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Rôle du droit des clauses abusives

Xavier Favre-Bulle *

B. Validité des clauses d’arbitrage

3. Rôle du droit des clauses abusives

Le souci de nombreux législateurs et tribunaux a été de prévenir et sanc-tionner les abus de certains professionnels dans la formulation des condi-tions générales et autres clauses standardisées applicables aux contrats avec des consommateurs. Que ce soit par le biais d’un contrôle de l’incorporation des clauses, de l’interprétation de celles-ci ou de l’application de législations spécifiques permettant un véritable contrôle du contenu, l’objectif reste de combattre les clauses contractuelles inéquitables, qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Les cas classiques de clauses abusives ont bien sûr trait à des questions de pur droit contractuel (exonérations de responsabilité, limitations de ga-rantie, etc.). Certaines clauses concernent cependant des questions de procé-dure, notamment les fameuses clauses de prorogation de for46. La question se pose dès lors de savoir si le droit des clauses abusives peut empêcher qu’un consommateur puisse valablement conclure une convention d’arbi-trage contenue dans une clause de conditions générales. Ce sujet a suscité de nombreux développements et un tour d’horizon s’impose.

a) Droit suisse

A ce jour, le droit suisse est un des rares droits qui ne connaît toujours pas de véritable législation en matière de clauses abusives. Le contrôle des clauses contractuelles reste essentiellement judiciaire, généralement par le biais d’un contrôle de l’incorporation ou de l’interprétation des clauses47. L’art. 8 LCD, réprimant l’utilisation de conditions commerciales abusives, reste inappliqué et n’est en aucun cas une disposition suffisante pour combattre les clauses

46 Voir en droit suisse les art. 21-22 Lfors déjà discutés supra III.A.1.a et III.B.2.

47 Xavier Favre-Bulle, Le rôle du principe de la bonne foi et de l’abus de droit dans le domaine des clauses abusives, in : Pierre Widmer / Bertil Cottier (éd.), Abus de droit et bonne foi, Fribourg 1994, p. 139 ss ; Favre-Bulle [note 7], notamment p. 391 ss.

Xavier Favre-Bulle

abusives. Le professeur Bernd Stauder a d’ailleurs systématiquement dé-noncé cette situation dans ses cours et publications et a largement plaidé pour l’adoption d’une législation fédérale digne de ce nom48.

Dans l’optique de l’arbitrage et des contrats de consommation, il en ré-sulte donc un silence de la loi. Aucune disposition du droit suisse ne limite expressément la validité contractuelle des clauses d’arbitrage conclues avec des consommateurs.De lege lata, et sur la base de la jurisprudence en ma-tière de conditions générales, doit-on néanmoins considérer qu’une clause d’arbitrage est une clause insolite qui devrait être soumise à des conditions d’incorporation renforcées (consentement exprès du consommateur et mise en évidence particulière de la clause) ? La réponse est vraisemblablement po-sitive, une analogie s’impose à cet égard avec la jurisprudence relative aux prorogations de for (développée avant l’entrée en vigueur de la Lfors, qui a limité la validité de ces clauses)49.

Sous l’angle du contrôle de son contenu, une clause d’arbitrage ne peut en revanche être en soi qualifiée de clause abusive, inéquitable, qui pourrait être nulle en vertu des art. 2 et 27 CC et 19-20 CO. Une clause d’arbitrage dans des conditions générales préformulées n’est pas non plus intrinsèquement une clause de nature à provoquer une erreur au détriment du consommateur et qui déroge notablement au régime légal applicable directement ou par analo-gie, ou qui prévoit une répartition des droits et obligations s’écartant notable-ment de celle qui découle de la nature du contrat, au sens de l’art. 8 LCD.

Une réserve doit peut-être être posée s’agissant du siège de l’arbitrage.

Une clause ne devrait pas être jugée abusive si le choix du siège est commandé par des circonstances objectives ne portant pas préjudice au consommateur de manière injustifiée (siège auprès d’une institution d’arbitrage spécialisé par exemple). En revanche, et dans l’esprit des art. 21-22 Lfors et 114 LDIP, on pourrait soutenir que la fixation arbitraire du siège de l’arbitrage au siège du professionnel imposant l’arbitrage au consommateur par voie de conditions générales serait abusif, que ce siège se trouve dans le même Etat que celui du consommateur ou à l’étranger.

b) Droit comparé

En droit communautaire, la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concer-nant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs contient dans son annexe une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives50. Parmi elles figure la clause ayant pour

48 Voir par exemple Bernd Stauder, Faire Klauseln – eine Utopie, in : Plädoyer 5/99, p. 21 ss.

49 Cf. Karl Neumayer, Les contrats d’adhésion dans les pays industrialisés, Genève 1999, p. 463.

50 Cf. art. 3.3.

Arbitrage et règlement alternatif des litiges objet ou pour effet “de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en jus-tice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non cou-verte par des dispositions légales […]”51.

Cette dernière condition (“non couverte par des dispositions légales”), introduite au cours du processus législatif communautaire, est en soi des-tinée à exempter les procédures arbitrales légales applicables aux litiges de consommation52, comme en Espagne et au Portugal par exemple53. Malgré une formulation peu heureuse et un champ d’application tout sauf clair54, l’idée du législateur européen semble être de considérer prima facie comme abu-sive toute clause qui imposerait sur un fondement purement conventionnel une forme d’arbitrage (sous l’égide d’un règlement d’arbitrage institutionnel ouad hoc), certes admissible sous l’angle de la législation en matière d’arbi-trage, mais non prévue spécifiquement par la loi55. La directive 93/13/CEE apparaît donc relativement stricte en limitant, à tout le moins à sa lettre, le re-cours à l’arbitrage classique. La seule alternative possible pour les profession-nels devrait être de ne pas imposer l’arbitrage, mais de laisser la possibilité au consommateur de préférer la justice si celui-ci le souhaite.

A noter que le Parlement européen a pourtant adopté en 1994 une résolu-tion sur la promorésolu-tion du recours à l’arbitrage pour la résolurésolu-tion des conflits d’ordre juridique56, qui prévoyait l’instauration d’une procédure d’arbitrage unique au sein de l’Union européenne pour les litiges entre consommateurs et entreprises avec des organes d’arbitrage décentralisés aisément accessibles aux consommateurs57.

La directive 93/13 a été transposée dans les Etats de l’Union européenne et il en résulte une certaine incertitude quant à la validité des clauses d’arbi-trage dans les contrats de consommation58. Sur la base d’une liste purement

51 Let. q.

52 Système qualifié d’“arbitrage forcé” par Loquin [note 28], p. 380.

53 Cf. infra III.D.2.b.

54 Voir les critiques de Drahozal/Friel [note 30], p. 132 s. et leurs références in note 11.

55 Schiavetta [note 33] interprète pour sa part les “dispositions légales” de la let. q de la directive comme visant uniquement les règles procédurales applicables à l’arbitrage.

56 JOCE C 205 du 25.7.1994, p. 519 ss.

57 “Vérité à Bruxelles, erreur à Strasbourg”: ainsi qualifiait cette contradiction Jarrosson [note 28], p. 78.

58 Drahozal/Friel [note 30], p. 131 ss ; Schiavetta [note 33]. En France, voir l’art. L.132-1 du Code de la consommation et les problèmes que pose cette disposition : Philippe Fouchard, Clauses abu-sives en matière d’arbitrage, in : Revue de l’arbitrage 1995, p. 147 ss ; Charles Jarrosson, [note 28], p. 72 ss, 78. En Angleterre : cf. Hanotiau [note 28], p. 217 s. (Belgique également) ; Valentina Allotti, Le clausole arbitrali nei contratti con i consumatori : l’esperienza inglese, in : Rivista dell’arbitrato 1998, p. 357 ss. En Italie : Guido Alpa, La clausola arbitrale nei contratti dei consu-matori, in : Rivista dell’arbitrato 1997, p. 657 ss, 676 ss. En Allemagne : Weihe [note 31], p. 272 ss ; Peter Huber / Ivo Bach, Note in : SchiedsVZ 2005, p. 95 ss, 99 s. avec leurs références.

Xavier Favre-Bulle

indicative de clauses abusives, une marge de manœuvre nous semble néanmoins laissée au juge quant au caractère abusif ou non d’une clause d’arbitrage59, ce qui est une solution pragmatique, permettant le cas échéant de tenir compte des circonstances du cas d’espèce. Dans un important arrêt du 13 janvier 200560, le Tribunal fédéral allemand a jugé admissible une clause d’arbitrage contenue dans un contrat préformulé conclu avec un consomma-teur pour des services financiers, au motif que la clause respectait les exigences de forme (signature) prévues à l’art. 1031 al. 5 ZPO en droit de l’arbitrage61 et ne constituait en tout état de cause pas une clause insolite ou abusive (la question de l’applicabilité de la législation allemande sur les conditions géné-rales ayant toutefois été laissée ouverte)62, en particulier de par un rattache-ment suffisant de l’arbitrage avec l’Allemagne (siège, droit applicable, etc.).

Aux Etats-Unis, il arrive que des tribunaux déclarentunconscionable des clauses d’arbitrage abusives contenues dans des contrats de consommation, par exemple si la procédure envisagée est trop déséquilibrée ou la clause unilatérale63.