• Aucun résultat trouvé

La résilience familiale face à la maladie chronique rare d’un enfant

1.4.1. Un risque significatif pour la famille

A. Les enjeux de la maladie chronique d’un enfant au sein de sa famille

Nous retiendrons pour notre propos la définition de la maladie chronique proposée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé, 2014) : « Les maladies chroniques sont des affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent lentement”.

Pour une famille, un risque significatif est soit une trajectoire continue à haut risque (risques sociaux élevés, situation parentale instable, dysfonctionnement permanent, etc.), soit l’exposition à un traumatisme imprévu (catastrophes naturelles, chômage, deuil, annonce d’une maladie chronique et contraintes liées…), soit, enfin, une combinaison des deux facteurs (Masten et Coastworth, 1998).

D’un point de vue systémique, ce sont toutes les dimensions du système évoquées plus haut qui vont être bouleversées à différents niveaux par le traumatisme que représente la maladie chronique d’un enfant. On peut considérer à ce titre que l’annonce de la maladie constitue au sens systémique un « deutéro-apprentissage », c’est-à-dire un processus qui revient à apprendre à apprendre, à désapprendre pour créer un autre apprentissage (Bateson, 1972).

En effet, les premiers temps après un diagnostic aussi grave sont pour les familles une période de « choc » initial (Bouchard, 1994; Jourdan-Ionescu, 2006 ; Gargiulo, 2009) pendant lequel, a priori, aucun processus de résilience ne peut se mettre en place. Il s’agit d’un temps qui marque une « rupture entre un avant, régi par le doute, et un après, dans lequel

A partir de ce choc et dans un but de ramener le système à l’homéostasie vont se mettre en place des feedbacks probablement essentiellement négatifs, visant à calmer les mouvements du système ébranlé, au risque d’une rigidification ultérieure. Des interactions de type complémentaire (c’est-à-dire asymétriques) vont apparaître, par exemple entre le médecin, tout-puissant, et la famille, ou encore les parents et l’enfant malade, l’extrême dépendance de ce dernier étant susceptible de créer des difficultés d’autonomisation à l’adolescence (Graindorge, 2005).

D’une manière générale, c’est surtout la souplesse du système qui va être mise à l’épreuve, la famille étant obligée d’adapter ses règles et métarègles de fonctionnement, son type et ses modes de communication, son éthique interrelationnelle (l’échange de dons et de dettes au sein du système) et de recréer un mythe familial, tout cela afin de retrouver son équilibre initial (ou un meilleur équilibre) en tant qu’unité fonctionnelle.

Une maladie chronique transforme la vie d’un enfant et celle de son entourage par la modification de son autonomie, ses capacités et son bien-être physiques, ses affects et sa vie psychique, son intégration sociale, et enfin par le poids des traitements exigés. Ces impacts sont vécus de manière très variable suivant le type de maladie, l’âge de l’enfant, son stade de développement, l’histoire familiale, etc. Les réactions de l’enfant et de son entourage à la maladie vont être cruciales dans la mise en place de mécanismes positifs ou négatifs influant, au final, de manière durable et profonde sur la qualité de vie de tous. Les enjeux auxquels sont confrontés les enfants souffrant de maladie chronique et leurs familles ont été notamment décrits de façon détaillée par de nombreux travaux, dans plusieurs champs de la psychologie:

La fragilisation du psychisme de l’enfant

L’enfant malade est en premier lieu agressé directement dans son corps, et donc dans l’image du corps qu’il va se constituer (Dolto, 1984). Par la déformation, la douleur, les traitements invasifs, le regard des autres, l’investissement corporel de l’enfant par lui- même peut s’avérer difficile. La douleur physique éventuelle, outre ce qu’elle a d’insupportable pour l’enfant, ses proches et ses soignants, présente des risques pour le

développement psychique : difficulté à établir les premiers repères de la vie, les limites du corps, risque de perdre, dans l’isolement que confère la douleur et devant l’impuissance de l’entourage à la soulager, la confiance en autrui. Selon le type de maladie, l’enfant peut se sentir dépossédé de son corps du fait d’une prise en charge médicale omniprésente. Il est également possible qu’il se trouve isolé par un manque d’information concernant sa maladie, ou au contraire dépassé par un excès d’information qui le place en position pathogène de prendre des décisions à un âge bien trop précoce (Graindorge, 2005). Enfin, l’enfant malade peut connaître des problématiques d’acceptation sociale, en particulier dans les contextes de handicap mental (Nader-Grosbois, 2014).

L’existence d’un double traumatisme

Au traumatisme primaire vécu par l’enfant et son entourage, rupture, basculement dans un monde inconnu et sans repère, s’ajoute dans un deuxième temps le traumatisme par réactivation de blessures transgénérationnelles ou par le réveil de conflits œdipiens mal réglés chez les parents. Ce second traumatisme, plus tardif et indirect, dépend de l’histoire individuelle des parents, de leur couple, des identifications et des fantasmes projetés sur l’enfant et des mécanismes défensifs que chacun met en place pour répondre au traumatisme primaire. L’équilibre de la famille est parfois menacé, ainsi que le développement de l’enfant, au cœur d’enjeux qui le dépassent (Graindorge, 2005).

La complexité accrue des interactions parents – enfants

De multiples réactions parentales peuvent compliquer les interactions avec l’enfant atteint de maladie chronique (Steinglass, Reiss et Howe, 1993 ; Graindorge, 2005). Ce sont : - La dépression, avec une demande implicite d’allègement maximum de la souffrance parentale et une exigence de « malade parfait », ou l’abandon psychique de l’enfant ;

- La culpabilité, aggravée dans le cas de maladies génétiques, d’accidents provoqués par les parents ou de théories parentales irrationnelles sur l’origine de la maladie ;

- L’ambivalence ou l’agressivité latente, conséquence de l’écart entre l’enfant malade et l’enfant rêvé, du regard des autres, de l’impossibilité pour les parents de dépasser leurs

propres parents, du « rapt» exercé par les médecins sur l’enfant malade, ou encore de la réactivation d’angoisses parentales; cette ambivalence peut passer par une exagération des contraintes imposées à l’enfant, dans le but inconscient de le punir ;

- Le déni, ou l’incapacité de faire le deuil de l’enfant « normal», qui peut se traduire par un « coaching » imposant à l’enfant une exigence de normalité inatteignable ;

- L’incapacité de contenance parentale, ou la peur d’affronter la souffrance ou le risque vital vécus par l’enfant, qui se retrouve alors dans la situation de protéger ses parents, ou parfois de les persécuter pour répondre à une permissivité excessive.

Le risque de souffrance psychique de la fratrie

La fratrie peut ressentir un véritable abandon psychique de la part de parents qui n’ont plus de force pour les enfants bien portants et qui sont « captés par l’enfant malade, à la fois

dans le temps réel et dans leur tête ». Ce traumatisme, s’il n’est pas entendu, pourra éventuellement s’exprimer par des événements dépressifs, une angoisse liée à la culpabilité d’éprouver de la jalousie par rapport à l’enfant malade (parfois manifestée sous la forme d’une peur constante de la mort de l’enfant malade), des névroses d’échec (par peur de dépasser l’enfant malade) ou encore des troubles du comportement (pour capturer à nouveau le regard parental) (Graindorge, 2005 ; Balottin et al., 2006 ; Limbers et Skipper, 2014).

Dans un autre ordre d’idées, l’enfant qui naît après un enfant malade, handicapé ou dont la vie est en jeu, peut se sentir symboliquement un « enfant de remplacement », chargé d’une « réparation », qui devra grandir en « faux self », avec possibilité de décompensation ultérieure (Graindorge, 2005).

La nécessité d’effectuer le « travail de la maladie »

La maladie oblige le malade et son entourage à développer des stratégies d’adaptation (ou

coping process) qui doivent permettre de vivre avec la maladie, et non contre ou sans elle. C’est ce que qu’on appelle le « travail de la maladie » (Pedinielli, 1987). La notion de « travail

organique conduit à des remaniements psychiques importants, en ce sens qu’elle est « une

expérience, un événement interne susceptible de représentation et générateur d’un jeu d’investissement ». Le sujet effectue un « travail de la maladie » lorsque, après l’effraction traumatique initiale du diagnostic, il redevient acteur de son histoire. Ce travail est un processus dynamique, comme celui du rêve ou du deuil, qui assure « la transformation de l’atteinte organique en atteinte

narcissique et de la douleur organique en douleur psychique ». La perte du corps sain, de l’image idéale et de l’illusion de l’immortalité permet « l’entrée en maladie », et doit conduire à la mise en représentation de cette perte et du corps malade. In fine, le « travail de la maladie » doit déboucher sur une création de sens, une réalité psychique propre au malade (Pedinielli, 1987).

Pour l’enfant, ce travail passe par le jeu, ou par le dépassement des théories étiogéniques qui expliquent de façon magique l’origine de sa maladie. Il dépend bien évidemment, en miroir, du « travail de la maladie » que font parallèlement les parents.

La gestion des processus de séparation et d’autonomisation

La maladie chronique place l’enfant dans une situation de dépendance renforcée qu’il peut lui paraître dangereux de remettre en question. Il arrive ainsi qu’il refuse de s’autonomiser ou prenne du retard dans son développement, par peur de perdre ses parents en prenant l’initiative de la séparation. La présence de la maladie perturbe les processus de séparation et d’individuation, la résolution du conflit œdipien, et la signification des limites, ce qui peut se révéler crucial à l’adolescence (Massimo, 2006).

Les contraintes quotidiennes impliquées par la maladie

Les parents concernés par la maladie chronique d’un enfant doivent ajouter à la charge normale d’une famille les stress spécifiques causés par la maladie : traitements quotidiens envahissants, prise de décisions, partage des responsabilités entre parents, crises aiguës, mise en place de relais en termes d’éducation et d’intégration sociale, résolution de conflits fraternels et écoute des émotions de chacun (Canam, 1993 ; Cohen, 1999).

La maladie apporte des conflits de rôle, des soucis financiers supplémentaires, la lourdeur des soins quotidiens et une perte d’indépendance des deux parents (Ratliffe et Harrigan, 2002). Au final, c’est tout le fonctionnement de la famille qui est affecté, comme s’il ne restait que « peu de vie en dehors de la maladie » (Pursell, 1994).

Au regard des nombreux facteurs de risque cités ci-dessus, on comprend pourquoi la maladie chronique d’un enfant est considéré comme un « risque significatif » permettant de définir l’émergence (ou non) d’une résilience (Masten et Coastworth, 1998 ; Patterson, 2000).

Certains auteurs estiment même qu’un événement interne à la famille, comme la maladie sévère ou chronique d’un de ses membres, est un « stresseur » plus perturbant et un risque plus significatif qu’un événement extérieur tel qu’une guerre, une inondation ou encore une dépression économique (Hill, 1949 ; Friedman, 1998).