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Chapitre 2. Revue de la littérature 42

2.1 Les fondements idéologiques de la réforme et son contexte politique 43

2.1.2. La réforme dans son contexte politique : la réingénierie de l’État 56

Le Parti Libéral du Québec, dirigé par Jean Charest, est porté au pouvoir, le 14 avril 2003, suite à une campagne électorale s’appuyant en grande partie sur le thème de l’amélioration du système de santé et de services sociaux québécois. Une fois au pouvoir, le gouvernement annonce son intention de mettre en branle un projet d’envergure visant à moderniser l’État québécois. Dans son discours d’inauguration, le premier ministre expose les problèmes auxquels il désire s’attaquer. Selon lui, l’État québécois n’est plus en mesure de répondre adéquatement aux besoins des citoyens. Jean Charest trace le portrait d’un État sous pression et mal adapté à la réalité du 21e siècle. Il demande : « Pendant combien de temps l’État

québécois peut-il continuer à tout taxer et à se mêler de tout avec, pour résultat, de souvent faire les choses à moitié ? » (Charest, 2003, p.3). En ce sens, le premier ministre Charest est

en cohérence avec la plateforme électorale du PLQ de 2002, dans laquelle l’État québécois était qualifié de lourd, tentaculaire et incapable de se centrer sur ses missions premières (PLQ, 2002).

41 Rouillard et Hudon (2007) considèrent managérialisme et NMP comme des synonymes. Ils écrivent : « le managérialisme ou nouveau management public est un mouvement de réforme politico-administrative qui prend forme durant les années 1970, pour s’articuler concrètement au début des années 1980 dans plusieurs pays anglo- saxons, notamment l’Angleterre, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Il s’inspire de la gestion des grandes firmes privées, dont il vise à relever les pratiques considérées comme exemplaires, pour les mettre en œuvre au sein des organisations publiques, afin d’en accroître l’efficacité, l’efficience et l’économie » (Rouillard et Hudon, 2007, p.23).

Pour faire face à ces problèmes, le premier ministre annonce la mise en œuvre d’un projet d’envergure de révision des structures et du fonctionnement de l’État québécois : la réingénierie de l’État. Pour mener à bien ce projet de modernisation, Jean Charest identifie une série de principes de gestion qui orientera les actions de son gouvernement. Il s’agit d’abord de recentrer l’État sur ses missions essentielles que sont la santé, le savoir, la prospérité et la sécurité. Deuxièmement, ces missions doivent avoir comme premier souci la qualité des services aux citoyens. Il est à noter que pour le premier ministre, ce souci de la qualité des services passe par une diminution des structures de l’État. À ce propos il affirme : « moins de

structures, plus de services » (Charest, 2003). Le troisième principe est la transparence et

l’efficacité. Jean Charest affirme que les Québécois doivent savoir où va leur argent et doivent en avoir pour leur argent. Finalement, le dernier principe est la décentralisation, le partenariat et l’imputabilité. Il explique :

« Nous ouvrirons l'État québécois au partenariat, que ce soit avec les

municipalités, des organismes communautaires ou des entreprises privées. Chaque partenaire identifié sera imputable des responsabilités qui lui seront confiées et des ressources afférentes devant les élus de l'Assemblée nationale »

(Charest, 2003).

Ces principes de gestion seront mis en pratique dans six grands travaux qui composent le cœur de la réingénierie de l’État québécois42. La réorganisation du secteur de la santé constitue non seulement un de ces six grands travaux, mais elle est identifiée comme la priorité.

Toujours dans son discours d’inauguration, Jean Charest énonce les grands principes qui guideront la réforme du secteur de la santé et des services sociaux. Il annonce :

« Nous allons rebâtir le réseau de la santé et des services sociaux. Nous allons

décentraliser son administration afin que les directeurs d'établissement, notamment, puissent pleinement exercer leurs compétences et trouver des solutions adaptées à leur propre situation » (Charest, 2003).

42 Les six grands travaux sont les suivants : révision des structures de l’État et des programmes gouvernementaux; revue des modes d’intervention du gouvernement dans l’économie; réorganisation des services de santé; examen des perspectives de décentralisation et de déconcentration; recentrage du réseau de l’éducation sur l’élève et l’étudiant; simplification et allégement du fardeau fiscal (Charest, 2003).

Il ajoute que la réforme passera, entre autres, par une modification de l’organisation du travail qu’il convient de rendre plus humain et plus flexible. Pour ce faire, il annonce que son gouvernement s’attaquera au problème de fonctionnement que représente le nombre d’unités d’accréditation syndicales. Du même souffle, il annonce que le système s’ouvrira aux partenariats avec le privé. Il affirme : « Je refuse de voir notre système public de santé comme

une chapelle qui proscrit toute relation avec le secteur privé comme s'il s'agissait là d'un sacrilège » (Charest, 2003). Finalement, il annonce l’abolition des régies régionales et leur

remplacement par des organisations moins lourdes.

La responsabilité de mener à bien ce chantier est attribué au nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Philippe Couillard. Celui-ci a, dès mai 2003, annoncé son intention de réformer en profondeur le système de la santé et des services sociaux. À ce sujet, il affirme :

« Notre gouvernement a été élu parce que la population a cru en notre capacité

d’incarner le changement nécessaire dans l’action gouvernementale en général et, plus spécifiquement, dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ce changement va se produire tôt dans notre mandat » (Couillard, 2003c, p.4).

Enfin, le ministre identifie le mal dont le système est affublé : « lourdeur excessive, manque

d’intégration, de cohérence et d’information, retour […] à une gestion plus centralisée et imputabilité mal définie » (Couillard, 2003c, p.6). Pour faire face à ces problèmes, le ministre

affirme que la seule injection de fonds ne peut suffire, le système a plutôt besoin d’une profonde réorganisation.

2.1.2.1 La présentation de la réforme aux gestionnaires d’établissement de santé

La façon dont le premier ministre Jean Charest et son ministre de la Santé, Philippe Couillard, vont présenter la réforme aux gestionnaires d’établissements de santé nous paraît révélatrice de la vision qu’ils ont de la réforme et des valeurs du projet de réingénierie de l’État.

À première vue, leur présentation prend la forme d’une promesse aux gestionnaires de les libérer du carcan qui limite l’exercice de leur fonction. L’image qui ressort des discours effectués par Jean Charest et Philippe Couillard est celle de gestionnaires étouffés par les contraintes du système, incapables d’effectuer ce pour quoi ils sont engagés et pour qui la réforme représentera un événement libérateur. Avant même son élection, cette image est utilisée par Jean Charest. En novembre 2002, il s’adresse en ces termes aux directeurs généraux d’établissements de santé réunis dans le cadre de leur colloque annuel :

« En tant que directeurs généraux d’établissements, vous êtes tenus dans un

étau si serré que vos compétences de gestionnaires sont gaspillées. Moi je veux pouvoir compter sur vos compétences. Nous allons redonner une marge de manœuvre aux établissements et à leurs directeurs généraux. […] Vous allez retrouver votre pouvoir de gérance » (Charest, 2002, p.3-4)

Une fois le PLQ au pouvoir, cette image est reprise par le ministre Couillard. S’adressant à des gestionnaires d’hôpitaux participant au congrès de l’Association des Hôpitaux du Québec (AHD), il affirme :

« Nous sommes convaincus que le talent et l’expertise nécessaires à la mise en

place de ces nouvelles façons d’agir se trouvent dans cette salle […]. Loin de le réprimer, nous allons libérer ce talent et vous permettre de donner votre pleine mesure en vous offrant tous les moyens, l’autonomie, de même que l’imputabilité qui l’accompagne » (Couillard, 2003c, p.5).

Cette augmentation des marges de manœuvre managériales va de pair avec une décentralisation du pouvoir décisionnel. À plusieurs reprises, le premier ministre Jean Charest ainsi que son ministre de la Santé et des Services Sociaux affirment leur conviction quant à l’efficacité de cette décentralisation. À ce propos, le ministre Couillard affirme :

« Nous avons la conviction que le réseau sera mieux géré si nous laissons les

bonnes personnes prendre les décisions là où elles doivent être prises, c’est-à- dire le plus près possible de l’endroit où se donnent les services » (Couillard,

Les discours de présentation de la réforme sont aussi l’occasion, pour le ministre Couillard, de présenter les attentes qu’il entretient envers les gestionnaires d’établissements. S’adressant aux directeurs généraux d’établissements, le ministre leur demande « d’être les principaux artisans

de la nouvelle culture organisationnelle » (Couillard, 2003e, p.5). Ceux-ci doivent exercer un

nouveau leadership et le ministre s’attend à ce qu’ils deviennent, dans chacune de leur organisation, les animateurs d’une nouvelle dynamique. Dans ce contexte, l’implication des gestionnaires dans la mise en œuvre des changements, ainsi que leur adhésion aux objectifs de la réforme, sont identifiées comme des conditions incontournables à la réussite du projet. À ce sujet, le ministre Couillard affirme :

« Une transformation aussi importante ne peut s’opérer que de l’intérieur. Elle

ne peut pas être menée à bien sans l’implication et l’engagement total des administrateurs et des gestionnaires des établissements en cause. » (Couillard,

2003e, p.2)

À cette adhésion et à cette implication, le ministre ajoute que les gestionnaires seront évalués en fonction des résultats auxquels ils arriveront. Pour le ministre, cette question de l’imputabilité des gestionnaires est très importante. Elle représente l’autre versant de la médaille de l’augmentation des marges de manœuvre. À ce sujet il déclare :

« Vous serez donc responsables des résultats; c’est important de le rappeler.

Vous aurez une marge de manœuvre suffisante pour déterminer les besoins, favoriser une organisation des soins et des services basée sur une coordination étroite et, si nécessaire, allouer l’argent vers les besoins que vous jugez prioritaires. Mais vous serez surtout responsables des moyens que vous jugerez pertinents d’adopter. […] Plus responsables qu’auparavant de la programmation et de l’organisation clinique de vos établissements, vous disposerez d’une plus grande liberté d’action, en échange de quoi vous aurez aussi à démontrer mieux qu’auparavant que vous assumez les responsabilités qui vous sont confiées et que vous avez atteint les résultats attendus tout en vous préoccupant de faire le meilleur usage possible des ressources financières à votre disposition » (Couillard, 2003e, p.13).