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Xavier Favre-Bulle *

A. Arbitrabilité 1. Droit suisse

a) Arbitrage interne

Conformément à l’art. 5 du concordat intercantonal sur l’arbitrage de 1969 applicable à l’arbitrage interne en Suisse, l’arbitrage peut porter sur tout droit qui relève de la libre disposition des parties, à moins que la cause ne soit de la compétence exclusive d’une autorité étatique en vertu d’une disposition impérative de la loi.

17 On parle également en langue française – plus rarement – de dispositifs alternatifs de résolution des litiges (DAR) ou de modes alternatifs de règlement des litiges (MARL).

Arbitrage et règlement alternatif des litiges A la lettre de cette disposition, l’arbitrabilité des litiges de consomma-tion non internaconsomma-tionaux semble difficile à admettre. Les art. 21 et 22 de la loi fédérale sur les fors (Lfors) de 2000, en liaison avec l’art. 2 de cette même loi, prévoient en effet de manière impérative quels sont les fors compétents en cas de litige concernant des contrats conclus avec des consommateurs (tels que définis à l’art. 22 al. 2 Lfors) et précisent qu’un consommateur ne peut re-noncer ni par avance ni par acceptation tacite à ces fors. Il en résulterait donc que, comme la cause est de la compétence exclusive d’une autorité étatique en vertu d’une disposition impérative de la loi (droit fédéral pour le surplus), l’art. 5 du concordat intercantonal ne permettrait pas qu’une telle cause soit soumise à l’arbitrage.

Avant l’adoption de la Lfors, certains auteurs relevaient déjà qu’une clause d’arbitrage contenue dans certains types de contrat de consommation serait nulle si les litiges relatifs à ces contrats étaient impérativement soumis à un tribunal étatique déterminé aux termes d’une disposition légale spéci-fique sur les fors18. C’était notamment le cas de l’ancien art. 226lCO, qui, avant d’être abrogé par la Lfors, prévoyait expressément qu’un acheteur à tempé-rament dans le cadre d’une vente par acomptes ne pouvait convenir avec le vendeur d’une juridiction arbitrale19.

En réalité, la formulation de l’art. 5 du concordat est regrettable, car la problématique du contentieux de la consommation n’est pas une question d’arbitrabilité20. Le règlement de litiges entre un consommateur et un pro-fessionnel relève de la libre disposition des parties, contrairement à des questions de statut personnel ou familial par exemple. Recourir à l’arbitrage devrait donc être possible en dépit de la législation impérative en matière de fors civils, dans la mesure où cette législation n’exclut pas l’admissibilité de l’arbitrage mais se limite à des questions de simple compétenceratione loci21.

18 Stauder/Feldges [note 1], p. 42.

19 Pierre Jolidon, Commentaire du concordat suisse sur l’arbitrage, Berne 1984, p. 165 ad art. 5.

20 Cf. Rapport accompagnant l’avant-projet de la commission d’experts – Loi fédérale de procé-dure civile (Procéprocé-dure civile suisse), juin 2003, p. 168 ad art. 348 ; Pierre Lalive / Jean-François Poudret / Claude Reymond, Le droit de l’arbitrage interne et international en Suisse, Lausanne 1989, p. 54 ad art. 5.

21 Cf. François Bohnet, Les conflits individuels de travail et les litiges en matière de bail et de droit de la consommation seront-ils arbitrables sous l’empire de la loi fédérale de procédure civile ?, in : Mélanges en l’honneur de François Knoepfler, Bâle [etc.] 2005, p. 161 ss, 171 ; François Knoepfler, L’arbitrage on line : une vraie solution pour les conflits entre fournisseurs et consommateurs, in : Mélanges en l’honneur de Bernard Dutoit, Genève 2002, p. 153 ss, 156 s. ; Jean-François Poudret, L’arbitre n’a pas de for, in : Mélanges en l’honneur de Henri-Robert Schüpbach, Bâle [etc.] 2000, p. 227 ss, 234 ; Dominik Gasser, in : Franz Kellerhals [et al.] (éd.), Gerichtsstandsgesetz, Kom-mentar, Berne 2001, n° 43 s. ad art. 1 ; Felix Dasser, in : Thomas Müller / Markus Wirth (éd.), Gerichtsstandsgesetz, Kommentar, Zurich 2001, n° 74 ad art. 1 (cf. toutefois n° 13 et 76). Contra : Dominik Infanger, in : Karl Spühler [et al.], Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsa-chen, Kommentar, Bâle [etc.] 2001, n° 29 ad art. 2 ; Fridolin M.R. Walther, in : Franz Kellerhals [et al.] (éd.), Gerichtsstandsgesetz, Kommentar, Berne 2001, n° 19 ad art. 21.

Xavier Favre-Bulle

A terme, le concordat sera remplacé par la loi fédérale de procédure civile suisse (PCS). L’art. 348 de l’avant-projet de cette loi de juin 2003 prévoit que la convention d’arbitrage peut avoir pour objet tout droit qui relève de la libre disposition des parties. La réserve de la compétence exclusive d’une autorité étatique en vertu d’une disposition impérative de la loi disparaîtrait donc22, ce qui est à saluer23. Avec une telle formulation, les litiges de la consomma-tion devraient être arbitrables.

b) Arbitrage international

Dans le cadre d’un arbitrage international ayant son siège en Suisse (tel que défini à l’art. 176 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit internatio-nal privé (LDIP)), l’arbitrabilité du litige est définie de manière extrêmement large puisque, selon l’art. 177 al. 1 LDIP, toute cause de nature patrimoniale peut faire l’objet d’un arbitrage. Le législateur n’a pas réservé la compétence exclusive des tribunaux étatiques pour certaines matières (une telle réserve prévue par l’art. 5 al. 2 LDIP en matière de prorogation de for n’a pas été reprise dans le chapitre 12 de la loi pour ce qui est de l’arbitrage international)24. Sur cette base, il ne nous semble guère contestable qu’un litige de consom-mation est arbitrable25. Soutenir le contraire26 revient à une interprétation contra legem. La question de la protection des consommateurs ne devrait pas se poser en termes d’arbitrabilité du litige en tant que tel, mais en éventuelles limites posées à la validité des clauses d’arbitrage, comme nous le verrons ci-dessous.

22 Cf. Rapport [note 20], p. 168 ad art. 348.

23 Contra : Bohnet [note 21], p. 175 s., qui critique la teneur actuelle de l’art. 348 et propose d’y ap-porter des compléments pour n’autoriser l’arbitrabilité d’un litige de consommation qu’une fois celui-ci survenu et donc éviter qu’une clause compromissoire soit imposée au consommateur à l’avance.

24 Lalive/Poudret/Reymond [note 20], n° 3 ad art. 177.

25 Jean-François Poudret / Sébastien Besson, Droit comparé de l’arbitrage international, Bruxelles [etc.] 2002, n° 366 et note 1031, n° 345, 345b ; Knoepfler [note 21], p. 156 s. (cf. toutefois la Note (ATF Fincantieri) du même auteur in : Revue de l’arbitrage 1993, p. 695 ss, 699) ; Robert Briner, in : Stephen V. Berti (éd.), International Arbitration in Switzerland, Bâle [etc.] 2000, n° 12 ad art. 177 ; Gerhard Walter / Wolfgang Bosch / Jürgen Brönnimann, Internationale Schiedsge-richtsbarkeit in der Schweiz, Berne 1991, p. 61 ; Zina Abdulla, The Arbitration Agreement, in : Gabrielle Kaufmann-Kohler / Blaise Stucki (éd.), International Arbitration in Switzerland, La Haye 2004, note 34 p. 22.

26 Dans ce sens : Thomas Rüede / Reimer Hadenfeldt, Schweizerisches Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., Zurich 1993, p. 56, qui considèrent que l’art. 114 al. 2 LDIP sur les fors impératifs pour les contrats de consommation est une lex specialis par rapport à l’art. 177 LDIP ; Andreas Bucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse, Bâle [etc.] 1988, n° 94 ss ; Werner Wenger, Die internationale Schiedsgerichtsbarkeit, in : BJM 1989, p. 337 ss, 342 ; Frank Vischer, in : Zürcher Kommentar zum IPRG, Zurich 2004, n° 12 s. ad art. 177 ; Bernard Dutoit, Droit international privé suisse, Com-mentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 4e éd., Bâle [etc.] 2005, n° 6 ad art. 177 ; Andreas Bucher / Andrea Bonomi, Droit international privé, 2e éd., Bâle [etc.] 2004, n° 1235.

Arbitrage et règlement alternatif des litiges

2. Droit comparé

Le cadre restreint de cette contribution ne nous permet pas de procéder à une véritable étude de droit comparé. Le but de la présente section est donc simplement de donner quelques illustrations de la réglementation en vigueur dans certains Etats, en Europe ou au-delà, s’agissant de l’arbitrabilité des litiges de consommation27.

En droit français, la jurisprudence a considéré que l’éventuelle applica-bilité de la législation protectrice des consommateurs à un litige n’est pas de nature, en elle-même, à exclure la compétence d’un tribunal arbitral en arbi-trage international28. L’arbitrabilité des litiges de consommation, également en matière interne, a été confirmée par la jurisprudence en droit espagnol29, en marge du système d’arbitrage spécialisé pour ces litiges que connaît l’Espagne. Aux Etats-Unis, des tribunaux ont également considéré que des li-tiges de consommation étaient arbitrables30. En droit allemand, la réforme du droit de l’arbitrage de 1998 ne semble pas véritablement poser de problèmes

27 Cf. aussi Emmanuel Gaillard / John Savage (éd.), Fouchard, Gaillard, Goldman On International Commercial Arbitration, La Haye 1999, p. 347, note 476 ; Gabrielle Kaufmann-Kohler / Thomas Schultz, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, La Haye 2004, p. 171 s. ; Frank-Bernd Weigand, in : Weigand (éd.), Practitioner’s Handbook on International Arbitration, Munich 2002, n° 100, p. 45 ; V.V. Veeder, Chronique de jurisprudence anglaise, in : Revue de l’ar-bitrage 1999, p. 167 ss ; Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arl’ar-bitrage international à l’épreuve de la mondialisation, Bruxelles [etc.] 2005, p. 89.

28 Cour d’appel de Paris, 7.12.1994, in : Revue de l’arbitrage 1996, p. 67 ss, note de Charles Jarrosson, et Cour de cassation, 21.5.1997, in : Revue de l’arbitrage 1997, p. 537 ss, note d’Emmanuel Gaillard (affaires Société V 2000, Jaguar France) ; cf. aussi Matthieu de Boisseson / Thomas Clay, Recent Developments in Arbitration in Civil Law Countries, in : International Arbitration Law Review 1998, p. 150 ss, 150 s. ; Gaillard/Savage [note 27], p. 347, note 476. Plus restrictif : Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, Paris 1999, p. 60 ss ; Antoine Kirry, Arbitrability : Current Trends in Europe, in : Arbitration International 1996, p. 373 ss, 389 ; cf. aussi Bernard Hanotiau, L’arbitrabilité, in : Recueil des Cours 296 (2002), Académie de droit international, p. 25 ss, 219 s. Egalement : Cour d’appel de Paris, 24.3.1995 (Bin Saud Bin Abdel Aziz), in : Revue de l’arbitrage 1996, p. 81 ss, note de Jean-Marc Talau. Cour de cassation, 30.3.2004, note de Thomas Clay, Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges : panorama 2005, in : Recueil Dalloz 2005, p. 3050 ss, 3053 s. ; Revue de l’arbitrage 2005, p. 115 ss (jurisprudence sur l’arbitrage en matière de placements financiers et le rôle du droit de la consommation), note de Xavier Boucobza. En détail, également pour l’arbitrage interne : Eric Loquin, L’arbitrage des litiges du droit de la consommation, in : Filali Osman (éd.), Vers un code européen de la consommation, Bruxelles 1998, p. 357 ss, 359 ss.

29 Cf. de Boisseson / Clay [note 28], p. 151 et note 6.

30 Notamment Hill v Gateway 2000 Inc. Cf. Gaillard/Savage [note 27], p. 348, note 476 ; Racine [note 28], n° 118 p. 67 s. ; Hanotiau [note 28], p. 213 ss. Christopher R. Drahozal / Raymond J. Friel, A Comparative View of Consumer Arbitration, in : Arbitration 2005, p. 131 ss, 138 mentionnent toutefois des initiatives législatives visant à limiter l’arbitrabilité de certains litiges de consom-mation. En détail sur les derniers développements aux Etats-Unis : Kelly Thompson Cochran / Eric J. Mogilnicki, Current Issues in Consumer Arbitration, in : The Business Lawyer 2005, p. 785 ss.

Xavier Favre-Bulle

d’arbitrabilité31; le législateur a préféré poser de simples conditions de forme pour les conventions d’arbitrage conclues avec des consommateurs32.