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Les rencontres familiales autour du projet

Chapitre 4 : Penser, concrétiser et préparer sa cohabitation intergénérationnelle

4.1 Élaborer le projet

4.1.3 Les rencontres familiales autour du projet

Une fois le projet sur la table et tous les membres de la famille au courant, il s’agit de réfléchir, planifier et organiser ce projet. Certaines familles multiplieront les rencontres familiales pour en discuter, tandis que d’autres laisseront les choses évoluer et verront au fur et à mesure. Cela dit, plus le projet demande une modification du mode de vie (passage d’une maison unifamiliale à un plex par exemple), plus la nécessité de rencontres familiales semble grande. À l’inverse, dans les familles où la cohabitation intergénérationnelle résulte d’une stratégie plus vaste et à plus long terme, les besoins de rencontres sont moindres.

Les familles Bédard, Tremblay et Gauthier, ont choisi de faire confiance à la bonne entente familiale pour que la cohabitation se déroule bien. Ainsi, au-delà de la décision d’emménager côte à côte, il n’y a pas de réel processus de préparation du projet qui s’enclenche. Que ce soit parce qu’« elle se louait un appartement à côté de chez nous » (Martine Bédard, entrevue 101), qu’on ait choisi de ne rien signer parce qu’« on est de la famille » (Mario Tremblay, entrevue 107) ou « non [pas de rencontres familiales], pas plus que ça. Pas plus que dire vous venez. » (Brigitte Gauthier, entrevue 110), ces familles mettent donc la bonne entente de l’avant pour que les modalités de la cohabitation se négocient au fur et à mesure, de façon plus informelle que formelle. C'est aussi un peu dans cette optique que se situe la famille Fournier, où Jocelyne considère qu’« on est très réfractaires aux règles » et qu’« on a vu pas mal au fur et à mesure », surtout en ce qui concerne les repas partagés. Finalement, pour la famille Séguin, la raison de l’absence de rencontres familiales est encore plus simple : « on se parle pas ben ben chez nous. On peut pas dire que la communication, c’est notre fort. On essaie d’améliorer ça, mais… Il y a pas eu de conseil de famille ou quoi que ce soit » (Luce Séguin, entrevue 105). Ainsi, dans une famille qui n’a pas l’habitude de discuter, l’idée de rencontres formelles pour discuter des modalités d’une cohabitation ne s’impose pas vraiment.

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Plus généralement, il est possible de voir cette absence de rencontres familiales comme une volonté de conserver un maximum d’indépendance pour toutes les personnes impliquées. En effet, organiser une rencontre familiale signifie verbaliser les attentes de chacun et éventuellement de consigner ces attentes dans une série de règles qui devront être respectées. Or, choisir de ne pas organiser de réunions, c’est nier, consciemment ou non, le fait qu’il y aura d’éventuelles entraves à l’indépendance de chacun et opter pour la gestion de celles-ci lorsqu’elles se présenteront.

Pour les familles qui ont participé à des rencontres familiales avant d’aller de l’avant avec la cohabitation intergénérationnelle, l’idée de projet est généralement plus explicitement mentionnée. Avec cette idée plus consciente d’un projet vient la réalisation du fait qu’il y aura une perte d’indépendance lorsque la cohabitation aura lieu. Néanmoins, ces familles ont affronté la situation et ont réfléchi à un certain nombre de règles afin d’assurer le succès de leur projet. Le degré de formalité des rencontres peut varier d’une famille à l’autre : alors que les Moreau parlaient du déménagement tous les soirs aux repas, les Girouard organisaient des rencontres familiales « au sommet », dédiées au projet.

Si l’argent est au cœur de ces discussions, tous les aspects techniques du projet sont à l’ordre du jour, particulièrement lorsque des rénovations sont envisagées. Ainsi, la famille Girouard a effectué « une couple de rencontres et des simulations, des simulations budgétaires » (Benoit Girouard, entrevue 104). La famille Martel a fait la même chose, en s’assurant qu’il y aurait une place pour tout le monde dans le projet : « On a discuté de… comment on voyait ça, on a discuté évidemment d’argent. […] Pis c’est sûr, je pense que c’est important que chacun se sente impliqué dans le projet » (Colette Martel, entrevue 106). Ces rencontres familiales, surtout lorsqu’elles ont lieu régulièrement, sont l’occasion de tout mettre sur la table : budget, critères de sélection du plex, règles de vie à suivre, comportements souhaités de la part des grands-parents, etc. Si les rencontres se déroulent généralement dans la bonne humeur, les sujets abordés peuvent parfois être épineux. C’est pourquoi la famille Girouard a formalisé les rencontres lorsque les chiffres sont arrivés sur la table :

[…] on a travaillé beaucoup en réunions assez formelles, autour d'une table. Au début on prenait du vin, mais un moment donné oh on prend pas de vin, parce qu'il faut mettre des chiffres sur la table. Faut faire un

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processus où on adhère, on comprend, c'est important d'avancer tout le monde ensemble (Benoit Girouard, entrevue 104).

La famille Girouard est le lieu des rencontres les plus formelles, les plus organisées. Benoit explique cela en partie par le type d’emploi qu’occupent sa fille et son conjoint, respectivement bibliothécaire et professeur de cégep, ce qui les oblige à un grand degré d’organisation. C’est ainsi que les tableaux Excel ont été l’outil privilégié lorsqu’est venu le temps de mettre les critères de sélection sur papier et de pondérer ces derniers. Ce haut degré de formalité est encore à l’œuvre aujourd’hui, alors que la cohabitation est concrétisée depuis un peu plus d’un an. Selon Benoit, c’est maintenant autour du processus de prise de décisions qu’il devient essentiel de réfléchir. L’utilisation de l’argent compris dans le « pot commun », est une source potentielle de conflits, étant donné non seulement des écarts de salaires, mais également des personnalités propres. Nous reviendrons sur cette question au chapitre 5.