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prépondérante : les hypothèses d’une théorie réaliste de l’intégration

3. Le rôle ambigu de l’interdépendance

Nous avons simplement vu jusqu’ici que, toutes choses égales par ailleurs, un cadre géographique d’interdépendance plus vaste tendait à favoriser la défensive et d’autre part que l’interdépendance stratégique entre puissance était plus forte en cas d’avantage offensif qu’en

130 cas d’avantage défensif. Mais l’interdépendance a une portée plus générale que celle réduite aux questions militaires.

En politique européenne, l’interdépendance est généralement étudiée sous l’angle de l’interdépendance commerciale (Milward, 1994 ; Moravcsik, 1998). Une approche plus globale est nécessaire. Ainsi, la puissance des Etats et les relations qu’ils entretiennent entre eux entraînent des phénomènes de dépendance ou de vulnérabilité, notamment des faibles à l’égard des forts. L’interdépendance désigne la vulnérabilité mutuelle entre puissances (Keohane et Nye, 1977, p. 13-19 ; Waltz, 1979, p. 143-144). Nous entendons donc le concept d’interdépendance ici non pas au sens large comme la simple « sensitivité » à des facteurs extérieurs ou comme la relation née de l’intensification et de la complexification des interactions, des communications des échanges et des flux (Deutsch, 1988), ou encore, en termes purement économiques, comme la convergence des prix, salaires et taux d’intérêts (Milward, 1994, p. 9), mais comme une relation dans laquelle des acteurs sont en mesure d’exercer les uns sur les autres une menace réciproque affectant la préservation de leur pouvoir. Ainsi, la définition trop générale de l’interdépendance utilisée par Milward explique le fait que, pour lui, l’interdépendance mène souvent plus à des politiques nationales et protectionnistes qu’à des politiques intégrées : il n’envisage pas l’interdépendance du point de vue des acteurs politiques mis devant des problème précis de vulnérabilité mutuelle aux décisions de l’autre, mais uniquement du point de vue d’indicateurs économiques généraux qui ne disent pas grand chose de la marge de manœuvre des décideurs. L’interdépendance doit donc être analysée comme une relation de pouvoir. Contrairement aux travaux des années 1970 (Keohane et Nye, 1977, p. 3 ; Waltz, 1979, p. 144-145), nous ne chercherons pas ici à établir de jugement global sur le fait que le monde ou même l’Europe serait dans l’ensemble plus ou moins interdépendant que par le passé. Nous nous concentrerons au contraire sur des cas concrets d’interdépendance entre des acteurs mutuellement vulnérables de fait sur des points précis, ainsi que sur les conséquences de cette contrainte structurelle sur leur comportement. Et il est important de souligner que la dépendance ou la vulnérabilité est essentiellement une question de potentiel : indépendamment de la volonté, des intentions des acteurs et de ce qu’ils font effectivement, le fait qu’un acteur puisse, par ses décisions, affecter négativement le pouvoir d’un autre a, en soi, des conséquences sociales.

131 La notion d’interdépendance est particulièrement ambiguë dans ses implications et celles-ci doivent tout d’abord être appréciées en fonction de l’état de la balance offensive/défensive. Par exemple, pour Waltz, l’interdépendance en anarchie est un facteur de conflits, les puissances cherchant avant tout à résister et à préserver leur indépendance (1979, p. 144) ; en revanche, pour Elias (1975, p. 34-35), l’interdépendance est ce qui favorise l’unification des Etats et les empêche de tomber dans l’anarchie. De même, pour les libéraux, l’interdépendance, notamment économique, diminue l’importance de la force militaire (Keohane et Nye, 1977, p. 25) et constitue le point de départ de la coopération internationale (Keohane, 1984, p. 243). L’interdépendance semble donc pouvoir conduire aussi bien à la confrontation qu’à l’intégration1. Cette ambiguïté est notamment relevée par Milward (1994, p. 8) qui souligne que l’interdépendance peut certes conduire à l’intégration, mais aussi à des politiques visant à l’éliminer, comme dans le cas de l’Allemagne national-socialiste. Par conséquent, pour Milward, les progrès de l’interdépendance, souvent invoqués par la tradition néofonctionnaliste, ne suffisent pas à expliquer l’intégration (1994, p. 10). Or, ce problème peut à présent être largement résolu. Dans le monde de Waltz, les Etats cherchent avant tout à préserver ou à reconquérir leur indépendance et à engranger des gains relatifs par rapport à leurs adversaires. A l’inverse, dans le monde libéral, les Etats coopèrent en visant des gains absolus pour chacun. Powell (1991) remarque que ces deux mécanismes ne sont pas nécessairement incompatibles mais correspondent à deux cas particuliers du réel. Lorsque le coût de la guerre est peu élevé, les Etats anticipent la guerre et recherchent des gains relatifs en vue de l’affrontement et in fine des bénéfices que peut rapporter la violence ; à l’inverse, lorsque le coût de la guerre est élevé, les gains relatifs deviennent d’une importance stratégique moindre car un différentiel de puissance a un impact plus limité sur la répartition des gains futurs. Les Etats peuvent davantage se permettre de coopérer en vue de gains absolus pour chacun. En somme, il s’agit de déterminer si la guerre est plus ou moins coûteuse que la coopération2. Et tout l’intérêt de l’approche de Powell est qu’elle permet d’expliquer le passage d’un système non coopératif à un système coopératif non par la modification des préférences des acteurs, mais par le changement des contraintes auxquelles ils sont confrontés (1991, p. 1304). De ce point de vue, la théorie de Powell est tout à fait

1 Sur ce débat, voir McMillan, (1997). 2

Powell (1991, p. 1315-1316) insiste néanmoins sur le fait que ce type de problème n’apparaît pas uniquement dans les systèmes marqués par l’usage possible de la violence armée, mais à chaque fois que des gains relatifs présents peuvent être convertis par un acteur en gains absolus futurs et en perte absolue future pour d’autres unités. Autrement dit, même dans des cas où la guerre est exclue, des Etats peuvent être incités à se focaliser sur les gains relatifs, du fait des conséquences futures des écarts de puissance présents.

132 complémentaire de celle de Jervis sur la balance offensive/défensive, qui donne une illustration concrète de ce que signifie un coût de la guerre plus ou moins élevé. Lorsque l’offensive a l’avantage, la guerre est rentable et la coopération est risquée. L’interdépendance est donc un facteur de guerre, comme le montre le cas du Japon des années 1930-1940 dont l’impérialisme était largement guidé par le souci de l’autosuffisance en matières premières et la crainte de la vulnérabilité de ses lignes d’approvisionnement à l’égard des Etats-Unis (Milward, 1977, p. 165-168 ; Waltz, 1979, p. 142). Mais lorsque la défensive a l’avantage, non seulement la guerre ne parvient plus à éliminer l’interdépendance (par l’abaissement ou l’absorption de la puissance adverse par exemple), mais la coopération est nettement moins dangereuse et peut donc apporter une solution viable à l’interdépendance.

Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de voir que Waltz, qui n’a pas inclus dans sa théorie la balance offensive/défensive construite par Jervis, a pourtant eu une intuition assez proche justement à propos de l’unification européenne. Il remarque en effet que jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les puissances européennes ne pouvaient coopérer car elles avaient les yeux rivés sur les gains relatifs, mais que dans le monde bipolaire de la guerre froide et de la division du continent, puisque leur sécurité ne dépend plus d’elles mais des deux superpuissances américaine et soviétique, les gains relatifs n’ont plus d’importance entre européens, ce qui rend possible la coopération et la quête de gains absolus (1979, p. 70-71). Il reconnaît donc que, dans certains contextes stratégiques, la probabilité de la guerre peut être pratiquement nulle pour des raisons structurelles et permettre aux Etats de coopérer librement. Cependant, Waltz attribue cet effet au passage au monde bipolaire. Comme nous l’avons vu précédemment, Waltz attribue assez rapidement des effets stabilisateurs au système bipolaire alors que, dans un contexte favorable à l’offensive, un système bipolaire peut parfaitement déboucher sur une guerre généralisée, très loin de l’intégration européenne. Hopf (1991) a ainsi affirmé que la variation de la stabilité attribuée par Waltz à la variation de la polarité résulte en fait le plus souvent de l’évolution de la balance offensive/défensive. En complétant la théorie de Waltz par celle de Jervis, on dira donc que le passage au monde bipolaire n’a rendu l’intégration européenne possible que dans la mesure où ses caractéristiques géographiques et technologiques donnaient un très net avantage à la défensive tout en renforçant l’interdépendance stratégique entre puissances d’Europe occidentale. Cette explication permet notamment de comprendre pourquoi Mearsheimer (1990) est arrivé à une impasse empirique en partant du principe que la fin de la bipolarité entrainerait le retour aux

133 tensions militaires entre Européens : l’échec de ses prédictions peut s’expliquer par le fait que, même après la fin de la guerre froide, l’avantage restait à la défensive.

Cependant, si une situation marquée à la fois par l’avantage à la défensive et une certaine interdépendance favorise des relations coopératives, cela ne suffit toujours pas à expliquer l’intégration, c'est-à-dire une coopération rendue contraignante par la délégation de compétences à des institutions chargées de garantir la coordination entre acteurs. Ici encore, plusieurs cas sont à distinguer. En effet, indépendamment de la balance offensive/défensive, l’interdépendance ne produit pas toujours le même résultat. Ainsi, partons du principe que nous nous trouvons en situation d’avantage défensif et que la guerre ne peut résoudre l’interdépendance. Plus un acteur est puissant, plus il est indépendant (Waltz, 1979, p. 154). En revanche, un acteur est dépendant lorsqu’il est vulnérable à l’égard de la puissance d’un autre acteur. Des acteurs sont interdépendants lorsque les décisions de l’un menacent le pouvoir de l’autre et réciproquement. Cependant, la menace mutuelle peut aboutir à un équilibre qui annule en quelque sorte la dépendance, comme dans le cas typique de « l’équilibre de la terreur » nucléaire, où la capacité de chacun à menacer l’autre constitue la meilleure garantie contre la menace exercée par l’autre et donc, in fine, la meilleure garantie de l’indépendance de chacun (Waltz, 1990). Dans ce cas, la stratégie d’équilibre de la puissance est une solution viable qui modère l’interdépendance en la neutralisant. Cette interdépendance limitée correspond typiquement au schéma décrit par Waltz (1979, p. 126), dans lequel les Etats assurent leur indépendance en équilibrant les puissances dominantes. Dans une telle configuration, les Etats coopèrent (notamment pour maintenir l’équilibre, par exemple en formant des coalitions anti-hégémoniques), mais cette coopération ne va pas jusqu’à l’intégration car les Etats cherchent avant tout à préserver leur indépendance. Cependant, ici aussi, le système décrit par Waltz s’avère n’être qu’un cas particulier du réel.

En effet, les vulnérabilités de deux puissances l’une à l’égard de l’autre peuvent aussi ne pas se neutraliser mais coexister. Dans ce cas, l’interdépendance ne se résout pas d’elle-même : elle est problématique et plus elle est forte, plus elle pousse chaque acteur à rechercher des garanties solides quant au comportement de l’autre, pour s’assurer de ne pas être affecté négativement par ses décisions. Ainsi une situation d’interdépendance est prépondérante dans la mesure où elle menace de façon décisive le pouvoir de ceux qui la subissent et qu’ils n’ont plus les moyens de la limiter pour conserver leur autonomie d’action. Un exemple typique

134 nous est fourni par l’évolution de la relation franco-allemande entre 1945 et 1950. Dans l’immédiat après guerre, la France avait les moyens, en tant que puissance occupante, de limiter le potentiel économique et militaire de l’Allemagne, afin que celle-ci ne soit pas une menace. Ainsi, une stratégie classique d’équilibre permettait à la France de limiter sa dépendance à l’égard de son voisin et donc de garantir sa propre indépendance. En revanche, à partir de 1948, les Américains et les Britanniques imposèrent, dans un contexte marqué par le développement de la guerre froide, le relèvement économique puis militaire de l’Allemagne de l’Ouest. Dans ce nouveau contexte, les dépendances mutuelles s’additionnèrent sans se neutraliser : malgré son statut de puissance occupante, la France ne pouvait s’opposer au relèvement rapide de la puissance allemande ; et malgré son relèvement, l’Allemagne restait dépendante de la France quant au recouvrement de sa souveraineté. L’intégration qui s’ensuivit peut être considérée comme une transaction entre ces deux dépendances irréductibles : au lieu de dépendre directement l’une de l’autre, la France et l’Allemagne acceptèrent de dépendre d’une autorité supranationale européenne, qui offrait des garanties à chacune. Ce passage de l’interdépendance limitée à l’interdépendance prépondérante entraîna ainsi un changement de paradigme pour la diplomatie française : celle-ci passa alors d’une politique traditionnelle d’équilibre de la puissance tournée vers la coopération privilégiée avec le Royaume-Uni, en vue de contrer l’Allemagne, à une politique d’intégration avec l’Allemagne. Cette évolution ressemble à un renversement d’alliance. Pourtant, dans les deux cas, il s’agissait de répondre au problème de la dépendance à l’égard de la puissance allemande, mais alors que dans le premier cas cette dépendance pouvait être endiguée, dans le second, elle ne pouvait plus être qu’encadrée par une transaction institutionnelle.

En situation d’avantage défensif, la question du passage du paradigme de l’équilibre de la puissance à celui de l’intégration nous conduit ainsi à distinguer deux cas de figure. Quand l’interdépendance est relativement limitée, ou que les vulnérabilités mutuelles tendent à se neutraliser, les acteurs sont incités à suivre une politique classique d’équilibre de la puissance, afin de préserver leur autonomie d’action. Leurs alliés privilégiés sont donc les adversaires de ceux dont ils risquent de dépendre le plus (typiquement, le Royaume-Uni contre l’Allemagne). En revanche, plus l’interdépendance est prépondérante entre ces acteurs, plus ils sont incités à se tourner vers l’encadrement institutionnel de cette interdépendance, devenue incontournable, c'est-à-dire vers l’intégration. Leurs partenaires privilégiés sont alors ceux dont ils dépendent le plus et avec qui ils s’intègrent. Pour reprendre le schéma de Jervis,

135 la situation stratégique la plus favorable à l’intégration est donc celle où l’interdépendance est forte, par exemple parce que les Etats risquent fréquemment, par leurs décisions non coordonnées, de s’imposer mutuellement des dommages considérables, et où en même temps l’avantage est à la défensive, ce qui rend la solution militaire peu efficace et incite donc à régler cette interdépendance par la délégation des compétences concernées à une instance ou une procédure commune. C’est dans la mesure où les avantages d’une coordination formellement garantie deviennent plus importants que le coût du renoncement à une indépendance devenue de toute façon illusoire que les acteurs sont incités à choisir l’intégration. Si la sécurité de la France dépend plus de la politique allemande que de sa propre politique, elle a intérêt à renoncer à une partie de sa souveraineté en faveur d’un droit de contrôle sur la politique allemande. Et si cette relation est réciproque, l’intégration peut avoir lieu. Cela rejoint ce que nous avons dit précédemment de l’institutionnalisation en général : en avantage défensif, plus un acteur est capable d’exercer une contrainte effective sur ses partenaires, plus son pouvoir tend à être reconnu institutionnellement ; de même ici, plus les contraintes de fait nées de l’interdépendance sont importantes, plus celle-ci ne peut plus être résolue par une simple coopération non contraignante, typique du paradigme de l’équilibre de la puissance, mais tend à être déléguée à des institutions spécialement chargées de garantir la systématicité et la crédibilité de la coordination des acteurs (Moravcsik, 1998, p. 73-77 ; Mattli, 1999, p. 53-55). En termes wébériens, l’intégration correspond à la rationalisation du traitement de l’interdépendance.

De même que la balance offensive/défensive avait des effets non seulement sur les relations internationales mais aussi sur la politique interne (en fait un cas particulier des relations internationales), de même la balance entre une interdépendance limitée et une interdépendance prépondérante ne joue pas simplement entre Etats mais aussi entre pouvoirs à l’intérieur de l’Etat. Elias (1975, p. 30-31) remarque ainsi que le processus de formation de l’Etat se manifeste non seulement par une dépendance de plus en plus forte des dominés à l’égard des élites « monopolistes » mais aussi par une dépendance de plus en plus forte des élites monopolistes à l’égard des dominés. En effet, plus l’Etat prend de l’ampleur, plus il est vulnérable à l’égard de ceux qui le servent, le financent, lui obéissent et par là même conditionnent la préservation de son pouvoir. La dispersion du monopole entre les mains de ces « dominés » sur lesquels l’Etat repose de facto constitue ce qu’Elias appelle la « socialisation » du monopole (1975, p. 34-35). Ce phénomène prend des formes différentes

136 selon que l’interdépendance est forte ou limitée au sein de l’Etat. Lorsque « l’interdépendance des fonctions sociales est peu développée », la contestation du monopole par ceux sur lesquels il repose risque d’aboutir à sa « désagrégation », au retour à « l’anarchie » (p. 34). C’est typiquement le phénomène de féodalisation où le pouvoir descend du suzerain aux vassaux. Dans ce cas, l’Etat redevient une arène de relations internationales, structurée par la logique de l’équilibre de la puissance. En revanche, lorsque l’interdépendance est forte, la contestation du monopole aboutit non à sa désagrégation mais à son ouverture aux intérêts du « groupe social tout entier » : « A partir d’un certain seuil, la lutte pour les monopoles ne vise plus leur destruction, mais le droit de disposer de leur produit ainsi que le plan qui les organise et qui préside au partage des chances et des avantages, autrement dit le principe de répartition » (p. 38). Cela aboutit au partage du pouvoir central à travers des compromis constitutionnels. L’exemple typique en est le « régime démocratique » (p. 39) par lequel le pouvoir se disperse sans pour autant remettre en cause l’unité de l’Etat. En somme, lorsque l’interdépendance est faible, on résiste aux tentatives d’établissement de monopoles, c'est-à-dire à la formation de l’Etat ; lorsque l’interdépendance est forte, autrement dit lorsque l’absence de coordination est trop coûteuse, on cherche à participer au monopole, à y être associé, intégré. Ainsi, tant qu’une politique indépendante peut être menée, elle est défendue ; lorsque l’indépendance devient de fait impraticable, on s’accommode de l’interdépendance par l’intégration. Pour Elias, c’est donc bien le niveau de l’interdépendance qui détermine le passage de la logique de l’équilibre de la puissance à celle de l’intégration. Ce modèle implique donc que la résistance à l’hégémonie d’une part et l’intégration d’autre part, les luttes pour l’indépendance à l’égard du centre ou pour la reconnaissance de droits constitutionnels au sein du centre, les mouvements séparatistes ou les mouvements démocratiques, reposent en fait tous sur un même ressort, la mobilisation contre le monopole, mais sous des contraintes différentes en termes d’interdépendance.

La dépendance verticale de l’Etat à l’égard de ses sujets est également développée par Tilly lorsqu’il souligne qu’en cherchant à accroitre ses ressources, notamment pour faire face aux guerres, l’Etat moderne européen s’est rapidement heurté à la mobilisation des possédants contre l’impôt (1992, p. 98). Ainsi, la compétition interétatique aboutit à un problème de forte interdépendance entre gouvernants et gouvernés, qui dut être résolu soit par la coercition (le gouvernement écrase les révoltes) soit par le compromis (le gouvernement négocie l’impôt avec les possédants) (p. 99-103). Or l’efficacité limitée de la répression armée obligea les

137 souverains à négocier avec leurs sujets. Le parlementarisme peut ainsi être analysé comme le produit d’une intégration institutionnelle entre gouvernement et possédants, visant à garantir leur coopération via une procédure routinisée. Ce fut donc la conjonction de l’avantage défensif et de la forte interdépendance entre gouvernements et possédants qui donna naissance au compromis parlementaire. De même, la dépendance, c'est-à-dire la vulnérabilité des gouvernements à l’égard des révoltes et des mobilisations populaires les obligea à concéder des droits démocratiques. Et ces mobilisations étaient d’autant plus efficaces et générales que les politiques d’Etat, de plus en plus centralisées et unificatrices, avaient cristallisé de vastes coalitions d’intérêts sur l’ensemble du territoire. La mobilisation simultanée, dans la France de l’été 1789, des élites libérales, des ouvriers parisiens et des paysans des campagnes,