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LA MARQUE DE LUXE : « UN RÉGIME DE TENSIONS » (HEILBRUNN, 2001) Le consommateur contemporain a un rapport ambivalent à la consommation, il recherche à la

La Régulation Identitaire

3. LA MARQUE DE LUXE : « UN RÉGIME DE TENSIONS » (HEILBRUNN, 2001) Le consommateur contemporain a un rapport ambivalent à la consommation, il recherche à la

Dans son acception industrielle, la marque de luxe est donc fondée sur un « principe de symbolisation » permettant de découpler l’objet concret et son symbole (Godart, 2012 :145). La rhétorique devient donc l’élément constitutif de la valeur du luxe industriel – non sans que cela soit problématique car si qu’advient-il lorsque « la marque devient la marque de la chose elle-même (…) la démultiplication d’un signe factice », un « signe vide » (Assouly, 2011, p.316) ? Si certains chercheurs interrogent ce fait de façon très directe (Assouly, 2011 ; Heilbrunn, 2012 ; Remaury, 2012 ; Talon, 2012), ils n’abordent la question que selon la perspective du consommateur.

Que signifie travailler dans le luxe s’il s’agit de produire des « signes factices » ?

Et qu’advient-il de l’identité des managers, si cette même marque – signe vide, signe factice - leur est proposée comme matériau identitaire à travers les discours d’internal branding ? Notre travail cherchera à éclairer cette question.

3. LA MARQUE DE LUXE : « UN RÉGIME DE TENSIONS » (HEILBRUNN, 2001) Le consommateur contemporain a un rapport ambivalent à la consommation, il recherche à la fois l’excitation expérientielle, demandant à être surpris et à consommer sans cesse de nouveaux produits – et, dans le même temps, naturellement averse au risque, il cherche une forme de stabilité émotionnelle, procurée via des expériences positives reproductibles. Les marques sont prises entre ce double désir ambivalent de mêmeté et de nouveauté, entre son devoir d’assurer la reconnaissance et la nécessité de stimuler le désir du client. La marque de luxe pour exister doit remettre en question le postulat marketing d’une hypercohérence de la marque, en faisant « vivre ses codes en les mettant en permanence sous tension » (Heilbrun, 2011, p.439). La marque de luxe est constituée par « plusieurs régimes de tensions » qui font sa richesse et sa spécificité. Heilbrunn (2011, p.441-442) décrit ainsi le régime de visibilité (être visible et à la fois discrète) et le régime d’accessibilité (créer la fiction de l’accessibilité d’un produit qui aura été magnifié en amont). Nous proposons d’y adjoindre le régime de temporalité (être de son temps / être hors du temps, contemporain / patrimonial) et le régime de créativité (créer, innover / copier, reproduire, s’inspirer, recombiner).

Nous proposons en Figure 13 de synthétiser le long de 7 axes les tensions qui traversent le luxe contemporain et qui ont émergé de notre revue de littérature problématisée.

Figure 13 - 7 axes pour penser les tensions du luxe contemporain, émergeant de la revue de littérature

Ce régime de tension peut être vu comme une opportunité pour les managers. Ainsi, au contraire des cadres précontraints des marques de grande consommation, la marque de luxe peut être conceptualisé comme un espace de liberté (pour le consommateur mais aussi pour le manager) au sein de concepts paradoxaux à articuler : « une certaine idée de l’illimité qui donne justement sens à notre limite » (Heilbrunn, 2011, p.442) - un espace de liberté dans lequel construire son identité. Mais cette articulation de forces paradoxales, ce « régime de tension » (Heilbrunn, 2011, p.441) fait régner un équilibre dont l’instabilité constitue certes la richesse, mais aussi la faiblesse : force est de constater en effet que le dispositif esthétique et rhétorique des marques de luxe « se voit en permanence remis en question par la démultiplication sans cesse grandissante de ses produits » (Assouly, 2011, p.315), qui instaure une rupture entre la dimension strictement matérielle de la marque et sa dimension discursive» (Heilbrunn, 2012, p.58).

La marque de luxe, régime de tensions dont les interstices ouvrent un espace de liberté, et façonnent un matériau identitaire potentiellement fécond ou espace d’instabilité menaçant la stabilité de la construction identitaire ? C’est à cette question que le présent travail tentera de répondre.

Encadré empirique: Illustration des tensions du luxe contemporain

Afin d’illustrer très concrétement certaines des tensions du luxe contemporain tel que synthétisées dans la Fig.12, nous présentons ci-après une sélection de visuels.

Cette présentation visuelle a une valeur purement illustrative et ne prétend à aucune valeur scientifique. Il nous semblait toutefois intéressant d’incarner très concrétement certains des faits décrits dans la revue de littérature et d’illustrer également la dimension fortement visuelle des marques de luxe.

Tension Créer / Reproduire

Illustration 8 _ Exemples de publicités récentes dans l'Horlogerie

Illustration 9 _ Standardisation des modes d’expression du luxe : l'exemple de Kate Moss

Tension Ostentation / Distinction

Illustration 10_ Publicité Louis Vuitton 2017 / Pub dédiée au marché chinois, 2015

Tension Masstige / Rareté

Illustration 11-Exemples de collaborations entre Designers du luxe et marques du "Fast Fashion"

4. REPENSER LE LUXE : EXPÉRIENTIEL, SUBJECTIVÉ ET SUBJECTIVANT

Si comme présenté précédemment, le rapport du luxe au réel est désormais d’ordre métaphorique, alors in fine, tout objet se réclamant du luxe serait susceptible d’être labellisé comme tel. Ainsi, en lien avec l’émergence d’une « économie de l’expérience » (Pine, Gilmore, 1999) - selon laquelle il ne s’agit plus de vendre des biens répondant à des besoins mais plutôt procurant du plaisir – et du ‘marketing expérientiel’, une approche expérientielle du luxe se développe, participant d’une conception constructiviste, selon laquelle tout produit ou marque aurait capacité à devenir un produit ou une marque de luxe, selon que le consommateur la perçoit comme telle (Atwal et Williams, 2009 ; Bauer, et al., 2011 ; Michaud, 2013). Vigneron et Johnson (2004) ont ainsi construit un modèle pour mesurer la dimension de « luxe perçu » des marques (ou « brand luxury index »).

Figure 14 _ Modèle d'analyse du luxe perçu des marques (traduit librement de Vigneron et Johnson, 2004)

La littérature du « marketing de l’expérience » a d’ailleurs souvent recours à des exemples issus du luxe, et « même les illustrations prises dans d’autres domaines font appel à ce que l’on pourrait appeler la ‘luxurisation’ » (Michaud, 2013, p.85-86). Les consultants du BCG35 s’en mêlent proposant le label « new luxury » recouvrant des « produits ou services possédant de plus hautes qualités, goûts et aspiration que d’autres produits dans leur catégorie, tout en n’étant pas si chers qu’ils en seraient hors de portée. Ils sont vendus à des prix beaucoup plus élevés que les produits conventionnels et dans des volumes bien supérieurs aux traditionnels produits de luxe – et, en conséquence, ils se sont développés dans une territoire jusque là inexploré ». Ils sont qualifiés de « produits aspirationnels » pour les classes moyennes qui mettraient en œuvre des stratégies de