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Vers la « République turque de Chypre Nord »

I. 1974-1983 : radicalisation institutionnelle et communautaire, mais naissance du « chypriotisme »

I.2. Le fossé s’approfondit

I.2.3. Vers la « République turque de Chypre Nord »

I.2.3. Vers la « République turque de Chypre Nord »

La crise de juillet-août 1974, avec l’occupation turque d’une partie de l’île en dépit du droit international ouvre (ou prolonge) dans la question chypriote une période de blocage. Des négociations ont certes lieu, pour la plupart sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, mais la présence d’un no man’s land quasiment infranchissable pour les Chypriotes grecs et turcs traduit l’inefficacité des pourparlers. Les facteurs de tensions tiennent à la politique de stigmatisation de l’occupation turque par la République de Chypre, diplomatiquement réussie, mais qui empêche tout règlement fondé sur la réunification raisonnée de l’île et conduit au renforcement identitaire de l’entité Nord-chypriote, soutenue par Ankara, dans l’objectif de créer un état de fait sur lequel il ne serait plus possible de revenir. Le fait que la République de Chypre, en tant que seul État reconnu, puisse chaque année présenter ses demandes à l’Assemblée onusienne exaspère les Chypriotes turcs qui déclarent que trois des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité étant

« progrecs », le jeu est biaisé d’avance.

Après le refus des propositions de changements constitutionnels faites par Makarios les élus chypriotes turcs sont exclus de facto des mécanismes gouvernementaux chypriotes. Les Chypriotes turcs vivant en quasi-totalité dans les enclaves organisant leur propre administration, aidés par le personnel politique devenu « disponible », guidés par leur charismatique leader Rauf Denktaş, créent un Comité général. Ce Comité devient décembre 1967 Administration chypriote turque provisoire. Le terme « provisoire » disparaît ensuite pour être remplacé en septembre 1971 par le terme « autonome ».

En février 1975, Rauf Denktaş, Président de cette Administration autonome convoque son Assemblée et annonce que le temps venu de créer un « État fédéré turc de Chypre », seule solution d’avenir selon lui, au vu de l’échec des négociations avec les Chypriotes grecs. Cet État constituerait la base d’une future République chypriote fédérale dont le statut légal plus clair encouragerait le développement économique.

Les Chypriotes grecs voient dans cette décision la volonté de diviser l’île, d’autres en Grande-Bretagne y voient le « doigt de la Turquie ». Le président turc y voit pour sa

part une clarification de la situation insulaire et Henry Kissinger met en avant un obstacle supplémentaire à la conclusion d’une paix future. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies se prononce le 12 mars 1975 sur le sujet :

« 1. Le Conseil de Sécurité demande à nouveau à tous les États de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et le non-alignement de la République de Chypre et les prie instamment, ainsi que les parties intéressées, de s’abstenir de toute action qui risquerait de porter atteinte à cette souveraineté, à cette indépendance, à cette intégrité territoriale et à ce non-alignement, ainsi que de toute tentative visant à la partition de l’île ou à son union avec tout autre pays.

2. [Il] regrette la décision unilatérale du 13 février 1975 par laquelle il a été déclaré qu’une partie de la République de Chypre deviendrait " un État fédéré " comme, entre autres, tendant à compromettre la poursuite de négociations entre les représentants des deux communautés sur un pied d’égalité, dont l’objectif doit demeurer de parvenir librement à une solution prévoyant un règlement politique et l’instauration d’un arrangement constitutionnel mutuellement acceptable, et exprime son inquiétude devant toutes les actions unilatérales des parties qui ont compromis ou qui risquent de compromettre l’application des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies. »

Le point 3 adoucit néanmoins les deux précédents :

« La décision mentionnée au paragraphe 2 ci-dessus ne préjuge pas le règlement politique final du problème de Chypre et [le Conseil] prend note de la déclaration selon laquelle ladite décision n’a pas été prise dans cette intention. »

Cette résolution ne restera donc qu’un vœu pieux ou un simple conseil, même si chaque année elle est reprise en des termes similaires.

Après cinq séries de rencontres entre 1968 et 1974182, nous dénombrons à partir de cette date cinq séries de pourparlers supplémentaires à Vienne et une à New York

182 ERTEKÜN Necati Münür, The Cyprus dispute and the birth of the Turkish Republic of Northern Cyprus, Rustem & Brothers, Nicosie, 1988. Cet auteur donne le détail des différentes phases, les textes des accords ou/et des communiqués, d’un point de vue qui se fait l’avocat des Chypriotes turcs.

entre 1975 et 1976, les « sommets » des 27 janvier et 12 février 1977, ainsi qu’une nouvelle série de négociations à Vienne du 31 mars au 7 avril 1977, suivies de rencontres à Nicosie les 20, 26 mai et 3 juin 1977. Des rencontres ont lieu à New York en mai 1978, ainsi qu’un nouveau « sommet » les 18 et 19 mai 1979 à Nicosie.

Après un arrêt de 14 mois pendant lequel l’ONU ne cesse jamais ses efforts pour obtenir une reprise des contacts, les réunions se poursuivent en août 1980, sans plus de succès. Au début de 1982, Javier Perez de Cuellar, le nouveau secrétaire général de l’ONU, qui a déjà auparavant beaucoup travaillé avec tous les Chypriotes, rencontre à plusieurs reprises le Président Kyprianou et Rauf Denktaş. Il rencontre également les ministres des Affaires étrangères de Grèce et de Turquie. Les pourparlers s’arrêtent au 1er décembre 1982 et une seule session a lieu en janvier 1983, avant les élections présidentielles en République de Chypre.

Quatre nouvelles rencontres ont lieu en mars et en avril 1983. La question chypriote est une fois de plus posée devant l’Assemblée générale de l’ONU. Une nouvelle résolution (17/253) du 13 mai 1983 reprend les éléments des précédentes.

Des Secrétaires généraux, l’un après l’autre, rencontrent les leaders des deux communautés à Nicosie ou à New York, les séances de travail se multiplient, des contacts informels se poursuivent lorsque les pourparlers officiels sont gelés, sans résultats probants. Deux sommets entre Rauf Denktaş et Makarios, en présence du secrétaire général de l’ONU Kurt Waldheim, se tiennent les 27 janvier et 12 février 1977. Il en résulte un texte qui présente ce que l’on appelle les 4 « lignes-guides » de tout accord futur, texte auquel il est ensuite systématiquement fait référence183 :

« 1. Une République fédérale, indépendante, non alignée, bicommunautaire doit être organisée ;

2. Le territoire administré par chaque communauté doit être discuté à la lumière de la viabilité économique, de la productivité et de la propriété terrienne ;

3. Les questions de principe, comme la liberté de mouvement, liberté d’installation, le droit de propriété et d’autres sujets spécifiques, sont ouvertes à la discussion en prenant en considération la base principale d’un système

183 ERTEKÜN, Necati Münür, The Cyprus dispute op.cit, appendice 35, p.278.

fédéral, bicommunautaire, et certaines difficultés pratiques qui peuvent se lever pour la communauté turque chypriote ;

4. Les pouvoirs et les fonctions du gouvernement central fédéral seront tels qu’ils sauvegardent l’unité du pays, eu regard au caractère bicommunautaire de l’État. »

Ce texte signifie que Makarios a compris que l’Enosis étant impossible, il fallait accepter la fédération pour sauvegarder l’intégrité de la République et éviter la partition définitive. C’est de la part de l’Ethnarque qui a tant lutté pour le rattachement à la « Mère Patrie », ce que certains nationalistes ont appelé un

« recul » tragique, ou au contraire le signe d’un réalisme exceptionnel, trois années à peine après la partition de l’île. Sa mort quelques mois plus tard ne permet pas de savoir si Makarios avait l’intention de persévérer dans cette voie. Il reste qu’il était sans doute par son aura et son influence sur les Chypriotes grecs, le seul représentant capable de négocier facilement sur ces bases. La mise en pratique de ces principes n’est pas encore réalisée.

Le « sommet » des 18 et 19 mai 1979 entre Kurt Waldheim, Rauf Denktaş et Spyros Kyprianou (successeur de Makarios mort en 1977) donne lieu à un second texte, « les dix points », reprenant les lignes de 1977, mais précisant en outre que l’État fédéral « doit être garanti contre toute forme de partition ou de sécession » et mettant en tête des négociations la question de Varosha.

Ces questions sur lesquelles butent les négociations seront des causes d’échec de toutes les négociations jusqu’à aujourd’hui :

- Varosha : un quartier touristique au sud de Famagouste, station balnéaire internationale en 1974. Lorsque l’armée turque entre dans cette dernière, les Chypriotes grecs effrayés s’enfuient, l’armée turque entoure les lieux (déserts depuis lors) d’un barbelé solide et les Chypriotes grecs demandent à retourner chez eux ;

- La démilitarisation de l’île : ce qui, pour les Chypriotes grecs, signifie le départ de l’armée turque que les Chypriotes turcs refusent, arguant qu’elle assure leur sécurité ;

- La liberté de déplacement et d’installation dans les deux parties de l’île qui concerne dans les 8 années qui suivent le déracinement du tiers de la population de l’île.

- La taille des deux possibles zones fédérales et la liste précise des villages que chacune doit contenir ;

- la répartition des pouvoirs au niveau fédéral butant sur la question présente depuis 1960 : quelle part accorder aux Chypriotes turcs, minoritaires en nombre pour qu’ils ne se sentent pas écrasés ?

Les Chypriotes turcs poursuivent leur ligne : en juillet 1975 ils établissent une constitution. Rauf Denktaş est élu président de l’État autonome en juin 1976, avec 77,6 % des voix, et son parti, l’UBP (Parti de l’Unité Nationale), remporte aux élections législatives 53,7 % des voix et 30 sièges sur 40 (en vertu d’un système électoral complexe qui accorde une prime à qui obtient plus de 50 % des voix).

L’Administration autonome chypriote turque rencontre cependant de graves difficultés. Elles sont en premier lieu économiques : les gouvernements successifs doivent faire face à l’intégration de 60 000184 réfugiés venus du sud de l’île, à la question de leurs indemnités et du partage des biens grecs (170 000 Chypriotes grecs se sont réfugiés au Sud), et à une série de grèves et de mouvements de protestations, tous liés à une inflation qui atteint un record de 123,76 % en 1979, et se maintient à une moyenne de 40 % entre 1980 et 1991 avec des pointes supérieures à 60 % en 1980, 1984, 1988, 1990. Le fait que le Nord de Chypre, sans monnaie propre, ait adopté en 1974 la livre turque à un moment où cette monnaie est en pleine crise contribue à cette inflation185.

Les difficultés sont également politiques, car si Rauf Denktaş est le maître incontesté des relations internationales pour sa communauté, en politique intérieure les partis se font, se défont et les rivalités personnelles déchirent des gouvernements fragiles.

Le gouvernement autonome est enfin confronté en permanence à un déficit budgétaire considérable. L’absence de soutien étranger étant donné la situation

184 selon l’estimation de Rauf Denktaş

185 En 1997, un dollar vaut 18,20 TL (livres turques), en 1984, 367,40 TL et en 1990, 2618,98TL.

DODD Charles (eds), The political and economic development of Northern Cyprus, The Eothen Press, 1993, p.296.

diplomatique oblige le gouvernement à faire appel au soutien de la Turquie. Denktaş, dès 1978, doit faire le voyage d’Ankara avec son Premier ministre pour aller demander des fonds. En 1980-1981, cette aide représente un tiers du budget186. Il faut y ajouter l’aide apportée au développement, non comptabilisée dans le budget, notamment pour le financement d’infrastructures et d’équipements publics. Au cours des années 1980, en moyenne, le gouvernement turc pourvoit à 40 % des dépenses publiques de la RTCN, alors que cette dernière dépend à 40 % d’importations en provenance exclusive de Turquie. En outre, l’économie de l’entité turque ne se rétablit pas aussi efficacement qu’au Sud, en dépit des infrastructures et de l’avantage présents au départ187. En 1985, le PNB par habitant Nord-chypriote atteint 1 620 dollars188 (soit moins du tiers perçu au Sud la même année).

En octobre 1981, l’arrivée au pouvoir en Grèce d’Andréas Papandréou conduit les Chypriotes grecs à une attitude plus dure. Le nouveau premier ministre grec déclare en effet que « Chypre est un cas d’occupation étrangère [et] un enjeu national vital pour la Grèce, qui a le droit légal et un devoir d’aider la lutte du peuple chypriote ».

L’absence de soutien international à Chypre Nord affecte également Rauf Denktaş. Il commence à contacter les milieux influents en affirmant qu’une déclaration d’indépendance constituerait un moyen de persuader le monde extérieur de traiter les Chypriotes turcs en égaux. La position intransigeante des Chypriotes grecs à cette époque encourage les Chypriotes turcs à soutenir les revendications de Rauf Denktaş. La résolution 37/253 de l’Assemblée des Nations Unies, le 13 mai 1983, est très mal accueillie par son gouvernement, car, entre autres points, elle approuve les affirmations du gouvernement chypriote sur leur souveraineté légale sur l’île tout entière. Cette résolution condamne en outre la distribution de

186 DODD Charles, “From Federal State to Republic”, in DODD Charles (eds), The political and economic development of Northern Cyprus, The Eothen Press, Talaassee, Florida, 1993, pp.103-217, p.117.

187 En 1974, la partie occupée par les Turcs représente 65% des terres cultivées de l'île, 60% de ses ressources en eau. Avant les événements cette zone assurait 80% de la production d'agrumes et 46%

de la production industrielle totale de Chypre. BLANC Pierre, op.cit., p. 40.

188 Traduction et synthèse de l'article "Cyprus" dans "The Middle East and North Africa", Londres Europa Publications Ltd. 1987, in Problèmes Politiques et Sociaux n° 562 "Frères ennemis" en Méditerranée Orientale rivalités et litiges gréco-turcs, cahier rédigé sous la direction de BOZDEMIR Michel, La Documentation Française, Paris, 1987, p. 31 et 32. BLANC Pierre, op. cit. p. 48.

titres de propriété aux occupants des biens des réfugiés et recommande aux deux parties de ne pas s’engager dans des actions unilatérales.

En Turquie, le régime militaire est menacé et Rauf Denktaş jugeant plus sûr de s’appuyer sur ce denier, hâte la réalisation de son objectif d’indépendance. Il doit cependant compter avec une Assemblée dont certains députés ne sont pas persuadés de la nécessité ni de la sagesse d’une telle initiative. Une déclaration d’indépendance nécessite en effet de modifier la Constitution, ce qui requiert deux tiers des voix à la Chambre.

Rauf Denktaş ne peut espérer ce résultat. Pour contourner l’obstacle, il présente donc le problème non comme constitutionnel, mais comme politique, ce qui lève l’obstacle de a majorité des deux tiers. Une déclaration commune Denktaş/Makarios de 1976 présente tout projet futur d’État chypriote comme un État fédéral devant comprendre deux régions dont les populations auraient des droits égaux, chacune réglant indépendamment ses propres affaires. En juin 1983, Rauf Denktaş y fait ajouter une résolution complémentaire affirmant que le peuple chypriote turc est l’un des deux peuples de Chypre, qu’il a donc le droit de se diriger seul et qu’aucun gouvernement chypriote grec ne pourra jamais lui imposer quoi que ce soit. Rauf Denktaş pense aussi, fort du soutien de l’opinion publique, à un possible référendum sur le sujet, idée bien vue de l’opinion internationale. Mais, pour éviter trop de discussions, il décide de l’organiser après la déclaration d’indépendance. Ainsi, comme la consultation ne portera que sur la nouvelle constitution, cela supprime la question de fond et l’obstacle parlementaire.

La déclaration d’indépendance de la République Turque de Chypre Nord, prononcée le 15 novembre 1983 par l’Assemblée, est officiellement justifiée par la résolution du 17 juin 1983 réaffirmant le droit à l’autodétermination du peuple chypriote turc décidé à vivre dans un système démocratique sur ses terres et à défendre ses droits à une identité nationale et culturelle, le gouvernement chypriote grec n’ayant aucun droit à imposer ses décisions au peuple chypriote turc.

Rauf Denktaş a travaillé en urgence à son projet juste avant le changement de pouvoir en Turquie. Il a réuni tous les chefs de parti les menaçant, s’ils refusaient, de les déclarer « traîtres à la patrie » et de les exiler de la nouvelle République et obtient finalement un vote unanime. Toutefois, lorsque le 2 décembre Rauf Denktaş propose

l’adoption d’une nouvelle constitution, l’opposition se réveille et il n’obtient plus l’accord que de 24 députés sur 40. Rauf Denktaş ne renonce pas à son projet et compose une assemblée constituante en ajoutant aux députés, dix membres qu’il choisit lui-même et 19 autres issus des syndicats, des associations et des partis politiques n’ayant pas de représentants à la Chambre.

Ce même 15 novembre 1983 Rauf Denktaş adresse une lettre au Secrétaire-Général des Nations Unies pour lui expliquer que, devant le refus des autorités Chypriotes grecques de coopérer à la réconciliation, le pacifique peuple chypriote turc a pris la meilleure décision au regard de sa situation. Il y joint le texte de la déclaration, en 10 pages, la dernière phrase de l’introduction résume les raisons de cette déclaration unilatérale d’indépendance :

« Pendant les dernières vingt années, le Peuple Turc Chypriote s’est trouvé dans un état de résistance légitime et d’autodéfense face aux menaces et aux attaques menées contre ses droits fondamentaux, sa liberté, son statut politique et l’existence même de Chypre.189 »

La Grande-Bretagne réagit rapidement, prend la tête du mouvement de condamnation de la création de l’État indépendant et soumet son initiative au Conseil de sécurité qui vote la résolution 541, le 18 novembre 1983, soit trois jours seulement après la proclamation de la RTCN. Cette résolution, adoptée par 13 voix pour, une contre (Pakistan) et une abstention (Jordanie), est très mal acceptée par le gouvernement chypriote turc.

« Le Conseil de sécurité,

[...] Préoccupé par la proclamation faite par les autorités chypriotes turques le 15 novembre 1983, qui est présentée comme portant création d’un État indépendant dans le nord de Chypre.

Estimant que cette proclamation est incompatible avec le traité de 1960 relatif à la création de la République de Chypre et avec le traité de garantie de 1960.

Considérant par conséquent que la tentative de créer une " République turque de Chypre-nord " est nulle et non avenue et contribuera à une détérioration de la situation à Chypre,

189 ERTEKÜN, Necati Münür, The Cyprus dispute… op.cit, p.124-137.

[…] 1. Déplore la proclamation des autorités chypriotes turques présentée comme déclaration de sécession d’une partie de la République de Chypre : 2. Considère la proclamation susmentionnée comme juridiquement nulle et demande son retrait ;

[…] 6. Demande à tous les États de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et le non-alignement de la République de Chypre. »

Seule la Turquie reconnaît officiellement la République turque de Chypre Nord190, le terme République de Chypre ne désigne donc plus désormais que la partie sud de l’île, et le seul État chypriote internationalement reconnu (sauf l’exception turque). Les décisions de 1983 sont donc essentielles dans l’histoire des rapports intracommunautaires dans l’île de Chypre. Elles élargissent en effet le fossé déjà existant, accentuent le processus de légalisation de facto et permettent à chacune des deux entités d’accentuer son discours identitaire sans entraves.

I.3. Les affirmations identitaires se radicalisent I.3.1. « Turcs » et « Grecs » de Chypre

L’un des premiers effets de cette coupure, matérialisée par la zone tampon traversant l’île de part en part, est la polarisation des identités nationales. Les deux gouvernements mobilisent à cet effet les symboles, l’enseignement, les médias et même le folklore. Le drapeau chypriote disparaît derrière le drapeau turc ou celui de la Grèce selon qu’on est au Nord ou au Sud. La RTCN adopte comme hymne national celui de la Turquie kémaliste, l’Istiklal Marşı, « marche de l’indépendance » qui remonte à la lutte gréco-turque de 1919-22, tandis que la République de Chypre conserve l’hymne grec qui célèbre la guerre d’indépendance grecque contre les Turcs. Chacun adopte les manuels et les programmes scolaires de la « Mère-Patrie » où les jeunes poursuivent ensuite leurs études supérieures, s’ils ne vont pas en Grande-Bretagne, et la technologie moderne permet de capter les chaînes nationales grecques ou turques dans l’île. En outre, soucieux de s’ancrer dans le passé, chaque gouvernement s’efforce de promouvoir une tradition folklorique qui mêle aux éléments chypriotes des danses ou chants directement importés de Turquie ou de

190 Laquelle procède à un échange formel d'ambassadeurs le 17 avril 1984, condamné par le

190 Laquelle procède à un échange formel d'ambassadeurs le 17 avril 1984, condamné par le