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6.3.1 Étude métallographique

Sur chacun des échantillons prélevés, la répartition du carbone a été observée par analyse métallogra- phique. Les échantillons étudiés sont tous composés de fer très faiblement carburé, parfois totalement ferritiques (%C < 0,02) (CHA41, CHA133). Sur certains échantillons de petites zones sont consti- tuées d’acier hypoeutectoïde ferrito-perlitique allant de 0,1 à 0,8% de carbone (fig. 191). Elles sont souvent situées à la périphérie de l’objet et peuvent être assimilées à des carburations superficielles au contact du charbon dans le foyer de forge (fig. 192). Dans les zones les plus carburées, des structures de Widmanstätten ou ferrite aciculaire peuvent être observées (fig. 191). Ce type de structure apparaît lors de maintiens longs à relativement haute température et refroidissement relativement rapide (air). Ces conditions sont notamment atteintes lors de la mise en forme par replis et martelage par soudures. Sur aucun des échantillons n’a été détecté de traitement thermochimique spécifique destiné à durcir le matériau (trempe notamment). La plupart des échantillons comporte en revanche des structures

caractéristiques de la présence de phosphore, dites structures fantômes (fig. 193)259. Enfin, les grains

sont relativement équiaxes sur l’ensemble des échantillons (fig. 194), malgré une taille variable, parfois à l’intérieur du même spécimen (fig. 195).

En suivant la procédure proposée par Pages et al260, la teneur en carbone moyenne de l’échantillon a

été déterminée ainsi que le pourcentage de la surface observée dont la teneur est supérieure à 0,1 % de

258. LEROY (S.), DELQUE-KOLIC (E.), DUMOULIN (J.-P.), MOREAU (C.), DILLMANN (P.) 2013  ; LEROY (S.), L’HÉRITIER (M.), DELQUE-KOLIC (E.), DUMOULIN (J.-P.), MOREAU (C.), DILLMANN (P.) 2015 ; LEROY (S.), HENDRICKSON (M.), DELQUE-KOLIC (E.), VEGA (E.), DILLMANN (P.) 2015.

259. VEGA (E.), DILLMANN (P.), FLUZIN (P.) 2002.

carbone. En effet, ces deux paramètres permettent de qualifier le degré de carburation de l’acier malgré les hétérogénéités de structures propres aux alliages ferreux médiévaux. Les résultats sont récapitulés dans le tableau 10. On constate une grande homogénéité des teneurs en carbone en fonction des échantillons, tous pouvant être considérés comme des fers exempts de carbone, quel que soit le type d’objet analysé. Ces résultats sont en assez bonne concordance avec ceux obtenus sur les baies hautes du chœur et sur l’avant-nef (fig. 196), bien qu’on note également la présence de quelques structures un peu plus aciérées dans ce premier corpus (de taille néanmoins bien plus importante), en particulier pour les tenons (éléments non analysés ici). Les échantillons chartrains sont ainsi globalement assez peu aciérés comme un grand nombre de fers de construction étudiés jusqu’ici (fig. 197), bien que certains sites (Rouen, Reims notamment) se caractérisent par des structures relativement carburées en moyenne. Insistons toutefois sur le fait que, malgré cette homogénéité dans les teneurs en carbone, la présence de teneurs importantes de phosphore (> 1000 ppm), dont témoignent les structures fantômes dans la majeure partie des échantillons chartrains, contribue également à durcir ces alliages ferreux. Souvent réparti de façon hétérogène, le phosphore est susceptible de fragiliser le matériau dans son comporte-

ment à froid ainsi que lors du travail de forge261.

Nom Inclusions% surf. % surf. > 0,1 % C % surf. > 0,3 %C % C moyen Structures fantômes (phosphore) Type

CHA 41 4,0% 0% 0% 0,02 +++ Crochet

CHA 42-1 6,3% 2% 0% 0,03 - Panneton

CHA 130 1,7% 4% 0% 0,03 + Fer plat

CHA 131 3,4% 5% 0% 0,03 - Cerce

CHA 132-1 0,7% 67% 1% 0,14 + Crochet

CHA 132-2 6,8% 4,9% 4,2% 0,05 + Crochet

CHA 132-3 3,1% 3% 0% 0,03 +++ Crochet

CHA 133 2,5% 0% 0% 0,02 + Fer plat

tab. 10 : Bilan des résultats des analyses métallographiques

L’ensemble des échantillons observés montre la présence de nombreuses inclusions non métalliques dont la composition sera analysée dans la suite. Le tableau 10 donne également la proportion de la surface observée occupée par ces inclusions. Celle-ci est comprise entre 0,7 et 6,8 %. La propreté inclusionnaire des fers est donc relativement variable suivant les échantillons : excellente dans certains cas et assez moyenne dans d’autres. Le type de fer prélevé ne semble pas avoir d’influence sur cette propreté, les crochets comptant à la fois les échantillons les plus propres et les moins propres. Cela montre que malgré les petites dimensions de ces objets, aucun soin particulier n’était accordé à leur fabrication et que les étapes de forges étaient relativement sommaires, ne permettant pas d’expurger les inclusions contenues dans le barreau de fer initial.

Par ailleurs, la microstructure de la cerce CHA 131 présente plusieurs lignes de soudures

(fig. 198 et 199), correspondant à l’assemblage à chaud à la forge de plusieurs barres ou lopins de fer

pour sa réalisation. Ces soudures, évidentes pour produire un fer d’aussi grandes dimensions (environ 6m de circonférence soit plus de 50 kg) avaient déjà pu être repérées en macrographie. La présence de fissure est notable sur cet échantillon à l’abord de certaines soudures (fig. 199). Aucune ligne de soudure n’a été relevée sur les autres objets.

261. VEGA (E.), DILLMANN (P.), L’HÉRITIER (M.), FLUZIN (P.), CREW (P.), BENOIT (P.) 2003 ; STEWART (J.W.), CHARLES (J.A.), WALLACH (E.R.) 2000.

6 - Le fer dans les fenêtres hautes (Maxime L’Héritier) I

6.3.2 Étude des inclusions

L’étude des inclusions permet d’identifier la comptabilité, ainsi que de proposer une origine technique (procédés de réduction) pour la provenance des fers analysés.

» 6.3.2.1 Homogénéité des éléments

Pour chaque échantillon, les rapports des composés non réduits262 ont été mesurés afin de déterminer

si, au sein d’un même objet, plusieurs provenances différentes pouvaient être identifiées. En effet, ce cas de figure révèle la mise en forme de la pièce à partir de l’assemblage de plusieurs lopins. Ceci peut s’expliquer par deux causes : soit un morcèlement spatial et temporel de la chaine opératoire avec un forgeron qui assemble des demi-produits issus de différentes provenances pour former un objet soit des pratiques de recyclage. La figure 19 (fig. 200) donne un exemple de la différence de composition pour trois familles d’inclusions de l’échantillon CHA 131. La figure 20 (fig. 201) montre l’exemple de la répartition de ces trois familles d’inclusion sur la coupe de l’objet, révélant de manière très claire l’usage

d’au moins deux lopins de métal pour réaliser l’objet263. La forme et les dimensions de la cerce CHA 131

impliquaient naturellement l’assemblage par soudure de plusieurs barres distinctes, déjà observées en macrographie. L’observation micrographique et les analyses élémentaires suggèrent que les différentes pièces de métal assemblées pour sa réalisation provenaient de plusieurs origines distinctes.

Parmi les huit échantillons analysés, aucun ne semble avec certitude, outre la cerce CHA 130, être produit à partir de lopins distincts. Dans la suite de ce rapport les parties de provenance différentes de la cerce seront le cas échéant identifiées en ajoutant « 1 », « 2 » ou « 3 » à la suite du nom de l’échantillon.

» 6.3.2.2 Origines des fers

Afin de comparer les origines des échantillons et des lopins qui les constituent, les compositions des inclusions ont été normalisées en rapports de logarithmes selon la procédure proposée par Disser et al (2016) et Leroy et al (2012). Les compositions ont ensuite été comparées par Analyse en Composantes Principales (ACP – fig. 202). Le grand nombre de données ne permet pas une interprétation aisée et en l’absence d’analyse des éléments traces, il ne peut s’agir d’une véritable étude de provenance. Il est cependant possible d’affirmer à ce stade que l’ensemble des échantillons ne possède pas une unique origine commune. En effet, certains nuages de points se séparent nettement des autres. Le crochet CHA 41 a par exemple une composition bien distincte, de même qu’un des groupes de la cerce CHA 131. Le tenon CHA 42-1 semble également se distinguer. Une origine commune pour certains groupes d’échantillons n’est cependant pas à exclure et devrait être confirmée par analyse des éléments traces. Il s’agit d’une part du fer plat CHA 133 et d’un second groupe d’inclusions de la cerce CHA 131 et d’autre part des trois crochets CHA 132-1, 132-2 et 132-3 ainsi que de l’autre fer plat CHA 130. Il est intéressant de noter que ces deux groupes répondent à une répartition nord/sud des objets analysés pour les travées centrales de la nef (3 à 5). En outre, CHA 41 et CHA 42-1 proviennent des

262. Les composés non réduits (MgO, Al2O3, SiO2, K2O, CaO) sont les composés initialement présents dans le minerai et qui n’ont pas été transformés en métal. Ils se retrouvent donc, avec les mêmes rapports dans la scorie de réduction et, partant, dans les inclusions formées par cette scorie. On trouvera plus de détails sur ces CNR dans : DILLMANN (P.), L’HÉRITIER (M.) 2007 ; DISSER, DILLMANN, BOURGAIN, L’HÉRITIER, VEGA, BAUVAIS, LEROY 2014 ; LEROY (S.), DILLMANN (P.), DISSER (A.), L’HÉRITIER (M.), BAUVAIS (S.), FLUZIN (P.) 2014.

263. Un premier groupe (rose) est identifiable dans la bande de métal inférieure sous la zone carburée (carburation liée à une soudure) et un second dans la bande de métal médiane (bleu). La répartition des groupes d’inclusions en partie supérieure est plus incertaine mais pourrait correspondre à la soudure des mêmes fers. Le 3e groupe (blanc) très localisé pourrait être

lié à des effets de pépite au niveau des inclusions (proximité avec le groupe bleu). Rappelons en outre que cet échantillon comporte de nombreuses lignes de soudures longitudinales et transverses.

travées plus orientales de la nef (7 à 9). Ainsi, on peut restituer une évolution des approvisionnements au cours de l’avancement du chantier et proposer une gestion latéralisée (nord/sud) dans la mise en œuvre des baies hautes, déjà avancée pour le chantier du chœur (L’Héritier et al 2014).

» 6.3.2.3 Discrimination des procédés de réduction (direct et indirect)

L’analyse des inclusions permet également de déterminer les procédés de réduction utilisés afin de transformer le minerai en métal (procédés direct et indirect). Pour cette analyse, chaque lopin iden- tifié sur les échantillons est considéré de manière séparée. Le principe de l’analyse est de comparer la teneur moyenne pondérée de la surface des inclusions de chaque objet à celle d’un corpus de référence

représentatif de l’un ou l’autre des procédés264. Pour chacun des objets analysés, une teneur moyenne

pondérée de la surface de chacune des inclusions est calculée à partir de la composition de chacune

des inclusions analysées265. Les résultats sont ensuite reportés dans un abaque de référence (fig. 203).

Les résultats montrent que la plupart des fers sont assez nettement situés dans la zone des fers de procédé direct. Le fer plat CHA130 et dans une moindre mesure deux lopins de la cerce CHA131 sont situé dans la zone indéterminée qui ne permet pas de discriminer le procédé technique utilisé. En revanche, le crochet CHA41 se trouve pour sa part dans la zone des fers de réduction indirecte.

Ces résultats peuvent être rapprochés de ceux obtenus pour les éléments des baies hautes du chœur

(fig. 204). Plusieurs crochets, en particulier les crochets à angle droit de la 4e travée nord et un crochet

de forme intermédiaire de la 3e travée nord sont également situés dans la zone indéterminée de même

que plusieurs tenons. Une large majorité des échantillons était toutefois déjà située dans la zone des

fers de réduction directe, en particulier la plupart des crochets à pointe recourbée de la 3e travée nord

et de la 4e travée sud.