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réseau social d’entreprise

1.1.5. Limites de l’appropriation des outils de réseau social en contexte organisationnel réseau social en contexte organisationnel

Certes les pratiques de réseau social grand public envahissent le monde professionnel, cependant leur adoption est loin d’aller de soi dans le contexte organisationnel.

En effet, la première limite est le contexte d’apparition, beaucoup moins favorable à la diffusion de ces outils dans l’entreprise que pour le grand public et cela pour trois raisons (Samy Guesmi et Alain Rallet, 2012). Premièrement, l’esprit d’initiative individuelle requis par la pratique de l’outil est menacé par le lien de subordination salarial. Deuxièmement, l’enjeu d’une production collective auto-organisée, d’une technologie décentralisée est mis à mal par l’organisation hiérarchique, une circulation de l’information et des modes de communication codifiés, une détention du savoir stratégique puisqu’elle correspond à des rapports de pouvoir dans l’entreprise. Troisièmement, le processus d’externalisation (Weinstein, 2010) et de décentralisation des entreprises contemporaines et la précarisation conséquente tendent à affaiblir la sociabilité entendue au sens fort du lien social qui suppose le partage d’un espace-temps, d’objectifs et de règles.

La deuxième limite est que l’emploi professionnel des réseaux sociaux reste bien en-deçà de son emploi personnel. Certes, les salariés-internautes vont « importer leurs pratiques des outils […] au sein même de l’organisation » avec la massification des usages d’Internet qui conduit notamment à « une véritable dynamique de convergence ou d’hybridation entre les

33 Bys, C., « L’effet magique du numérique sur le management serait-il en train de s’atténuer ? », L’usine digitale, le 6 décembre 2017. Source : https://www.usine-digitale.fr/article/l-effet-magique-du-numerique-sur-le-management-serait-il-en-train-de-s-attenuer.N623463.

108 usages de la sphère privée et les usages de la sphère professionnelle » (Galibert et al. 2012, p. 203). Cependant, les usages restent en réserve voire contredisent l’objectif initial. En effet, la répartition des utilisateurs suit généralement le principe du « 90-9-1 », posé par William Hill (Hill, Hollan, Wroblewski et McCandless, 1992) au début des années 1990, puis par Jakob Nielsen (Nielsen, 1997), principe selon lequel la participation active sur les réseaux sociaux en ligne est extrêmement faible : 90% des membres appelés « consommateurs » sont des observateurs muets, ils ne font que consulter sans alimenter, 9% des membres sont des « contributeurs » très épisodiques et 1% des membres « créateurs » sont les auteurs de 90% des contributions. Le réseau social en entreprise ne dément pas les proportions des réseaux privés et même parfois les accentue. Selon l’étude d’Experian Simmons (2010) : 88% des répondants déclarent utiliser les réseaux sociaux pour rester en contact avec les amis, 73% pour le plaisir, 70% pour maintenir les liens avec la famille, contre seulement 19% pour rester en contact avec des relations professionnelles, 9% pour établir des nouveaux contacts professionnels, 6% pour développer leur carrière et seulement 5% des personnes interrogées affirment que cela fait partie de leurs tâches au travail. Selon Jean Pralong, dans une étude du groupe IGS-RH 2017 s'appuyant sur un sondage en ligne auprès de 1 200 salariés, sur l'analyse des pratiques de 4 500 salariés dans deux entreprises du CAC 40 et sur des entretiens individuels, seulement 17 % des salariés utilisent fortement les RSE : ce sont les « adopteurs »34. Le sentiment général qui ressort de nos entretiens dans les différentes organisations, en cohérence avec les études mentionnées, est celui d’un usage minoritaire du RSE. Il ne serait pas une pratique courante, selon une secrétaire de direction interrogée :

« Je ne saurai pas vous dire qui l’utilise, qui ne l’utilise pas. Je sais qu’il y a plein de gens qui ne l’utilisent pas et on n'en parle pas. Ce n'est pas un sujet de discussion [le RSE]. [Rires]. Alors peut-être que ça l’est pour certains, mais pas à côté de moi en tous cas » (E4, e7).

Il reste des freins majeurs que nous verrons par la suite, mais nous ne pouvons pas ne pas évoquer pour commencer la posture particulière de l’utilisateur d’un RSE, c'est-à-dire le fait de devoir écrire en son nom propre et en sa fonction dans l’entreprise, sans possibilité d’anonymat ou d’usage de pseudonyme. Cependant, certaines entreprises rencontrées

34 Pralong, J., « Mode collaboratif ou collaboratif à la mode ? Pourquoi les réseaux sociaux d’entreprise peinent encore à développer des comportements collaboratifs », Rapport de l’école de management des ressources humaines IGS-RH, le 27 novembre 2017. Source : http://www.igs-ecoles.com/wp-content/uploads/pdf/rh-presse.pdf.

109 témoignent de taux de participation supérieurs, comme l'entreprise E1 avec « 20% d’utilisateurs actifs tous les jours […] On voulait que ce soit accessible à tous, on a 93% d’inscrits » (E1, e5, DC). Nous reviendrons sur les raisons de ces écarts, principalement en ce qui concerne les modalités de mise en place de la plateforme collaborative (point 2.1).

La troisième limite se trouve dans l’ensemble des contradictions profondes quant à l’usage des technologies relationnelles dans un monde professionnel en réseau, entre réticence et adhésion, qu’il nous faudra analyser pas à pas. Une première contradiction se situe dans l’entre-deux entre la méfiance générale à l’égard de l’usage de plateformes numériques jugées non sérieuses, non professionnelles, non efficaces pour le business et pourtant la reconnaissance et même l’incitation à être présent sur les réseaux sociaux numériques pour preuve de son engagement, de son investissement personnel pour l'entreprise ou des mécanismes à la mode d’ « empowerment ». Une deuxième contradiction apparaît entre de nouveaux dispositifs de contrôle par les traces laissées dans l’outil, les normes collectives, la surveillance interindividuelle, l’autodiscipline et, par ailleurs, la narration spontanée de soi, la mise en visibilité volontaire de son profil, de ses activités et de son carnet d’adresse pour se démarquer et peut-être se faire remarquer. Une troisième contradiction réside dans le hiatus entre l’inscription idéalisée (notamment par la communication interne de type marketing) dans un réseau relationnel, selon une logique de don et contre-don désintéressée, visant le développement d’une intelligence collective comme bien commun et, de l’autre côté, une logique utilitariste dans la constitution de son réseau comme ressource individuelle, capital social c'est-à-dire l’ensemble des relations qu’une personne peut accumuler comme source de valeur (Bourdieu, 1985 ; Coleman, 1988 ; Putnam, 1995 ; Bevort et Lallement, 2006).

C’est à partir de ces premiers constats que nous nous demandons dans quel contexte apparaît la « révolution » du web 2.0 ou web social dans l’entreprise. Quelles sont les ruptures et les continuités dans l’histoire longue du capitalisme et de la grande entreprise qui permettent de comprendre l’opportunité et l’apparente nécessité des technologies numériques de réseau social dans les entreprises aujourd'hui ? Pour comprendre l’opportunité et l’effet de mode actuel du réseau social d’entreprise, il nous faut revenir sur son contexte historique et idéologique d’émergence, la transformation de la société en réseau et la transformation des organisations depuis les années 1970-1980 vers des organisations collaboratives.

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1.2. Retour sur les transformations sociales et

culturelles