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Chapitre 4 : Penser, concrétiser et préparer sa cohabitation intergénérationnelle

4.1 Élaborer le projet

4.1.1 L’élément déclencheur

Dans un processus de prise de décision, un élément déclencheur fait souvent office d’étincelle en vue d’une stratégie résidentielle que l’on voudra à l’avantage de chacun. S’il n’est pas toujours possible d’identifier cet élément déclencheur avec précision, bien des histoires débutent par une première idée où l’on tâte le terrain pour sonder l’intérêt de chacun. Cet élément déclencheur peut prendre différentes formes; il est facilement identifiable lorsqu’un événement familial, ou une crise, forcent à réfléchir à des stratégies. Dans d’autres cas, c’est tout simplement un membre de la famille qui énonce l’idée, déclenchant les discussions menant éventuellement à un projet. Finalement, il s’agit parfois d’une continuité dans l’histoire familiale, rendant la cohabitation intergénérationnelle « évidente ».

Les événements de la vie familiale, difficiles comme réjouissants, sont des moments autour desquels se développent les solidarités familiales. Il n’est donc pas surprenant de

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constater que cinq cohabitations intergénérationnelles en plex ont débuté autour de l’un de ces événements : un cas après le divorce de la sœur, un cas après la séparation du fils, un cas après une maladie de la mère et deux autres cas après l’arrivée, effective ou prochaine, de petits- enfants. La sœur de Martine Bédard, après sa séparation, a choisi de déménager dans le même immeuble que Martine et sa famille :

Elle était venue me visiter, trouvait le lieu extraordinaire, un croissant avec un parc en face, puis elle s’est jointe à moi. Elle habitait à Terrebonne, trafic, pont et compagnie, donc se rapprocher de son lieu de travail, mais aussi de quelqu’un qui pouvait l’aider. (Martine Bédard, entrevue 101)

Les familles Fournier et Bélanger en sont toutes deux venues à privilégier la cohabitation intergénérationnelle pour pallier un manque criant d’espace. Au fur et à mesure que les enfants de Jocelyne Fournier entraient dans l’adolescence, ils prenaient de plus en plus d’espace dans la maison, à un point tel que son mari et elle n’en pouvaient plus de voir leur salon constamment envahi par le « fan-club » de leur fille. Yves Bélanger, quant à lui, a ressenti les effets du manque d’espace à la suite de l’emménagement de sa nouvelle conjointe et de son fils, car il manquait de chambres dans son logement du rez-de-chaussée. Jocelyne et Yves ont appliqué la même solution pour régler leur manque d’espace : le déménagement des enfants à l’étage. C’est ainsi que le fils de Jocelyne est monté, rapidement rejoint par sa sœur, qui voulait davantage d’indépendance, et que les fils respectifs d’Yves et de sa conjointe ont été amenés à partager l’appartement au-dessus de leurs parents.

Ces deux situations sont le résultat d’événements familiaux assez facilement identifiables, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour toutes les familles, où les réflexions résidentielles se font plus en continu. L’exemple de Colette Martel est particulièrement intéressant à cet égard. En effet, sa réflexion autour du logement a débuté lorsqu’elle a graduellement réalisé que leur maison du Mile-End devenait trop grande, deux enfants sur trois ayant quitté le domicile parental, et le troisième étant sur le point de le faire. Un moment bien précis a été l’occasion pour Colette de mettre le doigt sur la stratégie qui l’intéressait pour remplacer sa grande maison dans le Mile-End :

Je me rappelle comment c’est venu […] dans la famille habituellement c’est moi qui a les projets, je les réalise pas nécessairement, c’est mon chum qui les fait (rires). Un jour de l’an, on marchait sur le Mont-Royal et je dis il me

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semble que ce serait bien si on achetait une maison et que François et Julie aient un appartement (Colette Martel, entrevue 106).

C’est donc dans le cadre d’une réflexion résidentielle plus large que la cohabitation intergénérationnelle a été mentionnée comme l’une des options. À partir de ce moment, les discussions menant à la concrétisation du projet ont été enclenchées.

Finalement, pour certaines familles, la proximité résidentielle est une stratégie de longue date et la cohabitation intergénérationnelle va en quelque sorte de soi, au sens où la question ne se pose plus vraiment. C’est le cas de la famille Moreau, où Clémence et son mari Robert partagent un triplex, avec Guylaine, la mère de Clémence, leur fils Alexandre et ses deux jeunes filles. Avant l’achat du triplex, en 1993, Clémence, son conjoint et leurs quatre enfants habitaient dans une coopérative d’habitation. Guylaine demeurait aussi dans cet immeuble depuis la mort de son mari, plus de 15 ans auparavant. Lorsque Clémence et Robert ont vendu leur chalet et profité de l’argent pour acquérir une propriété en ville, la question de disposer d’un logement pour Guylaine ne se posait même pas, « c’était un pré-requis quand on magasinait les maisons d’avoir un logement libre en haut pour ma mère » (Clémence Moreau, entrevue 103). Parallèlement, quand Guylaine a eu vent du futur achat, elle a verbalisé son désir de demeurer près de sa fille, car elle ne se sentait pas en sécurité chez elle. Pour Clémence et Robert, « c’était comme naturel, ça faisait 20 ans qu’elle était toujours proche. Quand elle l’a dit, nous autres on l’avait déjà pensé. Même si elle l’a verbalisé, pour nous c’était normal » (Clémence Moreau, entrevue 103). Ainsi donc, pour la famille Moreau, la cohabitation intergénérationnelle en plex a été une façon de prolonger, voire de renforcer la proximité résidentielle qui existait déjà entre Guylaine et la famille de Clémence, de telle sorte que c’est sous le signe de l’évidence que le déménagement s’est fait. Cette stratégie est tellement instituée chez les Moreau qu’elle a acquis un statut « naturel », « normal », où l’on n’a pas l’impression de sacrifier beaucoup d’indépendance pour que tout fonctionne. Tout « naturellement », la même stratégie de cohabitation intergénérationnelle a été appliquée lorsqu’Alexandre s’est séparé : un logement a été libéré afin qu’il vienne s’y installer avec ses deux filles.

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