• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : LE CHOIX D’UN RÉGIME MONÉTAIRE

3. Régimes de change de facto des pays du groupe d’Agadir

Durant la dernière décennie, de nombreux pays émergents ont officiellement adopté un régime de change flottant ou se sont rapprochés du flottement parfait (dans le bassin méditerranéen, la Tunisie depuis 1987 et récemment l’Égypte en janvier 2003). En réalité, les économies émergentes craignent le flottement libre du taux de change. Par le biais d’instruments directs et indirects, les autorités monétaires limitent les fluctuations du taux de change. Levy-Yeyati et Sturzenegger (1999) estiment qu’en pratique, 26% des pays appliquent un régime de change de facto différent du régime de jure, officiellement déclaré. Reinhart (2000) soutient que la plupart des pays qui déclarent laisser flotter leurs monnaies font le contraire et que la «peur du flottement» est fortement répondue. À cet effet, le vrai débat ne porte plus sur les deux coins bipolaires, c’est-à-dire l’arbitrage entre le régime de change fixe et le flottement libre, mais plutôt sur le régime de change de facto, officieusement pratiqué par les autorités monétaires. En d’autres termes, le flottement pur et propre existe-il réellement ou est-ce la théorie de la «peur du flottement» de Calvo et Reinhart (2000) qui domine? Les autorités monétaires centrales des pays émergents, ont- elles réellement et totalement aboli les interventions sur le marché des changes ou prétendent-elles adopter le flottement parfait dans le but de se conformer aux recommandations du FMI69?

L’évidence de l’écart entre le régime de change de jure et le régime de change de facto est soutenue par un courant imposant de la littérature {McKinnon (2000), Bailliu et al. (2002) et Reinhart et Rogoff (2004)}. La recherche empirique montre qu’en général, les régimes de change de facto ne se situent pas aux deux coins de la théorie bipolaire, mais sont plutôt des régimes intermédiaires {Eichengreen (1998), Blinder (1999) et Williamson (2001)}70.

69 Le FMI considère que le flottement indépendant est le régime de change optimal (Mundell, 1997). 70

L’identification des régimes de change de facto repose sur l’analyse du comportement du taux de change réel et des réserves de change {Edwards (1989), Elbadawi (1997) et Kamar et Bakardzhieva (2003)}71.

Le tableau 7 expose les régimes de change de facto des quatre pays du groupe d’Agadir. La divergence de ces régimes apparaît clairement.

Tableau 7. Classification des régimes de change de facto du groupe d’Agadir (1990- 2006)

Égypte Jordanie Maroc Tunisie

1990 A B B D 1991 C B B D 1992 C B B D 1993 C B B D 1994 C B B D 1995 C B B D 1996 C A B D 1997 A A B D 1998 A A B D 1999 E A B D 2000 E A B D 2001 C A B D 2002 D A B D 2003 D A B D 2004 E A B D 2005 E A B E 2006 A A B E

Source: Bubula et Otker-Robe (2002), Kamar et Bakardzhieva (2003) et FMI (2004 d, 2005 a et 2006 d).

Notes72 :

 A : rattachement fixe conventionnel à une seule devise.  B : rattachement fixe conventionnel à un panier monétaire.  C : rattachement au sein d’une bande horizontale.

 D : rattachement à parité glissante réajustable.  E : forme de flottement dirigé.

71 Ces deux auteurs utilisent un modèle d’estimation du taux de change réel de la livre égyptienne en tenant

compte des variables associées aux trois coins du triangle incompatible (fluctuations du taux de change réel, indépendance de la politique monétaire et mobilité des flux des capitaux).

72

En 2005, au sein du groupe d’Agadir, les régimes de change de facto de la Tunisie et de l’Égypte correspondent au régime de change intermédiaire le plus proche du flottement pur : une forme de flottement dirigé.

En dépit du classement de la Tunisie et de l’Égypte dans la même catégorie de régime de change de facto «flottement dirigé» en 2005, les parcours suivis par les deux pays sont divergents. Tandis que la BCT a suivi une trajectoire progressive, prudente et échelonnée vers le flottement libre, les autorités monétaires égyptiennes ont alterné d’une manière répétitive entre régime de change fixe et flottant. La Tunisie a pratiqué le rattachement du taux de change à parité glissante réajustable par rapport à un panier monétaire jusqu’à fin 2004. En 2005, le régime de change de flottement géré a été adopté (tableau 7).

Depuis les années 60, la politique de change de l’Égypte s’articule autour d’un régime de change de rattachement fixe ajustable par rapport au dollar américain, d’un système de taux de change multiples et d’une politique de restrictions et de contrôles des changes73. C’est alors en 1991 que les autorités monétaires égyptiennes ont opté pour une simplification du système de change. Avec le lancement du programme de réforme économique, la Banque Centrale d’Égypte (BCE) a annoncé l’abolition définitive du système des taux de change multiples et l’unification des taux de change ainsi que l’adoption d’un régime de change de flottement administré. Toutefois, en pratique, le taux de change a été dévalué entre 1991 et 1992 à 3.342 livres égyptiennes (EGP) pour 1 USD (ce qui correspond à une dépréciation autour de 25% de la livre par rapport au USD), puis la BCE a procédé à un passage du rattachement fixe conventionnel au USD à un rattachement au sein d’une bande horizontale {El-Refaie (2001) et El-Sakka et Ghali (2005)}.

En 1997, il y a un retour au rattachement au USD. Selon la classification officielle du FMI de 1998, ce régime de change était qualifié d’arrangement à rattachement fixe conventionnel. En 1999, le flottement dirigé est adopté, suivi d’un retour au rattachement au sein d’une bande horizontale en 2001. Entre 2002 et 2003, le régime de change

73 Le système de taux de change multiples se base sur trois taux de change. Le premier est celui de la Banque

Centrale. Le deuxième est appliqué par les banques commerciales. Enfin, le troisième est destiné aux opérations de change.

réellement appliqué est le régime intermédiaire de rattachement à parité glissante réajustable. Durant 2004 et 2005, le régime de flottement dirigé est introduit. Enfin, en 2006, un retour de facto au rattachement fixe de la monnaie égyptienne au dollar est noté (FMI, 2006 d).

Les régimes de change de facto pratiqués en Jordanie et au Maroc sont des régimes fixes de rattachement conventionnel du taux de change (FMI, 2004 d, 2005 a et 2006 d). Comme le montre le tableau 7, à la fin de 1995, la Jordanie a abandonné le rattachement du taux de change nominal multilatéral par rapport à un panier monétaire en faveur de l’ancrage unilatéral du taux de change nominal au dollar américain. Au Maroc, les autorités monétaires poursuivent le régime de rattachement du taux de change à un panier monétaire.

Écarts entre les régimes de change de jure et de facto

Kamar (2004) classe les quatre pays du groupe d’Agadir à l’intérieur du triangle d’incompatibilité. Ce classement reflète le choix d’une politique multidimensionnelle intermédiaire de facto.

L’hétérogénéité du groupe d’Agadir est mise en exergue. L’Égypte et la Jordanie se démarquent du groupe par les écarts entre leurs régimes de change de jure et de facto. Ces écarts sont soulignés par les classifications officielles des régimes de change de facto du FMI (2004 d, 2005 a et 2006 d). Alors que les autorités monétaires égyptiennes ont officiellement déclaré l’adoption du flottement libre en janvier 2003, le FMI (2004 d et 2005 a) qualifie le régime de change de facto de l’Égypte de régime de flottement géré sans pré-annonce de trajectoire du taux de change. En 2006, étonnamment, les économistes du FMI (2006 d) estiment un retour radical au régime de change fixe par rapport au dollar en Égypte.

La récession économique de la seconde moitié des années 80 et les pressions sur la balance des paiements ont incité les autorités monétaires jordaniennes à adopter le flottement partiel du taux de change. En Octobre 1989, le passage au régime de flottement géré du taux de change a été officiellement annoncé et le dinar jordanien a subi une dévaluation de 12%. De plus, au début de l’année 1990, le dualisme du taux de change a été définitivement aboli. En Octobre 1995, le rattachement ferme de la monnaie jordanienne au USD a été adopté avec une parité fixe de 1.4104 USD pour 1 JRD. Pourtant, en pratique le régime de change

de facto avant octobre 1995 consiste en un rattachement conventionnel du taux de change nominal à un panier monétaire (tableau 7). Par ailleurs, en se basant sur l’observation des comportements du taux de change nominal par rapport au USD et du taux de change effectif nominal (graphique 3), nous avons précédemment noté qu’implicitement ou explicitement, l’ancrage du taux de change nominal au dollar a toujours été pratiqué bien avant le passage officiel en 1995.

Marouani et al. (2000) affirment l’existence d’un écart entre le régime de change de jure et celui qui est réellement pratiqué en Tunisie. Ils soutiennent que depuis le lancement de l’euro, le régime de change de facto de la Tunisie est un régime de flottement administré avec ancrage implicite à l’euro. Les autorités monétaires ciblent le taux de change effectif réel, élément d’ancrage et de flexibilité. Les auteurs soulignent que ce régime de change est parfaitement soutenable pour la Tunisie. En revanche, dans le cadre du partenariat Euro- Med, la fin des accords multifibres en 2005 et à l’approche de l’échéance de libéralisation par l’instauration définitive d’une zone de libre-échange total avec l’Union Européenne en 2008, le passage au flottement dirigé du dinar par rapport à l’euro dans un régime de zone- cible, c’est-à-dire avec un ancrage explicite ou de jure, exposerait l’économie tunisienne à la compétitivité des pays asiatiques et aux risques de crises de balance des paiements74. C’est le problème du rattachement monétaire entre zones à développement inégal.

74 Dans ce cas, deux solutions peuvent être envisageables : améliorer la productivité et ajuster le taux de

Dans le même ordre d’idées, Moussa (2001) se sert des modèles VAR afin d’étudier les effets des chocs d’offre, de demande réelle et monétaires sur les variables PIB réel, prix et monnaie. Il estime un modèle VAR pour la Tunisie et un autre pour la France. En étudiant les corrélations des chocs affectant ces deux pays, il arrive à la conclusion que ces chocs sont asymétriques. Moussa (2001) déduit alors que la Tunisie et la France ne constituent pas une zone monétaire optimale et qu’il est préférable pour la Tunisie de continuer à opérer avec un régime de taux de change flottant en attendant une intégration plus grande avec l’économie européenne.

L’influence des fluctuations du taux de change nominal sur les variables piliers de la politique monétaire peut être étudiée sous l’angle de la fonction de perte de la politique monétaire. Théoriquement, le but des autorités monétaires consiste à minimiser cette fonction qui combine les déviations de la production de son niveau potentiel et de l’inflation de sa cible75.

Dans ce sens, le taux de change nominal ne peut jouer un rôle dans la conduite de la politique monétaire que si ses mouvements affectent les écarts d’inflation ou de production. Les variations du taux de change nominal influent sur la demande agrégée et le niveau des prix à travers leurs effets sur les coûts des importations, les coûts de production et d’investissement et la compétitivité à l’échelle internationale76.

Notre travail de recherche traite de l’impact des mouvements du taux de change nominal sur les prix dans les pays de l’accord d’Agadir. Préalablement, une analyse descriptive des comportements du taux de change nominal et du niveau des prix s’impose. C’est l’objet de la première section du chapitre suivant.

75 L’écart d’inflation est considéré entre l’inflation observée et l’inflation ciblée dans le cadre de la politique

monétaire. Le gap de production est l’écart entre la production effective et la production potentielle.

76

Rappelons que la demande agrégée est spécifiée par l’équilibre sur le marché des biens et services. Cet équilibre est donné par l’équation suivante : Yt = Ct + It + Gt + (Xt – Mt). Yt correspond aux dépenses domestiques réelles totales. Les variables Ct, It, Gt, Xt et Mt représentent respectivement : la consommation réelle, l’investissement réel, les dépenses réelles du gouvernement (variable exogène), les exportations réelles et les importations réelles.

CHAPITRE II : MONNAIE, TAUX DE CHANGE ET INFLATION DANS LES PAYS DU