• Aucun résultat trouvé

Les enjeux d’une rectification interprétative 68

Dans le document Raison et empirisme chez David Hume (Page 69-90)

Chapitre 1.   La raison humienne, une passion calme ? 61

III. Les enjeux d’une rectification interprétative 68

Outre le fait qu’il infirme l’hypothèse d’une raison humienne définie comme passion calme, que nous faut-il retenir du paragraphe T.2.3.3.8 ? Quatre lignes thématiques et problématiques, qui permettent d’esquisser certains des enjeux généraux de la présente enquête, nous semblent pouvoir en être tirées.

1. La raison, objet d’une méprise naturelle

En terrain humien, l’identification de la raison donne lieu à une erreur commune et naturelle. Pour saisir le sens et la radicalité de cette position, il est utile de la mettre en regard avec celle, proche et néanmoins distincte, qui fut auparavant soutenue par Hutcheson. Comme le souligne James Fieser33, le professeur de philosophie morale de Glasgow propose une

démarcation très proche de la différence humienne des passions calmes et des passions violentes, en distinguant deux catégories de passions selon le critère de leur intensité émotionnelle : les instincts et affections d’une part, ressentis de façon calme, et les passions particulières d’autre part, ressenties plus violemment. Hutcheson, tout comme Hume, refuse donc de considérer les états mentaux calmes comme intrinsèquement rationnels – c’est là l’un des aspects de sa critique du rationalisme moral. Il propose en outre une genèse de ce dernier, appuyée, de même que chez Hume, sur la différence du calme et du violent. Cette genèse est exposée dans la quatrième section des Illustrations sur le sens moral, parues en 1728 :

Peut-être ce qui a entraîné l’emploi de l’épithète « raisonnable », ou découlant de la raison, si en usage, par opposition à ce qui découle de l’instinct, de l’affection, ou de la passion, est-ce ceci : « qu’il est souvent observé que les meilleurs de nos affections et de nos désirs particuliers, quand ils sont devenus violents et passionnés du fait des sensations et des propensions confuses qui les accompagnent, nous rendent incapables de considérer avec calme la tendance globale de nos actions et nous conduisent souvent vers ce qui est absolument pernicieux, sous une certaine apparence de bien relatif ou particulier. » Ceci, en vérité, peut donner quelques raisons de distinguer entre les actions passionnées et celles qui sont inspirées par une affection ou un désir serein qui

33 James Fieser, « Hume’s classification of the passions and its precursors », Hume studies, vol. 18, n°1,

69

emploie notre raison librement, mais ne peut jamais mettre les actions rationnelles en opposition avec celles qui sont inspirées par l’instinct, le désir ou l’affection.34

L’explication est réitérée dans la section V de la même œuvre :

Ce qui a probablement engagé beaucoup de gens à parler de cette manière, à savoir, « que la vertu est l’effet d’un choix rationnel, et non pas un choix guidé par les instincts ou affections », est ceci. Ils trouvent « que certaines actions, découlant d’affections bienveillantes particulières, sont quelquefois condamnées comme mauvaises », en raison de leur mauvaise influence sur l’état de plus vastes sociétés, et que la turbulence et la sensation de confusion de n’importe laquelle de nos passions, peut distraire l’esprit de la considération de l’effet global de ses actions. Ils exigent donc pour la vertu un tempérament calme et qui ne soit pas perturbé.

Il y a en vérité des raisons de recommander ce tempérament comme tout à fait nécessaire dans de nombreux cas, et pourtant, certaines des actions les plus passionnées peuvent être parfaitement bonnes. Mais dans le tempérament le plus calme, il doit demeurer de l’affection ou du désir, un certain instinct implanté auquel nous ne pouvons donner aucune raison.35

Ces deux segments textuels présentent un parallélisme argumentatif frappant. Le rationalisme moral est selon Hutcheson indissociable du langage commun : à la remarque du premier texte, selon laquelle « l’emploi de l’épithète ‘raisonnable’ » est « si en usage », fait écho l’observation du second extrait, selon laquelle « beaucoup de gens [parlent] de cette manière » – nous verrons que ce point se retrouvera chez Hume. De ce discours prégnant mais inadéquat sur la raison, selon lequel l’entendement constituerait la source de la conduite vertueuse, Hutcheson entreprend de fournir une explication.

Dans nos deux textes, cette genèse s’appuie sur la différence séparant les passions bienveillantes particulières, qui poursuivent le bien de collectifs restreints liés à l’agent moral (famille, compatriotes, etc.) et « la vertu la plus parfaite », qui réside dans la bienveillance calme, dépourvue de passion et orientée vers le genre humain en son entier. Elle consiste à souligner que les premières, lorsqu’elles sont éprouvées violemment, sont susceptibles de se renverser en leur contraire : la confusion de leur sensation, en entravant l’exercice de la

34 Francis Hutcheson, Illustrations sur le sens moral (ci-dessous Illustrations), section IV, dans Essais sur

la nature et la conduite des passions et affections avec illustrations sur le sens moral, trad. Olivier Abiteboul, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 77. Nous modifions en deux endroits la traduction d’Olivier Abiteboul : 1) À la ligne 1-2, nous avons ramené l’expression « si en usage » à côté de l’adjectif « raisonnable » auquel elle s’applique, et ce pour plus d’intelligibilité. Nous nous écartons par là du texte anglais. 2) À la ligne 3-4, où Olivier Abiteboul traduit « la plupart de nos affections et de nos désirs particuliers », nous traduisons par « les meilleurs de nos affections et de nos désirs particuliers » (le segment de texte anglais est le suivant : « the very best of our particular Affections or Desires »).

70

raison, empêche l’esprit de considérer la tendance globale des actions36. Partant, les affections bienveillantes particulières peuvent engendrer des actes moralement mauvais (par exemple, la bienveillance qu’un parent porte à son enfant criminel peut le conduire à soustraire celui-ci à la punition des lois, alors même que le bien de la société exige que cet enfant soit puni au même titre que tout criminel). De ce point, il arrive que l’on tire une conclusion erronée, dont les dernières lignes de chacun des deux extraits, en cherchant à rétablir la « vérité », explicitent le contenu : les actions vertueuses sont imputées à la causalité de la raison. Le calme, qui n’est pour Hutcheson qu’une condition de l’application de la raison (application par laquelle les affections bienveillantes peuvent discerner correctement leur objet) est donc à tort interprété comme un état intrinsèquement rationnel. Il est identifié au pur et simple exercice du raisonnement, alors qu’en réalité, cet exercice du raisonnement n’est jamais qu’un moyen – fût-il décisif – de satisfaire plus adéquatement une fin posée par l’affection (en l’occurrence cette recherche du bonheur d’autrui en quoi consiste la bienveillance). L’opposition des affections calmes et des passions violentes se voit ainsi travestie en une opposition de la raison et des passions.

Les genèses respectivement produites par Hutcheson et par Hume n’ont pas exactement le même objet : Hutcheson s’attache à rendre compte du rationalisme dans sa version spécifiquement morale (selon laquelle la conduite vertueuse découle de la raison), là où l’explication humienne porte sur ce que l’on peut nommer, plus largement, le rationalisme pratique (selon lequel la conduite en général découle, ou devrait découler, de la raison). Elles n’ont pas non plus la même valeur : alors que Hutcheson introduit la sienne comme une simple hypothèse37, Hume ne semble pas douter de la validité de la genèse qu’il expose. Mais

elles diffèrent surtout par leur contenu. Certes, l’explication s’appuie dans les deux cas sur la dualité du calme et du violent. Mais alors que la genèse hutchesonienne se centre sur la catégorie des passions confuses et violentes, dont on tirerait par contraste une conclusion (erronée) portant sur le calme de certaines autres (rapporté à tort à la seule raison), Hume affirme que ce sont les passions calmes elles-mêmes qui produisent l’illusion d’une causalité rationnelle. Chez Hutcheson, le calme ou la violence des passions intervient en tant qu’il autorise, ou non, l’exercice de la raison, et partant garantit, ou non, le caractère moral de

36 Si Hutcheson critique l’idée d’un fondement des évaluations morales dans la seule raison, il affirme dans

le même temps que la raison a un rôle crucial à jouer dans la justesse de nos éloges et de nos blâmes. Nous y reviendrons en détail dans la deuxième partie de cette étude.

37 Dans le premier texte cité ci-dessus : « peut-être ce qui a entraîné l’emploi de l’épithète ‘raisonnable’

[…] est-ce ceci […] ». Et dans le second : « ce qui a probablement engagé beaucoup de gens à parler de cette manière […] ».

71

l’action ; chez Hume, le calme ou la violence des passions intervient en tant que tel, c’est-à- dire en tant que pur degré d’intensité affective. Hume radicalise donc la genèse exposée avant lui par Hutcheson : l’illusion de raison ne naît plus d’une inférence fautive tirée de la sensation, à l’occasion de rares cas où de bonnes affections se renversent en leur contraire et produisent de mauvaises actions ; elle procède de la sensation elle-même, et affecte à ce titre toutes les passions calmes.

C’est pour Hume le devenir invisible de la passion en tant que tel qui induit la rationalisation illusoire de la sphère pratique. Si nous nous représentons couramment l’essentiel de notre vie pratique sous les auspices de la raison, c’est du fait de l’expérience que nous faisons du calme de nombreuses passions. Comme le souligne Laurent Jaffro, la catégorie de passions calmes fonctionne ainsi chez Hume comme une « genèse de l’illusion rationaliste »38, cette illusion se voyant tout à la fois récusée et naturalisée, y compris dans ses

versions philosophiques39. En amont de toutes les diverses erreurs pouvant affecter les

croyances, il est une erreur naturelle, c’est-à-dire une illusion, affectant l’identification même de la faculté par laquelle l’esprit découvre la vérité et la fausseté.

La naturalité d’une telle confusion doit sans doute être rapportée à l’action du principe de ressemblance, qui nous porte à identifier des perceptions distinctes mais similaires, et qui constitue selon le livre I du Traité la « source la plus fertile d’erreur »40 – la juste

identification de la raison se heurtant donc, paradoxalement, à l’influence de la principale cause d’erreur. Elle s’enracine en tout cas dans la théorie humienne des perceptions, qui réduit la différence entre impressions et idées à une simple différence de force et de vivacité, c’est-à- dire d’intensité affective. En témoigne un passage du début du livre I du Traité qui, anticipant sur le paragraphe T.2.3.3.8 déjà cité, déclare, à propos de « la différence entre sentir et penser » :

Leurs degrés ordinaires sont aisés à distinguer, bien qu’il ne soit pas impossible qu’en certains cas particuliers, ils puissent s’approcher très près l’un de l’autre. Ainsi, dans le sommeil, un accès de fièvre, la folie ou quelque émotion très violente de l’âme, nos idées peuvent se rapprocher de nos impressions, comme il peut advenir, d’autre part,

38 Laurent Jaffro, « Inactivité de la raison et influence du sentiment : de la métaéthique humienne au point

de vue architectonique », Revue internationale de philosophie, vol. 67, n°263 (1), 2013, p. 68.

39 On peut penser aux systèmes rationalistes modernes de Clarke, Cudworth et Wollaston, mais aussi à la

distinction stoïcienne entre constantia et perturbatio, la première étant pensée comme une tendance calme et rationnelle, conforme à la nature, et la seconde comme un trouble vif et bref (voir à cet égard Cicéron, Tusculanes, livre IV).

72

que nos impressions soient si faibles et de si peu d’intensité que nous ne puissions les distinguer de nos idées.41

Comme on le voit, l’identification des passions calmes à la raison procède d’un brouillage symétrique, bien que similaire en son principe, à celui qui est à l’œuvre dans le rêve, l’hallucination, la folie et l’émotion violente. C’est que la différence entre impressions et idées n’est que de degré, et autorise certains cas moyens. Dans le rêve, l’hallucination, la folie et l’émotion violente, les idées sont tellement avivées qu’elles s’approchent des impressions : on pose alors comme original quelque chose qui n’est que de l’ordre de la copie et de la représentation. À l’inverse, dans le cas des passions calmes que l’on identifie à tort à la raison, l’esprit prend des impressions très faibles pour des idées : il confond une réalité originale, conforme à rien du tout, avec la copie d’une objectivité. Le calme de certaines impressions induit alors une croyance inverse, mais identique en son principe, à celle produite par la violence de certaines idées. De sorte que la faculté de juger du vrai et du faux est l’objet, non seulement (ce qui est déjà paradoxal) d’une erreur tout à fait commune, car inscrite à même la sensation que nous en faisons, mais aussi d’une erreur qui s’explique tout aussi naturellement, et selon les mêmes principes, que les états mentaux paradigmatiques de l’irrationalité (émotion violente, rêve, hallucination, folie).

2. Science de la raison et compréhension philosophique de l’expérience

Est-ce à dire que l’illusion relative à l’identification de la faculté rationnelle procède de l’expérience elle-même, et que Hume, en la dénonçant comme telle, se met en contradiction avec sa propre méthode expérimentale ? Le juste discernement de la raison s’opère-t-il chez Hume à l’encontre de l’expérience ?

Dès lors qu’on l’envisage dans le cadre d’une philosophie qui prétend fonder toutes ses conclusions sur l’autorité de l’expérience, le syntagme de passion calme revêt indéniablement l’apparence d’un oxymore, et le propos du paragraphe T.2.3.3.8 semble s’énoncer en décalage, voire en contradiction, avec certaines déclarations de méthode du philosophe écossais. D’où vient que l’on puisse être autorisé à affirmer que des perceptions

41 T.1.1.1.1, p. 41-42, trad. modifiée (Clar. p. 7 : « the common degrees of these are easily distinguish’d;

tho’ it is not impossible but in particular instances they may very nearly approach to each other. Thus in sleep, in a fever, in madness, or in any violent emotions of soul, our ideas may approach to our impressions: As on the other hand it sometimes happens, that our impressions are so faint and low, that we cannot distinguish them from our ideas »).

73

qui nous apparaissent comme des idées sont en réalité des impressions (faibles), si « les perceptions de l’esprit sont parfaitement connues »42 ? Le paragraphe T.2.3.3.8 dérogerait à ce

principe d’équivalence de l’être et du paraître des perceptions43, à tel point que la thèse qui y est exposée s’est attiré les foudres de certains commentateurs. Pour John L. Mackie, Hume affirme l’existence de passions là où il n’existe aucune preuve de leur existence, ce qui rend malaisé de donner la préférence à sa théorie plutôt qu’à la thèse rationaliste44. Barry Stroud soutient quant à lui que Hume introduit la catégorie de passions calmes de façon ad hoc, uniquement en vue de sauver sa théorie de la motivation45. Les remarques de John L. Mackie

et de Barry Stroud s’enracinent dans un étonnement bien compréhensible face à la catégorie humienne de passion calme qui, dans sa littéralité même, renvoie à l’existence paradoxale de passions qui ne se donnent pas comme telles. Mais l’idée qu’elles suggèrent, selon laquelle Hume dérogerait par là au fondement expérimental dont se réclame sa science de la nature humaine, nous semble erronée. Pour le montrer, il nous faut revenir sur le texte du paragraphe T.2.3.3.8 :

Il est naturel, pour quiconque n’examine pas les objets d’un œil rigoureusement philosophique, d’imaginer comme tout à fait identiques des actions de l’esprit qui ne produisent pas une sensation différente et ne sont pas immédiatement discernables au sentir [feeling] et à la perception. La raison, par exemple, s’exerce sans produire d’émotion sensible ; et, sauf dans les spéculations philosophiques les plus sublimes ou dans les frivoles subtilités des écoles, elle ne transmet que bien rarement un plaisir ou un malaise. De là vient que toute activité de l’esprit qui agit avec la même sérénité [calmness] et la même tranquillité que la raison se confond avec elle chez tous ceux qui jugent des choses à première vue et sur leur première apparence. Or il est sûr qu’il existe certains désirs et tendances calmes qui, tout en étant des passions bien réelles, produisent peu d’émotion dans l’esprit et sont mieux connus par leurs effets que par la sensation ou le sentiment immédiats [the immediate feeling or sensation]. […] Quand certaines de ces passions sont calmes et ne causent pas de désordre dans l’âme, on s’empresse de les prendre pour des déterminations de la raison et de supposer qu’elles proviennent de la même faculté que celle qui juge de la vérité et de l’erreur. On a

42 T.2.2.6.2, p. 215 (Clar. p. 237).

43 Ce principe est également exposé en T.1.4.2.7 : « puisque toutes les actions et toutes les sensations de

l’esprit nous sont connues par la conscience, elles doivent nécessairement paraître en tous points ce qu’elles sont et être ce qu’elles paraissent. Tout ce qui entre dans l’esprit étant, en réalité une perception, il est impossible qu’une chose quelconque paraisse différente quand on la ressent. [‘tis impossible any thing shou’d to feeling appear different]. Cela reviendrait à supposer que même dans notre conscience la plus intime, nous pouvons nous tromper », T.1.4.2.7, p. 273 (Clar. p. 127).

44 John L. Mackie, Hume’s moral theory, London, Routledge, 1980, p. 48-49. 45 Barry Stroud, Hume, p. 163-164.

74

supposé que leur nature et leurs principes étaient les mêmes parce que la différence entre leurs sensations n’était pas évidente.46

Une relecture attentive de ce texte permet de dégager trois points. 1) À aucun moment Hume ne déclare que l’experience nous fait prendre les passions calmes pour des déterminations de la raison : il rapporte cette confusion au régime de la sensation, du feeling et de la perception. Que Hume recoure à une telle série de termes sans jamais y inclure celui d’expérience ne nous semble rien devoir au hasard : il y a là une façon de distinguer l’expérience de la sensation, du sentiment et de la perception, en renvoyant ceux-ci à des déterminations minimales et partielles de la première. 2) Hume affirme que les passions calmes et la raison « ne sont pas immédiatement discernables au sentir et à la perception » et que « la différence entre leurs sensations n’[est] pas évidente », ce qui, par contraste, souligne la possibilité qu’elles puissent être distinguées, si une attention suffisante était portée à leurs sensations respectives. 3) Surtout, il déclare que les passions calmes « sont mieux connu[e]s par leurs effets que par la sensation ou le sentiment immédiats ». Autrement dit, les passions calmes s’attestent bien en tant que passions dans et par l’expérience, mais cette attestation empirique ne prend pas essentiellement la voie, immédiate, de l’apparaître à la conscience, mais plutôt celle, médiate, de la production d’effets (en l’occurrence de volitions et d’actions qui, selon la thèse de l’inertie de la raison, ne peuvent découler que des passions). Il existe bien une preuve expérimentale des passions calmes : leur existence est causalement inférée à partir de l’observation de certains effets. Si l’on peut concéder que l’argument du paragraphe T.2.3.3.8 s’appuie en partie sur la réinterprétation d’un même donné47 (puisqu’il s’agit de rapporter à des passions calmes ce qui est ordinairement compris comme une causalité rationnelle), il faut conclure que Hume n’y renie absolument pas sa méthode expérimentale.

L’opposition de la conception commune et de la conception humienne de la raison ne recoupe donc pas celle de la prise en considération de l’expérience et de son déni, mais bien plutôt celle de sa considération immédiate et hâtive et de son examen précis et attentif. C’est bien la différence séparant celui qui envisage les objets « d’un œil rigoureusement philosophique » et de « ceux qui jugent des choses à première vue et sur leur première apparence » qui est structurante : la science de la raison, loin de constituer pour Hume un discours hors de l’expérience, relève d’une compréhension précise et médiate de celle-ci, qui

Dans le document Raison et empirisme chez David Hume (Page 69-90)