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Chapitre 4 : Penser, concrétiser et préparer sa cohabitation intergénérationnelle

4.1 Élaborer le projet

4.1.4 Les réticences

Si les rencontres familiales autour d’un projet de cohabitation intergénérationnelle se passent généralement dans un climat optimiste, une certaine ambivalence peut se manifester dans certains cas, et ce, dès les premières mentions du projet. Une tendance semble d’ailleurs se dessiner à cet égard, où il apparaît que, dans les familles faisant preuve d’un faible degré de proximité affective, une plus longue période de réflexion est de mise que dans les familles qui se considèrent comme très proches.

Les familles Fillion et Gauthier sont emblématiques d’une période de réflexion préalable à l’acceptation de la cohabitation intergénérationnelle. En effet, les conjoints de Chantal Fillion, Réjean, et de Brigitte Gauthier, Bertrand, ont tous deux demandé une période de réflexion avant d’accepter d’accueillir un autre membre de la famille dans leur plex. Chez les Fillion, l’idée originale de profiter des logements supplémentaires du plex leur est venue dès leur emménagement, il y a une quinzaine d’années. C’est alors que Réjean a proposé à sa mère et à sa belle-mère d’éventuellement emménager chacune dans un logement. Sa mère n’a pas rejeté l’idée, mais cela ne s’est jamais concrétisé, car elle est décédée chez elle, relativement rapidement. À l’inverse, sa belle-mère Estelle rejette l’idée, ne se voyant pas habiter à Montréal, de telle sorte que l’idée a été enterrée. Plusieurs années plus tard, autour de

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réflexions sur le déménagement d’Estelle, celle-ci revient sur son refus d’habiter Montréal et l’idée revient sur le tapis. Chantal et Réjean se sont alors permis un temps de réflexion avant d’accepter :

Finalement, on a quand même réfléchi à ça une couple de jours, on a pas répondu dans la demi-heure, parce que quand on dit ça comme ça, quand Réjean a parlé de ça il y a 17 ans, tu dis ça et tu penses que c’est une ben bonne idée. Tout à coup, t’arrives dans la réalité, t’as vu la personne vieillir, t’as vu la personne malade, ça veut dire qu’il faut être disponible, il faut être prêt à donner du temps et de l’énergie, de l’accompagnement. […] Alors, on y a pensé un peu, moi aussi j’avais besoin d’y penser. Réjean a dit ben oui, pourquoi pas? Et de toute façon, si ça a pas de bon sens, on peut s’en reparler, on peut… c’est pas un engagement ad vitam aeternam. On va prendre ça une année à la fois, comme elle-même le disait (Chantal Fillion, entrevue 108).

La première fois que l’idée a été lancée, elle semblait excellente, voire excitante à la limite, mais c’est lorsqu’une réflexion plus sérieuse a commencé qu’ils ont réalisé l’ampleur de l’engagement, d’autant plus qu’il s’agit dans ce cas d’accueillir une personne âgée. Ainsi, Chantal et Réjean ont accepté d’héberger Estelle, tout en se gardant une porte de sortie si jamais la tâche devenait trop lourde. Un peu plus d’un an après le début de la cohabitation, tout porte à croire que la cohabitation va se poursuivre, parce que chacun y trouve son compte. Lorsque sa fille et son gendre lui font la « grande demande », Bertrand Gauthier demande une courte période de réflexion, car il a peur que la cohabitation « ne marche pas ». Sa principale crainte est que la cohabitation les éloigne de leur fille et de leur gendre plutôt que de les rapprocher. En acceptant le projet, Brigitte et Bertrand ont résolu de ne pas se mêler de ce qui se passait en haut, de rester le plus discrets possible. C’est grâce à cette attitude que Brigitte évalue sa cohabitation comme éminemment positive. Les familles Fillion et Gauthier ont donc eu un certain processus de réflexion en commun, où tout le monde a gardé la tête froide afin de prendre la meilleure décision pour tous.

Au vu de la fréquence élevée des rencontres avec les membres de leur famille élargie, il est possible de dire que les familles Bédard et Tremblay font preuve d’une grande proximité affective. Ainsi, la famille devient en quelque sorte prioritaire et semble aller de soi. Lorsqu’une occasion de cohabitation intergénérationnelle se présente, la réflexion n’est pas particulièrement longue :

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Jamais j’ai pensé dire « hey ben la, loue pas à côté de chez nous, tu rentres trop dans ma bulle ». Non. Le fait qu’on vienne d’une grosse famille tissée serrée à un an d’intervalle chaque enfant, notre bulle est petite nous autres. On a tout le temps vécu ensemble, partagé des chambres deux par deux (Martine Bédard, entrevue 101).

La réaction très positive de Martine est d’autant plus étonnante qu’elle était tout à fait consciente que ce serait elle qui fournirait la plus grande aide : « je m’attendais à ce qu’elle me demande plus de services que moi je lui en demande, et c’était correct » (Martine Bédard, entrevue 101). Au final, c’est donc le sens de la famille qui amène Martine à accepter la cohabitation. Comme nous l’avons vu lorsque nous avons abordé les motivations menant à la cohabitation intergénérationnelle, les Tremblay (Mario et Germaine) montrent bien qu’ils sont tout à fait conscients du fait que l’aide provenait davantage de leur part que de celle de leur frère et sœur mariés. Ils ont contrebalancé le sentiment d’offrir davantage d’aide en se gardant la priorité sur le choix du duplex et de leur logement.

Ainsi, chez les Bédard et chez les Tremblay, la famille étant un incontournable, leur réflexion n’a pas été très longue au moment où l’idée de la cohabitation intergénérationnelle a été mise sur la table. Si Martine Bédard a accepté sans condition, en étant tout à fait consciente du déséquilibre de l’aide, Mario et Germaine Tremblay ont quant à eux cherché une certaine compensation au moment du choix du duplex.