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Xavier Favre-Bulle *

D. Effectivité de l’arbitrage

Après les réserves examinées plus haut quant à l’arbitrabilité d’un litige de consommation et la validité d’une clause d’arbitrage conclue avec un consom-mateur, nous présumons maintenant que notre consommateur a pu valable-ment se soumettre à l’arbitrage. La question se pose dès lors de savoir quelle forme d’arbitrage sera utilisée. Est-il possible et opportun de recourir à un mode d’arbitrage, institutionnel ouad hoc, connu et pratiqué pour d’autres formes de litiges, notamment commerciaux ? Ne convient-il pas plutôt de pré-férer des formes d’arbitrage spécialisé, adapté aux spécificités des contrats de consommation, comme elles existent déjà dans certains ordres juridiques ? Quel est à cet égard le rôle que peut jouer l’arbitrage diton line ?

64 Art. I ch. 3.

65 Pour la situation en France avant 1989, cf. Jarrosson [note 56], p. 79.

66 Schiavetta [note 33].

67 Art. V ch. 1 let. a.

68 Art. V ch. 2 let. a.

69 Art. V ch. 2 let. b.

70 En droit allemand par exemple, cf. Weihe [note 31], p. 302 ss ; Mäsch [note 37], p. 538 ss.

Xavier Favre-Bulle

1. Arbitrage institutionnel ou ad hoc à vocation commerciale

Qu’elle soit régie par le règlement d’arbitrage d’une institution ou ad hoc, une procédure arbitrale à vocation commerciale est une machine lourde. La constitution du tribunal arbitral, l’échange de plusieurs mémoires consé-quents, la production de nombreuses pièces, l’audition de témoins ajoutée à l’éventuelle production de leur témoignage écrit, les incidents procéduraux, les avances de frais pour couvrir les honoraires et frais du tribunal, la rédac-tion par le tribunal d’ordonnances et sentence(s) détaillées, toutes ces carac-téristiques d’un arbitrage commercial ne sont pas adaptées à des litiges de consommation. Les règlements d’arbitrage les plus connus (p. ex. CCI, LCIA, AAA, OMPI, Règlement suisse d’arbitrage international, Chambre de Com-merce de Stockholm, CNUDCI, etc.) et l’arbitragead hocpur représentent des coûts et une complexité de la procédure (y compris sa durée) qui ne sont pas envisageables pour des consommateurs. Aux Etats-Unis, un tribunal a consi-déré qu’une clause CCI représentait un fardeau excessif pour le consomma-teur et il a donc ordonné que l’arbitrage ait lieu devant une autre institution d’arbitrage où la procédure serait moins coûteuse71.

Certains de ces règlements prévoient certes la possibilité de juger sur pièces et de ne pas tenir d’audience, ce qui est de nature à simplifier la pro-cédure et à limiter les coûts de l’arbitrage. Il est cependant douteux que ceci soit suffisant pour rendre ces règlements attractifs pour les contentieux de consommation72. Un auteur a à juste titre qualifié la raison principale de l’ina-déquation de l’arbitrage pour la résolution de litiges de la consommation de façon très terre à terre : “le jeu n’en vaut pas la chandelle”73. Les profession-nels eux-mêmes n’ont pas intérêt à prévoir l’arbitrage, qui leur coûtera cher par rapport à l’enjeu du litige. Ils préféreront le plus souvent imposer des clauses de prorogation de for s’ils le peuvent.

2. Arbitrage spécialisé pour les litiges de consommation a) Droit suisse

Il y a plus de vingt ans, le professeur Bernd Stauder relevait qu’il n’existait pas à proprement parler d’arbitrage spécialisé des litiges de consommation

71 Day Brower v Gateway 2000 Inc. (NY App. Div. 1998). Cf. Hans Smit, May an Arbitration Agreement Calling for Institutional Arbitration Be Denied Enforcement Because of the Cost Involved ?, in : The American Review of International Arbitration 1997, p. 167 ss. Pour d’autres décisions améri-caines liant la validité de clauses d’arbitrage au caractère raisonnable des coûts de la procédure pour le consommateur : Kaufmann-Kohler [note 63], p. 446.

72 Cf. toutefois Mauro Rubino-Sammartano, Is Arbitration to be Just a Luxury Clinic ?, in : Journal of International Arbitration 1990, p. 25 ss, 28.

73 Jarrosson [note 28], p. 77.

Arbitrage et règlement alternatif des litiges en Suisse. Certains mécanismes, notamment dans le domaine du textile (com-mission paritaire) ou de l’assurance (expertise-arbitrage) ne correspondaient pas à la définition d’un arbitrage74. Bernd Stauder en concluait que l’arbitrage au sens classique du terme – tel que régi par le seul concordat intercantonal à l’époque – n’avait aucune signification pratique comme mode de règlement extrajudiciaire des litiges entre consommateurs et professionnels. Les coûts élevés et une procédure complexe étaient décrits comme les causes princi-pales de ce constat75.

A ce jour, la situation ne semble pas avoir changé. Les obstacles décrits plus haut s’agissant des caractéristiques de l’arbitrage mettent apparemment toujours un frein au développement de systèmes spécifiques d’arbitrage pour les petits litiges de consommation. La préférence marquée reste en faveur d’autres modes d’ADR (infraIV.B). Il reste donc à se tourner vers d’autres ex-périences en droit comparé76.

b) Droit comparé

En Espagne77et au Portugal78, les consommateurs bénéficient d’une procé-dure gratuite et efficace d’arbitrage administré par différents centres79. Ces systèmes ont fait leur preuve depuis quelques années et sont généralement reconnus comme des modèles du genre.

Basé principalement sur l’art. 31 de la loi générale de protection des consommateurs 26/1984, un décret 636/1993 et le droit de l’arbitrage tel que récemment réformé par la loi 60/2003, leSistema Arbitral de Consumoespagnol consiste en des commissions d’arbitrage désignées par les organes perma-nentsJuntas Arbitrales de Consumoet composées d’un président (représentant l’administration), d’un représentant des organisations de consommateurs et

74 Stauder/Feldges [note 1], p. 41 s.

75 Stauder/Feldges [note 1], p. 41.

76 Cf. Hans van Houtte, Consommateur et arbitrage, in : Revue de l’arbitrage 1978, p. 197 ss (Belgique, USA, Angleterre, Pays-Bas).

77 Luis Abellàn Tolosa, El sistema arbitral de consumo, in : María José Reyes López (éd.), Derecho privado de consumo, Valence 2005, p. 575 ss (et son importante bibliographie) ; José Luis Pérez-Serrabona González, Réflexions sur le système d’arbitrage de consommation en Espagne, in : REDC 2002, p. 198 ss ; Manuel-Angel Lopez Sanchez / Marta Orero Nunez, Le système espagnol d’arbitrage des litiges de consommation, in : REDC 1996, p. 120 ss ; Brigitte Le Tavernier, L’arbi-trage des litiges de consommation en Espagne, in : Revue de la concurrence et de la consomma-tion, n° 86, juillet-août 1995, p. 75 ss ; Gasparinetti [note 13], p. 93 ; Alpa [note 58], p. 665 s. ; Crespo Parra [note 15], p. 284 s. et ses références.

78 Crespo Parra [note 15], p. 284 et ses références ; Isabel Mendes Cabeçadas, Le Centre d’ar-bitrage des litiges de consommation de Lisbonne, in : REDC 1999, p. 391 ss. Voir aussi les in-formations contenues dans la documentation publiée par le Centre d’arbitrage de conflits de consommation de la ville de Lisbonne (rapport d’activité, règlement du Tribunal arbitral, etc.).

79 Cf. aussi Loquin [note 28], p. 380.

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d’un représentant des professionnels adhérant au système. La décision d’une commission d’arbitrage est une sentence arbitrale ayant la même force exécu-toire qu’un jugement.

LesCentros de arbitragem de conflitos de consumoau Portugal reposent sur le droit de l’arbitrage (loi 31/86 sur l’arbitrage volontaire) et un décret-loi 425/86.

La sentence arbitrale est rendue par un arbitre unique.

En Angleterre, on mentionnera notamment leConsumer Dispute Resolution Schememis sur pied par leChartered Institute of Arbitrators et souvent adopté sous diverses formes par des organisations professionnelles par le biais de Codes of practice, ce qui permet donc la tenue de nombreux arbitrages sectoriels, généralement uniquement sur la base des pièces du dossier (sans audience)80. Aux Etats-Unis, l’arbitrage de la consommation est très répandu81et ceci depuis longtemps, sous l’égide de nombreuses institutions, soit de façon sectorielle (p. ex. automobile, services financiers), soit par l’entremise des or-ganisations d’arbitrage reconnues82. L’American Arbitration Association (AAA) a notamment élaboré un protocole (Consumer Due Process Protocol) pré-voyant diverses informations que les consommateurs doivent recevoir sur l’arbitrage83. On constate également le développement récent declass arbitra-tions, qui transposent le mécanisme desclass actionsà l’arbitrage84.

IV. Règlement alternatif des litiges (ADR) A. Introduction

Compte tenu des difficultés relevées plus haut pour l’arbitrage, d’autres modes de règlement alternatif des litiges pourraient apparaître comme des solutions idéales pour le contentieux de la consommation. Une médiation ou conciliation peut être gérée de façon simple, ne durer que quelques heures et représenter un coût modique. En revanche, une décision ou recommandation

80 Margareth Rutherford, Documents-only Arbitrations in Consumer Disputes, in : Ronald Bernstein [et al.], Handbook of Arbitration Practice, 3e éd., Londres 1998, p. 467 ss. Cf. aussi www.drs-ciarb.

com/Consumer/Index.asp.

81 En partie parce que cela permet aux professionnels d’éviter les dangers du jury populaire, class actions et possibles punitive damages des procès civils étatiques : Drahozal/Friel [note 30], p. 137 s. Dans son étude du consumer arbitration, Thomas E. Carbonneau, The Law and Practice of Arbitration, New York 2004, relève (p. 225) que : “It is virtually impossible to avoid arbitration if you are buying goods or services in the American marketplace.”

82 Loquin [note 28], p. 378 s.

83 www.adr.org/sp.asp ?id=22019. Cf. Hanotiau [note 28], p. 216.

84 Notamment : Bernard Hanotiau, A New Development in Complex Multiparty-Multicontract Pro-ceedings : Classwide Arbitration, in : Arbitration International 2004, p. 39 ss.

Arbitrage et règlement alternatif des litiges rendue par une instance non étatique et ne valant pas sentence arbitrale ne pourrait pas être reconnue et exécutée dans un autre Etat. Quelle est dès lors la situation de l’ADR de la consommation, en Suisse et à l’étranger ?