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Réforme des chemins de fer et investissements

L

’un des objectifs premiers de la réforme des chemins de fer russes est donc, comme il l’a déjà été souligné un peu partout dans ce rapport, de remédier à la grave détérioration du système en attirant des volumes considérables et durables d’investissements privés. La réforme a déjà donné, alors même qu’elle n’en est qu’à ses débuts, quelques résultats positifs à ce point de vue. Pour évaluer son impact à long terme sur les investissements, il est utile de diviser les projets possibles d’investissement privé en quatre catégories distinctes et d’essayer de prévoir l’effet que la réforme pourrait exercer sur la propension à investir dans chacun de ces quatre domaines. Les quatre catégories proposées rassemblent a)le matériel roulant utilisé par RZhD ou les opérateurs indépendants, b)les infrastructures privées utilisées dans un espace géographique limité par un seul grand chargeur, c)les locomotives et autres biens d’équipement dont un opérateur indépendant a besoin pour entrer sur un marché et d)l’exploitation verticalement intégrée des infrastructures et des trains envisageable dans l’avenir.

Les investisseurs privés en matériel roulant sont déjà très actifs. Ils profitent d’un

« marché favorable aux vendeurs » parce que le matériel roulant manque (le manque est criant pour certains types de matériels) et que le parc existant est souvent vétuste et en mauvais état. Les chargeurs, RZhD et les opérateurs indépendants sont donc tous prêts à louer le matériel roulant que des investisseurs privés peuvent leur proposer. Le régime tarifaire incite aussi à l’utilisation de matériel roulant privé parce que les redevances d’utilisation des wagons sont calculées sur la base d’un délai de rentabilisation des investissements en wagons égal à ce qu’il est en moyenne pour RZhD : les chargeurs et les opérateurs indépendants (ainsi que leurs agents, notamment les transitaires) peuvent réaliser des bénéfices en utilisant le matériel roulant plus efficacement que RZhD a pu le faire, par exemple en rationalisant la circulation des wagons vides ou réduisant la proportion des retours à vide. L’augmentation spectaculaire des investissements privés en matériel roulant est une des réussites rapides de la réforme.

Le secteur privé peut en second lieu investir aussi dans les «chemins de fer industriels» qui desservent certains centres de production. MPS a vu sortir de son giron, entre 1992 et 1995, 100 à 120 de ces chemins de fer industriels verticalement intégrés exploitant environ 8 000 km de lignes, soit presque un tiers de la longueur totale du réseau à cette date. Ces chemins de fer industriels ont pour double fonction a)de véhiculer des produits entre les différentes unités d’extraction, de transformation et de fabrication d’un même complexe de production et b)d’acheminer les biens sortant du complexe de production jusqu’aux lignes de RZhD où ils sont chargés sur des trains de RZhD.

Quelques nouveaux chemins de fer industriels ont été construits récemment, dont la ligne de 158 km construite par SUAL pour desservir sa mine de bauxite dans la République de Komi. Les propriétaires et exploitants de ces chemins de fer industriels, qui sont en règle générale aussi les propriétaires des grands complexes de production qu’ils desservent, font partie des candidats logiques à l’exploitation future de trains privés circulant sur les infrastructures de RZhD. La réforme, dans la mesure où elle incite à

l’entrée en scène d’opérateurs ferroviaires indépendants, incite donc plus encore à l’émergence d’exploitants de chemins de fer industriels. La rapport a montré que cette incitation n’est sans doute pas aussi forte qu’elle pourrait l’être.

Le secteur privé peut en troisième lieu entrer sur le marché ferroviaire sous la forme d’opérateurs indépendants qui pourraient disputer des trafics à RZhD en faisant circuler des trains sur les voies de RZhD. Ces opérateurs ferroviaires indépendants pourraient être soit des filiales ou des partenaires de grands chargeurs tels que des compagnies pétrolières, des aciéries, des producteurs de bois ou des mines de charbon, soit des entreprises autonomes de transport ou de services logistiques. Aucune loi ni aucun règlement ne s’oppose à ce que les opérateurs indépendants qui commencent comme transporteurs spécialisés d’un type de produit pour un seul chargeur se muent en transporteurs généralistes pour se développer. Le nombre de ces opérateurs indépendants qui ne transportent que des produits pétroliers est passé de deux à trois pendant la période de rédaction du présent rapport, mais plusieurs autres demandent à pouvoir accéder au marché. Quoique le nombre de ces entreprises reste peu élevé, le fait même qu’elles se soient manifestées dès les toutes premières phases du processus de restructuration est un signe indéniablement positif. Le plan de réforme visait d’ailleurs à créer et à encourager cette forme de « concurrence sur lignes existantes ».

Il convient toutefois de souligner qu’aucun de ces opérateurs indépendants n’est encore allé au delà de son premier client et de sa première catégorie de marchandises. La raison pourrait en être que la réforme n’en est encore qu’à ses débuts, mais aussi que les redevances d’accès représentent une large part des coûts totaux du transport par chemin de fer. Les gros chargeurs pourraient être compétitifs quand ils transportent leurs propres produits (parce qu’il y a intégration verticale vers l’aval), mais non pas quand ils proposent leurs services à d’autres chargeurs. La raison pourrait en être recherchée, enfin, dans la faiblesse intrinsèque du modèle d’« accès vertical » dans quelque environnement que ce soit, mais surtout sans doute dans une économie en transition : les opérateurs indépendants potentiels ne se décident pas à investir et à entrer sur le marché parce qu’ils craignent que les autorités de contrôle ne puissent leur assurer l’offre de conditions d’accès égales et non discriminatoires de la part de RZhD, leur concurrent verticalement intégré.

Le décret no703 réglementant la fourniture des services nécessaires à l’utilisation des infrastructures ferroviaires publiques s’applique dans les cas où les infrastructures offrent des réserves de capacités, c’est-à-dire lorsque la capacité des infrastructures n’est pas limitée.

Cela amène à se demander qui conclut à l’existence de ces réserves de capacité. Dans le secteur gazier russe, la réponse à cette question serait GAZPROM, et GAZPROM seul. Dans le secteur des chemins de fer, ce sera RZhD. Il y a aussi ces difficiles questions de « l’accès non discriminatoire », des « critères uniformes d’accès » et de l’« information ouverte » qu’un organisme de contrôle spécifiquement ferroviaire doit, au vu des expériences vécues dans les pays de l’OCDE, réexaminer régulièrement et suivre de près pour qu’une entreprise qui intègre gestion des infrastructures et exploitation des trains puisse être exposée à une réelle concurrence.

Pour toutes ces questions d’égalité d’accès aux infrastructures, les opérateurs indépendants attendent du ministère de la Politique Antimonopoles et de la Commission fédérale de l’énergie (ou de l’éventuel futur organisme fédéral de contrôle des chemins de fer) qu’ils fassent valoir leurs droits lorsqu’il y a conflit entre ces droits et les intérêts de

l’entreprise en place verticalement intégrée. Il reste à savoir, et la question est capitale, si ces organes seront capables de détecter, de prévenir et de sanctionner les discriminations.

Le quatrième, et dernier, domaine dans lequel le secteur privé peut investir n’appartient pour le moment encore qu’au monde des possibilités. Les textes gouvernementaux qui traitent de la division du processus de réforme en trois phases évoquent la création éventuelle d’«entreprises de chemin de fer verticalement intégrées concurrentes» entre 2006 et 2010. Le rapport parle, dans des chapitres précédents, des deux stratégies qui peuvent être mises en œuvre pour susciter et encourager cette forme d’investissement concurrentiel. Certains responsables de MPS prétendent qu’il n’est pas possible de mettre sur pied un système d’entreprises de chemin de fer verticalement intégrées concurrentes en Russie parce que la loi ne permet pas d’y enlever à l’État la propriété des infrastructures ferroviaires. L’obstacle ne devrait toutefois pas être insurmontable.

Plusieurs pays d’Amérique latine qui ont adopté ce modèle de réforme ont concédé les infrastructures à long terme, plutôt que de les privatiser, et l’État en reste donc propriétaire, sans que la propension à investir des concessionnaires s’en trouve diminuée de façon perceptible. Il apparaît aujourd’hui que partout dans le monde, les systèmes de compagnies ferroviaires verticalement intégrées concurrentes réussissent beaucoup mieux à attirer les investisseurs privés que les systèmes fondés sur la séparation verticale et la liberté d’accès.

L’équipe pense que la division des infrastructures ferroviaires russes, ou à tout le moins de celles qui se trouvent à l’ouest de l’Oural, en plusieurs entreprises verticalement intégrées se livrant une concurrence à la fois parallèle et géographique pourrait être un objectif à long terme qui mérite sérieusement d’être pris en considération. Cette stratégie a pour principal avantage de préserver les économies et l’efficience inhérentes à une intégration verticale complète de l’exploitation des trains et de la gestion des infrastructures tout en faisant jouer une forte concurrence intraferroviaire. Ce modèle de réforme a jusqu’ici fort bien réussi en Amérique du Nord et du Sud à attirer les investisseurs privés et à couvrir les coûts fixes du système. Il n’est, à ces premiers stades de la réforme, pas sûr que la réforme russe puisse à terme encourager ou même autoriser cette forme d’investissement privé, mais les ministères responsables de la réforme des chemins de fer devraient quand même commencer à préparer la mise en place d’un tel système et notamment à modéliser la réorganisation nécessaire à la création de cette forme de concurrence.

© CEMT 2004

ANNEXE A

Note sur l’accès non discriminatoire aux infrastructures