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Design de la recherche, collecte et analyse des données

1. DESIGN DE LA RECHERCHE

2.1. Panorama de l’industrie du luxe 39

Maintenant que ces considérations méthodologiques et épistémologiques ont été faites, nous pouvons désormais présenter plus spécifiquement notre objet de recherche, l’industrie du luxe. 2. PRESENTATION DE L’INDUSTRIE DU LUXE

Présentons maintenant un panorama de l’industrie du luxe, les grands changements qui l’ont affectée ces 20 dernières années, ses acteurs clefs, ses clients et les futurs défis auxquelles elle va devoir faire face.

2.1. Panorama de l’industrie du luxe 39

2.1.1. Un chiffre d’affaires multiplié par 3 en 20 ans

Ce n’est pas sans raison que depuis 20 ans, l’industrie du luxe est citée en exemple pour ses excellents résultats financiers. Elle a de nombreuses années affiché des taux de croissance insolents. A titre d’exemple, le chiffres d’affaires du secteur des Biens d’équipement de la personne a plus que triplé en 30 ans, passant de €Mio77 en 1995 à €Mio253 en 2015.

Image 5 - Evolution du chiffre d'affaires du segment Biens d'équipement à la personne (Mio. Euros), Source : Bain

En 2015, l’industrie du luxe a réalisé – tous secteurs confondus - un chiffre d’affaires global de €Mio.1'044, affichant une croissance en valeur, à taux de change constants, de 5%. Cette croissance est tirée par les voitures et l’hôtellerie de luxe ainsi que les beaux arts, qui sont les seuls segments à enregistrer une hausse de leurs ventes en valeur supérieure à 5%.

Les fluctuations de change (dépréciation de l’euro vis-à-vis des autres monnaies) ont impacté négativement le segment des biens d’’équipement de la personne, qui affichent une croissance 50 100 150 200 250 1995 2015 253 224 218 153 170 75 159 2014 2013 2009 2007 2006 Crise des subprimes Troubles à la Bourse chinoise 11 septembre

quasi nulle. Cette catégorie constitue le secteur sur lequel portera notre recherche. Nous expliquerons les raisons de ce choix plus loin (chapitre 3, paragraphe 3.1.4. «choix de la focale en terme de secteur »).

2.1.2. Une industrie concentréeen de puissants conglomérats.

En 2012, les 10 premières marques de luxe représentaient 55% du chiffre d’affaires des 75 plus grandes marques du secteur40.

Rang Entreprise Chiffre d’affaires 2012

(US$Mio.)

1 LVMH 21,060

2 Compagnie Financière Richemont 12,391

3 The Estée Lauder Companies Inc. 10,182

4 Luxottica Group S.A. 9,113

5 The Sawtch Group Ltd. 8,319

6 Kering SA 7,990

7 L’Oréal Luxe 7,161

8 Ralph Lauren Corp. 6,945

9 Shisheido Company 5,522

10 Rolex SA 5,122

Tableau 2- Chiffres d'affaires (2012) des 10 leaders du marché du luxe (Deloitte)

2.1.3.Un nombre de clients en croissance, avec un profil résolument différent d’il y a 20 ans

Au global, en 2013, le nombre de clients du luxe était estimé à 330 millions de personnes - contre 90 millions en 1995. En 20 ans, le profil des clients du luxe a drastiquement changé, comme le montre l’image 3.

40 Deloitte, 2014

Image 6 _ Evolution du profil et du nombre (en millions) des clients du luxe entre 1995 et 2013 dans le monde

En outre, la clientèle des pays émergents représentait en 2013, 130 millions de clients, soit 40% de la clientèle globale du luxe, entrainant une mutation profonde des pratiques marketing et de communication des marques de luxe : on ne saurait s’adresser de la même manière à la ‘vieille’ clientèle européenne du luxe, dont le niveau de décryptage des produits, savoir-faire, matière, histoires de marques est sans comparaison avec celle des marchés émergents. Les experts ont noté toutefois la rapidité (soutenue par les moyens d’internet) avec laquelle la clientèle émergente la plus récente (les Chinois) a su s’acculturer aux codes du luxe.

2.1.4. Portrait-robot des clients du luxe

Le cabinet Bain& Co. (2013) a défini 7 grandes catégories de clients du luxe. A travers ces diverses populations, 41% sont qualifiés de « promoteurs » (qui recommanderaient une marque de luxe à un ami), 34% sont neutres et 25% sont des détracteurs ( Annexe 3).

Les clients du luxe sont relativement âgés : 44% sont des baby boomers ayant entre 49 et 67 ans, 7% ont plus de 68 ans). Les 34-48 ans représentent 36% du marché et la génération Y (13-33 ans) uniquement 13%. Ces chiffres constituent un défi pour les marques de luxe qui peinent à recruter dans les jeunes générations. Le récent réveil du luxe pour le digital et les ventes en ligne sera peut-être susceptible de séduire cette génération qui place le ‘online’ comme second canal préféré d’achat et pour qui le fait de toucher un produit de luxe ne constitue pas un critère est moins important que celui d’avoir une expérience en ligne positive (Bain & Co, 2013).

En résume : le marché du luxe reste dominé par la clientèle occidentale mais les chinois représentent la 1° nationalité en absolue des acheteurs du luxe. Les clients des marchés matures sont de plus en plus exigeants et détachés (Bain, 2015) et le défi pour les marques de luxe est de parvenir à ne plus aborder le marché avec une approche standard mais de parvenir à mettre en œuvre des démarches de micro-segmentation.

2.1.5. Evolution du modèle de distribution et de ses conséquences  D’un réseau de distributeurs externes à une distribution intégrée…

Jusqu’au années 1990, la distribution du luxe est dominée par le réseau de revendeurs agréés (wholesale). Dans les années 90, le secteur du Parfums se tourne vers la distribution sélective, suivi dans les années 2000 par le reste de l’industrie du luxe. La raison première est la volonté qu’ont les marques d’assainir le réseau, le traitement des marques fait par les revendeurs wholesale n’étant pas satisfaisant (pratique de ristournes, merchandising défaillant, équipes de ventes pas toujours qualifiées). Cette étape de la distribution sélective prépare le terrain pour un basculement vers un réseau de distribution intégré ou « boutique en propre » (retail). Ainsi, en 2000, les marques soutenues par un marketing puissant et ce réseau mixte sélectif/wholesale, deviennent plus puissantes, prenant le pas sur le réseau de distribution (on ne va plus chez le revendeur X en province en attendant qu’il nous recommande une marque de son choix, on va désormais directement rechercher la marque là où elle est) : c’est le début de l’ouverture des « boutique en propre ». Ce type de distribution présente de nombreux avantages : meilleure maitrise du message de marque, intégration de la totalité de la marge, contrôle des prix – mais présente la limite non négligeable de comporter des coûts fixes très élevés. Aujourd’hui, l’activité Mode & Maroquinerie de LVMH compte 1.566 boutiques en propre à travers le monde et son activité Montres & Joaillerie 395 magasins, Kering en compte 1.264 sur sa division Luxe et Richemont 1.740 boutiques, dont 1.014 en propre (le reste en franchise). Au global en 2015, le wholesale représente toujours 66% des boutiques mais le retail progresse – et sur les conglomérats qui font l’objet de notre études, aux marques très fortes, le retail domine désormais.  … qui pousse à l’extension des marques et des portefeuilles produits

Afin d’amortir les coûts fixes élevés de ce nouveau réseau de distribution mais aussi les importants coûts de marketing et communication, les marques se lancent dans une politique d’extension de leur portefeuille produits. Les marques nées dans la joaillerie se mettent à explorer plus intensément les parfums, les accessoires, alors que les marques de mode se lancent dans la joaillerie et l’horlogerie. C’est également l’avènement des « lignes bis », proposant l’univers du Créateur à des prix plus abordables et qui permettent d’amortir les coûts de marketing et communication ainsi que ceux liés à l’outil de production.

2.1.6. Concentration de l’industrie

Dans le même temps, c’est le début d’un vaste mouvement d’intégration. Si en 1996, sur les 75 Maisons du Comité Colbert, 35 étaient encore familiales, en 2009 moins d’une quinzaine avaient conservé la totalité de leur capital (Roux, 2009) : « le luxe a aujourd’hui la structure d’une

véritable industrie concentrée, où se côtoient, d’une part, de puissants groupes financiers aux ressources importantes, et d’autre part, des petites entreprises dont les capitaux demeurent encore

familiaux. » (Roux, 2009)

Quelques exemples de ce mercato du luxe : en 1999, PPR achète Gucci Group, LVMH crée son pôle Montres & Horlogerie et achète Tag Heuer et Hermès prend des participations dans Jean-Paul Gaultier. En 2000, PPR achète Boucheron et en 2001, Dior lance « Dior Joaillerie », puis relance en 2011 « Monsieur Dior » sous la direction d’Hedi Slimane et un nouveau nom : « Dior Homme ». 2011, c’est aussi l’année où Vuitton lance sa première collection de Joaillerie, en 2012, Swatch Group achète Harry Winston, et en 2014 Tod’s lance sa collection de prêt à porter masculin et Hermès sa première montre, etc… La liste n’est pas exhaustive, mais elle montre l’emprise que les conglomérats ont pris en 20 ans sur l’industrie du luxe.

Avec cette évolution de la culture des entreprises du luxe, de Maisons familiales vers des conglomérats côtés en Bourse, ce sont aussi les profils des managers qui évoluent. Ainsi, la nomination de Domenico de Sole, ancien cadre de la grande distribution à la tête de Gucci en 1999 a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans l’industrie, peu (pas ?) habituée à l’intégration de profils externes à l’industrie à des positions de management élevées. Un récent article s’est penché sur les effets des conglomérats sur l’industrie du luxe, sous l’angle de ses talents, nous y consacrons l’encadré ci-dessous.

Encadré : la concentration du luxe en conglomérats selon l’angle de la gestion des Talents (d’après Luxury talent factories, Shipilov & Godart, 2015)

Se fondant sur l’étude des performances de 350 maisons de mode entre 2000 et 2010, les chercheurs défient « l’orthodoxie managériale ». Alors que la diversification ne génère habituellement pas d’économies d’échelles ni de synergies opérationnelles, ils concluent à l’impact positif qu’aurait, pour une marque de luxe, le fait d’appartenir à un conglomérat (plutôt que d’être une marque indépendante). Ils labellisent ainsi les conglomérats de « fabrique à talents » (« Talent Factory ») favorisant :

>une plus grande créativité et innovation : diffusion de “meilleures pratiques” via le système des mobilités entre secteurs ou marques, plus grande créativité des stylistes été exposés à une expérience internationale, meilleure compréhension du client final.

>une meilleure capacité à attirer et retenir les talents : il existe un véritable effet de levier lié à la dimensio ‘Groupe’ qui leur permet de repérer, attirer et retenir les meilleurs éléments.

En regard des arguments de Shilipov et Godart (2015), des voix s’élèvent au sein de l’industrie pour dessiner les limites de l’évolution des entreprises du luxe d’une réalité familiale à une réalité de conglomérats. Ainsi, Alber Elbaz (2013), ex-Directeur Artistique de Lanvin décrivait, non sans humour, comment le fait d’évoluer dans des conglomérats peut susciter une aversion au risque et une moindre innovation.

« La mode a toujours été une affaire de famille, c’était la nature de la mode, quand vous êtes

avec votre famille, même si vous n’avez pas des jambes magnifiques, vous pouvez toujours porter un bikini, et ca vous donne la possibilité de faire des choses, d’expérimenter, et ces experimentations ont été le moteur de l’innovation. C’est comme cela que la mode est apparue

et c’est comme cela qu’elle a eu du succès, parce que vous preniez un risque. Je veux pouvoir à nouveau prendre ce risque (…) Il faut ramener un peu d’intuition à la mode (…) Vous ne pouvez pas toujours recevoir, pour recevoir il faut donner – you get and you give, you give and you get, this is the essence of life, it has to go both ways, you cannot only give and you cannot only get... ». D’aucuns y verront un message à peine voilé à l’endroit des conglomérats…

De son côté, Li Edelkroot (2015), papesse des tendances de l’industrie du luxe, n’hésite pas à être plus frontale dans sa critique , ayant rédigé un manifeste, véritable brûlot, intitulé «Anti Fashion : a manifesto for the next decade » : "Le problème, c’est la dépendance des capitaux et

l’aversion au risque. Les investisseurs exigent un retour sur investissement régulier, et la créativité est sacrifiée. Nous sommes au point où les collections n’ont plus de substance et se

ressemblent toutes."

2.2. Les défis à venir

Après des années d’expansion, le luxe est depuis 2008 entré dans une période de ralentissement de sa croissance (Image 12). « Les années florissantes, pendant lesquelles tous affichaient une croissance des ventes de 10% à 20% par an sans grand effort, sont bel et bien révolues.

Aujourd’hui, réussir à réaliser plus de 5 % relève de l’exploit. » (Vulser, Le Monde, 2016a). Les trois grands marchés (USA, Asie, Europe) sont touchés, empéchant toute compensation entre zones. Pour E.Rambourg, en charge du luxe chez HSBC, « le secteur du luxe va mal » et il n’est plus possible d’invoquer les effets de la loi anti-corruption chinoise pour justifier les mauvais résultats; débutée en 2012 ses effets ne se font plus sentir après mi-2015. Il est donc urgent pour

le secteur du luxe de « se réinventer » (Vulser, 2016c, Le Monde). Signe de cette pression au changement, « l’industrie du luxe fait valser les patrons » (Vulser, 2016a), de nombreux chagements de hauts dirigeants ayant été effectués en moins d’un an (depuis 2015) à la tête de marques majeures : Cartier, Omega, Hugo Boss, Ralph Lauren, Versace, Gucci, Bottega Veneta, Ferragamo.

Image 7 _ Evolution du marché du luxe de 1995 à 2013 (d'après Bain & Co., 2013)

 Une dangereuse dépendance aux émergents

L’industrie est aujourd’hui fortement dépendante de la clientèle – peu fidèle - issue des marchés émergents et n’a pas sur entretenir sa clientèle domestique dans le pays développés.

En outre, les grandes marques de luxe s’inquiètent du creusement des inégalités qui fragilisent l’industrie (Abnett, 2016). Ainsi, Le Monde s’est fait l’écho des propos récents d’un analyste: « je crains que les produits de luxe ne soient pas tendance pour toute une génération de très fortunés. Les jeunes assimileront les produits de luxe à l’inégalité croissante des revenus – à leurs yeux, un mal social et le principal enjeu pour leur génération. Hermès sera comparé à Shell, non parce que ses produits sonttoxiques mais parce que ses clients sont les bénéficiaires de cette inégalité de revenus exacerbée » (N.Mousavizadeh, cité par Abnett, 2016). Même Johann Rupert, président du Groupe Richemont a prévenu : « si 0.1% des des 0.1% les plusriches raflent tout, même si ce sont nos clients, c’est injuste et ce n’est pas tenable dans la durée. Ils seront des cibles. Ils seront haïs, méprisés. Ils ne voudront plus faire étalage de leur argent ». Les enjeux de la question de la dépendance à la clientèle des émergents dépassent donc largement la seule dimension marketing.

 Un marché qui devient plus complexe et impose d’apprendre à se réinventer

D’une part, les acteurs du luxe opérant à l’échelle mondiale doivent faire face à la complexité grandissante du corpus réglementaire, du système politique et des réseaux de distribution de chacun de leurs marchés. Ils auront donc besoin de développer et maintenir les connaissances nécessaires pour faire face à cette complexité.

D’autre part et plus fondamentalement, c’est le contexte macro-économique global, le contexte géopolitique instable, la menace terroriste qui posent un véritable défi aux marques de luxe qui

sont « rattrapées par la réalité ». « Mais, au-delà de ces points conjoncturels, le mal semble plus profond. Le « modèle est dépassé », affirme M. Carreira professeur à Science Po], en raison

d’un manque de remise en question de ces maisons. Habituées à des croissances générées facilement (en ouvrant de nouveaux magasins), elles peinent à affronter des incertitudes fortes. » (Vulser, Le Monde, 2016).

 Un secteur engorgé dans lequel il est difficile d’être audible

Le nombre de marques comme de lancements produits a explosé ces dernières années, les perspectives positives d’un marché tiré par une clientèle émergente peu apte (jusqu’à récemment) à décrypter les produits ayant fait miroiter à beaucoup des perspectives de profits rapides et aisés. Le ralentissement de la croissance du secteur pousse à une clarification du paysage, des marques disparaissant et les acteurs clefs du secteur réduisant leur portefeuille de produits. Il est désormais vital pour les marques de rentrer dans une approche plus fine de leur segmentation clients et de trouver de nouvelles manières d’être audible et de se différencier. Comme présenté plus haut, le luxe industriel est un «régime de tensions » (Heilbrunn, 2001) et la tension innovation/conformisme est l’une de ses caractéristiques. Ainsi, Li Edelkroot (2015) dépeint une industrie de la mode « obsolète ». Illustration sur le thème de la publicité :

« All pictures in all magazines, all the same. Isn’t it weird that in a zapping society fashion ads are betting on the same horses, stability and repetition? These pages are so repetitive and seem so much alike that it is rather difficult to read the various brand values. The same clothes, more or less, are used in the editorials that are heavily art directed by the economy of advertisements; a new brand has little to no chance to be featured. Halting the progress of the fashion economy that used to hunt for the new and exciting. » Edelkroot, 201541

 Une verticalisation de la production qui conduit à un appauvrissement de l’écosystème Face au défi que constitue le sourcing de matériaux rares et la préservation des savoir-faire rares, les Groupes du luxe ont verticalisé la production. Les exemples sont nombreux : Chanel a crée un pôle de 12 artisans de luxe (fabricant de cachemire, gantier, plumassier, etc…), Hermès a racheté la plupart des fermes de crocodiles aux Etats-Unis, LVMH a intégré la Fabrique Temps, spécialiste des mouvements horlogers, pour s’assurer la maîtrise des composants horlogers sans dépendre du groupe Swatch. Si cette verticalisation a très certainement permis de sauver des PME sous pression dans un contexte économique difficile, il a aussi un peu plus verrouillé

41 Nous avons pris le parti volontairement de ne pas traduire ce verbatim, pour conserver le rythme saccadé de l’anglais, qui donne un ton encore plus lapidaire au propos. Ce qui souligne encore le caractère inhabituel de ce Manifesto pour l’industrie.

l’entrée au marché pour les nouvelles marques. Les nouveaux entrants, ne disposant pas d’outil de production, se confrontent à la difficulté de trouver un fabricant leur dédiant une capacité de production ou un fournisseur leur livrant des matériaux rares, déjà en flux tendus pour leurs gros clients. La conséquence est l’appauvrissement de l’écosystème du luxe, comme l’explique le journaliste horloger P.Maillard (2014) dont le constat peut être étendu à tous les secteurs des biens d’équipements de la personne : « cet assèchement de l’offre horlogère, de plus en plus concentrée entre quelques mastodontes, est une perte dommageable pour tous. Quand la «biodiversité» recule, quand le tissu industriel et artisanal se rétrécit, quand les alternatives

disparaissent, l’appauvrissement culturel s’ensuit. » 42

 Un luxe mis sous pression par le “fast fashion” et le “premium”

A coup de collaborations entre designers de mode de premier plan et marques “fast fashion” ou de diversification de portefeuilles produits vers des catégories entrée de gamme permettant d’assurer de fortes marges, les marques de luxe ont depuis 10 ans participé à un effacement des frontières entre luxe et premium amenant à une « quasi démocratisation du luxe » (BCG, 2010). Karl Lagerfeld (qui a lui-même fait partie des tous premiers à collaborer avec H&M) l’a dénoncé, non sans ironie, en mettant en scène un « Supermarché Chanel » sous la coupole du Grand Palais lors de son défilé Automne 2014.

Dans le même temps, les marques fast fashion se sont emparées des codes du luxe et ont su s’inspirer des créations des marques de luxe. Ce rapprochement mutuel laisse le consommateur submergé par des messages sans fort caractère distinctif et une offre de produits pléthorique. C’est également une pression temporelle que le fast fashion et le premium imposent aux acteurs du luxe. Champions de la logistique et de la gestion du « time to market », les Zara, Primark et autres H&M ont rendu désuet le rythme des saisons. Le luxe a suivi ce tempo et accéléré le rythme, passant de 4 à 6 puis 8 collections sans compter les éditions limitées, séries spéciales et autres collections capsules. Ainsi, à titre d’exemple, « en l’espace de 15 années, John Galliano] est passé de 6 à 32 collections à livrer par an, mais ne dessinait plus un seul produit » (Thomas, 2015) et ce pour satisfaire une « clientèle très impliquée, qui vient toutes les semaines dans les] boutiques. Il lui faut en permanence de nouveaux produits, de nouvelles livraisons » (K.Downing, responsable des grands magasins Neiman Marcus, interviewé par Sherman, 2015). L’horlogerie n’est pas en reste et c’est désormais le luxe dans son ensemble qui a intégré une

approche par collections. Ainsi, le constat fait dès la fin des années 90 pour le secteur du parfum