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Les acteurs de la négociation

I. 1974-1983 : radicalisation institutionnelle et communautaire, mais naissance du « chypriotisme »

I.2. Le fossé s’approfondit

II.1.2. Les acteurs de la négociation

Le 31 juillet 1997, le Président Cleridès et Rauf Denktaş, lors d’une réunion avec le représentant de l’ONU à Chypre, s’accordent pour donner si possible des informations aux familles et rendre les corps s’ils étaient retrouvés. Rien n’est encore fait. Pourtant quatre plaintes avaient été déposées par la République de Chypre contre la Turquie en 1974, 1975, 1977 et 1994 auprès de l’ONU puis de la CEDH.

L’ONU a plusieurs fois donné raison aux demandes de Chypre au nom des Droits de l’Homme, sans que cela ait la moindre efficacité263. On ignore tout encore du sort des éventuels disparus en Turquie à la fin des années 1990. Ce thème des

« disparus » touche un public beaucoup plus large que les quelques milliers de familles directement touchées, en Grèce même, où il ravive des plaies des années 1917-23.

II.1.2. Les acteurs de la négociation

Trois voix participent à la négociation, les leaders chypriotes turcs et grecs, et le Secrétaire général de l’ONU qui doit remettre un rapport tous les six mois pour obtenir la prolongation du mandat de l’UNFICYP. Entrent en jeu également la Grèce et la Turquie, la situation politique intérieure dans chacun des deux pays, et dans les années 1990 la perspective d’une possible entrée dans l’UE ainsi que l’union militaire entre la Grèce et Chypre. S’y ajoutent les États-Unis qui mènent leur propre diplomatie dans la région par un envoyé du Président, Cyrus Vance à partir de 1964 (et sous Carter), ou Richard Holbrooke, après les accords de Dayton en 1995.

Néanmoins, les États-Unis, pris entre le lobby des Grecs d’Amérique et leurs intérêts pour la position géostratégique de la Turquie, conservent sur la question une attitude frileuse, même s’ils encouragent de la voix toutes les initiatives de paix. Tous ces facteurs peuvent influer sur l’attitude des politiques chypriotes.

Au poste de Secrétaire Général de l’ONU, entre 1983 et 2003, se sont succédés de 1981 à 1991 Javier Perez de Cuellar, puis Boutros Boutros Ghali de 1992 à 1996 et Kofi Annan de 1997 à 2006. Tous ont tenu d’innombrables réunions sur Chypre, à New York, à Vienne, à Londres, à Genève et à Chypre même, le plus souvent au Ledra Palace, l’ex-plus bel hôtel de Nicosie, devenu quartier général de l’ONU dans la zone-tampon. Les Secrétaires Généraux ont un représentant spécial qui ne traite

263 Le détail des condamnations est repris dans F. MICHAILIDES, “Missing persons of Cyprus and Greece”, in Hellenic Review of International Relations, Thessalonique, 2.II, 191-82, pp.561-568.

que des affaires chypriotes et qui réside, lui en permanence, à Nicosie. De la même façon, les leaders chypriotes turc et grec ne participent qu’aux réunions « au sommet » et sont souvent représentés par les responsables de leur choix.

Le Ledra Palace au temps de sa splendeur…264

… et entouré de sacs de sable, en1964

Le Ledra Palace en guerre : des traces de balle sur la façade à droite ; quand il est devenu lieu de réunion, on édifia un mur (à gauche) pour protéger des

snipers

264 Cette photo du Ledra Palace, comme les suivantes appartient à une étude d’Olga Dimitriou publiée dans The International Feminist Journal of Politics, en 2012.

http://www.heartcyprus.com/blog/ledra-palace-a-journey-through-time#sthash.IKoVdVgy.dpuf

Du côté chypriote turc, Rauf Denktaş est le maître incontesté des négociations depuis 1968, le seul connu sur le plan international jusqu’en 2003. C’est un nationaliste turc incontestable qui nie la possibilité même d’une identité chypriote comme l’affirme une célèbre déclaration en 1995 :

« Je suis en enfant de l’Anatolie. Je suis un Turc de tout mon cœur avec mes racines en Asie Centrale. Je suis un Turc de culture, de langue, d’histoire, de tout mon être… Les notions de « culture chypriote », de Chypriote turc, de Chypriote grec, de République en commun n’ont aucun sens. Ils ont leur Grèce, nous avons notre Turquie, pourquoi devrions-nous vivre sous le toit de la même République… Certains inventent des fictions sur l’existence de

« Chypriotes », de « Chypriotes turcs, de Chypriotes grecs. Il n’y a pas de Chypriote turc. N’ayez pas l’audace de nous demander si nous sommes chypriotes, ce serait une insulte. Pourquoi ? Car il n’y a qu’un seul Chypriote à Chypre, l’âne chypriote !265 »

Il doit à la Turquie un soutien matériel qui assure près du tiers du budget de la RTCN mais il tient à conserver une marge de manœuvre comme Président, et ne cherche pas l’annexion à la Turquie. Il est soutenu électoralement par les colons et s’appuie de plus en plus sur son aura personnelle, sur sa réputation de chef moral et historique de la communauté. Son parti, l’UBP (Ulusal Birlik Partisi, Parti de l’unité nationale) lui a valu la majorité parlementaire jusqu’en 1993, et par la suite, une alliance avec l’un des partis de gauche lui permet de conserver le pouvoir.

L’année 1993 est marquée par une crise interne au parti dont le dirigeant et Premier ministre, Derviş Eroğlu adopte une ligne souvent plus dure que celle de Denktaş qui reste néanmoins le négociateur au plan international. Quoi qu’il en soit, le parti reste partisan d’une confédération - même s’il a accepté du bout des lèvres l’idée d’une fédération, fait de la reconnaissance de la RTCN le prélude à toute

265 NAVARO YASIN, Yael, “De-ethnicizing the Ethnography of Cyprus: political and social conflict between Turkish Cypriots and settlers from Turkey”, in PAPADAKIS Yiannis, PERISTIANIS, Nikos, WELZ Gisela, Divided Cyprus: Modernity, History, and an Island in Conflict, op.cit., p.84-99.

Nous pouvons ajouter que cette assimilation aux ânes a fortement déplu à une large part de l’opinion chypriote turque !

négociation sur le fond et tient à la présence de l’armée turque. Cet ensemble de revendications ne peut guère faciliter la tâche des Secrétaires Généraux de l’ONU !

Outre la droite nationaliste de Denktaş on trouve également en RTCN une forte extrême droite qui a pris pied dans l’île avec le TMT. Ces « loups gris », des groupes soupçonnés d’être en cheville avec des trafiquants variés, agissent de concert avec les services de renseignements turcs, menacent et attaquent ceux des Chypriotes turcs qui leur semblent trop proches des Kurdes ou des Chypriotes grecs. Ils ont battu à mort le jeune motard chypriote grec, Tassos Isaac, en août 1996 lors d’une manifestation de long dans la « buffer zone »266, et s’en sont pris au, car qui transportait l’équipe du chanteur Burat Kut au Ledra Palace pour un concert commun avec le chanteur grec Sakis Rouvas.

Le journaliste Kutlu Adalı, favorable au départ des colons et à une réunification, prêt à dénoncer des trafics en vigueur en RTCN, est également assassiné en juillet 1996 sans qu’il y ait jamais eu enquête sur sa mort.

Alpay Durduran, le leader de gauche le plus opposé à la politique de Denktaş a vu sa voiture détruite par une bombe en 1989 et 1991 et le siège de son parti a été criblé de balles en 1993. Beaucoup de simples citoyens, souvent des fonctionnaires avouent anonymement ne suivre la ligne Denktaş que par peur.

Il faut avouer que l’État Nord de Chypre, s’il présente une façade de démocratie avec des élections régulières, s’en tient à cet artifice : les « non Turcs » c’est-à-dire Maronites, Chypriotes grecs ou autres résidents présents avant 1974 ne sont pas reconnus en tant que « citoyens » selon une définition donc ethnique de la citoyenneté. La justice est sous dépendance militaire, et donc de l’armée turque. Les journalistes de l’opposition courent des risques allant jusqu’à la mort et peu à peu

266 En signe de protestation contre la 22e année de présence de l’armée turque à Chypre, des motards de toute l’Europe avaient fait route vers Nicosie pour y retrouver des motards chypriotes.

Plusieurs centaines de « loups gris », souvent venus de Turquie s’étaient aux aussi rassemblés. Sous la pression de Boutros Boutros Ghali, beaucoup de motards ont renoncé, les autres sont entrés dans la zone tampon près de Famagouste. Isaac s’est trouvé isolé du reste du groupe et a été tabassé à mort par les extrémistes turcs présents. La vidéo du meurtre, toujours disponible sur Youtube a été passée en boucle sur toutes les chaînes de TV grecques. En novembre 1996, des mandats d’arrêt ont été lancés contre un Chypriote turc et quatre colons, l’un chef des Loups Gris de RTCN, un autre membre des services secrets turcs, un troisième, policier de RTCN.

tout le monde apprend à s’autocensurer, le Président Denktaş devient un héros national267.

Par ailleurs, le seul réel changement avant 2003 dans les positions chypriotes turques est l’accession au poste de vice-premier ministre en 1998 de Mustafa Akıncı, leader social-démocrate du TKP (parti populiste communautaire de libération) qui a dû s’allier l’UBP. Maire de la municipalité turque de Nicosie de 1976 à 1990, il a étroitement travaillé à des réalisations communes avec son homologue chypriote grec et, en 2003, il fonde le Barış ve Demokrasi Hareketi, Parti Paix et Démocratie qui, contre l’avis de Rauf Denktaş, fera campagne en faveur du plan Annan et se montre favorable à l’entrée de Chypre dans l’UE.

En dépit d’une existence difficile, nous devons signaler l’existence de partis opposés à Rauf Denktaş et prêts à travailler à une possible fédération comme le Mouvement pour l’unité patriotique (YHB) d’Özker Ozgür et d’Alpay Durduran, le Parti républicain turc (CTP) de Mehmet Ali Talat, et le Parti de la libération du peuple (TKP). Cette opposition a su orchestrer des manifestations importantes en juillet et août 2000, en luttant contre la mainmise turque sur l’île, mais ses positions sur la réunification en beaucoup inquiètent qui, faute de mieux, préfèrent encore le statu quo. Ils n’ont donc pas d’effet sur les négociations bicommunautaires avant 2003.

La République de Chypre, depuis la mort de Makarios en 1977, a connu dans ces vingt ans, trois présidents, Spyros Kyprianou (1977-1988), Georges Vassiliou (1988-1993) et Glafkos Cleridès (1993-2003). Spyros Kyprianou, compagnon de route de Makarios avant 1960, a représenté l’ethnarque à Londres et devant les Nations Unies.

Devenu Président de l’Assemblée chypriote en 1976, il remplace Makarios à sa mort en 1977 avant d’être à son tour élu Président en 1978 et réélu cinq ans plus tard. Il suit dans les premières négociations intercommunautaires la ligne dure de Makarios, puis signe en 1979 avec Denktaş l’accord dit « des 10 points » qui servira souvent de référence par la suite, mais refuse par la suite toutes les propositions de l’ONU en conservant la ligne absolutiste de Makarios. Georges Vassiliou, élu comme candidat

« indépendant », mais avec le soutien de l’AKEL (il a fait des études en Hongrie) a cherché une ligne moins dure et collaboré à « l’ensemble d’idées » de Boutros

267 PETITHOMME Mathieu, « Système partisan et évolution des clivages politiques à Chypre du Nord (1974-2004) », Cahiers Balkaniques, n°43, à paraître dans l’automne 2015.

Boutros Ghali, en revanche il a œuvré à faire connaître à l’extérieur les positions chypriotes et à promouvoir la candidature européenne de l’île. Glafkos Cleridès est sans conteste celui qui a la plus grande expérience des réunions internationales concernant Chypre : il a participé à la Conférence de Londres en 1959 et à nouveau en janvier 1964, a remplacé provisoirement le Président Makarios lors de ses voyages à l’étranger et de juillet à décembre 1974 et en 1968 il représente la communauté grecque dans les discussions avec Denktaş jusqu’en 1976. Il a également à plusieurs reprises représenté Chypre devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Pendant sa présidence, 1993-2003, il reste le négociateur chypriote grec. Il a fondé en 1976 un parti conservateur qui se range aux côtés des démocrates chrétiens en Europe, le Rassemblement Démocratique (DISY) qui regroupe des nationalistes et des libéraux, depuis les milieux d’affaires jusqu’à la classe moyenne et se veut partisan sur le plan intercommunautaire de solutions pratiques et concrètes qui pourraient débloquer la situation et il est favorable à l’entrée dans l’UE. Malgré leurs nuances sur le plan intérieur, il n’existe pas réellement de différence entre les négociateurs chypriotes grecs, car leurs mots d’ordre restent les mêmes : État unique, retour des réfugiés, départ des Turcs.

Les négociateurs chypriotes grecs mêlent le cadre bicommunautaire de l’île (politiques et citoyens) au cadre international en faisant systématiquement appel à l’ONU, et au Commonwealth, terrains sur lesquels ils ont des appuis légaux ou amicaux. Mais surtout, même s’il ne s’agit que d’un rôle d’arrière-plan, pas d’accord sur Chypre sans accord entre Grèce et Turquie et pas de règlement gréco-turc sans un accord sur Chypre. Les trois pays se sont eux-mêmes piégés et imbriqués. Sur les six moments de crise paroxystiques entre la Grèce et la Turquie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, trois sont directement liées aux affaires chypriotes, 1955268, 1963 et 1974.

Le second sujet « brûlant » entre les deux pays - les questions relatives à la mer Égée (plateau continental et droit aux ressources de son sous-sol, eaux territoriales,

268 AKGÖNÜL Samin, « Chypre et les minorités gréco-turques : chronique d’une prise d’otages » in Monde Arabe contemporain, Cahiers de recherche contemporains, Recherches en cours sur la question chypriote, n° 9, 2001, sous la direction d’E. Copeaux, p.37-51.

Akgönül Samin, Les Grecs de Turquie : processus d’extinction d’une minorité de l’âge de l’État-nation à l’âge de la mondialisation, Academia Bruylant, 2004.

contrôle de la navigation aérienne)- est sorti des tiroirs en 1973/74 à un moment où par rapport à la question chypriote, la Turquie avait besoin d’un nouvel atout et d’un dérivatif aux yeux de l’opinion internationale. Enfin, le 18 mars 1994, est signé l’accord de défense commune entre la Grèce et la République de Chypre qui met l’île sous la protection automatique de la Grèce, entraînant la création d’une nouvelle base aérienne à Paphos pour accueillir les F16 grecs269.

Ce qui rassure les uns inquiète les autres. Ces mesures côté Sud ne font qu’accentuer la crainte turque, concrètement irréaliste vu le rapport de forces, selon laquelle elle serait entourée d’ennemis grecs dangereux. La Turquie se hâte d’acheminer des F16 à Chypre. Cette crainte turque s’aggrave en 1997 par l’achat par Chypre de missiles sol-air 300 et d’une défense aérienne à la Russie, missiles défensifs selon les uns, menaçants selon les autres. La Russie accepte pour obtenir des devises qui lui manquent, mais aussi dans l’espoir de décourager la création d’installations portuaires pétrolières dans le port turc de Ceyhan, face aux côtes chypriotes. Les réactions violentes de la Turquie et les pressions américaines conduisent finalement la République de Chypre à renoncer. En 2007, il est décidé que Chypre livrera à la Grèce ces missiles russes S300 qui seront installés en Crète, en échange de deux autres systèmes de missiles, TOR M1 et SUZANA.

Les années 1980 et la première moitié des années 1990 sont des années de tension entre Grèce et Turquie. La responsabilité de ces relations conflictuelles est souvent attribuée au Premier ministre du PASOK, Andréas Papandréou, car son arrivée au pouvoir en 1981 s’est accompagnée de déclarations nationalistes

269 Il existe une très large bibliographie sur les relations gréco-turques. Nous avons utilisé ici : AKGÖNÜL Samin, Vers une nouvelle donne dans les relations gréco-turques ?, Dossiers IFEA n°6, Istanbul, 2001,

BERTRAND Gilles, “Greek-Turkish Relations: From Cold War to Rapprochement, in Observatory

of European Foreign Policy,

http://selene.uab.es/_/csiuee/catala/obs/dossier_turquia/tk_analisis/eutr_05_2003bertrand.pdf.25Augu st2005

COSTANTINIDIS Stephanos et CATSIAPIS Jean, « L’UE et la Méditerranée orientale : Chypre, Grèce, Turquie, l’après conseil européen d’Helsinki » in Études Helléniques, 8/2, 2000. L’ensemble du numéro est consacré aux relations gréco-turques.

LAMPRINI Rori, « Crises et conflits dans les relations gréco-turques des années 1971-2000 : l’attitude des socialistes grecs » in Cahiers de la Méditerranée, 71/2005, p.49-61.

http://cdlm.revues.org/941

ÖNIS Ziya, & YILMAZ Şuhnaz, “Greek-Turkish Rapprochement: Rhetoric or Reality ?” in Political Science Quaterly, 123/1, 2008, p. 123-147.

retentissantes. La crise prend un aspect plus que dangereux à deux reprises, en 1987 avec l’affaire du Sismik, un navire de recherches pétrolières envoyé par la Turquie dans les eaux territoriales revendiquées par la Grèce et la Turquie, et en 1996 avec l’affaire des îlots d’Imia près de Kalymnos où, après l’échouage d’un cargo sur une île déserte, un journaliste turc plante son drapeau en enlevant le drapeau grec, tout cela sous l’œil des médias. Dans les deux cas, l’affrontement est évité grâce aux fortes pressions américaines.

En 1987, Turgut Özal et A. Papandréou s’accordent pour ne plus entamer de recherches pétrolières dans la zone contestée. En 1996, le Parlement européen confirme l’appartenance des îlots à la Grèce, mais la Turquie sauve l’honneur en les intégrant dans une zone « grise », zone égéenne dont la propriété ne serait pas clairement définie selon elle270.

Nous devons cependant constater que, depuis le début du XXe siècle, les rapports entre la Grèce et la Turquie ont connu des phases de détente et de crise, et l’on peut remarquer que les « détentes » sont souvent le fait de gouvernements forts qui ont le courage de reconnaître avec réalisme que leur affrontement permanent est mortifère et ruineux (Venizélos-Atatürk par ex.) et qui osent imposer ce rapprochement à une opinion publique hostile, parce qu’élevée depuis longtemps dans la peur et la haine de « l’ennemi héréditaire ».

La phase de rapprochement de la seconde moitié des années 1990 (en 1995 la Grèce n’oppose plus son veto à une union douanière entre l’UE et la Turquie) est attribuée en général à l’influence de Georges Papandréou, fils d’Andréas et d’une Américaine, élevé aux États-Unis et supposé plus éloigné des stéréotypes grecs habituels. En effet, ministre de l'Éducation et des Affaires religieuses en 1988, puis ministre adjoint des Affaires étrangères en 1 993 et à nouveau de l'Éducation en 1994, il fit quelques déclarations retentissantes à propos de la minorité

« musulmane » de Thrace qu’il accepte de dire « turque » contrairement à la grande majorité des politiques grecs et en faveur de son entrée à l’Université, qui l’ont fait classer dans la catégorie des réalistes, conscients d’un accord nécessaire avec le pays voisin.

270 KADRITZKE Niels, « Chypre, otage de l’affrontement entre Athènes et Ankara », Le Monde diplomatique, septembre 1998, https://www.mondediplomatique.fr/1998/09/KADRITZKE/4018

Cette détente n’est cependant pas le fait d’un seul homme. Elle s’appuie sur l’opinion publique comme l’ont montré les manifestations spectaculaires et spontanées d’entraide et de solidarité lors des tremblements de terre de l’été 1999 à Izmit et à Athènes, et surtout sur les hommes d’affaires. En effet, on pouvait déjà compter sur la collaboration grandissante entre industriels et hommes d’affaires, sur les rencontres nombreuses entre écrivains, journalistes et artistes des deux pays ; ce mouvement n’a fait que s’amplifier depuis lors : contacts et voyages entre les associations de descendants des « échangés » de 1 923 qui ont à présent dépassé les récits traumatiques des grands-parents pour redécouvrir leur parenté culturelle, le festival annuel de Dikili où se rencontrent les populations de Dikili et de Lesbos (ici aussi beaucoup de descendants d’échangés), les concerts gréco-turcs de Mikis Theodorakis et Maria Farandouri avec Zülfu Livaneli, de Sezen Aksu et Charis Alexiou, de Sakis Rouvas et Burak Kut (le concert commun le long de la ligne Verte à Chypre auquel se sont opposés les Loups Gris), les échanges entre les universitaires et les étudiants271, une multitude de forums internet, la montée rapide du tourisme entre les deux pays atteste d’un changement dans l’opinion publique et d’un désir nouveau de connaître « l’Autre ». On peut même ajouter à cela le succès commercial en Grèce des livres qui ont un rapport avec le monde ottoman et en Turquie, des musiciens grecs.

Cette détente peut-elle influencer les négociations chypriotes ? Depuis les discussions entre Turgut Özal et Andréas Papandréou à Davos en janvier 1988, les

Cette détente peut-elle influencer les négociations chypriotes ? Depuis les discussions entre Turgut Özal et Andréas Papandréou à Davos en janvier 1988, les