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Les problématiques spécifiques présentées par les maladies rares

La Commission Européenne a défini en 2005 les maladies rares comme étant celles qui concernent moins de 5 individus sur 10000 (1 sur 2000). Dans d’autres régions du monde, elles peuvent être définies différemment : par exemple, aux Etats-Unis, les maladies rares sont celles ayant une prévalence de moins de 200.000 personnes, et en Australie, celles qui affectent un individu sur 10.000.

Les maladies rares sont plus précisément décrites comme « les maladies, y compris celles

d'origine génétique, mettant la vie en danger ou entraînant une invalidité chronique et dont la prévalence est si faible que des efforts combinés spéciaux sont requis pour les combattre afin d'éviter une morbidité ou une mortalité périnatale ou précoce importante ou une diminution considérable de la qualité de vie ou du potentiel socio-économique de l'individu » (Commission Européenne, 2009).

La notion de maladie rare peut varier d’une région à une autre, les maladies pouvant être plus ou moins présentes suivant les localisations. Il existe également des maladies communes possédant des sous-formes rares.

Ces maladies touchent par conséquent pour chacune d’entre elles un petit nombre d’individus. Cependant, lorsque l’on prend l’ensemble des maladies rares, soit de 6000 à 8000 maladies au total, la population affectée totale atteint 30 millions en Europe et 25 millions aux Etats-Unis, ce qui représente plus que le cancer ou qu’une maladie répandue comme le diabète (20,8 millions de personnes aux Etats-Unis).

Les origines de ces maladies sont génétiques pour 80% d’entre elles, et elles se déclarent dans 75% des cas dès l’enfance. Elles sont pour la plupart chroniques, difficiles à diagnostiquer et invalidantes sur le plan physique, neurologique, intellectuel et comportemental. Elles peuvent également être létales, avec un taux de mortalité compris entre 5 et 30%.

La maladie rare et le handicap sont fortement intriqués, car 26% des handicaps sont estimés provenir de maladies rares (Guillem, Cans, Robert-Gnansia, Aimé et Jouk, 2008). Le handicap, qui a connu des évolutions dans sa définition, est décrit par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « des incapacités, une limitation des actes de la vie quotidienne et une

participation restreinte à la vie sociale », et également comme « un phénomène complexe qui découle de

l’interaction entre les caractéristiques corporelles d’une personne et les caractéristiques de la société où elle vit » (OMS, 2014).

La majorité des maladies rares sont dites orphelines, ce qui signifie qu’il n’existe pour l’heure aucun traitement, et que les soins se bornent à la prise en charge (et si possible la minimisation) des symptômes.

Afin d’avoir une influence dans la sphère publique, de faire évoluer la recherche et d’attirer des fonds, des organisations de soutien des maladies rares se sont créées, comprenant l’intérêt de mutualiser leurs expériences et leurs forces. Il s’agit par exemple d’Eurordis en Europe (European Organisation for Rare Diseases), de NORD aux Etats- Unis (National Organization for Rare Disorders) ou encore de RDUK (Rare Diseases UK) au Royaume-Uni.

En France existent plusieurs organismes nationaux à but non lucratif, comme l’Alliance Maladies Rares, Orphanet (unité de l’INSERM), la Fondation Maladies Rares ou encore l’AFM (Association Française contre les Myopathies), tous réunis autour d’une Plateforme Maladies Rares. De plus, le service d’information et de soutien spécialisé Maladies Rares

Info Services et son Observatoire des Maladies Rares se chargent de réunir de l’information spécialisée et de la mettre à disposition de ses usagers.

Dans certains pays, il existe des plans nationaux pour aider les patients atteints de maladies rares et favoriser la recherche. La France, qui compte 3 millions de personnes touchées par les maladies rares, est le premier pays de l’Union Européenne à avoir élaboré et mis en œuvre un plan national. A titre d’exemple, le dernier Plan Maladies Rares français vise à assurer une prise en charge la plus adaptée possible à ces maladies, en coordonnant l’action des différents centres de référence, en mutualisant les connaissances et les moyens, dans un continuum allant de la recherche à l’accompagnement médico-social, en passant par le dépistage et le soin.

Ce plan prévoit notamment d’organiser des plateformes de laboratoires de diagnostic et de faciliter la production de protocoles nationaux de diagnostic, ce dernier point étant crucial dans le domaine des maladies rares, comme nous allons le voir plus loin. Il vise en outre une amélioration de la prise en charge médicamenteuse des patients atteints de maladies rares, qui ont souvent besoin de médicaments prescrits en dehors des indications d’autorisation de mise sur le marché, et de leur remboursement. La télémédecine devrait également se développer, afin de permettre aux familles qui vivent dans des zones excentrées d’avoir un accès plus facile aux meilleurs experts, en lien avec les professionnels locaux.

Considérant que le rôle de la famille ou des aidants est primordial, du fait de la complexité de la prise en charge des patients, le plan prévoit de venir en aide non seulement aux malades mais aussi à leur entourage, en développant des « offres de répit », c’est-à-dire des prises en charge temporaires des malades afin de décharger ponctuellement le donneur de soins. Enfin, une banque nationale de données permettra de recueillir et de partager les connaissances scientifiques et médico-économiques sur les maladies rares.

Le Plan Maladies Rares s’inscrit dans une démarche d’envergure européenne, fondée sur le partage de l’expertise au niveau européen et international, la mutualisation et la standardisation des pratiques. Il révèle la volonté des différentes autorités de santé de répondre à l’impact sociétal qu’ont les maladies rares.

En effet, même si les manifestations des maladies rares varient de façon très significative d’un individu à l’autre, parfois même entre des membres d’une même famille souffrant de

la même pathologie, les effets sur la vie et le fonctionnement des malades, de leur famille, de l’entourage et des soignants sont souvent du même ordre et ont un impact particulièrement lourd, tant sur le plan émotionnel que financier.

Ainsi, bien que la plus grande part des recherches consacrées aux maladies rares et également aux maladies chroniques portent sur une pathologie précise, il existe un courant de recherche qui a pour objet la maladie rare dans son ensemble ou la maladie chronique prise dans son ensemble (Stein, 1983 ; 1989 ; Simeoni, Schmidt et DISABKIDS Group, 2007 ; Nader-Grosbois, 2010)

En effet, dans ce champ de la santé, il existe parfois plus de différences entre les différentes formes ou les différents stades d’une même maladie, qu’entre deux maladies distinctes (Stein, 1980 ; 1989), qui se rejoignent souvent sur certains grands thèmes : handicap ou contraintes supportés, insertion sociale, retentissement psychique sur les enfants et la fratrie, isolement et manque d’information des parents... De plus, les maladies rares sont souvent regroupées afin d’avoir plus de poids.

La plupart des études ayant pour objet l’impact de la maladie rare sont des études menées par les organismes de soutien du type de ceux cités plus haut, ou à leur initiative. Ces études rapportent un impact plus important sur l’individu, sa famille et ses soignants dans les maladies rares que dans des maladies chroniques plus communes, comme le diabète ou l’asthme (Field et Boat, 2010).

Selon ces recherches, la question du diagnostic est centrale dans les difficultés rapportées par les familles d’enfants atteints de pathologies rares (Faurisson, 2004). Trop fréquemment, le diagnostic correct n’intervient que très longtemps après que les parents aient détecté les premiers symptômes chez leur enfant. Une enquête européenne menée en 2004 auprès de 6000 patients révéla que 40% d’entre eux avaient eu un premier diagnostic erroné, et que 25% d’entre eux avaient dû attendre plus de 5 ans avant d’obtenir un diagnostic définitif correct (Faurisson, 2004).

Les auteurs parlent de manière assez frappante d’ « errance diagnostique » (Boucand, 2010) ou encore d’ « odyssée diagnostique » (Field et Boat, 2010). En France, l’Observatoire des Maladies Rares a relevé dans une enquête que : 48% des patients interrogés avaient dû attendre plus de trois ans pour avoir un diagnostic, 50% des patients avaient dû consulter deux à cinq médecins libéraux et deux à cinq médecins hospitaliers avant d’être

convenablement orientés, et 26% des patients avaient eu un premier diagnostic erroné établissant une origine psychologique de leurs troubles (Observatoire des Maladies Rares, 2011).

L’accès aux soins est une autre question centrale pour les familles élevant un enfant atteint de maladie chronique rare. La rareté de l’affection fait que le nombre de centres spécialisés ou même capables de prendre en charge le malade est très réduit, ce qui oblige certaines familles à effectuer de longs trajets pour les consultations, voire à déménager le cas échéant.

Ces difficultés d’accès aux soins ont fait l’objet d’enquêtes à grande échelle menée par les organisations de soutien des maladies rares, notamment en Europe, et ont été décrites comme une « loterie du code postal » (« post code lottery »). En effet, un quart des patients souffrant de maladie rare avaient dû se déplacer dans une région différente pour avoir accès à un service de soins compétent, et 2% avaient dû aller à l’étranger (Le Cam, 2007). D’autres points soulevés par ces études dans le champ sanitaire et social sont les sentiments d’isolement de la famille, le manque de compréhension de la part des parents d’enfants non malades, la culpabilité induite par la composante génétique de la maladie, souvent présente, et enfin la perte importante de revenus du fait de la cessation totale ou partielle d’activité d’un des deux parents afin d’assurer le suivi de l’enfant malade (McGarvey et Hart, 2008 ; Malcolm et al., 2011).

On peut noter par ailleurs une évolution lors des dernières décennies, puisque les parents d’enfants souffrant de pathologie rare se tournent de plus en plus vers l’utilisation d’Internet comme outil pour récolter de l’information utile sur la maladie, mais aussi pour partager sur des forums spécialisés tant leur expérience émotionnelle que des astuces pratiques pour élever l’enfant au jour le jour (Lasker, Sogolow et Sharim, 2005 ; Gundersen, 2011 ; Oprescu, 2013).

Dans le champ de la psychologie, un certain nombre d’études empiriques utilisant des outils aux qualités psychométriques validées confirment l’existence d’un impact plus important dans les maladies rares que dans les maladies chroniques communes, notion déjà relevée par les études de santé publique menées par les associations et organisations de soutien. Ainsi, une étude visant à comparer la charge émotionnelle et les modes de

maladie chronique commune a montré que les premiers étaient plus anxieux, plus confus et qu’ils utilisaient moins de stratégies de coping actif centré sur le problème que les seconds (Cousino et Hazen, 2013 ; Picci et al., 2013).

De façon cohérente avec les études sanitaires et sociales réalisées à la demande des organismes de soutien des maladies rares, les recherches en psychologie ont montré que les principaux problèmes rencontrés par les familles d’enfants atteints de maladie rare étaient la difficulté de partager cette expérience avec d’autres, d’obtenir un diagnostic correct, de trouver suffisamment d’information sur la maladie (Paulsson et Fasth, 1999) et de gérer les soins et traitements au quotidien (Trulsson et Klingberg, 2003).

La question du diagnostic est identifiée comme particulièrement importante dans les maladies pour lesquelles une intervention précoce peut affecter le cours de la maladie, mais elle est également source de stress même dans les autres cas. En effet, certains parents rapportent que, dans la période précédant le diagnostic, ils ont été confrontés à une incompréhension et à des jugements de la part de leur entourage qui les a fait douter de leurs capacités parentales (Gray, 2003).

A propos de l’impact des maladies rares sur une famille, Catherine Graindorge parle d’une « vie où la notion de combat reste bien souvent hebdomadaire, voire malheureusement quotidienne (…), où

beaucoup de choses concrètes qui «coulent » avec l’évidence de la simplicité pour les autres se transforment en parcours non fléchés, voire véritablement labyrinthiques, (une) vie moins douce, un peu plus lourde sur les épaules… » (Graindorge, 2005).

Une étude portant sur plusieurs syndromes rares a montré que les mères d’enfants atteints (surtout les mères célibataires et les mères élevant plusieurs enfants malades) rapportaient un haut niveau de stress et une pression physique et émotionnelle importante, et que les pères signalaient quant à eux un fort sentiment d’incompétence parental devant ce type de maladies (Dellve et al., 2006).

Partant des résultats d’études précédentes ayant démontré que les sentiments d’incompétence et d’insécurité parentales dans un contexte de handicap sont corrélés à un manque d’information et de conseils pratiques (Taanila, Järvelin et Kokkonen, 1998), cette dernière recherche souligne le rôle de « stresseur » supplémentaire que peut jouer la rareté de la maladie, dans la mesure où celle-ci s’accompagne la plupart du temps de difficultés d’obtention d’un diagnostic fiable et d’un manque d’information disponible.

C.

Maladie chronique rare, néo-développement et élargissement des compétences