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Par ailleurs, la hiérarchie réaliste des explications doit être précisée car d’autres paradigmes concurrents du réalisme ont aussi proposé leur propre hiérarchie. Ainsi, notre second principe peut être rapproché de la définition du matérialisme par Marx et Engels : « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience » (1982, p. 78). Et en effet, le réalisme n’est rien d’autre qu’un matérialisme politique. Cependant, comme nous l’avons vu, le réalisme se distingue du matérialisme économique des marxistes et des libéraux qui considèrent que les réalités politiques sont déterminées par les réalités économiques : « L’ensemble [des] rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de consciences sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle en général » (Marx, 1972, p. 4). Et le libéralisme de Moravcsik est à peu près sur la même ligne, aboutissant à l’idée de « primauté des intérêts économiques » dans l’histoire de l’intégration européenne (1998, p. 6), les enjeux qualifiés de « géopolitiques » ne jouant qu’à la marge et dans la mesure où l’économie le permet : « Ce n’est que lorsque les intérêts économiques furent faibles, diffus, ou indéterminés que les politiciens nationaux purent se laisser aller à la tentation de considérer des objectifs géopolitiques » (p. 7). Le réalisme adopte une hiérarchie radicalement inverse. Il considère en effet que les contraintes liées à l’exercice de la violence et les types de pouvoirs et de dominations qui en découlent se situent en amont de toutes les autres contraintes sociales, notamment économiques. Ce raisonnement n’est que l’application aux institutions économiques (notamment le droit de propriété) de ce que nous avons dit sur les institutions en général, c'est-à-dire que ce sont fondamentalement des traités de paix. Ainsi chez Hobbes, ce sont les enjeux économiques qui ne peuvent jouer que dans la mesure où les conditions en termes de violence le permettent. Dans la situation idéale-typique de la guerre de tous contre tous, il n’y a tout simplement pas d’économie : « Dans une telle situation, il n’y a de place pour aucune entreprise parce que le bénéfice est incertain, et, par conséquent, il n’y a pas d’agriculture, pas de navigation, on n’utilise pas les marchandises importées par mer, il n’y a ni vastes bâtiments, ni engins servant à déplacer et déménager ce qui nécessite beaucoup de force ; il n’y a aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps, ni arts ni lettres, pas de société ; et ce qui est pire que tout, il règne une peur permanente, un danger de mort violente » (2000, p. 225). Cela tient au fait que dans l’état de guerre, la

71 propriété n’est pas respectée : « C’est aussi une conséquence de ce même état qu’il n’y a ni propriété, ni pouvoir, ni distinction du tien et du mien, et que ce qui peut appartenir à chacun, est ce qu’il peut obtenir et conserver aussi longtemps qu’il le pourra » (p. 228). Le capital économique n’a de valeur que dans la mesure où la violence physique est suffisamment limitée pour que la propriété soit respectée et que l’échange puisse remplacer le brigandage et le travail forcé.

Comme tout peut, dans l’absolu, être acquis par la violence physique ou la menace de la violence, la valeur de toute chose dépend d’abord du coût plus ou moins élevé de l’appropriation par la violence. Nous appellerons ainsi valeur-violence d’un bien le coût de l’ensemble des efforts à consentir pour son appropriation par la violence1. Si un bien est doté d’une valeur d’échange supérieure à sa valeur-violence, il sera plus profitable de s’en emparer par la violence que de l’échanger. Or, on n’a pas intérêt à investir dans un bien lorsqu’il est moins coûteux de le voler et qu’on risque plus sûrement de se le faire voler que de le revendre. Dans ce cas, la valeur d’échange aura tendance à baisser jusqu’à s’aligner sur la valeur-violence. La valeur-violence d’un bien tend donc à constituer un plafond de sa valeur d’échange. Lorsque le coût de l’appropriation par la violence est bas, la valeur des biens tend à s’identifier à leur valeur-violence ; ils n’ont pas de valeur proprement économique. Chaque individu est rémunéré en fonction de sa capacité à s’approprier des biens par la violence2 ; l’économie n’est alors qu’un système de rétribution de l’usage ou de la menace de la violence et s’identifie au brigandage ou au racket. Comme le remarque Arendt à propos du système totalitaire : « Les lois économiques de l’investissement et de la production, de l’équilibre des gains et des profits, et de l’épuisement des ressources ne s’appliquent plus dès lors qu’on cherche, en toute occasion, à renflouer une économie intérieure épuisée avec les produits du pillage des autres pays » (2002, p. 745). C’est à partir du moment où sa valeur-violence est supérieure à sa valeur d’échange que le bien a une valeur proprement économique, autrement

1 Le terme de valeur-violence est forgé sur le modèle de celui de valeur-travail développé par les économistes classiques et qui désigne le coût du travail nécessaire à la production d’un bien. Il est à noter que dans l’absolu la valeur-violence d’un bien peut être liée à son utilité marginale puisqu’un individu investira plus dans la défense d’un bien précieux que dans celle d’un bien insignifiant, rendant ainsi le premier plus coûteux à conquérir par la force que le second (Umbeck, 1981 ; Anderson et Mc Chesney, 1994, p. 44). Mais l’utilité marginale joue de la même façon sur la valeur d’échange. Ce point est donc négligeable ici dans la mesure où ce qui nous intéresse est la différence entre valeur-violence et valeur d’échange d’un bien donné. L’utilité marginale d’un bien explique pourquoi un individu est prêt à dépenser un coût plus ou moins élevé pour l’acquérir ou pour le conserver, mais ne dit rien du rôle de la violence.

2 Pour Umbeck, si le coût de la conquête par la force n’est pas significativement différent du coût de la distribution des biens par contrat, alors le contrat ne peut qu’attribuer à chacun autant que ce qu’il aurait pu conquérir par la force (1981, p. 40).

72 dit, à partir du moment où l’appropriation par la violence est suffisamment coûteuse pour que le droit de propriété soit un minimum respecté. Or, le coût élevé de l’appropriation par la violence par rapport à l’échange n’est que le corolaire d’une forte capacité défensive ou de résistance des détenteurs de biens. C’est parce que la défense a l’avantage sur l’attaque que le droit de propriété est respecté (Skaperdas, 1992, p. 726-727 ; Bates, Greif et Singh, 2002, p. 623)1. L’avantage défensif peut se définir par le fait qu’il faille investir moins d’un dollar en défense pour contrer un dollar investi en attaque (Jervis, 1978, p. 188 ; Lynn-Jones, 1995, p. 665-666). Inversement, lorsque l’offensive a l’avantage, il faut plus d’un dollar en défense pour contrer un dollar investi en attaque. Par conséquent, lorsque l’offensive a l’avantage, l’attaquant peut exiger que le défenseur lui cède un bien d’un dollar pour une somme inférieure à un dollar (la valeur d’échange tombe au niveau de la valeur-violence). Le bénéfice ainsi réalisé par l’attaquant constitue une rente offensive2. Mais lorsque la défensive a l’avantage, le défenseur peut, en cas de combat, faire payer à l’attaquant un coût supérieur à un dollar pour un bien d’un dollar (la valeur-violence est supérieure à la valeur d’échange). Dans ce cas, et dans ce cas uniquement, l’attaquant potentiel a intérêt à renoncer à la violence et à la menace, devenue inutile, et à acheter le bien d’un dollar contre un autre bien d’un dollar. L’échange équilibré (sans rente offensive) n’est donc réalisable que si l’avantage est à la défensive. C’est l’avantage de la défensive sur l’offensive qui garantit in fine la valeur de tous les capitaux, de tous les titres, qu’ils soient monétaires, nobiliaires, professionnels ou symboliques. C’est dans la mesure où l’offensive est plus coûteuse que la défensive que la transaction, l’institution c'est-à-dire le traité de paix, a un sens, que ce soit la fixation d’une frontière internationale, une constitution interne, un échange économique, ou encore ce traité de paix informel qu’est la transaction symbolique. A l’extrême, en cas d’avantage offensif absolu, la valeur des biens, des capitaux serait nulle et la reconnaissance d’autrui et la légitimité n’auraient aucun intérêt. En somme, la structure de la violence fonctionne comme

1 « En fin de compte, tous les droits de propriété sont fondés sur la capacité des individus, ou des groupes d’individus, à maintenir leur exclusivité par la force » (Umbeck, 1981, p. 39). Les économistes partent généralement du principe que la défense du droit de propriété est assurée par l’Etat ; mais pour que l’Etat lui- même respecte le droit de propriété, il faut que les possédants lui aient imposé ce respect dans le cadre de mobilisations antifiscales ou de révolutions libérales. Comme le montrent Bates, Greif et Singh (2002), l’Etat est essentiellement un spécialiste de la violence pour qui la taxation négociée est devenue plus intéressante que le brigandage. Lorsque la violence du gouvernement ne rencontre pas de résistance, on retombe dans l’économie de prédation totalitaire. Dans le fond, le droit de propriété repose toujours sur un avantage défensif, qu’il y ait ou non un Etat.

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Partons du principe qu’un agresseur veut prendre à un défenseur un bien de 1$. Si l’agresseur peut avec 0,5$ investi en attaque obliger le défenseur à dépenser 1$ pour le contrer, il n’aura pas intérêt à accepter de payer un prix supérieur à 0,5$ pour le bien de 1$ ; en effet, au-delà, l’attaquant pourrait, en choisissant l’option de l’appropriation par la force, obliger le défenseur à payer plus de 1$ pour le contrer. L’avantage offensif est donc converti en rente offensive.

73 une banque centrale universelle1. Tous les autres systèmes de valeurs reposent sur des conventions, des capitaux fiduciaires, contestables par la violence et conditionnés par l’avantage à la défense ; seule la violence repose sur elle-même (Umbeck, 1981, p. 39-40). Pour paraphraser Marx, la valeur de tout capital, de tout pouvoir, repose sur de la valeur- violence « cristallisée », c'est-à-dire sur de l’avantage défensif cristallisé2. Ce n’est que dans la mesure de sa valeur-violence qu’un bien peut secondairement être doté d’une valeur d’échange économique. Les théories économiques qui fondent la valeur des biens sur l’offre et la demande raisonnent à partir d’un postulat libéral, c'est-à-dire à partir du principe d’une société pacifiée où l’économie s’est détachée du brigandage (Bush et Mayer, 1974, p. 402). Seule une théorie de la violence peut expliquer la naissance d’une économie de marché fondée sur le commerce (Anderson et Mc Chesney, 1994 ; Skaperdas, 1992). L’économie n’est en fait qu’un cas particulier du politique.

Non seulement l’économie n’existe véritablement que si la structure de la violence le permet, mais ce sont aussi les rapports de force issus de la violence qui déterminent les différentes formes de propriété et leur succession à travers l’histoire. Marx lui-même à propos de l’accumulation primitive du capital souligne que « dans l’histoire réelle, c’est la conquête, l’asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale qui ont joué le grand rôle » (1963, ch. XXVI, p. 716). Des rapports de production donnés comme l’esclavage, le féodalisme, le capitalisme, ou le communisme sont toujours conditionnés par une certaine forme de répartition des moyens de la violence. Tout régime de la propriété est d’abord conquis puis défendu par la violence, que ce soit par la capture et le maintien en esclavage d’un peuple vaincu dans une guerre antique, par la constitution et la défense d’une seigneurie médiévale, par le mouvement des enclosures et la résistance des possédants face à l’autorité royale, ou par une révolution et son maintien au pouvoir. Tout régime de la propriété dépend de la stabilité de la violence qui le fonde3. La structure économique découle donc de la répartition des moyens d’exercice de la violence, c'est-à-dire des rapports de force.

1 Nous verrons plus loin qu’au-delà des facteurs contingents, la valeur relative de la défensive et de l’offensive varie dans l’histoire, notamment en fonction du contexte géographique et technologique.

2 Pour Marx, « en tant que valeurs toutes les marchandises ne sont que du travail humain cristallisé » (1963, ch. I, III, A, b, p. 127).

3 Pour Umbeck, tout système d’allocation des richesses, quelle que soit sa logique, doit attribuer à chaque individu « au moins autant de richesse qu’il pourrait en avoir via l’usage de sa propre force » (1981, p. 40).

74 Plus généralement, la politique ne peut être pensée comme découlant simplement des intérêts économiques et commerciaux, comme c’est le cas en politique européenne chez les néofonctionalistes comme chez les intergouvernementalistes. En effet, les décideurs politiques ont un intérêt propre à maintenir leur pouvoir dans leur Etat et au niveau international et cet intérêt n’est pas réductible aux intérêts économiques issus de la société civile. Pire : la formation de l’Etat est un phénomène largement structuré par le conflit d’intérêts entre le pouvoir politique qui cherche à asseoir sa domination et les forces sociales qui lui résistent, entre le gouvernement qui cherche à accroitre ses revenus fiscaux et les détenteurs de capitaux qui cherchent à lui échapper (Tilly, 1992, p. 98). Ainsi, les analyses réalistes de la formation de l’Etat moderne, de Elias (1975) à Tilly (1992), insistent avant tout sur la compétition militaire qui débouche sur la centralisation du pouvoir, par opposition à une tradition économisante, libérale ou marxiste, qui insiste sur l’intérêt économique des classes sociales dominantes, par exemple Moore (1969) ou Wallerstein (1980). Curieusement, c’est dans des travaux rattachés à la science économique que la subordination des institutions économiques à la question de la violence et de la formation de l’Etat a été le plus systématiquement développée. North, Wallis et Weingast (2009) ont par exemple travaillé à la charnière de la science politique et de l’économie et construit une théorie du développement et de la modernisation en partant, en amont de l’économie, d’une théorie de la violence en anarchie et de sa limitation. Placer l’économie en position d’infrastructure par rapport à la politique relève donc du contresens.

C’est ce contresens qui explique que l’interdépendance économique extrêmement forte des Etats européens avant 1914 n’a pas débouché automatiquement sur la coopération pacifique comme le prédisaient les libéraux (Waltz, 1979, p. 140-141 ; Milward, 1994, p. 9) : en 1911 le livre de Norman Angell The Great Illusion connut ainsi un immense succès en prédisant que les intérêts économiques des grandes puissances étaient trop liés pour qu’elles aient intérêt à se lancer dans une guerre ou à la prolonger. Inversement, c’est aussi ce qui explique que le système capitaliste n’a pas débouché automatiquement sur l’expansionnisme impérial, comme le prédisaient les marxistes (Waltz, 1979, p. 24) : la fameuse brochure de Lénine publiée en 1916, L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, affirmait alors que la guerre était une conséquence inévitable du capitalisme et de sa tendance à la surproduction. Adoptant un contrepoint libéral à Lénine, Polanyi (1983, p. 53) souligna au contraire que la « haute finance » directement intéressée par la stabilité des échanges internationaux était parvenue à

75 éviter un conflit général entre grandes puissances au XIXème siècle, constituant ainsi « le parti de la paix » (p. 50). Mais ce faisant, Polanyi raisonne lui aussi en marxiste lorsqu’il affirme que « le système de l’équilibre des puissances fut une superstructure édifiée sur l’étalon-or » et que « l’Etat libéral fut lui-même une création du marché autorégulateur » (p. 37-38). Au-delà des polémiques normatives, le point commun de toutes ces analyses est la croyance en la primauté de l’économie sur la politique. Or, si l’on prend comme point de départ la structure économique, sans étudier la structure politique qui lui est sous-jacente, on se condamne à être aveugle sur les déterminants les plus fondamentaux de la situation historique que l’on étudie. Pour sauver leurs prédictions, les marxistes et les libéraux n’ont d’ailleurs pas pu rester fidèles jusqu’au bout au matérialisme et ont finalement ajouté à leurs théories des conditions subjectives telles que la « prise de conscience », le passage de la « classe en soi » à la « classe pour soi » ou la variable idéologique et des facteurs téléologiques tels que « le sens de l’histoire » ou le progrès de la civilisation. Ils ont ainsi rappelé l’idéalisme en renfort afin de pallier les limites d’une conception économiste des contraintes matérielles. Ainsi, Angell écrivit en 1918 que les principaux obstacles à l’abolition, qu’il appelait de ses vœux, de « la vielle politique de désintégration » étaient « les difficultés morales et intellectuelles, les habitudes mentales, les opinions, et les impulsions des hommes, qui n’ont pas suivi le rythme des changements apportés par le progrès des inventions mécaniques1 ». Autrement dit, si la réalité ne correspondait pas aux prédictions libérales, c’est que les esprits étaient en retard sur les nouveaux moyens d’échange et de communication. C’est un raisonnement analogue que reproduit Gramsci, lorsqu’il considère que « l’hégémonie culturelle » de la bourgeoisie permet d’expliquer l’échec des prédictions de Marx et le fait que le développement du capitalisme n’ait pas abouti à la révolution prolétarienne dans les pays industrialisés. De même, Althusser, tout en maintenant l’économie en position d’infrastructure, concède d’une part que « la détermination en dernière instance par l’économie s’exerce justement, dans l’économie réelle, dans les permutations de premier rôle entre l’économie, la politique, et la théorie, etc… » (1965, p. 219) et souligne d’autre part « l’autonomie relative » de la superstructure idéologique par rapport à l’infrastructure économique, ce qui permet d’expliquer cette fois les errements du totalitarisme stalinien sans mettre en cause les fondements supposés sains de l’économie soviétique (p. 247-248). Cette position en retrait, économico-idéaliste, est d’ailleurs critiquée dans un perspective idéaliste par un constructiviste comme Wendt (1999, p. 137) qui reproche à Althusser de ne pas avoir

1 Angell (Norman), 1918, The Political Conditions of Allied Success: A Plea for the Protective Union of the Democracies, New York, G. P. Putnam’s Sons, p. 60, cité par Osiander (1998, p. 416-417).

76 clairement rompu avec l’idée d’infrastructure économique et aux libéraux de ne pas avoir rompu avec la conception matérialiste des intérêts. Le compromis économico-idéaliste se retrouve aussi chez Bourdieu (1980, p. 224) qui, comme Althusser, dénonce les « usages simplistes de la distinction entre l’infrastructure et la superstructure » en soulignant que les « mécanismes sociaux qui assurent la production des habitus conformes font partie intégrante, ici comme ailleurs, des conditions de reproduction de l’ordre social et de l’appareil de production lui-même ». Autrement dit, c’est bien l’infrastructure économique qui détermine la société, mais grâce à des habitus, c'est-à-dire, en termes marxistes, à des superstructures. Et Bourdieu retrouve une formule très proche de celle d’Althusser en concluant à « l’autonomie relative » des « formes symboliques » par rapport « aux conditions objectives » (1980, p. 241). Il se réapproprie également le facteur marxiste de la « prise de conscience », qui modifie les rapports de classe (p. 243). Ainsi, même s’il critique les « usages simplistes » de la notion d’infrastructure au nom de l’autonomie relative et des effets en retour des facteurs non strictement matériels, censés être placés en position de superstructure, Bourdieu (1980, p. 209) n’en reste pas moins attaché comme Althusser à l’héritage central du marxisme, c'est-à- dire à la primauté de l’interprétation économique des relations sociales : « Lors même qu’elles donnent toutes les apparences du désintéressement parce qu’elles échappent à la logique de l’intérêt “économique” (au sens restreint) et qu’elles s’orientent vers des enjeux non matériels et difficilement quantifiables, comme dans les sociétés “précapitalistes” ou dans la sphère culturelle des sociétés capitalistes, les pratiques ne cessent pas d’obéir à une logique économique. » L’idéalisme permet de sauver l’économisme au sens large, c'est-à-dire non