position humienne s’érige sur certains déplacements décisifs vis-à-vis de la tradition sceptique qui la précède, par lesquels le motif de l’animalisation de la raison change de signification.

1. De Montaigne à Hume

Comme on le sait, Montaigne et Hume partagent l’idée d’une intelligence animale. À première vue, l’animalisation de la raison semble plus radicale chez le premier que chez le second puisque, comme nous y avons déjà fait allusion, le bestiaire de l’Apologie de Raymond Sebond affirme qu’en matière de rationalité, les différences intraspécifiques sont parfois plus importantes que les différences interspécifiques234. Les Essais récusent donc toute

distinction de l’homme à l’animal qui voudrait se fonder sur le degré de perfection de leurs raisons respectives – position que Hume, comme nous l’avons vu, ne se risque jamais à endosser. Alors même qu’il ne reconduit pas cette thèse montainienne radicale, le scepticisme humien nous semble pourtant aller au-delà de celui du bestiaire.

Pour appréhender ce point, il nous faut revenir à l’argument principal qui permet aux Essais de conclure que les bêtes raisonnent, et mesurer le renversement que Hume lui fait subir. Montaigne soutient que les comportements que l’on reconduit, dans le cas de l’animal, à l’instinct, sont les mêmes que ceux que l’on reconduit, dans le cas de l’homme, à la raison. Ainsi, du strict point de vue de l’observation de leurs phénomènes, la fabrication d’un nid par

understanding, p. 231-237.

232 Frédéric Brahami, Le travail du scepticisme : Montaigne, Bayle, Hume, p. 6. C’est l’animalisation de la

raison qui rendrait possible la science de l’homme : « le scepticisme transforme la philosophie en anthropologie non en vertu de son relativisme supposé, mais parce qu’il réduit l’homme, jusque dans sa raison, à l’animalité » (ibid).

233 Ce par quoi nous nous situons en décalage avec la perspective plus vaste adoptée par Frédéric Brahami. 234 Rappelons un énoncé déjà cité : « il se trouve plus de difference de tel homme à tel homme que de tel

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une hirondelle et la construction d’une maison par un homme présentent des ressemblances flagrantes. La première sera pourtant qualifiée d’instinctive, et la seconde de raisonnable. À cette dissymétrie des conclusions, Montaigne oppose l’impératif méthodologique consistant à expliquer les mêmes effets par les mêmes causes :

Il n’y a point d’apparence d’estimer que les bestes facent par inclination naturelle et forcée les mesmes choses que nous faisons par nostre choix et industrie. Nous devons conclurre de pareils effects pareilles facultez, et confesser par conséquent que ce mesme discours, cette mesme voye, que nous tenons à ouvrer, c’est aussi celle des animaux. Pourquoy imaginons nous en eux cette contrainte naturelle, nous qui n’en esprouvons aucun pareil effect ?235

Montaigne souligne le hiatus entre la ressemblance que présentent certaines actions humaines et animales et la dissemblance des inférences que l’on en tire : des phénomènes similaires donnent lieu à des conclusions opposées. Or, d’effets semblables, nous devons inférer des causes semblables : si nous nommons raison la faculté à l’origine de certaines de nos conduites, alors nous devons admettre que c’est elle qui préside aux actions animales analogues.

Lorsque cette règle de raisonnement n’est pas appliquée, l’inférence par laquelle certains comportements animaux sont rapportés à l’instinct se signale par un déficit explicatif patent. L’exemple de la nidation de l’hirondelle est chargé d’illustrer le caractère improbable de certaines conduites animales, si on ne les réfère pas à la présence sous-jacente d’une série de raisonnements :

Les arondelles, que nous voyons au retour du printemps fureter tous les coins de nos maisons, cherchent elles sans jugement et choisissent elles sans discretion, de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger ? Et, en cette belle et admirable contexture de leurs bastimens, les oiseaux peuvent ils se servir plustost d’une figure quarrée que de la ronde, d’un angle obtus que d’un angle droit, sans en sçavoir les conditions et les effects ? Prennent-ils tantost de l’eau, tantost de l’argile, sans juger que la dureté s’amollit en l’humectant ? Planchent-ils de mousse leur palais, ou de duvet, sans prevoir que les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l’aise ? Se couvrent-ils du vent pluvieux, et plantent leur loge à l’Orient sans connoistre les conditions differentes de ces vents et considerer que l’un leur est plus salutaire que l’autre ?236

235 Essais, livre II, chap. 12, p. 460. 236 Ibid., p. 455.

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Selon Montaigne, les actions d’une hirondelle construisant son nid restent inexpliquées si l’on se contente de les rapporter à l’instinct, cette catégorie théorique étant incapable de rendre raison de leur précision, de leur minutie et de leur complexité. La conduite de l’hirondelle témoigne d’une adaptation telle à cette fin qu’est la construction d’un abri adapté à la conservation des oisillons, qu’il faut bien admettre qu’un exercice du jugement en est la cause.

On mesure alors le renversement que subit, en terrain humien, l’argument exposé dans le bestiaire. De Montaigne à Hume, l’exemple de la nidation de l’oiseau se prête à deux utilisations opposées. Alors qu’il illustrait chez le premier la présence sous-jacente d’un raisonnement, et donc la différence de la conduite en question avec un instinct inintelligible, Hume l’élève au statut d’illustration exemplaire de l’opacité de l’instinct, et le charge de figurer la communauté de la raison et de l’instinct ainsi conçu : « quoiqu’il y ait de la différence, ce qui enseigne à l’homme à éviter le feu n’est pas moins un instinct que ce qui enseigne si exactement à l’oiseau l’art de l’incubation, en même temps que l’économie et tout l’ordre de ses soins maternels »237.

À partir du même constat de la ressemblance de certaines actions humaines et de certains comportements animaux couramment imputés à l’instinct238, et du même mot d’ordre méthodologique, demandant d’expliquer les mêmes effets par les mêmes causes, les deux auteurs aboutissent à des conclusions symétriques : sans prétendre que tous les comportements animaux nous sont intelligibles239, Montaigne infère la nature rationnelle de

l’instinct, là où Hume conclut à la nature instinctive de la raison. Il ne s’agit plus de réduire l’instinct animal à la raison mais de réduire la raison humaine à l’instinct animal. Ou plutôt, il n’est plus question d’élever l’instinct animal à la raison, mais de réduire la raison, animale comme humaine, à un instinct. Dans le bestiaire de Montaigne, l’homme et l’animal se rejoignaient en effet par le biais de l’intelligibilité et de la sophistication de leurs raisonnements respectifs, quand bien même ceux-ci seraient solidaires d’un contexte vital240.

237 E.9.6, p. 136 (Clar. p. 82).

238 Dans les Dialogues sur la religion naturelle, la raison et l’instinct (entre autres principes) sont présentés

comme distincts, mais « semblables les uns aux autres [similar to each other] » (DRN.7, p. 215) – pensons par exemple à la ressemblance unissant cette activité rationnelle qu’est la construction d’une maison par un homme et cette activité instinctive qu’est la construction d’un nid par un oiseau.

239 Montaigne distingue en effet les actions animales qui ressemblent à certaines actions humaines et nous

sont par là intelligibles (et doivent pour cela être rapportées à la raison, et non à l’instinct) et les actions animales qui n’admettent aucun pendant au sein des comportements humains et nous sont, pour cette raison, totalement inintelligibles (ainsi de la construction de nids marins, résistant au ressac, par le martin- pêcheur).

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C’est ainsi qu’il faut concéder à l’hirondelle construisant son nid une série de jugements élaborés, à un renard ne s’engageant pas sur une étendue de glace peu solide le long raisonnement selon lequel « ce qui fait bruit, se remue ; ce qui se remue, n’est pas gelé ; ce qui n’est pas gelé, est liquide, et ce qui est liquide, plie sous le faix »241, et à un chien

choisissant le bon chemin parmi trois routes possibles des principes logiques sophistiqués, dignes des meilleurs logiciens : « ce traict purement dialecticien et cet usage de propositions divisées et conjoinctes et de la suffisante enumeration des parties, vaut-il pas autant que le chien le sache de soy que de Trapezonce »242. Chez Hume, c’est sur le terrain inverse, à savoir

celui de l’opacité épistémique et de l’infra-réflexivité, que s’opère le rapprochement des capacités cognitives humaines et animales243.

En résulte, chez le philosophe écossais, l’émergence d’une solidarité essentielle entre les deux concepts de raison et de nature, qui étaient encore opposés dans le cadre de la réflexion montainienne sur l’intelligence animale. L’impératif méthodologique imposant de rapporter l’instinct animal à la raison admet en effet chez Montaigne un complément argumentatif, rendu nécessaire par le caractère seulement probable d’une telle inférence (puisque nous n’avons pas accès aux états mentaux des animaux, nous ne pouvons en effet

du renard, du chien et de l’oiseau : « parce qu’elle n’est pas l’instance où s’inscrit une supériorité d’essence, la raison est ramenée à l’une des déterminations de la vie : le renard, le chien, l’oiseau usent de raison ; mais ils en usent correctement parce qu’ils en usent pour vivre (Le travail du scepticisme : Montaigne, Bayle, Hume, p. 40). Plus généralement, la vérité est dans l’Apologie de Raymond Sebond reconduite « au mouvement de la vie » (Frédéric Brahami, « Des Esquisses aux Essais, l’enjeu d’une rupture », dans Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle : le retour des philosophies antiques à l’Âge

classique, sous la dir. de Pierre-François Moreau, Paris, Albin Michel, 2001, p. 128.

241 Essais, livre II, chap. 12, p. 460.

242 Ibid., p. 463. C’est à Georges de Trébizonde, philosophe grec du XVe siècle et auteur de traités de

logique, que Montaigne fait référence.

243 De cette mutation témoigne le changement d’objet des passions d’étonnement et d’admiration. Alors

qu’elles sont chez Hume dirigées vers la raison humaine, envisagée dans les traits qu’elle partage avec son « autre » apparent (l’instinct), elles portent chez Montaigne sur certains cas de raison animale. Montaigne remarque ainsi que l’intelligence des animaux, du fait de l’habitude que l’on a des comportements qui l’attestent, passe couramment inaperçue : personne ne s’émerveille devant le spectacle d’une hirondelle construisant son nid, ou devant celui d’un chien guidant les pas d’un aveugle. Les cas ordinaires d’intelligence animale desservent la reconnaissance de la raison des bêtes, précisément à cause de leur ordinarité. C’est pourquoi il est nécessaire de recourir à des cas plus insolites de raisonnement animal, tirés d’autres époques et d’autres lieux : « nous admirons et poisons [= pesons] mieux les choses estrangeres que les ordinaires ; et, sans cela, je ne me fusse pas amusé à ce long registre : car, selon mon opinion, qui contrerollera de pres ce que nous voyons ordinairement des animaux qui vivent parmy nous, il y a dequoy y trouver des effects autant admirables que ceux qu’on va recueillant és pays et siecles estrangers » (Essais, p. 467). La proximité et la massivité des manifestations d’intelligence animale, qui imprègnent notre expérience la plus quotidienne, détermine donc chez Montaigne l’effacement de leur visibilité et la nécessité corrélative, pour l’analyse, d’aller puiser dans des exemples éloignés d’habileté, de ruse ou de prudence animale (ainsi du cas du chien logicien) – à l’inverse de ce qui se passera chez Hume, pour qui cette ordinarité détermine la naturalité foncière de la croyance en l’idée d’une raison animale, et l’inutilité qui en découle pour le philosophe de recourir à des illustrations.

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assurer de façon absolument certaine qu’ils raisonnent). Montaigne affirme que, même si les bêtes étaient effectivement conduites par l’instinct, comme on le suppose habituellement, ce principe ne signerait pas leur infériorité, mais bien leur supériorité sur l’homme, la nature étant un guide plus immédiat et plus fiable que le raisonnement244. Cet argument, plusieurs

fois réitéré245, s’adosse à l’opposition séparant une raison synonyme de « hasard et […]

fortune »246, de « liberté téméraire et fortuite »247 (dans la mesure où elle procède par essais et

erreurs), et un instinct procédant de la nature, envisagée comme « une […] certaine maîtresse d’école »248. Dans les Essais, la thématisation sceptique de la raison animale fait donc encore

fond sur l’opposition d’une raison réflexive et peu sûre d’une part et d’un instinct naturel et infaillible d’autre part. Chez Hume, à l’inverse, la raison sera pensée dans la relation essentielle qu’elle entretient à la nature, celle-ci étant entendue à la fois comme opacité épistémique et comme dotée d’une certaine « sagesse »249 – ces deux points justifiant,

ultimement, de concevoir la raison comme un instinct.

2. De Bayle à Hume

Venons-en maintenant au rapport de Hume à Bayle. Dans l’article « Rorarius » du Dictionnaire historique et critique, Bayle prend pour objet la question de la nature rationnelle des animaux, met en scène l’affrontement de trois positions philosophiques sur le sujet (celle de Descartes, celle des scolastiques et celle de Leibniz) et tire de la stérilité de cette confrontation des conclusions sceptiques.

Leibniz est introduit comme une troisième voie permettant de dépasser l’opposition des options cartésienne et scolastique : seule sa philosophie permettrait de résoudre de nombreux problèmes théoriques, auparavant insolubles, relatifs au statut des âmes animales (notamment celui de leur génération)250. Bayle juge toutefois que le soubassement

métaphysique de la conception leibnizienne fait problème, dans la mesure où il est impossible

244 « Leur stupidité brutale [si elle était vérifiée] surpasse[rait] en toutes commoditez tout ce que peut nostre

divine intelligence », Essais, livre II, chap. 12, p. 455.

245 Ibid., p. 455, p. 460 et p. 463. 246 Ibid., p. 455.

247 Ibid., p. 460. 248 Ibid., p. 463.

249 E.5.ii.22, p. 91 (Clar. p. 45).

250 « L’hypothèse de M. Leibnitz pare tous ces coups ». Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique,

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de concevoir comment, dans l’hypothèse de l’harmonie préétablie, cette substance simple qu’est l’âme peut engendrer par elle-même la totalité de ses représentations, sans aucune action des corps sur elle251. Si l’hypothèse leibnizienne doit, à la suite des doctrines

cartésienne et scolastique, être abandonnée, c’est parce qu’elle « met une harmonie continuelle entre deux substances qui n’agissent point l’une sur l’autre »252, à savoir l’âme et

le corps. L’auteur du Dictionnaire historique et critique reproche donc à Leibniz le caractère hautement improbable d’une correspondance des états de l’âme et des états du corps en l’absence de toute influence réelle de l’âme sur le corps : la conformité des idées de l’âme aux choses extérieures n’est pas suffisamment expliquée par l’affirmation de la spontanéité de l’âme. Comme le souligne Dennis Des Chene, la critique de Bayle revient à soutenir que l’hypothèse de l’harmonie préétablie achoppe sur le phénomène du vivant253 : les animaux (y

compris humains) se signalent par une adaptation à leur corps propre et à leur environnement, dont la théorie leibnizienne de l’harmonie préétablie serait incapable de rendre raison de façon satisfaisante.

On mesure alors l’écart qui, sur ce point, sépare Hume de Bayle. En rapportant le fait que « nos pensées et nos conceptions ont toujours suivi le même train que les autres ouvrages de la nature »254 à l’existence d’« une sorte d’harmonie préétablie entre le cours de la nature et

la succession de nos idées »255, Hume réintroduit la doctrine métaphysique qui motivait, chez

Bayle, le rejet de la conception leibnizienne du vivant. Pour Bayle, l’harmonie préétablie constituait un défaut rédhibitoire de la pensée leibnizienne des animaux, en tant qu’elle interdisait de penser le vivant dans sa spécificité, tout en présentant un fort coût métaphysique. Pour Hume, l’harmonie préétablie ne constitue plus un point métaphysique inacceptable, démenti par l’adaptation empiriquement attestée des êtres vivants à leur milieu, mais une figuration de cette même adaptation : l’harmonie préétablie exprime la valeur vitale

251 « Il [= Leibniz] veut, par exemple, que l’âme d’un chien agisse indépendamment des corps ; que tout lui

naisse de son propre fonds, par une parfaite spontanéité à l’égard d’elle-même, et pourtant avec une parfaite conformité aux choses du dehors... Que ses perceptions internes lui arrivent par sa propre constitution originale, c’est-à-dire représentative. […] D’où il résulte qu’elle sentirait la faim et la soif à telle et telle heure, quand même il n’y aurait aucun corps dans l’univers », Dictionnaire historique et critique, t. 12, article « Rorarius », p. 610.

252 Ibid., p. 619.

253 « Bayle’s objection consists in doubts, variously expressed, that a Leibnizian soul could exhibit the

phenomena we normally associate with living being – notably, the responsiveness to things around it – if, as Leibniz says, it is neither acted upon nor acts upon anything else », Dennis Des Chene, « Animal as concept : Bayle’s Rorarius », dans The problem of animal generation in early modern philosophy, ed. Justin E. H. Smith, Cambridge, Cambridge university press, 2006, p. 230.

254 E.5.ii.21, p. 90 (Clar. p. 44). 255 Ibid.

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de la raison empirique, en ce que les opérations de celles-ci, « si nécessaire[s] à la conservation de notre espèce et au règlement de notre conduite »256, ne procèdent pourtant pas

d’une connaissance bien fondée du monde naturel. Hume assume donc le caractère de fiction métaphysique de l’harmonie préétablie, que Bayle jugeait rédhibitoire, et l’érige en figuration de la valeur vitale de la raison. L’idée d’une correspondance des états de l’âme et du corps (propre ou extérieur), en l’absence de toute influence de l’un sur l’autre, loin de laisser inexpliquée l’adaptation vitale, en rend compte, précisément dans ce que cette adaptation vitale a d’étranger à la raison.

La situation est finalement assez frappante. D’un côté, Hume abandonne le point de vue métaphysique qui menait sous la plume de Bayle au scepticisme. Chez le philosophe français se déployait en effet tout un pan de discours consacré à la nature de l’âme (matérielle ou spirituelle) et aux conséquences religieuses de celle-ci (mortalité ou immortalité de l’âme), pan de discours qui, du fait de sa contradiction avec le registre des faits257, conduisait à

l’adoption d’une position sceptique sur la question de la raison animale. C’est ainsi que, pour figurer le fait qu’aucune des trois positions examinées ne s’avère satisfaisante, et que leur enchaînement dialectique n’admet aucune issue concluante, l’article « Rorarius » mobilise l’image de Dieu maintenant un équilibre entre les différentes sectes258. C’est ainsi, également,

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