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Au commencement, la mise en place d’un réseau social d’entreprise suppose une étude d’opportunité, souvent réalisée par un cabinet de conseil, faute de moyens en interne pour réaliser les enquêtes, animer les groupes de travail, mettre en adéquation les besoins avec des solutions existantes, etc. Dans le cas des entreprises E1 et E4 que nous avons étudiées, il s'agit du prestataire de service Orange Business Services, un des leaders dans le domaine de la mise en place du RSE. Le consultant de chez Orange Business Services, chef de projet informatique du RSE dans l'entreprise E4 depuis 2014 que nous avons pu interviewer, remarque que l’accompagnement, la mise en place, est cruciale pour la réussite du projet :

« A la base ça devait être une mission relativement courte, mais au fur et à mesure on a commencé par une enquête d’opportunité. On est allé voir toutes les directions de [l’entreprise]. On a fait des enquêtes participatives et collaboratives, comme tu fais, pour savoir ce qu’ils feraient d’un réseau social. On avait une base d’usages potentiels, de valeur ajoutée, entre guillemets de business value pour ce potentiel RSE. On a essayé de le transposer en fonctionnalités pour trouver la solution qui va bien. […] On savait qu’on n’allait pas être sur un réseau social pur business, si on peut dire, comme chez L’Oréal où on a un réseau de commerciaux on va dire plus qu'autre chose, par exemple. Là, c'est très théorique, mais c'est : casser les silos, gagner en transversalité, en convivialité et accélérer, améliorer la collaboration in fine. […] Donc ça, ça a été les grandes tendances qui ont émergé de cette étude et, à partir de là, on s'est dit : on va aller voir des potentiels utilisateurs finaux. On a fait des ateliers, des workflows, avec une palanquée de personnes et des communautés de pratique existantes » (E4, e5).

Si l’étude d’opportunité préalable à la mise en place du réseau social d’entreprise est nécessaire, c'est qu’il existe de nombreuses solutions de RSE, proposant des fonctionnalités variées, plutôt tournées vers les fonctions métiers ou vers les fonctions sociales, plus tournées vers l’opérationnel, les projets, ou vers la veille ou l’échanges de bonnes pratiques. Le RSE n’est pas un outil déterminé à l’avance et figé, qu'il s’agirait de déployer partout de la même manière, mais la définition des fonctionnalités de la plateforme est déterminante pour la

190 réussite de son adoption. Une comparaison détaillée des différentes solutions disponibles sur le marché a été réalisée par exemple par le cabinet de conseil Lecko que nous avons présenté ci-dessus (point 1)40. La plateforme numérique de RSE n’est pas une solution unique et figée, mais elle doit être adaptée, spécifiée pour répondre à des problématiques ciblées. En effet, pour que l’appropriation du RSE par les acteurs se fasse, le RSE doit répondre aux besoins spécifiques des acteurs. L’étude d’opportunité porte sur le recueil des besoins, des attentes, à partir d’un diagnostic de la situation initiale. Ce recueil permet de définir des usages potentiels nécessaires à la définition des fonctionnalités de la plateforme. C'est ce que le consultant, chef de projet informatique RSE qui travaille pour l'entreprise E4, explique dans son travail de mise en place du RSE : « voilà on a cette base, on a essayé de se dire comment on pourrait adresser ces usages donc avec quelles fonctionnalités » (E4, e5). Nous devons alors distinguer pour commencer entre les fonctionnalités de la plateforme et les usages des utilisateurs. L’anticipation des usages permet, en amont, de définir le type de plateforme à mettre en place et, en aval, après la mise en place de l’outil, les usages désignent l’appropriation de la plateforme par les utilisateurs, la façon dont ils la mobilisent en situation professionnelle. C’est en ce sens que Pierre Rabardel propose une approche instrumentale en distinguant l’outil, objet technique (dans une perspective technocentrique), de l’artefact (qui comprend la relation sujet-objet, dans une perspective anthropotechnique) et de l’instrument ou la construction de l’artefact au cours de l’activité, par l’usage (Rabardel, 1995). Contre l’approche technocentrée évoquée dans la première partie de notre travail, l’approche par les usages permet donc de comprendre la complexité de la relation entre l’outil et l’usager, deux maillons de la chaîne essentiels pour comprendre les enjeux du déploiement de la plateforme. Les études des usages des technologies de communication, à partir du courant fonctionnaliste des usages et gratifications dans les travaux américains des années 1960 et 1970, partent de « ce que font les gens avec les médias », plutôt que de « ce que les médias font aux gens » (Proulx, 2005). Ils postulent un rôle actif aux utilisateurs, à prendre en compte aussi bien dans la conception de l’outil que dans son évolution. Concepteurs comme usagers potentiels sont donc deux éléments déterminants du déploiement du dispositif sociotechnique.

Pour ce qui est des usages des réseaux sociaux d’entreprise, nous les détaillerons tout au long de notre enquête, mais nous pouvons simplement pour commencer partir du graphe représentatif de l’étude du cabinet Lecko sur les usages du RSE en France en 2015 :

40 http://referentiel.lecko.fr/.

191 Les usages se concentrent sur les dimensions collaboratives à visée opérationnelle (partage de bonnes pratiques et gestion de projet) et sur les dimensions sociales (entraide) davantage que sur les dimensions épistémiques (veille technologique) et créatives (innovation). Ces résultats sont cohérents avec l’enquête 2017 de l’Observatoire e-transformation & intranet qui vise à montrer que les dispositifs numériques internes aux organisations sont en train d’évoluer pour intégrer les fonctions sociales (conversationnelles, de mise en relation) et les fonctions collaboratives (modalités de travail à plusieurs). En effet, les fonctions sociales sont présentes dans 52 % des dispositifs numériques internes et les fonctions collaboratives sont présentes dans 55 % des cas. 25 % des entreprises utilisent à la fois des fonctionnalités collaboratives et sociales sur la même plate-forme. 87 % des entreprises ayant déployé des fonctions sociales disposent de la fonction « publication de commentaires » et 80 % d’entre elles ont déployé la fonction « like ». Cela confirme que ces deux fonctionnalités sont bien des standards de l’interaction interne. Avec dix points de plus par rapport à l’édition précédente, la fonction « mention d’un membre », à 68 %, marque la plus grande progression41.

Sur la base de cet avertissement, sur la nécessité de spécifier la plateforme selon les besoins, les usages anticipés et effectifs, nous pouvons à présent décrire plus largement les fonctionnalités classiques d’une plateforme de réseau social d’entreprise. Pour ce faire, nous devons insister à nouveau sur l’importance du modèle des réseaux sociaux grand public pour

41Enquête 2017 de l’Observatoire e-transformation & intranet, à travers un questionnaire personnalisé distribué du 16 janvier au 7 avril 2017 et concernant 285 répondants. Source :

192 la définition des plateformes de RSE dans les organisations. En effet, comme nous l’avons remarqué plus haut, les chances de succès actuelles du réseau social d’entreprise dépendent de la massification des pratiques de réseau social dans la sphère grand public. En témoigne de nombreux entretiens réalisés, comme celui du chef de projet RSE à la direction générale des ressources humaines de l'entreprise E4 : « d’abord ce n’est pas l’invention du siècle. Tout le monde y pense maintenant à cause des réseaux sociaux grand public » (E4, e2). Ou encore le chef de projet RSE d’un cabinet de conseil :

« Pour moi c'est Facebook qui crée le besoin. Ce sont les communautés privées qui créent le besoin dans les entreprises. Pourquoi on aurait une expérience géniale en dehors du boulot dans ce qu’on utilise et pourquoi au travail il faudrait qu’on ait des outils du XIXème siècle ? Aujourd'hui on retourne dans des modes de travail à l’ancienne, alors qu’on pourrait révolutionner ça, changer, en créant plus de valeur. C’est la transformation digitale. C’est ce qu’on appelle le ‘‘User friendly’’ aussi, du beau même, du facile à utiliser, oui » (E8, e1bis).

Il s'agit plus ou moins des mêmes fonctionnalités et de la même ergonomie entre les réseaux sociaux de la sphère publique et les réseaux sociaux d’entreprise, c'est-à-dire le profil (soit l’annuaire enrichi), le mur d’actualités, les flux d’activité, le carnet d’adresses, la messagerie interne, les communautés, le partage de documents, les outils de recherche (qui requiert l’appropriation par les utilisateurs du système de tags sur lequel nous reviendrons), la possibilité de suivre des communautés, de suivre des personnes, la possibilité de commenter ou d’aimer une publication. Le tableau ci-dessous compare de façon synthétique les grandes fonctionnalités du réseau social grand public et du réseau social d’entreprise.

193 On remarque que les fonctionnalités sont identiques entre réseau social d’entreprise et réseau social grand public. La différence réside dans le caractère strictement privé du réseau social

194 d’entreprise, fermé aux seuls salariés de l’entreprise (et dans certains cas encore rares à certaines parties prenantes extérieures). La différence réside également dans les modes d’accès au réseau et aux communautés qui sont davantage prédéfinis et contrôlés et qui peuvent varier d’une organisation à une autre. En effet, chaque membre appartenant déjà au sein de l’organisation à un périmètre géographique, à un domaine d’activité et à une catégorie professionnelle sera de fait orienté voire contraint à un certain périmètre sur l’outil en ligne. La copie écran de la page d’accueil d’un membre du réseau social d’entreprise au sein de l’entreprise E3 donne à voir ces grandes similitudes entre réseaux sociaux d’entreprise et réseaux sociaux grand public42 :

Pour entrer dans le détail des fonctionnalités d’une plateforme de RSE, nous nous référons au schéma publié par le cabinet Lecko, ci-dessous :

42 Cf. Annexe 3.

Les communautés auxquelles le membre est abonné et celles sus epti les de l’i téresser Les contacts auxquels le membre est abonné

Les autres membres du RSE qui sont abonnés à ce profil Les actualités qui concernent

e e re, de l’ordre du déclaratif

Les activités en attente pour ce membre

Les derniers posts de ce membre

195 Source : Cabinet Lecko.

Nous pouvons rassembler les fonctionnalités d’une plateforme de réseau social d’entreprise en grandes catégories : communiquer, collaborer, gérer les connaissances, innover, impliquer les collaborateurs et mesurer de nouveaux indicateurs. Pour ce qui est de la fonction communiquer ou connecter les personnes, le RSE permet d’améliorer les échanges existants (par le biais de mails, de réunions), d’étendre ses contacts (sur différentes sites, services, statuts…), de trouver le bon interlocuteur (des compétences et des réalisations spécifiques). Pour ce qui est de collaborer, le RSE permet de travailler ensemble dans un espace partagé, de raccourcir les délais de réponse, d’utiliser des codes de communication simplifiés. Pour ce qui est de gérer les connaissances (knowledge management), le RSE permet de partager de l’information, des expériences, de faire de la veille collective (partager des informations externes à valeur ajoutée pour l’entreprise), de faciliter la recherche d’information. Pour ce qui est d’innover, le RSE permet de développer l’intelligence collective, de permettre une plus grande liberté des acteurs. Pour ce qui est d’impliquer les collaborateurs, le RSE permet de prendre en compte les besoins des collaborateurs et de permettre au plus grand nombre de s’approprier la stratégie de l’entreprise par une meilleure circulation de l’information à tous les niveaux. Pour ce qui est de mesurer l’activité par de nouveaux indicateurs, le RSE permet de détecter les influenceurs (position stratégique), de repérer les salariés engagés, de repérer les experts, etc. Nous reviendrons sur ces fonctionnalités et usages du réseau social

196 d’entreprise dans la suite de nos analyses pour en préciser les enjeux et les difficultés attenantes.

2.1.3. Comment le réseau social d’entreprise

s’inscrit dans le paysage des différents outils