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CHAPITRE I : LE CHOIX D’UN RÉGIME MONÉTAIRE

2. Politiques monétaires des pays de l’accord d’Agadir

2.3. Description des politiques monétaires des pays du groupe d’Agadir

2.3.2. Politique monétaire en Jordanie

La politique monétaire en Jordanie a été marquée par deux phases. Une politique monétaire basée sur l’interventionnisme et l’encadrement de l’État régnait jusqu’à 1989. À la suite de la crise de la balance des paiements de 1989, qui s’est soldée par une dévaluation du dinar jordanien de prés de 50% et par une chute des réserves de change à quelques semaines d’importations, avec l’assistance du FMI, le premier programme d’ajustement structurel fut lancé.

En se référant à la loi de 1971, les objectifs de la Banque Centrale de Jordanie (BCJ) se résument à : maintenir la stabilité monétaire, assurer la convertibilité du dinar jordanien et soutenir la croissance économique en accord avec la politique économique générale du gouvernement.

L’agrégat monétaire M2 a représenté l’ancrage intermédiaire de la politique monétaire jusqu’en octobre 1995. Cette politique d’ancrage était menée conjointement avec le rattachement du taux de change par rapport à un panier monétaire. La base monétaire était utilisée en tant que cible opérationnelle de la politique monétaire. Cette politique a été conduite avec succès jusqu’à la fin de 1995. Toutefois, à cette période, la volatilité du multiplicateur de la base monétaire s’est considérablement accrue. La situation s’est soldée par des erreurs de prévisions significatives de la base monétaire estimée.

Par ailleurs, l’ancrage de l’agrégat monétaire était devenu insoutenable en raison de la forte élasticité de substitution entre la monnaie domestique jordanienne et la monnaie étrangère39 (Bhattacharya, 2003), le dinar jordanien étant totalement convertible. D’une part, le contrôle de la composante en devises étrangères de l’agrégat monétaire au sens large par les autorités monétaires est difficile. D’autre part, une substitution de devises élevée engendre une volatilité importante du taux de change nominal. Ces arguments ont plaidé en faveur du régime monétaire d’ancrage intermédiaire du taux de change nominal en Jordanie.

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La matrice des corrélations montre que l’agrégat monétaire M2 est fortement et positivement corrélé avec l’indice des prix à la consommation (annexe 4). L’éventualité d’une relation entre l’agrégat M2 et les prix peut être soutenue sur la période allant de 1997 à 2006 (graphique 6). Concernant la période antécédente, une rupture de la relation monétariste entre l’offre de monnaie et les prix est notée. En dépit de la forte volatilité de l’agrégat monétaire M2, les mouvements des prix ne suivent pas. De plus, le pic inflationniste de 1989 n’est pas précédé par un accroissement de même ampleur de M2. Par ailleurs, l’existence d’une relation monétariste en Jordanie n’est pas confirmée par le test de Granger. Au sens de Granger, les prix causent M2 et non le contraire (voir annexe 6)40.

Graphique 6

-.1

.0

.1

.2

.3

.4

86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06

DM2AJOR DCPIAJOR

Relation entre l'offre de monnaie et les prix en Jordanie (variation annuelle)

40 Rappelons qu’au sens de Granger, une variable Y cause une variable X, si la prédictibilité de X est

En octobre 1995, la Banque Centrale de Jordanie (BCJ) a pris des mesures radicales en optant pour une nouvelle politique monétaire. La politique d’ancrage du taux de change par rapport au dollar américain à une parité fixe de 0.709 JRD pour 1 USD a été adoptée. Le nouvel objectif final ultime de stabilité monétaire de la BCJ possède deux volets : maîtriser l’inflation et préserver la parité d’ancrage du taux de change par rapport au dollar tout en maintenant les réserves de change à un niveau adéquat.

La nouvelle politique monétaire de la BCJ est officiellement axée sur la maîtrise de l’inflation. Néanmoins, en pratique, son objectif majeur est probablement le maintien de l’ancrage du dinar jordanien au dollar américain. L’objectif de la stabilité de la parité du rattachement fixe au dollar revêt une importance particulière pour les autorités monétaires jordaniennes, spécialement après l’épisode de la dépréciation profonde du dinar engendrée par la crise de la balance des paiements.

Désormais, la cible intermédiaire est le rattachement du taux de change nominal unilatéral par rapport au USD. L’ancrage du taux de change nominal est soutenu par les réserves de change. Ces réserves sont relativement importantes (maintenues autour de 9 mois d’importations)41. Cependant, compte tenu de l’écart d’inflation entre la Jordanie et les États-Unis, l’adoption du régime de change d’ancrage du dinar jordanien par rapport au USD a engendré une appréciation du dinar jordanien en termes réels et une perte de compétitivité de la Jordanie relativement aux autres pays du Moyen-Orient (FEMISE, 2005 b). En 2006, en dépit d’une modeste appréciation du dinar en termes effectifs réels, la Jordanie a amélioré sa compétitivité et ses parts de marché42. Les économistes du FMI

(2007 c) soulignent que le dinar jordanien ne présente pas de mésalignement et que le rattachement du taux de change à titre d’ancrage nominal continue à être favorable à l’économie jordanienne.

41 Toutefois, une chute des réserves de change à 5 mois d’importations a été constatée en 2006 (FMI, 2007 c). 42 La part de marché de la Jordanie dans les importations américaines est passée de 0.07% en 2000 à 1.36% en

2006 avec une croissance de 15% en 2006 (FMI, 2007 c). Cette hausse est notamment liée à l’accord de libre- échange avec les États-Unis.

Dans le cadre de la nouvelle politique monétaire d’ancrage du taux de change par rapport au USD, adoptée à la fin de 1995, la cible opérationnelle désignée est le taux d’intérêt à court terme, plus précisément, le taux des certificats de dépôts (CD) à 3 mois. Dans ce contexte, la BCJ a volontairement maintenu un écart entre les taux d’intérêt domestiques et américains. En 2006, cet écart s’est stabilisé dans un intervalle de 11/2-2 en pourcentage.

Les économistes du FMI (2007 a) soulignent que le maintien du «spread» par rapport aux taux d’intérêt américains a renforcé la confiance dans le dinar jordanien. En dépit de sa convertibilité totale, le ratio de dollarisation s’est stabilisé autour de 27% des dépôts en 2006.

Dans le but d’orienter la demande du dinar jordanien relativement au USD, la BCJ influence les taux d’intérêt créditeurs et débiteurs des banques via le ciblage du taux d’intérêt à court terme. Cette ligne d’action lui permet de veiller fermement au maintien de la parité de l’ancrage du JRD par rapport au USD. Par conséquent, sachant que la BCJ n’intervient pas directement sur le marché des changes, le succès de la conduite de la politique monétaire en Jordanie repose sur la capacité de transmission de la cible opérationnelle de la BCJ (CD à 3 mois) aux taux d’intérêt des banques (Poddar et al., 2006)43.

Paradoxalement, Neaime (2007) souligne que la politique monétaire de la Jordanie est inefficiente en raison de l’ancrage du taux de change fixe JRD/USD. Ainsi, l’auteur remarque que le taux d’intérêt à court terme ne répond pas à un éventuel choc de change. La facilité de dépôt de 24 h a été introduite en mars 1998. Cet instrument permet à la BCJ de gérer les liquidités sur une base quotidienne. Il représente également la borne inférieure du taux interbancaire. Son taux est ajusté en fonction des taux américains depuis 2000. Les réserves de change jouent le rôle d’instrument d’absorption des effets des chocs. En 2003, les réserves de change ont atteint un niveau record permettant ainsi de prémunir

43 Vérifiant la relation de contrôlabilité exercée par le taux des CD à 3mois sur les taux créditeurs et débiteurs

des banques, par une simple régression, Poddar et al. (2006) trouvent que les taux des dépôts répondent plus sensiblement aux variations du taux des CD à 3 mois que les taux emprunteurs.

l’économie contre les effets des chocs. Par ailleurs, dans le but d’alléger les pressions sur la monnaie jordanienne, les autorités monétaires ont recours aux ajustements par les taux d’intérêt. En dépit de l’appréciation du dollar entre 2002 et 2003, l’économie jordanienne a réussi à préserver sa compétitivité en partie grâce à la flexibilité du marché de l’emploi44. De nombreux travaux {Choudhri et al. (2002), Borensztein et De Gregorio (1999), Leiderman et al. (2006), Edwards (2006) et Boughrara (2007)} mettent l’accent sur le pouvoir de transmission des variations du taux de change nominal aux prix, notamment dans les économies émergentes et largement ouvertes45. Sous la condition de contrôlabilité du taux de change nominal par l’instrument opérationnel de la politique monétaire, la forte sensibilité des prix aux fluctuations du taux de change nominal constitue un lien important dans le processus de transmission de la politique monétaire. En d’autres termes, lorsque le taux de change nominal permet de véhiculer l’orientation désirée de la politique monétaire aux prix, évaluer le pouvoir de transmission du taux de change nominal aux prix revient à étudier le processus de transmission de la politique monétaire allant de la manipulation des instruments opérationnels, passant par le canal de transmission «taux de change nominal» et influençant les prix.

Dans ce qui suit, une analyse descriptive de la relation de contrôlabilité et de causalité du taux de change nominal par les instruments opérationnels de la politique monétaire en Jordanie est présentée46.

44 Notamment à travers l’émigration.

45 Borensztein et De Gregorio (1999) arrivent à la conclusion que le degré de transmission du taux de change

nominal aux prix est significativement plus faible dans les pays développés que dans les économies émergentes. Ils trouvent que dans ces dernières, une dévaluation nominale est transmise à l’inflation à raison de 30% au bout d’un an et de 60% au bout de deux ans.

46 Le mécanisme de transmission de la politique monétaire via le canal taux de change nominal n’a pas été

Mécanisme de transmission de la politique monétaire en Jordanie

Petite économie ouverte, largement exposée aux chocs, la Jordanie affronte des défis majeurs dans la conduite de sa politique monétaire. L’identification du processus de transmission de la politique monétaire ainsi que des différents canaux de transmission est essentiel pour cette conduite.

Paradoxalement, Poddar et al. (2006) concluent que les mouvements de la cible opérationnelle (taux des CD à 3 mois) n’arrivent pas à influencer la production réelle. Neaime (2007) affirme que le taux de change nominal et le taux d’intérêt à court terme ne représentent pas des canaux de transmission de la politique monétaire.

Le taux de change effectif nominal fluctue en Jordanie. De plus, la Jordanie est une économie complètement ouverte (son ration d’ouverture est de 112% en 2006, tableau 2). D’où, il est intéressant d’étudier la capacité du taux de change nominal à transmettre la politique monétaire. Afin de jouer le rôle de canal de transmission, le taux de change nominal doit être contrôlable par les instruments opérationnels de la politique monétaire. La corrélation du taux de change nominal avec le taux d’intérêt de court terme est négative et faible. Elle est négative et élevée avec la base monétaire (annexe 4). Ces relations sont corroborées par les graphiques 7 et 8.

La base monétaire et le taux de change nominal fluctuent dans le sens inverse. Toutefois, la base monétaire ne semble pas en mesure de largement influencer le canal taux de change nominal. Les fortes variations ponctuelles de la base monétaire n’entraînent pas de mouvements importants du taux de change nominal. De plus, selon le test de causalité de Granger, la base monétaire ne cause pas le taux de change effectif nominal (annexe 6). Par conséquent, en Jordanie, le lien entre la base monétaire et le taux de change nominal ne forme pas le premier brin du processus de transmission de la politique monétaire.

Graphique 7

-.8

-.6

-.4

-.2

.0

.2

.4

.6

86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06

DBASEAJOR DNEERAJOR

Variation annuelle de la base monétaire et du taux de change effectif nominal en Jordanie

En dépit des mouvements du TMM, libéralisés à la fin des années 90, la faible volatilité du taux de change effectif nominal montre l’absence d’une relation de contrôle ou de causalité possible entre les deux variables. Au sens de Granger, il n’existe aucune relation de causalité entre les deux variables (annexe 6).

Graphique 8

-.8

-.6

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-.2

.0

.2

-3

-2

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0

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2

3

86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06

DTMMAJOR DNEERAJOR

Variation annuelle du TMM et du taux de change effectif nominal en Jordanie

En résumé, l’éventualité d’une relation de contrôlabilité du taux de change nominal par la base monétaire ou par le TMM en Jordanie n’est pas mise en évidence. D’où, le taux de change nominal ne constitue pas un canal performant de transmission de la politique monétaire.