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Design de la recherche, collecte et analyse des données

3. METHODE DE COLLECTE DE DONNÉES

3.3. Immersion dans l’objet d’études

du style des différents créateurs à l’occasion des défilés. En 2013, nous avons constaté avec étonnement un changement de cet état de fait avec l’apparition de voix critiques au sein même du système : des journalistes, des directeurs artistiques, ou même des représentants officiels de l’institution comme le Directeur du Musée de la Mode à Paris se mettaient à questionner le système et ses ressorts. Ces discours dissonants émis par des acteurs du système nous semblaient révélateurs d’un système en tension et il nous est paru clé de les inclure à part entière dans notre projet de recherche. Ces données constituent en outre un outil de triangulation précieux des données recueillies en entretien.

Notre revue de presse compile plus de 150 articles (ou vidéos) issus de quotidiens généralistes (Le Monde, Le Temps, New York Times…), du supplément hebdomadaire M du Monde, du site internet très référent Business Of Fashion, du site internet Vogue (incluant ses interviews vidéos « Vogue Voices »), mais aussi de journaux ou sites professionnel tels que Europa Star Première (le journal de l’écosystème horloger suisse), Womens’ Wear Daily, Luxury Digital Society (groupe professionnel sur Linkedin éditant des articles) et bien d’autres encore. Nous avons également visionné les documentaires de Loïc Prigent, le film Dior & moi (Tcheng, 2015), les différentes interviews de designers, CEO ou autres professionnels disponibles sur les sites vogue.com et business of Fashion, ou dans un autre registre, les performances acides d’Olivier Saillard, Directeur du Musée Galliera à Paris.

Notons ici que la vocation de notre revue de presse n’est évidemment pas d’être exhaustive mais plutôt d’offrir une sélection pertinente d’éléments révélateurs de la complexité des rapports entretenus par des acteurs clefs de l’industrie aux discours de marques.

3.3. Immersion dans l’objet d’études

En parallèle des entretiens et des données secondaires, du fait de notre statut d’insider, nous avons eu accès naturellement et de façon informelle à de nombreuses données tout au long de ce travail. Notons ici que ce données n’ont pas du tout le même statut que les autres données (entretiens, données secondaires) recueillies par ailleurs. Elles n’ont d’ailleurs pas été intégrées en tant que telles dans notre travail d’analyse mais ont plutôt participé d’une sorte de grand bain permanent dans lequel j’ai évolué tout au cours de ma recherche, maintenant une bruit de fond de l’industrie, alors même que je n’y étais plus directement employée après 2015. Un riche moyen finalement de continuer à rester en contact avec mon terrain, sans pour autant avoir à gérer d’éventuels conflits d’intérêt comme ce peut être le cas lors d’une recherche insider.

Voici ainsi la liste de ces occasions d’un contact maintenu avec le luxe, depuis le début de notre projet de recherche en 2013:

 conversations informelles multiples et régulières (appels téléphoniques, déjeuners) avec notre réseau amical et professionnel

 participation à des salons professionnels : participation à la Foire Internationale de l’horlogerie Baselworld en 2014 et 2015 en tant qu’exposant, participation au SIHH, (salon professionnel du groupe Richemont) en tant que visiteur en 2016

 en tant que Maître d’apprentissage de 3 étudiants du Master Luxe de Dauphine en 2015, recueil informel de données sur les entreprises visitées et à la faveur des évaluations des étudiants compréhension du discours managérial en cours

 vacataire depuis 2014 auprès de Grenoble Graduate School of Business, j’invite des professionnels de mon réseau à intervenir en cours pour présenter leur parcours professionnel, les raisons qui les ont poussé à choisir cette industrie, ce qu’ils en retiennent et ce qui fait leur quotidien. J’ai ainsi invité 7 professionnels de mon réseau amical (avec qui j’avais par ailleurs pu - pour 6 d’entre eux - effectuer un entretien pour ma Thèse). Ils se sont exprimés pendant 1h à 1h30 devant les étudiants. Il était intéressant de les entendre présenter aux étudiants un moi social et un vécu professionnel plus ou moins idéalisé, parfois en décalage avec celui qui m’avait été révélé en entretien.  depuis 2015, salariée d’un cabinet de recrutement, je n’évolue plus directement dans

l’industrie du luxe mais entretient malgré tout un contact indirect avec l’industrie. En effet, je me trouve parfois à être le point de contact de professionnels du luxe en processus d’évolution professionnelle, en recherche de poste et qui partagent avec moi un récit de leur carrière – ou bien en contact avec des professionnels externes au luxe et souhaitant y entrer, évoquant souvent un secteur idéalisé, démontrant ainsi la puissance des marques du luxe et l’attractivité toujours forte de l’industrie dans son ensemble. Notons d’ailleurs ici que mon expérience de recrutement et ma pratique des entretiens de recrutement au téléphone depuis 2015 s’est révélée utile dans la conduite des entretiens de la thèse. Enfin, dans le contexte de ce cabinet de recrutement, j’ai également accès à des études sectorielles (internes ou émises par d’autres cabinets), abordant le luxe sous l’angle de ses talents et se faisant donc d’une certaine manière l’écho du discours managérial

Conclusion intermédiaire

Nous avons recueilli un matériau empirique qualitatif riche, nous permettant d’une part de qualifier le discours managérial officiel et de mettre en regard les discours officieux – qu’ils s’expriment à travers les entretiens ou les diverses sources secondaires critiques (presse, internet), et constituant un corpus de données adapté au traitement de notre question de recherche. Cet assemblage varié nous autorise en outre à pratiquer une triangulation des données tout au long de notre démarche de recherche.

La Figure 20 synthétise les différentes étapes de recueil de données et notre parcours de recherche dans son ensemble.

Figure 20_Présentation synthétique du parcours de recherche

Marke ng Manager Luxe� � 1999-2009 Projet� � entrepreneurial� � 2009-13

Start-up� Horlogère� indépendante�

2013� -� 2015� Cabinet� � De� Recrutement� 2015-date PARIS� GENEVE� Juin� 13� Projet� � de�

recherche� issu� du�

terrain

Revue� Li érature� Marke ng� Revue� Li érature� Luxe� � �

Revue� Li érature� Théorie� des� Organisa ons� • Discours� /� Organisa ons� narra ves� • Iden té� /� Régula on� iden taire� �

1°� semestre� 2015� …� Printemps� 2016�

2ème� phase� d’entre ens�

1°� semestre� 2014�

Récolte� et� analyse� des� �

données� secondaires�

Sep13 Juin� 14�

Automne� 14�

Reformula on� du� sujet� en� termes� Th.�

Des� Organisa ons�

Automne� 13�

Formula on� du�

sujet� en� termes�

marke ng

1°� semestre� 2014�

1ère� phase� d’entre ens�

Juin� 2014� –� Dec� 2014� �

Analyse� des� 1er� � entre ens,�

confronta on� aux� données�

secondaires� �

ü Aller­retour� entre� matériau� empirique� et� théorique� ü Revue� de� presse� sur� l’actualité� du� Luxe�

ü Interac on� avec� mon� réseau� personnel� et� professionnel� d’insider� � � �

Mai� 14� ERMES Déc� 13� � ERMES Dec� 14� MOST Nov� 15� MOST Juin� 15� AIMS Présenta on� séminaires� doctoraux Présenta on� académique�

Parcours� professionnel insider�

Juin� 16�

MOST 1er� semestre� 2016�

Nouvelle� analyse� des� �

entre ens� avec� la�

grille� d’Alvesson� &�

Willmo � (2002)� �

Oct15

Découverte� du� courant�

«� Brands� at� Work� »�

Avril� 14� �

Monaco

Luxury

Symposium

Exposant

4. METHODE D’ANALYSE DE DONNÉES ET CRITERES DE VALIDITE

4.1. Positionnement épistémologique

« Si tu penses que les marionnettes ne sont que des objets sans vie, alors tu n’as jamais parlé à un marionnettiste » (Latour, 1996 cité par Czarniawska, 2005)

Notre travail, de par le projet de recherche qu’il porte (se faire l‘écho de la polyphonie au sein

des organisations de l’industrie du luxe, dévoiler la dimension d’outil de contrôle de la marque) s’inscrit dans la lignée des travaux critiques sur le discours. Nous allons donc présenter brièvement les approches critiques du discours afin d’expliciter note positionnement épistémologique.

 Perspectives critiques sur le discours

Le discours est un objet interdisciplinaire qui fait depuis quelques années l’objet de nombreuses études en sciences de gestion ; les organisations étant le théâtre d’un véritable ‘linguistic turn’ qu’il convient d’étudier (Alvesson et Karreman, 2000a) ; l’économie post- industrielle ayant fait de nous des « ‘talk’ and ‘text’ workers » (Spicer, 2013).

Le discours est un système de ‘textes’ au sens large : langage écrit ou oral, artefacts culturels ou représentations visuelles - qui donne vie à un objet (Parker, 1999 cité par Hardy 2001). Les recherches sur le discours organisationnel portent ainsi sur les textes qui constituent et sont constitués par et au sein des organisations (Hardy, 2001). Elles se fondent sur le postulat, qui fait l’objet d’un large consensus, que la vie des organisations tourne autour de la création, de la circulation et de la consommation de discours multiples, l’organisation étant pensée comme polyphonique (Czarniawska, 2005). Ainsi, tenter de comprendre les organisations, revient à tenter de comprendre comment les discours opèrent, quels sont leurs effets, comment ils se construisent, se diffusent, sont adoptés, modifiés ou critiqués (Spicer, 2013). Nous nous concentrerons ici sur la perspective critique selon laquelle l’organisation est un lieu où les relations de pouvoir sont asymétriques et où le discours organisationnel viserait à rendre naturel l’ordre établi, à occulter les représentations alternatives (Frost, 1987, cité par Giroux et Marroquin, 2005), à réifier la structure profonde de pouvoir (Mumby et Stohl, 1991), voire à faire internaliser aux salariés les normes comportementales visées par l’organisation (Witten, 1993). Les approches critiques interrogent par ailleurs la finalité du discours officiel (« the

statement A may or may not represent the thing T, but why is the statement A produced in the first place and what does it accomplish ? », Alvesson et Karreman, 2000a) et cherchent à révéler d’éventuels discours officieux alternatifs (Boje, 1995,1999 ; Czarniaswka, 2005). Elles réfutent l’un des postulats des travaux sur le discours organisationnel selon lequel les discours sont musculaires et constituent la réalité (Hardy 2005). Pour les tenants des approches critiques, ce concept de ‘discours productif’ revient à ignorer que les agents font un usage actif du discours. Sans négliger la dimension normalisante du discours présentée par les approches foucaldiennes, les critiques réaffirment la capacité des individus à faire sens (« individuals as meaning-maker», Alvesson, 2010:197) et à s’émanciper du discours officiel (Alvesson et Willmott, 2002) à le réarticuler voire à y résister dans des proportions parfois inattendues (Gabriel, 1999). Les travaux critiques révèlent la nature parfois destructrice, éphémère (« ephemeral talk (…) that has no significant constitutive agency, apart from transient meaning », Alvesson et Karreman, 2000b), voire vide de sens de certains discours et destructrice des discours. Ainsi, Spicer (2013) pose qu’une grande partie du discours organisationnel actuel est vide de sens (« empty talk », « fleeting, interchangeable, relatively meaningless and very ineffective ») ; les valeurs organisationnelles étant souvent une succession de « mots génériques » comme ‘qualité’, ‘service’, ‘valeurs’, suivis de peu d’effets. Il en vient à définir la notion de « bullshit » : un discours qui est produit sans considération de ce qu’est la vérité et dont le but assumé est de tromper afin de soutenir les intérêts du bullshitter. Enfin, pour les critiques, ce type de discours serait particulièrement prévalent dans les contextes ou les rôles immatériels (rendant notre choix de la focale des managers particulièrement pertinente) (Alvesson, 1994, 2001; Spicer, 2013). Encadré théorique : présentation synthétique des autres perspectives théoriques sur le discours

organisationnel

o Perspective fonctionnaliste : le discours comme instrument de gestion

Cette perspective aborde l’organisation comme une réalité objective et objectivable et le discours comme un instrument de gestion. Elle porte son attention sur la structure et la fonction et donne aux chercheurs la mission d’étudier la mise en œuvre de la stratégie, d’expliquer et prédire.

o Perspective interprétativiste : le discours, reflet de la culture

Cette perspective considère l’organisation comme un univers subjectif et porte son attention sur les acteurs et leurs représentations, les processus de création de sens avec la volonté de dévoiler et comprendre les mécanismes à l’œuvre. Elle conçoit le discours comme un « reflet de la culture » (Giroux, Marroquin, 2005).

o Perspective processuelle : le discours, mécanisme de construction collective de la réalité

Cette perspective ne conçoit pas l’organisation comme une entité mais comme un « processus organisant » (Weick, 1969), étudiant ainsi les processus collectifs de construction et de négociation, au sein d’une organisation qu’elle considère comme étant le médium et le produit des interactions entre acteurs. Elle conçoit le discours comme un phénomène de co-construction de la réalité.

o Perspective critique post-moderne

Fondée sur les travaux de Lyotard, Baudrillard et Derrida, cette perspective considère la réalité sociale et l’organisation comme construites discursivement et fragmentées. Elle se fixe la mission de désintégrer l’histoire unique en une multitude de micro-histoires via la méthode de la ‘déconstruction’.

 Notre positionnement épistémologique

Dans un premier temps, situons nous le long des 2 continuum épistémologiques existants en sciences de gestion (réalisme/constructivisme, objectivisme/relativisme).

Nous souscrivons à l’approche constructiviste selon laquelle il n’existe pas de réalité pré-existante, la réalité étant construite par interactions sociales. Nous considérons en outre, que le chercheur participe à la co-construction de la réalité, entre autre par le truchement de l’entretien (Alvesson, 2003b ; Alvesson et Kärreman, 2000a). De fait, cette approche est induite par notre objet théorique : la régulation identitaire.

Notre projet de connaissance est de nature relativiste, considérant que la ‘réalité’ est propre au sujet de connaissance, nous ne chercherons donc pas à produire des ‘vérités’, mais à dévoiler des phénomènes, en en révélant la richesse et l’originalité.

Dans un second temps, explicitons notre inscription dans les perspectives critiques du discours. > Nous adoptons le postulat selon lequel le discours n’est pas toujours productif, l’un des objectifs de cette recherche étant précisément de dévoiler le caractère potentiellement corrosif du discours de marque à l’interne.

> Nous souscrivons à l’objectif que se donnent les critiques de dévoiler les capacités discursives des individus (Ashcraft et al, 2009) en étudiant une de ces pratiques discursives : la RI (Alvesson & Willmott, 2002). Nous souhaitons ainsi redonner sa place à un acteur jusque là absent des recherches en management : le manager du luxe.

> Nous adoptons le postulat selon lequel le discours organisationnel viserait à rendre naturel l’ordre établi et que, de nature hégémonique, il tend à occulter les représentations alternatives (Boje, 1995 ; Czarniawska, 2005). Nous souhaitons donc nous « faire l’écho de la polyphonie au sein des organisations » (Czarniawska, 2005), en proposant un contrepoint aux discours officiels. Willmott (1993 :541-542) citait, en conclusion de son article consacré à la culture organisationnelle (« corporate culture »), un essai de Max Weber (1948) dans lequel celui-ci assignait comme premier objectif à un enseignant de savoir « enseigner à reconnaître les faits gênants »50. Willmott (1993), transcrivant les propos de Weber dans une perspective historique « post-moderne et un objectif émancipateur » souscrivait à cet mission souhaitant révéler la

50 Tradution libre pour les besoins de la thèse. Citation originale : « (…) to teach his students to recognize ‘inconvenient’ facts – I mean facts that are inconvenient for their party opinions. (…) I believe the teacher accomplishes more than a mere intellectual task if he compels his audience to

normativité des opinions partisanes (« normativity of ‘party’ opinions ») de ceux qu’il appelle les « gourous de la culture organisationnelle ». C’est également l’objectif que nous assignons à ce projet de recherche : dévoiler quelles sont les « opinion partisanes », qu’est-ce qu’elles cherchent à nous dire, et comment les individus construisent leur « qui suis-je ? » en rapport avec (ou contre) ces opinions. Ainsi, la démarche de notre recherche n’est pas de distinguer le vrai du faux, mais d’interroger pourquoi tel discours est choisi plutôt que tel autre et quel est son effet, nous souscrivons en cela à l’approche d’Alvesson&Kärreman (2000).

> Enfin, nous souscrivons à l’approche d’Hatch & Schultz (1997 :356) qui considèrent que la disparition progressive des barrières entre l’interne et l’externe de l’entreprise plaide pour une recherche académique sachant elle aussi dépasser ses propres frontières. Elles proposent ainsi de combiner les savoirs développés dans les champs distincts du marketing et de la théorie des organisations. Elles mobilisent par exemple dans leurs travaux les concepts de culture organisationnelle, d’identité et d’image tels qu’ils ont pu être développés dans ces deux champs. Notre objet d’étude (le luxe, industrie dominée par les marques…objet d’étude traditionnel du marketing … faisant l’objet d’un intérêt naissant en théorie des organisations), notre focale (le manager, unité d’analyse traditionnellement vouée à une approche en théorie des organisations…bien que de récents travaux en marketing s’intéressent à une « vision élargie du capital-marque » (Berger-Rémy et Michel, 2015)) et notre sujet (l’identité) poussant tout spécialement à dépasser les frontières entre ces champs. La démarche de cette recherche, menée en co-direction avec un Professeur de Marketing et un Professeur en Théorie des Organisations, par une chercheuse insider professionnelle du marketing s’inscrit dans cet agenda de recherche.