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Le régime de la prime d’émission

Section II Modalités de l’augmentation de capital par apports en numéraire

B. Le régime de la prime d’émission

294. Si la société est libre de décider de l’existence et du montant d’une prime

d’émission (I) l’obligation de libération intégrale et immédiate de la prime s’impose à elle (II).

I.La libre détermination de l’existence et du montant de la prime

a. La libre détermination de l’existence de la prime 1). En droit français

295. L’article L. 225-128 du Code de commerce sur la SA dispose que : « les titres de capital nouveaux sont émis soit à leur montant nominal, soit à ce montant majoré d’une prime d’émission ».

Nous en déduisons que la prime d’émission n’est pas obligatoire lors d’une augmentation de capital, et qu’il appartient à l’assemblée générale extraordinaire de déterminer librement de son existence.

En effet, on peut concevoir que la prime d’émission, qu’on trouve déjà lors de l’opération d’augmentation de capital en l’absence de réserves, puisse également exister dès la constitution de la société. De façon générale, nombre d’auteurs reconnaissent que cela est raisonnable, encore qu’une telle opération soit rare131.

Dans ce cas, la prime est comptabilisée en réserve dans un compte de réserves qui est naturellement le compte de prime d’émission132.

Cette liberté semble confirmée par la CNCC, qui a précisé que l’absence de prime d’émission ne constitue pas un avantage particulier au profit des bénéficiaires de la

131 F. Goré, Droit des affaires : Les commerçants et l’entreprise commerciale, 1973, n°276. J. Escarra et J. Rault, Principes de droit commercial, sociétés, tome II, Librairie du Recueil Sirey,1934, n°572.

132 É. Copper-Royer, Traité théorique et pratique des sociétés anonymes: suivi de formules annotées concernant tous les actes de la vie sociale, 3e édition, tome I, Dalloz, 1925, n°39.

seconde augmentation de capital133. Effectivement, il n’existe pas d’avantage particulier au sens de la loi de 1966 lorsque sont concurremment émises des actions ordinaires et des actions de priorité auxquelles les futurs associés ont un droit égal de souscrire134.

2). En droit chinois

296. L’article 127 de la loi chinoise sur les sociétés semble proche du droit français,

en ceci qu’il dispose que les titres sont émis à un prix égal ou supérieur à la val eur nominale sans pouvoir être inférieur à cette dernière. La loi reconnaît ainsi aux sociétés la liberté de décider de l’existence de la prime lors d’une augmentation de capital.

Cette liberté est reconnue dès la constitution de la société. L’assemblée générale extraordinaire peut effectivement apprécier la nécessité de créer une prime d’émission, même si c’est rare en pratique. Enfin, cette prime constitue, comme en droit français, une réserve autre que les réserves légales pour la société.

b. La libre fixation du montant de la prime 1). En droit français

297. Si c’est l’existence même d’une prime d’émission qui prête parfois à débat,

c’est plus souvent son montant qui nourrit la préoccupation135.

Ce montant est en principe fixé librement par la société, plus précisément par les parties à l’émission : la société d’un côté, et les souscripteurs de l’autre. Puisqu’il s’agit d’une offre de souscription au public, nul n’est contraint de l’accepter. Il n’en demeure pas moins qu’en pratique, le montant de la prime pourra être jugé trop élevé a posteriori. Aussi, la fixation de son montant n’est-elle pas exempte de contrôles. Au contrôle des actionnaires, s’ajoute ici celui qui émanera des juges ou des autorités boursières.

Le montant de la prime d’émission peut être révélateur d’une fraude aux intérêts des minoritaires. La fraude est caractérisée chaque fois que celui qui est soumis à une

133 Bull. CNCC n°6 p. 307.

134 C. Giverdon, la copropiété, Dalloz, 2012, n° 14.

135 K. E. Eid, La fraude en cas d’augmentation du capital dans les sociétés anonymes, Mémoire de DEA sous la direction du professeur Georges Naffah, p. 122.

règle, générale ou individuelle, utilise des moyens, actes ou faits juridiques, ayant pour objet ou pour effet de contourner la règle applicable136.

Une prime d’émission inférieure à sa valeur théorique nuirait donc aux actionnaires qui n’exercent pas de leur droit préférentiel de souscription. Et réciproquement, un prix d’émission trop élevé empêcherait pratiquement l’exercice du droit préférentiel de souscription après en avoir considérablement réduit ou entièrement annulé la valeur137, et par conséquent constitue une fraude à ce droit prévu par la loi.

Ainsi, dans un arrêt rendu en 1975, la Chambre commerciale de la Cour de cassation française a rejeté le pourvoi contre l’arrêt ayant jugé qu’était entaché de fraude le fait, pour une société, d’émettre des actions nouvelles avec une prime d’émission représentant vingt-cinq fois le nominal des anciennes, dès lors que le prix d'émission des actions nouvelles « n’était justifiée ni par les réserves qui sont inexistantes, ni par la prosprérité de la société »138.

En revanche, dans une hypothèse où une prime d’émission d’un montant cinquante- neuf fois supérieur au nominal des nouvelles actions émises avait été créée, la jurisprudence a écarté la fraude dans la mesure où le montant de cette prime se trouvait justifié compte tenu de la situation de la société, qu’il s’agisse du montant des réserves, du chiffre d’affaires ou des pertes des exercices antérieurs.

2). En droit chinois

298. Selon l’article 34 de la loi sur les valeurs mobilières, en cas d'émission

d'actions à un prix supérieur à leur valeur nominale, le prix d'émission est déterminé par concertation entre l'émetteur et la société de bourse c hargée de les commercialiser. La loi sur les valeurs mobilières de 1993 avait par ailleurs prévu que la prime, déterminée par la société et les souscripteurs, devait être approuvée par la Commission de Regulation des valeurs mobilières de Chine. Mais la no uvelle

136 J. Vidal, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, préf G. Marty, Dalloz, 1957, p.64.

137 G. Naffah, La prime d’émission, préf F. Terré et A. Viandier, Economica, 1987, cité par K. E. Eid, La fraude en cas d’augmentation du capital dans les Sociétés anonymes, Mémoire de DEA, p. 36.

138 Cass. Com., 12 mai 1975, Vétochimie France c/ Mme Menu Françoise : Bull. civ. IV, n° 129.

loi sur les valeurs mobilières a supprimé ce contrôle a priori, garantissant ainsi la libre détermination du prix d’émission.

La détermination du montant de la prime d’émission peut schématiquement obéir aux deux méthodes suivantes.

L’ « émission à prix de marché » consiste à fixer le montant de la prime d’émission au niveau du prix de marché des titres de même catégorie à la bourse. Cette méthode est souvent utilisée lors de l’émission des titres au public, c’est-à-dire à des personnes indéterminées. Notons qu’alors qu’une société qui procède à l’émission initiale des actions prend généralement en considération différents facteurs pour fixer son propre prix (prérogatives financières et politiques attachées aux nouveaux titres, état du marché, concurrence éventuelle d’autres titres, etc), il est fréquent qu’elle se réfère au dernier prix de marché des titres antérieurement émis lorsqu’elle émet des actions pour la deuxième fois.

L’ « émission à prix intermédiaire » consiste, comme son nom l’indique, à émettre des actions à un prix intermédiaire entre la valeur nominale et le prix de marché. L’application de cette méthode, dont se dégage un prix inférieur au prix de marché, est donc souvent utilisée pour les anciens actionnaires.

La législation chinoise actuelle n’encadre guère la fixation de la prime d’émission, ce qui favorise la fixation de primes dont le montant s’avère, en pratique, extrêmement élevé. A l’heure où il il semble urgent de renforcer les contrôles en la matière, l’expérience française pourrait utilement inspirer les pratiques juridiques chinoises.

II. L’obligation de libération de la prime

a. En droit français

299. Selon l’article L. 225-144 alinéa 1er du Code de commerce, « les actions

souscrites en numéraire sont obligatoirement libérées lors de la souscription (…) de la totalité de la prime d’émission ». Cela revient à dire que l’obligation de libération intégrale et immédiate de la prime d’émission s’impose. Cette obligation ne concerne cependant pas les sociétés émettant des parts sociales, sauf dispositions statutaires spéciales. La violation de la loi est ici passible d’une amende de 9 000 €, et d’une peine d’emprisonnement d’un an (C. com., art. L. 242-17, II).

300. En cette matière, la loi sur les sociétés et la loi sur les valeurs mobilières

ouvrent une option. La libération de la prime peut être précisée dans les statuts de la société, ou décidée par l’assemblée générale extraordinaire lors de la décision d'émission de titres. En pratique, à l’occasion de la souscription de nouvelles actions en numéraire, une société exige souvent libérer totalement et rapidement la prime d’émission.

§II Droit préférentiel de souscription

301. Comme la prime d’émission, le droit préférentiel de souscription (DPS) est un

moyen de sauvegarder les droits des anciens actionnaires de la société et d’éviter la dilution des droits pécuniaires et politiques à laquelle s’exposent ceux qui ne souscrivent pas à l’augmentation de capital. Ce droit, créé par le décret du 8 août 1935, a récemment fait l’objet de réformes répétées. Nous analysons d’abord l’existence de ce droit (A), puis son exercice (B), la cession du droit (C), avant d’envisager son extinction (D).