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Rôle d’αB-crystallin dans la fibrose pulmonaire

Dans le document en fr (Page 157-163)

Une des caractéristiques du poumon atteint de fibrose chez l’homme, est la présence de régions particulières, les foyers fibroblastiques au niveau desquels se concentrent les myofibroblastes et l’excès de MEC qu’ils produisent. Ces foyers regroupent donc tous les acteurs de la fibrose et sont des régions d’intérêt pour l’étude de la maladie. Au cours de ce travail, nous avons montré pour la première fois, qu’αB-crystallin était fortement exprimée dans les cellules épithéliales alvéolaires situées autour des foyers fibroblastiques ainsi que dans les cellules au sein de ces foyers (fibroblastes/myofibroblastes). Les cellules épithéliales et les fibroblastes présents au niveau de ces régions actives du poumon fibreux sont des cellules agressives qui acquièrent des caractéristiques myofibroblastiques et participent activement au développement de la fibrose. L’expression d’αB-crystallin dans ces cellules suggère un rôle de cette protéine dans leur transformation et leur participation à la production de TGF-β1 et à la synthèse de MEC. ΑB-crystallin était également surexprimée dans nos modèles animaux (bléomycine, AdTGF-β1 et AdIL-1β) de manière plus diffuse, puisque les foyers fibroblastiques sont peu présents chez la souris atteinte de fibrose. Ces marquages suggèrent donc un rôle global d’αB-crystallin à la fois au niveau de cellules épithéliales et des fibroblastes. De plus, la fibrose était largement réduite chez les souris déficientes pour αB- crystallin dans nos modèles animaux.

Le TGF-β1 est considéré comme l’élément pro-fibrosant majeur au cours de la fibrose pulmonaire par son action sur l’activation des fibroblastes et la transformation des cellules épithéliales par l’EMT. Dans notre travail, nous montrons que, dans un contexte pro-fibrosant, l’absence d’αB-crystallin bloque la voie du TGF-β dépendante des protéines Smad en inhibant la localisation nucléaire de Smad4 et donc son activité. Cependant, les voies du TGF-

β sont multiples et impliquent de nombreuses autres protéines. Plusieurs études démontrent

que les voies des MAPK, PI3K et JNK peuvent également être impliquées dans la fibrose pulmonaire (352-354). De plus, une étude parue en 2013, montre un rôle d’αB-crystallin sur

l’EMT à l’origine de la progression et du caractère agressif de carcinomes hépatiques (324). En effet, dans cet article, les auteurs montrent une action de la surexpression d’αB-crystallin sur l’activation de la voie de phosphorylation ERK qui induit un EMT des cellules d’hépato- carcinome favorisant la formation de métastases. Ainsi, αB-crystallin est un marqueur de mauvais pronostique pour ce type de cancer. Nous avons étudié dans notre travail le rôle d’αB-crystallin sur la phosphorylation de ERK. Dans nos modèles d’études, l’inhibition d’αB- crystallin n’entraînait aucune modification de la voie ERK sur les cellules épithéliales pulmonaires confirmant ainsi un rôle spécifique d’αB-crystallin sur la voie des Smad (Figure 79). NT TGF SC TGF 15 min Si αB αB- crystallin P-ERK HSC70

Figure 79 : L’inhibition d’αB-crystallin n’affecte pas la voie ERK

L’expression de P-ERK et αB-crystallin a été évaluée par Western blot sur des cellules A549 après inhibition d’αB-crystallin par un SiRNA spécifique (Scramble comme contrôle) et traitées ou non au rTGF-β1 pour 15 minutes.

Même si l’implication des cellules épithéliales dans la fibrogenèse est largement acceptée, le concept d’EMT a récemment été sujet à controverse dans le monde de la pneumologie (146, 148). En 2006, Kim et al. démontraient in vivo que les cellules épithéliales alvéolaires subissaient une EMT et étaient une source importante de myofibroblastes dans un modèle de fibrose induite par l’AdTGF-β1 (146). Cependant en 2011, une autre équipe montrait in vivo, dans un modèle de fibrose induite par la bléomycine, que les cellules épithéliales pulmonaires étaient capables d’une grande plasticité mais remettaient en cause l’existence du phénomène d’EMT (148). Nos résultats in vitro mettent en évidence un rôle des cellules épithéliales dans des conditions pro-fibrosantes. En effet, après traitement au rTGF-β1, une surexpression des marqueurs myofibroblastiques tels que α-SMA et le TGF-β1 lui-même, était retrouvée chez les cellules épithéliales alvéolaires de type 2 (AECII) primaires. De plus, la surexpression du facteur de transcription induisant l’EMT, Snai2, par ces cellules constitue une preuve de leur transformation via ce processus après stimulation au rTGF-β1. Nous avons montré dans notre travail que la surexpression d’α-SMA, du TGF-β1 et de Snai2 induite par le TGF-β1 était

inhibée dans les AECII déficientes pour αB-crystallin suggérant que l’absence de cette petite protéine de stress limite le processus d’EMT.

De manière intéressante, l’absence d’αB-crystallin est également capable de bloquer la voie du TGF-β1 dans les fibroblastes mettant en avant un rôle d’αB-crystallin à la fois chez les AECII et les fibroblastes. Le blocage de la voie du TGF-β1 chez les souris KO pour αB- crystallin dans ces deux types cellulaires, pourrait être à l’origine d’une réduction du nombre de myofibroblastes ayant pour origine les AECII et les fibroblastes dans le tissu pulmonaire atteint de fibrose. Ceci peut être mis en corrélation avec la réduction de l’expression du procollagène produit par les myofibroblastes, dans les poumons des souris KO recevant de l’AdTGF-β1, confirmant la réduction du nombre de myofibroblastes dans les poumons des souris KO après induction de fibrose. Malgré les débats actuels sur le processus d’EMT, nous montrons dans nos travaux que les cellules épithéliales primaires sont capables de subir une EMT après stimulation au rTGF-β1 et que ce mécanisme est inhibé en absence d’αB- crystallin chez les animaux KO. De plus, la baisse de production de collagène et l’inhibition de la voie du TGF-β1 des fibroblastes primaires en l’absence d’αB-crystallin, que nous montrons ici, renforce l’hypothèse selon laquelle le nombre de myofibroblastes serait réduit chez les souris déficientes pour αB-crystallin in vivo en conditions fibrotiques, expliquant la protection de ces animaux contre la fibrose induite par la bléomycine, l’AdTGF-β1 et l’AdIL1.

Dans les deux types cellulaires que nous avons étudiés, ainsi que dans nos modèles in vivo,

αB-crystallin modulait la voie du TGF-β1 en jouant sur la localisation de la protéine Smad4.

Le transport nucléo-cytoplasmique de Smad4 est essentiel pour la régulation de la voie du TF-

β1 Smad-dépendante. En effet, Smad4 voyage constamment entre le compartiment nucléaire

et le cytoplasme suivant l’activation des différents signaux commandant son import ou son export nucléaire (118, 349). Il a été montré par de nombreux travaux, que l’inhibition de la translocation nucléaire de Smad4 entraînait l’inactivation de la voie du TGF-β1 accompagnée par la baisse d’expression des gènes cibles du TGF-β1 et du TGF-β1 lui-même (355). L’export nucléaire de Smad4 est finement régulé par sa mono-ubiquitination par la protéine TIF1γ (356). La mono-ubiquitination nucléaire de Smad4 par TIF1γ permet la dissociation du complexe Smad2/3-Smad4 et favorise leur export nucléaire inhibant ainsi leur activité. La protéine TIF1γ est donc un régulateur négatif de la voie du TGF-β1 Smad-dépendante (357). De plus, le rôle de TIF1γ sur Smad4 a récemment été mis en évidence comme régulateur négatif de l’EMT induite par le TGF-β1 dans des cellules épithéliales mammaires (358). Nous

démontrons dans ce travail un rôle d’αB-crystallin sur la stabilité de TIF1γ qui pourrait interférer avec le complexe TIF1γ/Smad4 et ainsi moduler la localisation de Smad4. En condition de fibrose, la surexpression d’αB-crystallin entraîne une dégradation de TIF1γ, et donc une réduction de l’interaction entre Smad4 et TIF1γ inhibant l’export nucléaire de Smad4 et favorisant son activité pro-fibrosante. Nous n’avons cependant pas pu identifier le mécanisme impliqué dans la dégradation de TIF1γ par αB-crystallin. Il a déjà été rapporté qu’αB-crystallin était impliquée dans le système de dégradation du protéasome (316, 359, 360) mais nos expériences d’inhibition de la dégradation protéasomale n’ont pas pu mettre en évidence ce mécanisme dans notre contexte. Un résultat préliminaire semblerait indiquer que l’inhibition de caspases par le Zvad pourrait contrer la dégradation de TIF1γ induit par la surexpression d’αB-crystallin (Figure 80). Cependant, cette hypothèse suggère qu’αB- crystallin aurait un rôle positif sur l’activation des caspases ce qui est en contradiction avec de nombreuses études réalisées sur l’apoptose (306, 307).

TIF1γ

αB-crystallin

HSC70

vide

αB-crystallin

50 mM 100 mM

-

zvad

-

Figure 80 : L’inhibition des caspases restaure l’expression de TIF1γ après surexpression d’αB- crystallin.

L’expression de TIF1γ et αB-crystallin a été évaluée par Western blot sur des cellules A549 dans lesquelles αB- crystallin a été surexprimée à l’aide d’un plasmide (plasmide vide comme contrôle) après inhibition des caspases par le Zvad.

Outre son rôle sur la dégradation de TIF1γ, nous montrons aussi la capacité d’αB-crystallin à interagir avec Smad4. La double interaction Smad4/αB-crystallin – TIF1γ/αB-crystallin laisse entrevoir un autre rôle d’αB-crysallin sur le complexe Smad4/TIF1γ. En effet, nous émettons l’hypothèse qu’en interagissant avec Smad4, αB-crystallin « masque » le site de fixation de l’ubiquitine de Smad4 empêchant ainsi sa mono-ubiquitination et son export nucléaire. Selon cette hypothèse, αB-crystallin bloquerait l’interaction Smad4/TIF1γ et donc la mono- ubiquitination de Smad4 par encombrement stérique. Cette seconde hypothèse semble plus vraisemblable et est en corrélation avec le rôle classique des protéines chaperonnes consistant

à inhiber les interactions et agrégations entre protéines. Des investigations plus poussées sur la nature exacte des interactions Smad4/αB-crystallin/TIF1γ sont actuellement en cours dans notre laboratoire pour définir si ces dernières sont directes et pour élucider plus précisément le rôle d’αB-crystallin dans ce complexe protéique. Dans un contexte de fibrose, le complexe TIF1γ/Smad4 est donc inactif à cause de l’abondance d’αB-crystallin ; Smad4 est donc séquestrée dans le noyau et son activité de facteur de transcription sur les gènes profibrotiques de la voie du TGF-β1 est augmentée. A l’inverse, chez les souris KO, l’absence d’αB- crystallin favorise l’action de TIF1γ sur Smad4 en permettant la formation du complexe Smad4/TIF1γ et induit l’export nucléaire de Smad4 donc son inactivation. De manière interéssante, la cinétique nucléo-cytoplasmique des protéines effectrices Smad2 et Smad3 est corrélée à celle de Smad4 (Figure 81). En effet, l’inhibition d’αB-crystallin permet également l’export de Smad2 et Smad3. Nous pensons que l’action d’αB-crystallin sur Smad4 se répèrcute sur Smad2 et 3 inhibant ainsi l’activité de facteur de transcrition du complexe Smad2/3/4 et bloquant la voie de signalisation du TGF-β1.

Figure 81 : L’inhibition d’αB-crystallin entraîne l’export nucléaire de Smad2 et Smad3

Les populations nucléaires et cytoplasmiques de Smad2 et smad3 étaient déterminées par fractionnement cellulaire des cellules A549 transfectées avec un siRNA spécifique d’αB-crystallin ou un siRNA scramble (contrôle) et/ou traitées avec du rTGF-β1 (10ng/ml, 12h et 24h). La protéine PARP1 nucléaire et la protéine HSP60 mitochondriale étaient utilisées comme contrôles pour la pureté des extraits.

Le rôle de l’inflammation dans la fibrose pulmonaire reste aujourd’hui sujet à controverse (8, 9). Les thérapies anti-inflammatoires utilisées actuellement pour tenter de lutter contre la fibrose pulmonaire n’ont pas montré d’effets bénéfiques importants sur le développement de la maladie, même si l’inflammation semble avoir un rôle dans sa pathogenèse (78, 361, 362). Nous avons montré que l’absence d’αB-crystallin n’affectait pas l’inflammation précoce (entre J0 et J10) induite par la bléomycine alors que la production et le dépôt de collagène était fortement atténués chez les souris KO à des temps plus longs (J21). Il a été précédemment montré que la surexpression d’IL1β activait la voie des Smad et conduisait à une surproduction persistante de TGF-β1 (363). Dans ce modèle, une voie des Smad

fonctionnelle est nécessaire à l’établissement d’une fibrose et l’IL1β est vraisemblablement impliquée dans la formation des myofibroblastes et le processus d’EMT via l’activation du TGF-β1 (364, 365). Nous confirmons dans notre étude que la fibrose induite par l’IL1β est associée à une surproduction de TGF-β1 chez les souris WT, mais pas chez les souris KO pour lesquelles l’expression du TGF-β1 est déficiente. Nous pensons que dans nos modèles in vivo et in vitro, αB-crystallin est surexprimée par l’inflammation et que cette surexpression active la voie des Smad en favorisant l’activité de Smad4. De manière intéressante, la protéine chaperonne du collagène HSP47 est connue pour être induite par l’inflammation. Dans nos modèles, HSP47 est surexprimée chez les souris WT et KO par la phase d’inflammation à J7, mais cette surexpression n’est conservée que chez les souris WT à J21 (366). L’expression d’HSP47 est maintenue chez les souris WT par la mise en place d’un environnement pro- fibrosant par le TGF-β1, notamment en corrélation avec l’augmentation de l’expression du collagène. Chez les souris KO, l’expression d’HSP47 induite par la phase inflammatoire n’est pas maintenue puisque l’expression du TGF-β1 est limitée par l’absence d’αB-crystallin. La biosynthèse et la maturation du collagène à J21 sont donc moins fortes chez les souris KO limitant le dépôt de collagène et la progression de la fibrose.

Comme nous l’avons déjà décrit, l’apoptose est un élément déclancheur important des processus fibrotiques. Le rôle cyto-protectif d’αB-crystallin a été largement décrit dans la littérature, notamment via son rôle inhibiteur de l’activation de la caspase-3 limitant l’apoptose. Cependant, dans nos modèles, nous n’avons observé aucune modification de la mort cellulaire des cellules épithéliales ou de fibroblastes pulmonaires entre souris WT et KO après injection de bléomycine. L’absence d’αB-crystallin ne semble donc ni jouer sur l’apoptose ni sur l’inflammation induite par la bléomycine, mais principalement sur l’expression du TGF-β1 et de ces gènes cibles.

Actuellement, seulement quelques nouveaux médicaments aux effets limités sont disponibles pour aider les patients atteints de fibrose pulmonaire idiopathique.

Certaines de ces molécules sont en cours d'essais cliniques, notamment la N-acétylcystéine anti-oxydant (NAC), qui augmente la résistance des cellules aux lésions oxydatives et peut donc avoir un effet bénéfique sur la fibrose pulmonaire. En effet, le stress oxydatif est impliqué dans la pathogenèse de la fibrose pulmonaire et est délétère pour les cellules épithéliales alvéolaires. Il a été montré dans différents modèles que l'expression d’αB- crystallin est en corrélation avec les niveaux d'espèces réactives de l'oxygène comme l'oxyde

nitrique et la peroxydation lipidique (367, 368). Nous pensons que le stress oxydatif dans les poumons de patients atteints de FPI pourrait être un stimulus induisant l’expression d’αB- crystallin, qui à son tour contribue à l'activation des voies pro-fibrotiques du TGF-β et des Smad.

La Pirfenidone est une autre molécule testée dans des essais cliniques pouvant inhiber la progression de la fibrose dans des modèles animaux et chez les patients atteints de FPI. Bien que le mécanisme exact par lequel la pirfenidone pourrait interférer avec la fibrose dans les poumons reste incertaine, elle a été rapportée pour avoir une action anti-inflammatoire et anti- oxydante combinée. Ce petit composé est également capable d'inhiber l’expression du TGF-

β1 et d’HSP47 (329, 369). De manière intéressante, il a récemment été montré dans les

cellules épithéliales rétiniennes que la pirfenidone inhibe la fibrose induite par le TGF-β1 en bloquant la translocation nucléaire de Smad4 (331). L’implication d’αB-crystallin dans l'effet anti-fibrotique de pirfenidone n'a pas encore été déterminée. Il serait cependant intéressant de savoir quel est l’effet de ces molécules sur l’expression d’αB-crystallin sur les cellules pulmonaires et chez les patients traités. L’inhibition d’αB-crsytallin par ces composés pourrait en partie expliquer leurs effets notamment la modulation de la localisation de Smad4 par la pirfenidone. Ce travail démontre qu’αB-crystallin peut être une cible clé pour le développement de médicaments spécifiques dans le traitement des maladies fibrotiques.

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