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6.1.1 Crochets et tenons autour des baies hautes

Les premiers travaux menés sur le chœur entre 2009 et 2012 avaient permis de mettre en évidence deux types d’éléments métalliques autour de la face intérieure des oculi des baies hautes : des tenons (deux travées droites occidentales) et des crochets (deux travées droites orientales), alors interpré-

tés comme les témoins de protections provisoires des vitraux contre le chantier de construction246.

Plusieurs arguments plaidaient pour une installation ancienne des tenons, contemporaine de la construction, en particulier leur scellement au plomb dans la paroi verticale, nécessairement réalisée au sol avant montage. En revanche, l’implantation des crochets, enfoncés dans le joint de mortier qui entoure la rose de façon plus ou moins régulière, ne permettait quant à elle pas de conclure sur leur

période de mise en œuvre. Deux types de crochets avaient alors pu être mis en évidence. Dans la 4e

est recourbée vers l’intérieur (fig. 180b)247. Ces crochets et tenons ne connaissant pas d’équivalent

dans l’architecture gothique, aucune comparaison avec d’autres systèmes existants n’avait pu être proposée.

Le chantier du chœur avait soulevé plusieurs interrogations à propos de ces crochets, leur disposition étant un peu plus aléatoire que celle des tenons scellés au plomb et surtout, car leur fixation permet une mise en œuvre aisée, à n’importe quel moment du chantier ou de la vie de l’édifice, une fois la maçonnerie élevée. En outre, la composition des impuretés contenues dans la matrice de ces fers ne

tranchait pas clairement en faveur de fers de réduction directe248. Le chantier de la nef permet ainsi

de s’intéresser de nouveau à ce système et à sa datation et donc à sa fonction pour le chantier de la cathédrale, tout en comparant les résultats avec les crochets des baies hautes du chœur pour suivre l’évolution du chantier.

Les restaurations entreprises dans le vaisseau central ont en effet permis de mettre au jour un sys- tème similaire à celui du chœur. On retrouve, en effet, dans cette partie de la cathédrale, des crochets à angle droit et courbe, identiques à ceux découverts dans le chœur (fig. 181). Leur implantation, toujours dans le joint, semble assez régulière autour de la rose (fig. 182). On retrouve également le même type de crochets dans les niveaux inférieurs, sur les arcatures et les piles, cette fois ancrés en pleine pierre, de façon beaucoup plus irrégulière (fig. 183).

Les crochets autour des roses sont de formes et dimensions assez régulières (fig. 184). Ils sont systématiquement composés d’une tige, longue de 6,5 à 7 cm, surmontée d’une extrémité recourbée (droite ou courbe), longue de 3 à 3,5 cm. La tige, étirée en pointe, et de section rectangulaire, mesure au maximum 10 mm de large par 5 mm d’épaisseur (±2 mm). Elle apparaît ainsi relativement plate. Ces caractéristiques ne sont pas celles des crochets retrouvés autour des grandes arcades. Ces derniers suivent, en effet, un profil parfaitement carré et ne présente aucune trace de marteau. Ils ne semblent pas du tout appartenir au même lot que se retrouvés autour des roses et sur lesquels portent plus spéci- fiquement nos observations. L’étude a surtout porté sur la rose de la travée sud qui conserve l’intégra- lité de ces crochets (fig. 182). Pour autant, au niveau des autres travées, les quelques crochets encore en place et ceux déduits des trous de leur fixation attestent que le dispositif se répétait systématique- ment autour de chaque rose. Ainsi autour de la rose de la travée 4 sud, on relève 34 crochets répartis dans le joint qui sépare la rose de son chanfrein. Ils sont enfoncés dans le mortier ou plantés dans les joints de plomb qui se substituent au mortier dans la moitié inférieure de la rose. L’entraxe qui sépare les crochets n’est pas égal. Il oscille généralement entre 18 et 35 cm. Il peut être réduit : entre 8 et 15

dans la partie basse de la rose. L’enduit du XIIIe siècle (UE1) est parfois conservé autour des crochets

et apparaît parfaitement lisse comme si ces derniers avaient été enfoncés au travers. Cependant, la relation stratigraphique laisse parfois envisager le contraire. Plusieurs crochets conservent des traces de projection de l’enduit (UE1). Ce dernier forme même parfois une surépaisseur provoquée par le pinceau qui a buté contre la tige de fer. On en conclurait donc que les éléments métalliques étaient présents lors de l’application du décor.

6.1.2 Fers plats dans les piédroits des baies

Les restaurations de la cathédrale ont permis de mettre en évidence d’autres pièces de fer. Ces der- nières se trouvent sur les parements extérieurs. La dépose du mortier de ciment entre les assises de

pierre de Berchères a, en effet, permis de dégager des fers plats ancrés dans les piédroits des baies hautes

(fig. 185 et 186). Ces fers se trouvent à proximité des chanfreins des embrasures des baies. Ils ont

247. Un des crochets de la 3e travée nord présente une forme intermédiaire.

6 - Le fer dans les fenêtres hautes (Maxime L’Héritier) I

été mis au jour autour des deux lancettes des baies nord 141, travée 3 et 139, travée 4 (verrière de Saint-Lubin). On en dénombre 4 ou 5 sur la hauteur (env. 7,10 m) des lancettes et ils sont également présents en partie sommitale de l’arc. Ils se retrouvent aussi sur les autres baies nord des travées 5 et 6 (baies 137 et 135), mais n’y sont en revanche pas présents aussi régulièrement. Des observations similaires ont pu être menées du côté sud, notamment baies 140, travée 4, et 136, travée 6. Ces fers sont systématiquement ancrés profondément (entre 5 et 10 cm) dans les joints, pris dans le mortier et entre des cales de craie. La partie affleurant du fer est en général assez corrodée. Deux de ces fers ont toutefois pu être prélevés en vue d’analyses métallographiques et permettent d’en avoir une meilleure approche morphologique. Il s’agit de pièces de très faibles dimensions, de 0,5 à 0,8 cm d’épaisseur pour 1,5 cm de large au maximum. L’un de ces fers, complet, (CHA 133) s’affine en pointe certaine- ment pour faciliter son ancrage dans la pierre à l’instar d’une fiche. Il mesure 8 cm de long et était donc assez solidement scellé dans la maçonnerie sur presque toute sa longueur (fig. 186).

Ces découvertes pourraient être liées à des structures provisoires, connues des textes et dont ces

éléments pourraient être les vestiges : les châssis en bois. Les informations sur ces structures sont

rares, tant dans les textes qu’en archéologie249, or ces découvertes chartraines permettent peut-être de

relier les deux aspects. En effet, le compte de l’œuvre de la cathédrale de Chartres 1415-1416 édité

par L. Merlet250, renseigne sur un acte rarement détaillé dans les archives : l’abandon d’un châssis de

bois au profit d’un châssis de pierre pour deux verrières, la haulte verrière de Nostre-Dame (baie 100

ou 113251) et les deux autres grans verrières de Sainct Lubin qui sont près du clochier de plon, (verrière de

Saint-Lubin et Saint-Laurent, baie 139)252. Le détail des travaux de serrurerie indique qu’à Chartres,

les barlotières de fer, anciennement assises en bois, sont descellées et rallongées à la forge, afin d’être implantées dans la maçonnerie. Le détail des travaux de serrurerie est assez précis pour la verrière de Saint-Lubin, qui correspond précisément à l’une des verrières où les observations archéologiques ont pu être réalisées. Une fois l’échafaudage installé en la semaine de la Saint-Michel 1415, le valet du maçon Andry Belliart travaille à faire des trous en pierre dans la verrière de Saint-Lubin, puis dans celle de Saint-Laurent et le verrier Jean Périer descelle les barreaux de fer, lesquels souloient estre assis

en bois, pour que le serrurier Philippot Mauvoisin les rallonge en ajoutant en chacun desdiz bouts

[des extrémités des barreaux] […] de son fer II livres. Les barreaux sont ensuite remis en place par les ouvriers et assis en pierre à la fin du mois de janvier 1416. Vingt-et-un barreaux tant traversans comme

montanz sont concernés par cet ouvrage, puisque le serrurier reforge un total de quarante-deux bouts

de barreaux. Les textes ne mentionnent toutefois ni la structure du châssis de bois, ni sa période d’installation. L’observation des barlotières in situ n’a pas permis de déceler les traces d’un éventuel

rallongement, mais il est probable que ces barlotières ont été changées lors des restaurations au XIXe

ou au XXe siècle253. Le rapprochement des textes et de l’archéologie suggère toutefois qu’il s’agit des

traces des anciens châssis de bois, qui n’aurait donc peut-être pas été mis en œuvre sur l’intégralité des baies hautes mais seulement sur certaines verrières. Se pose ainsi la question de la période de leur installation qui peut être tranchée par l’analyse radiocarbone du fragment prélevé.

249. L’HÉRITIER (M.), DILLMANN (P.) 2009. 250. MERLET (L.) 1889.

251. Ces deux verrières du haut chœur représentent la Vierge Marie. MERLET (L.) 1889, p. 19, identifie la verrière en question comme la première baie haute nord (113). LAUTIER (Cl.) 2003 y voit plutôt la baie d’axe à une seule lancette n° 100. Dans le compte édité par L. Merlet, cette verrière est bien appelée un peu plus haut la «maistresse verrière du coeur de l’église», ce qui semble plutôt valider l’hypothèse de Cl. Lautier.

252. Saint Lubin y est représenté dans la rose et Saint Laurent dans une lancette. LAUTIER (Cl.) 2003, fait semble-t-il une erreur en identifiant cette baie à une fenêtre basse de la nef (où Saint-Lubin, seul, est bien représenté), erreur reprise par ailleurs dans LEFEBVRE (E.) et L’HÉRITIER (M.) 2014.

Si l’armature de fer tenant les vitraux était déjà bien présente dans le châssis de bois, se posent les

questions de l’ampleur du châssis et de la place réservée à la pierre254. L’étude d’autres éléments de fer

présents dans les oculi des roses peut permettre d’y répondre.

6.1.3 Cerces de fer dans les oculi

Des armatures de fer circulaires d’environ 1,9 m de diamètre ont été découvertes au centre de chaque oculus de la nef (fig. 187a). L’observation des cercles montre qu’ils ont été forgés à partir de plusieurs barres de fer. Les traces de martelage et plusieurs soudures sont en effet visibles sur plusieurs d’entre

eux (fig. 187b et 188). Leur section est d’environ 4,5-5,5 cm sur 1,5 x 2 cm. Un exemplaire de la 5e

travée sud, brisé et provisoirement déposé (fig. 189), a permis de dénombrer jusqu’à 6 soudures en plus de la rupture, délimitant des sections de 55 à 135 cm de long environ. On dénombre de 7 à 8

soudures sur la cerce de la 4e travée sud, toujours en place (fig. 187b). L’absence de pannetons sur ces

cercles montre qu’ils ne sont pas liés à l’attache du vitrail, mais plutôt uniquement envisagés comme éléments du maintien de la structure lithique. Les questions liées à leur mise en œuvre se posent tou- tefois, étant donné qu’ils sont présents systématiquement dans la nef, alors qu’ils sont absents dans le chœur. En outre, les comparaisons sont ici délicates, de tels renforts du châssis de pierre des vitraux étant encore inédits dans l’architecture gothique. À une autre échelle, on peut toutefois le rapproche des chaînages circulaires mis au jour dans la rose occidentale de la cathédrale de Reims, à la naissance

du réseau polylobé255. La présence de la cerce semble en effet permettre de réduire l’influence des forces

centripètes sur la maçonnerie. La datation du système devrait permettre de déterminer s’il s’agit d’une consolidation ultérieure ou d’un élément mis en œuvre a priori comme renfort de la structure lithique.

6.1.4 Prélèvement et sélection des échantillons

Huit échantillons ont été sélectionnés pour faire l’objet d’une analyse métallographique comparative et en prévision d’une sélection pour datation radiocarbone, suivant leur teneur en carbone respectives (voir méthodologie plus bas).

La sélection donnée dans le tableau 9 recouvre l’ensemble de la typologie évoquée plus haut :

» plusieurs crochets prélevés sur le parement interne, dont la pointe est systématiquement de forme

recourbée. Trois ont été prélevés sur la même baie (139, travée 4 nord) pour évaluer l’homogénéité de la fourniture.

» deux fers plats prélevés dans les piédroits des baies 136 et 141 (travée 3, sud et nord)

» un fragment de cerce prélevé sur la cerce de la baie 138 (travée 5, sud) qui était brisé et a fait l’objet

d’une dépose ponctuelle lors de la restauration

» un panneton dans sa gangue de plomb prélevé sur le parement externe.

254. Les châssis découverts à Saint-Pantaléon de Troyes, rare exemple archéologique de telles structures, montrent en effet que des meneaux et un réseau entièrement de bois y remplacent la pierre. Ils ont été retrouvés à l’intérieur de la paroi d’une baie haute lors de restaurations effectuées dans les années 1960 par l’Agence des Bâtiments de France de l’Aube. La bibliographie sur ce sujet est fort restreinte. Les comptes de la cathédrale de Troyes mentionnent ce type de structure à plusieurs reprises, montrant qu’elles étaient probablement assez répandues. Sur ce sujet : British museum, ms. 15803, fol. 154 v° et 155 r° cité dans Mgr ROSEROT DE MELIN (J.) 1966. Leur présence est également supposée à la cathédrale de Poitiers, par rapprochement avec le compte de l’œuvre de la cathédrale de Chartres : L’HÉRITIER (M.), DILLMANN (P.) 2009. 255. Leur datation est en cours. Ils sont constitués de fer de réduction directe, vraisemblablement contemporain de la

6 - Le fer dans les fenêtres hautes (Maxime L’Héritier) I

Réf analyse Réf archéo Objet Localisation

CHA 130 130 Fer plat en pointe Nef, travée 3, baie 141 (nord), piédroit est, extérieur CHA 131 131 Cerce Nef, travée 5, baie 138 (sud), rose CHA 132-1 132 Crochet Nef, travée 4, baie 139 (nord), rose, intérieur CHA 132-2 132 Crochet Nef, travée 4, baie 139 (nord), rose, intérieur CHA 132-3 132 Crochet Nef, travée 4, baie 139 (nord), rose, intérieur

CHA 133 133 Fer plat en pointe Nef, travée 3, baie 136 (sud), piédroit central, extérieur

CHA 41 41 Crochet Nef, parement intérieur

CHA 42-1 42 Panneton Nef, travée 9, parement extérieur

tab. 9 : Liste des échantillons analysés